Racisme
Le réalisateur Raoul Peck dénonce le
déni français
et comprend que les jeunes se soulèvent
Le
réalisateur haïtien Raoul
Peck à l'avant-première de
son film "Le Jeune Karl
Marx" à New York,
le 23
février 2018 (M. STAN REAVES
/ REX / SHUTTERS / SIPA)
Mercredi 17 juin 2020
Le réalisateur haïtien Raoul Peck,
auteur du documentaire Je ne suis pas
votre nègre où il dénonçait le
déni de l'Amérique blanche face au
racisme, dénonce aujourd'hui le déni de
la France face à ce même poison.
"La France est dans le déni et ses
enfants n'ont plus le temps. Ses enfants
'adultérins' ne veulent plus attendre.
Ses enfants noirs, blancs, jaunes,
arc-en-ciel s'agitent", affirme le
cinéaste dans un texte intitulé
J'étouffe à paraître mercredi dans
l'hebdomadaire Le 1.
"La concentration de colère accumulée
tous les jours dans le coeur de ceux qui
'ne vous ressemblent pas', de ceux qui
vous regardent du dehors à travers la
vitre embuée, est incommensurable",
écrit-il.
Avec une colère contenue, le cinéaste
dont le film documentaire Je ne suis pas
votre nègre avait été sélectionné aux
Oscars et qui fut récompensé par le
César et par le Bafta du meilleur
documentaire en 2018, explique que le
racisme "brutal, laid, malveillant"
qu'il constate en France est le fruit
d'une longue histoire liée à l'essor du
capitalisme et des inégalités sociales.
"On est simplement arrivé à la fin d'un
bien trop lourd héritage d'injustice, de
déni et de profits, construit sur la
misère des autres. La France est dans le
déni, car elle refuse d'accepter d'avoir
perdu sa place prédominante et son
empire", estime le réalisateur.
Ancien ministre de la Culture d'Haïti,
vivant essentiellement en France depuis
plus de cinquante ans, Raoul Peck
reconnait être "un homme noir privilégié
à tout point de vue" mais il observe
avec consternation "les outrances, les
mots racistes, les gestes racistes, les
décisions racistes, les lois racistes"
qui se banalisent.
"Ils ont raison de se soulever, ces
jeunes. Ils ont raison de manifester,
ils pourraient même avoir raison de tout
casser", poursuit le réalisateur qui
aimerait que "chaque citoyen prenne sa
part du fardeau et arrête d'observer à
distance".
"Il faut tout reprendre à la racine.
Tout mettre sur la table, pour tout
reconstruire. Aucune institution ne doit
y échapper. C'est le problème de chaque
citoyen, de chaque institution, la
presse comprise, de chaque conseil
d'administration, de chaque syndicat, de
chaque organisation politique, partout
il faut ouvrir ce chantier car c'est à
vous de résoudre ce problème, pas aux
Noirs, ni aux Arabes, ni aux femmes, ni
aux homosexuels, ni aux handicapés, ni
aux chômeurs", insiste Raoul Peck avant
d'ajouter : "On saura vous rejoindre en
temps voulu."
"J'ai pensé qu'un autre monde était
possible, sans qu'on ait à mettre le feu
partout. Maintenant, je ne suis plus sûr
du tout", conclut, pessimiste, le
réalisateur de L'Homme sur les quais,
Lumumba, Le Jeune Karl Marx…
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