Opinion
Un Islam fabriqué, sans relation avec le
Coran:
Nous sommes en guerre contre un islam
imaginaire
Raymond William Baker
Samedi 3 octobre 2015
Nous sommes en guerre contre un islam
imaginaire : Mensonges, propagande et la
vraie Histoire des Etats-Unis et du
monde musulman. La propagande
américaine, au service de notre empire,
exagère le pouvoir et la dépravation
morale de l’ennemi islamique.
Les Etats-Unis sont en guerre contre un
islam de leur propre fabrication, très
différent et mythique, n’ayant rien à
voir avec l’islam du Coran. Pour
comprendre cette menace conjurée, les
études académiques de l’islam et des
mouvements islamiques ne sont d’aucun
secours. Même l’examen de l’histoire du
monde réel et de la pratique de l’empire
a une valeur limitée, à moins que la
dimension islamique perçue soit prise en
compte. Le projet impérial américain ne
peut être clarifié sans une évaluation
de la rationalité distincte que
l’imaginaire islamiste offre.
La tâche n’est pas
aisée. L’imaginaire islamiste n’a pas
une existence simple et unifiée. C’est
plutôt un amalgame complexe qui met sous
une forme composite et évolutive à la
fois les élucubrations de l’empire et
une menace illusoire contre le pouvoir
impérial.
UN ISLAMISME QUI
N’EXISTE PAS EN DEHORS DES INTERETS
IMPERIAUX
C’est un « tout
difficile, » dans le langage de la
théorie utile de la complexité.
L’imaginaire islamiste, à la différence
de l’islam même, et des mouvements
politiques s’inspirant de l’islam,
n’existe pas en dehors des intérêts
impériaux qui le forment. Cet islamisme
n’a pas de réalité indépendante,
culturelle ou historique, en dehors de
son rôle de menace prédatrice contre les
intérêts occidentaux globaux…
Pour mettre en
œuvre et rationaliser son projet
expansionniste qui doit rester non
reconnu et non exprimé, l’empire
américain demande un ennemi, qui prend
la forme de l’islam de son imagination.
Les deux éléments de l’imaginaire et de
l’empire évoluent en conjonction.
LA RONDE MACABRE
DU PREDATEUR ET DE SA PROIE
Les besoins d’un
empire menacé et victime vulnérable
changent avec le temps. L’imaginaire
islamiste se transforme pour satisfaire
ces besoins. L’imaginaire et l’empire
entrent dans une ronde du prédateur et
de sa proie. Leurs rôles sont
interchangeables, signe clair qu’ils ne
sont pas entièrement réels. Le prédateur
est la proie, la proie est le prédateur.
Ils se développent en tandem dans un
processus complexe d’adaptation
mutuelle. Les frontières entre le réel
et l’imaginaire disparaissent et,
finalement, c’est l’imaginé qui hante
nos imaginations et conduit nos
politiques.
DES PLANS
D’INVASION ARRETES DEPUIS LONGTEMPS
Le crime contre
l’humanité commis le 11 septembre 2001 a
eu la conséquence non intentionnelle de
servir les plans expansionnistes
grandioses des néo-conservateurs qui ont
dominé l’administration du président
Bush. Il manquait seulement un ennemi
pour rendre possible la mise en œuvre de
cette politique.
Du magasin de
l’imagination historique occidentale
furent sorties les vieilles images d’un
islam hostile. Les terroristes
islamistes constituaient, sous une forme
crédible dans l’esprit d’une Amérique
effrayée, la « menace à la civilisation
» dont a besoin tout empire pour
justifier ses actes violents de
domination.
Ainsi naquit
l’imaginaire islamiste au service de la
version néo-conservatrice de l’empire.
L’administration a utilisé toutes les
ressources de contrôle des médias à sa
disposition pour s’assurer qu’aucun lien
ne soit établi entre le crime du 11
septembre et ses politiques
moyen-orientales injustes, comme les
instruments sanglants que les Etats-Unis
ont forgés pour les mettre en œuvre. Les
plans américains pour renverser les
Talibans et occuper l’Irak, et
israéliens pour « résoudre » par la
violence le problème palestinien,
étaient tous en place avant le 11
septembre.
LA DIMENSION
ISRAÉLIENNE
La version la plus
exhaustive des plans des
néo-conservateurs pour faire avancer les
intérêts américains et israéliens a
trouvé son expression dans un document
politique écrit en 1996, pour le compte
de Benjamin Netanyahu, du Likoud, qui
venait d’être élu Premier ministre
d’Israël. Ce document est intitulé : «
Rupture claire, une nouvelle stratégie
pour renforcer le royaume. » Ce document
appelle à « une rupture totale avec le
processus de paix, à l’annexion des
territoires occupés et de Gaza, et à
l’élimination du régime de Saddam en
Irak, comme prélude à des changements de
régime en Syrie, au Liban, en Arabie
saoudite et en Iran. Tous les auteurs de
ce document sont devenus des acteurs
influents lors du second mandat de Bush.
Une Amérique
innocente et blessée a redéfini son rôle
au Moyen-Orient comme le champion de la
démocratie et le rempart contre les
sources islamiques de l’irrationalité
qui de manière ostensible nourrissait le
terrorisme global. Le scénario était en
place pour l’évocation de l’imaginaire
islamiste.
LA MANIPULATION
DE L’ISLAM, UNE LONGUE HISTOIRE
Il y avait déjà une
pratique américaine établie de manipuler
l’islam, y compris dans ses versions les
plus rétrogrades et les plus violentes,
pour faire avancer les objectifs
impériaux.
Cependant, cette
fois-ci, les planificateurs stratégiques
rompirent avec le format établi en
instaurant une innovation de taille. A
chaque moment stratégique critique,
l’Amérique a fait usage d’une forme
existante d’islam qui pouvait être
ajustée pour répondre à ses besoins.
Dans chacun de ces
cas, la dimension islamique dérivait
d’un islam « trouvé, » qui trouvait son
origine dans la satisfaction des besoins
des acteurs locaux. Cet islam avait ses
propres racines indépendantes dans le
sol du monde islamique et servait, en
priorité, des objectifs identifiables
propres aux régimes ou mouvements
existants. L’administration Bush chercha
à innover une variante distinctive sur
la base de ce schéma général, d’une
façon qui clarifierait les nouvelles
dimensions culturelles et
intellectuelles de l’exercice de la
puissance à l’échelle du globe. L’Irak
devint le cas de référence.
Selon
l’administration Bush, les colonisés
sont les propres artisans de leurs
malheurs, et leurs propres échecs
invitent, si ce n’est exigent la
colonisation. Il n’y a pas de meilleur
moyen d’innocenter l’Occident de son
histoire documentée d’occupation
violente et d’exploitation du monde
musulman. On élimine ainsi l’attention
qui pourrait être portée sur une
évaluation sérieuse de la domination
américaine au Moyen-Orient, et de ses
politiques destructives en Palestine, en
Afghanistan et, de manière plus
dramatique, en Irak.
L’ISLAMISME
IMAGINAIRE, L’ISLAM PREFERE DE
L’ADMINISTRATION AMÉRICAINE
La vision préférée
de l’administration de Bush est décrite
de manière plus claire et plus
argumentée dans une étude de la Rand
Corporation…Le livre (écrit par Cheryl
Bernard en 2003) porte le titre
engageant de « L’islam démocratique :
partenaires, ressources et stratégies »
Bernard pose la
réalité d’une menace islamique comme
prémisse de son argumentation…
Selon sa
formulation, le monde entier, et pas
seulement les USA, est la victime
innocente et le témoin vulnérable des
désordres internes tumultueux dans le
monde islamique. Elle se demande : «
Quel rôle le reste du monde menacé et
affecté comme il l’est par cette lutte,
peut-il jouer pour amener à une
situation plus pacifique et plus
positive ? » Bernard affirme clairement
que ces dangereux drames du monde
musulman sont auto-infligés. Elle écrit
que « la crise actuelle de l’Islam a
deux composantes : l’incapacité de
prospérer et la perte de la connexion
avec le courant global. Le monde
musulman a été caractérisé par une
longue période d’arriération et
d’impuissance relative… ».
Elle note gravement
que « le monde musulman est en
disharmonie avec la culture globale
contemporaine, situation inconfortable
pour les deux côtés. »
UTILISER L’ISLAM
CONTRE LES MUSULMANS
L’évaluation de
Bernard élimine toute référence à la
colonisation occidentale du monde
islamique et aux dommages physiques et
psychologiques que ces violents assauts
ont causés. Il n’y a aucune allusion à
la présence impériale américaine dans le
monde musulman, à travers un réseau
impressionnant de bases en expansion
constante. Il n’y a aucune référence aux
voies par lesquelles cette présence
freine le développement autonome. Il n’y
a également aucunes références aux actes
maladroits de constantes interventions
économiques et politiques américaines,
visant à mettre en échec l’autonomie
économique et politique.
Israël, fortement
armé avec toutes sortes d’armes de
destruction massive, occupant cruel, et
superpuissance régionale, disparaît
totalement de l’analyse de Bernard. Ces
réalités brutales sont estompées par
l’imaginaire islamiste.
C’est seulement en
cachant ces réalités que Bernard peut
prendre comme certains les fondements
irrationnels de la menace islamiste. Son
analyse jette la lumière sur les voies
par lesquelles les menaces habituelles
contre la sécurité nationale, et
présentées par des Etats organisés, dont
l’exemple est l’Union Soviétique pendant
l’ère de la Guerre froide, sont
remplacées par le défi d’acteurs non
étatiques, opérant au-dessous de
l’horizon de l’Etat-nation.
Pour confronter
cette menace, elle défend la nécessité
pour les planificateurs stratégiques
américains de faire de l’islam une
ressource.
En bref, comme ses
prédécesseurs, Bernard est dans la
profession de la manipulation
stratégique de l’islam, pour servir les
fins économiques et politiques
américaines. Elle évoque un islam
malléable qui peut être transformé en un
instrument de confrontation des islams
de la résistance, tout en servant avec
docilité les finalités américaines.
Par Raymond
William Baker* Traduit Par Mourad
Benachenhou
* Extrait de son
ouvrage : « Un islam, de nombreux mondes
musulmans, spiritualité, identité et
résistance à travers les terres d'Islam,
» Oxford University Press, 2015.
Partielle traduction sur la base du
texte publié sur le site internet «
Salon.com (inter-titres du traducteur)
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