Vu du Droit
Tribune: répression des gilets
jaunes,
les libertés publiques en danger
Régis de Castelnau
Samedi 2 février 2019 La France connaît
une crise sociale à l’occasion de
laquelle le pouvoir exécutif vient de
déclencher une répression policière et
judiciaire d’une violence jamais vue
depuis la fin de la guerre d’Algérie. Au
point que l’opinion internationale
commence à s’émouvoir en constatant à
quel point le gouvernement français
actuel est prêt à renoncer à tous les
principes qui caractérisent une
démocratie. À cette occasion une partie
de la magistrature française renouant
avec de mauvaises habitudes a accepté de
jouer le rôle du garde-chiourme du parti
de l’ordre, oubliant que l’appareil
judiciaire n’est pas là pour rétablir
l’ordre, mais pour rendre la justice. Ce
constat est absolument désolant.
Des avocats
courageux dans des conditions difficiles
démontrent par leur engagement qu’ils
ont choisi ce métier pour défendre des
hommes mais aussi des principes. Et ils
nous rappellent que l’État de droit
n’est pas à géométrie variable.
Un certain nombre
d’entre eux vient de publier un appel à
l’opinion publique. Dont on trouvera les
termes ci-dessous. Merci à eux.
Régis de
Castelnau
PS: les confrères
qui souhaitent s’associer à cette
tribune peuvent s’adresser au site par
l’intermédiaire de l’e-mail de contact :
vududroit@gmail.com
« Notre pays
traverse une période de contestation
inédite sous la Vème République depuis
le 17 novembre 2018.
De manière tout
aussi inédite les juridictions,
principalement pénales, sont
particulièrement sollicitées afin de
statuer, dans des conditions parfois
discutables, sur la culpabilité ou
l’innocence de justiciables qui, pour un
grand nombre d’entre eux, n’ont jamais
eu à connaître les instances judiciaires
pénales ni même les services de police
et d’enquête. Les gardes à vue sont
légion et ont lieu dans des conditions
qui inquiètent nombre d’avocats,
auxiliaires de justice mais aussi
défenseurs des libertés publiques et
individuelles. Par la présente tribune,
nous, avocats signataires entendons
alerter quant au danger que constituent
ces procédures faites, souvent, dans
l’urgence et visant principalement à
gonfler, souvent de manière
artificielle, des chiffres qui seront
annoncés par le Ministère de
l’Intérieur. En amont de toute
poursuite, et sans décision judiciaire,
nous avons pu constater la violation
délibérée des droits de manifestants par
des expulsions et délogements totalement
illicites et en ayant recours à la force
publique.
Nous avons
constaté des poursuites pour des motifs
saugrenus tel que l’occupation illicite
du domaine public alors que les
personnes poursuivies n’avaient fait que
stationner quelques minutes aux
alentours d’un rond-point. Nous avons
constaté dans certains commissariats ou
gendarmeries, que des avocats n’ont pas
pu s’entretenir avec leur client gardé à
vue en dépit de leur désignation.
Certains encore ne sont pas tenus
informés des suites judiciaires décidées
par le seul Parquet relatives aux
personnes pour lesquelles ils doivent
intervenir : soit de remise en liberté,
soit de leur présentation devant un
Procureur de la République alors que
l’avocat doit être averti de celles-ci.
Pire encore, tant dans le cadre des
auditions libres que des auditions
durant les gardes à vue, nombre de
« Gilets Jaunes » indiquent que des
enquêteurs les ont dissuadés du recours
à l’assistance d’un avocat en arguant de
ce que si l’avocat intervenait, ils
seraient remis en liberté beaucoup plus
tardivement. Nombres de personnes ont
donc renoncé au droit essentiel de la
présence d’un avocat à leurs côtés
pendant leurs auditions, espérant ainsi
une sortie plus rapide de garde à vue ou
bien la clémence des services
judiciaires. Il a pu être constaté ainsi
des auditions hors présence d’un avocat
dont les personnes contestaient par la
suite le contenu. Nous tenons ici à
rappeler que nombre de « Gilets Jaunes »
n’ont jamais eu à connaître auparavant
la Justice pénale. Après des enquêtes
souvent rapides, des investigations
réduites au minimum et des prolongations
de garde à vue dites de « confort », les
gardés à vue sont fréquemment déférés en
vue de procédures de jugements rapides
dites comparutions immédiates. Ces
procédures, où le mis en cause est jugé
immédiatement après une garde à vue par
définition éprouvante, sont
habituellement réservées aux personnes
ayant des antécédents judiciaires, pour
des affaires relativement évidentes et
relevant d’une gravité certaine.
Pour autant,
s’agissant des « Gilets Jaunes », nous
avons pu voir ce choix procédural du
Parquet être mis en œuvre pour des
affaires plus complexes, pour des
personnes sans aucun antécédent et
s’agissant d’affaires ne présentant pas
la gravité habituellement retenue pour
ce choix procédural (dégradations,
outrages…) Le traitement rapide des
affaires judiciaires des manifestants
nous semble l’œuvre du désir des
pouvoirs exécutifs de donner une réponse
forte. Nous rappelons que seul le
Parquet dispose de l’opportunité des
poursuites ce qui signifie que lui seul
détermine le choix des procédures. Nous
rappelons aussi que par plusieurs
décisions, la Cour Européenne des Droits
de l’Homme (plus haute juridiction
européenne, garante des libertés
publiques et individuelles) a condamné
la France pour absence d’indépendance du
Parquet considérant que les magistrats
du Parquet ne disposaient pas de
l’indépendance nécessaire puisque
relevant directement de l’Exécutif.
Monsieur Castaner, Ministre de
l’Intérieur, d’autres membres de
l’Exécutif mais aussi Monsieur le
Président de la République, Emmanuel
MACRON, ayant indiqué, dans des tweets
ou par voie de presse, que des réponses
judiciaires sévères seront apportées par
la Justice. Il convient ici de rappeler
que constitutionnellement, le Président
de la République est le gardien de
l’indépendance de la Justice. De sorte
que la sévérité ainsi demandée aux
magistrats du siège pourrait constituer
une atteinte à l’indépendance des
magistrats du siège.
Cependant, il
semblerait que certains magistrats ne
s’émeuvent pas des consignes des
pouvoirs publics et adhèrent à cette
sévérité en prononçant des peines fermes
avec mandat de dépôt, en ne tenant pas
compte des critères habituels, notamment
celui de la personnalisation de la peine
et son adaptation au profil et aux faits
reprochés et ce, alors que les mis en
cause n’ont jamais été condamnés. De
manière tout aussi fréquente, sont mises
en place des procédures de convocation
par procès-verbal remis par les
procureurs et donc plaçant les mis en
cause sous contrôle judiciaire parfois
de longs mois avant leur jugement. Ces
contrôles judiciaires, très
contraignants, portent parfois des
obligations ayant des conséquences
graves comme des interdictions de
paraître dans certaines villes alors
qu’il s’agit du lieu de travail des mis
en cause, ou encore des obligations de
soins, sans lien avec les faits
reprochés ou même des interdictions de
conduire tout véhicule alors que là
encore sans lien avec les faits
reprochés. Nous avons même pu constater
une interdiction de quitter le domicile
entre certains horaires ! Certains
avocats et aussi des magistrats du siège
constatent aujourd’hui cette sévérité
pénale et manifestement souvent
inadaptée, et s’en émeuvent.
A l’inverse,
nous avons constaté que les procédures
relatives à de présumées violences
policières ne faisaient pas l’objet de
la même célérité d’enquête ou de
poursuites. L’identification de
policiers mis en cause est longue et
laborieuse, les poursuites rares, dans
le cadre de procédures excluant les
avocats (enquêtes préliminaires,
enquêtes internes) de sorte qu’à ce
jour, à la connaissance des avocats
signataires, aucune poursuite pénale n’a
abouti concernant des violences
policières. Nous dénonçons par ailleurs
des comportements qui posent question de
la part des services de police quant à
la présence de certains avocats, qui ont
pu s’émouvoir de pratiques policières
qu’ils constataient et qui ont fait
l’objet eux-mêmes de mesures coercitives
particulièrement inquiétantes. Nous
pensons notamment à notre confrère de
Nancy. Enfin, à l’instar de plusieurs
parlementaires, nous sommes
particulièrement inquiets quant au
projet de loi actuellement en discussion
dit « anti-casseurs » qui nous semble
contraire à nombre de principes
fondamentaux. Le cas échéant nous
envisageons de saisir, par la voie de la
Question Prioritaire de
Constitutionnalité (QPC), le Conseil
Constitutionnel afin de déterminer si
les libertés publiques, le droit
européen et les textes fondateurs de
notre République ne sont pas
transgressés par l’application de la
loi, si elle restait en l’état.
Nous, avocats
signataires, tenons à alerter quant aux
dérives que nous constatons et qui
semblent porter atteinte aux droits
individuels et aux libertés publiques
dans notre République. »
Sophia
ALBERT-SALMERON, avocate à Avignon – Khalida
BADJI, avocate à Clermont-Ferrand –
Georges BANTOS, avocat à Marseille –
Betrand BEAUX, avocat à Montélimar
– Myriam BERLINER, avocate à Paris –
Marjorie BEREZA, avocate à Strasbourg –
Avi BITTON, avocat à Paris – Sandrine
BLEUX, avocate à Cambrai – Alexandra
BODEREAU, avocat à Arras – Annabelle
BOURG, avocate à Clermont-Ferrand –
Joëlle CABROL, avocate à Toulon –
Christine CASABIANCA, avocate à
Aix-en-Provence – Brigitte CHARLES,
avocate à Nice – Régis DE CASTELNAU,
avocat à Paris – Cyril DE GUARDIA DE
PONTE, avocat à Perpignan – Philippe DE
VEULLE, avocat à Paris – Christine
CLAUDE-MAYSONNADE, avocate à Tarbes –
Clotilde COURATIER-BOUIS, avocate à
Paris – Mathieu CROIZET, avocat à Paris
– Mathilde SANSON, avocate à Rouen –
Estelle DELATTRE-ARENA, avocate à
Bethune – Richard DOUDET, avocat à
Limoges – Aziza DRIDI, avocat à Grasse –
Jean Jacques DULONG avocat à Paris –
Christophe DUMEZ, avocat à Montpellier –
Anne DUNAN, avocate à Toulon – Alix
ESTUBLIER-ADAMO, avocate à Toulon –
Mazen FAKIH, avocat à Paris – Yoave
FENNECH, avocat à Toulon – Olivier
FERRI, avocat à Toulon – Saphia FOUGHAR,
avocate à Nîmes – Mireille GODARD,
avocate à Aix-en-Provence – Charline
GAIA, avocate à Toulon – Guylène
GRIMAULT, avocate à Evreux – Charlotte
GRUNDMAN, avocate à Paris – Anne
GUTTADORO, avocate à Cannes –
Marie-jeanne KAHN, avocate à Montpellier
– Jacques LABROUSSE, avocat à Toulon –
Jean LÉNAT avocat à Lyon – Charline
LHOTE, avocate à Colmar – David
LIBESKIND, avocat à paris – Alfonso
M.DORADO, avocat à Paris – Christophe
MACONE, avocat à Toulon – Alexandra
MAILLOT, avocat à Saint-Denis (La
Réunion) – Melissa MARIAU, avocate à
Rennes – Sandra MOLINERO, avocate à
Rouen – Nathalie MOULINAS, avocate à
Tarascon – Léa N’GUESSAN, avocate à
Paris – Michèle NAUDIN, avocate à
Marseille – Pascal PENCIOLELLI, barreau
d’Evry – Salomé PERRIER, avocate à Nîmes
– Sandrine RAGALD, avocate à Saint-Aimé
(Martinique) – Elisabeth RAMACKERS,
avocate à Nîmes – Florence RAULT avocate
à Paris – Virgile RENAUD, avocat à
Marseille – Nancy RISACHER avocate à
Épinal – Anouk ROZZI, avocate à Dijon –
Lizzie SACCHERO, avocate à Toulon –
Karim SEBIHAT, avocat à Paris – Maïdou
SICRE, avocat à Toulouse – Anthony
SUTTER, avocat à Mont de Marsan –
Cendrine TOBAILEM, avocate à Perpignan
– Karine VICENTINI, avocate à Saint
Quentin – Prisca VITALI, avocate à
Marseille.
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