Chronique de
Palestine
Israël veut faire disparaître
la
communauté chrétienne de Palestine
Ramzy Baroud
Chrétiens
palestiniens en prière lors de la messe
à l'église de la Nativité à Bethléem,
en
Cisjordanie, le 21 décembre 2003 - Photo
: Nayef
Hashlamoun
Jeudi 31 octobre 2019
Ramzy Baroud
– La population chrétienne de
Palestine diminue à un rythme alarmant.
La plus ancienne communauté chrétienne
du monde émigre ailleurs, et la raison
en est Israël.
Les responsables
communautaires chrétiens de Palestine et
d’Afrique du Sud ont tiré la sonnette
d’alarme lors d’une
conférence à Johannesburg le 15
octobre. Leur réunion était intitulée:
« La Terre sainte: une perspective
chrétienne palestinienne ».
Un problème majeur
qui a été mis en lumière lors des
diverses réunions est le nombre en
baisse rapide de chrétiens palestiniens
en Palestine.
Il existe diverses
estimations sur le nombre de chrétiens
palestiniens vivant encore en Palestine
aujourd’hui, par rapport à la période
antérieure à 1948, lorsque l’État
d’Israël s’est imposé sur les ruines des
villes et villages palestiniens. Quelle
que soit les sources dans les diverses
études, il existe un quasi consensus sur
le fait que le nombre d’habitants
chrétiens en Palestine a presque été
divisé par 10 au cours des 70 dernières
années.
Un recensement de
la population effectué en 2017 par le
Bureau central des statistiques de
Palestine
a conclu que 47 000 chrétiens
palestiniens vivaient en Palestine – en
faisant référence à la Cisjordanie
occupée, à Jérusalem-Est et à la bande
de Gaza. Quatre-vingt-dix-huit pour cent
des chrétiens de Palestine vivent en
Cisjordanie – principalement dans les
villes de Ramallah, Bethléem et
Jérusalem – et le reste, une petite
communauté chrétienne d’à peine 1100
personnes, vit dans la bande de Gaza
assiégée.
La crise
démographique qui a touché la communauté
chrétienne depuis plusieurs décennies
est en train de s’emballer.
Par exemple, il y a
70 ans, Bethléem, lieu de naissance du
Christ, était chrétien à 86%. Mais les
données démographiques de la ville ont
fondamentalement changé, en particulier
après l’occupation israélienne de la
Cisjordanie en juin 1967 et la
construction du mur d’apartheid
israélien illégal à partir de 2002. Une
partie du mur a pour objectif d’isoler
Bethléem de Jérusalem et de couper cette
dernière du reste de la Cisjordanie.
« Le mur encercle
Bethléem en continuant au sud de
Jérusalem-Est, à l’est comme à
l’ouest », a déclaré l’organisation
« Open Bethlehem », décrivant l’impact
dévastateur du mur sur la ville
palestinienne. « Avec les terres isolées
par le mur, annexées aux colonies et
fermées sous divers prétextes, seuls 13%
du district de Bethléem sont accessibles
pour une utilisation palestinienne. »
De plus en plus
assiégés, les chrétiens palestiniens de
Bethléem ont été chassés en grand nombre
de leur ville historique. Selon
Vera Baboun, maire de la ville, à
compter de 2016 la population chrétienne
de Bethléem est tombée à 12%, soit à
peine 11 000 personnes.
Les estimations les
plus optimistes estiment à moins de
2% le nombre total de chrétiens
palestiniens dans l’ensemble de la
population de la Palestine occupée.
La corrélation
entre la diminution de la population
chrétienne en Palestine, l’occupation
israélienne et le système d’apartheid
devrait être indéniable, car il est
évident pour la communauté chrétienne et
musulmane de Palestine.
Une étude menée par
l’Université Dar al-Kalima à Beit Jala
en Cisjordanie et publiée en décembre
2017, a
interrogé près de 1000 Palestiniens,
dont la moitié était chrétienne et
l’autre musulmane. L’un des principaux
objectifs de ce travail de recherche
était de comprendre la raison de la
disparition progressive de la population
chrétienne en Palestine.
L’étude a conclu
que « la pression de l’occupation
israélienne, les contraintes
permanentes, les politiques
discriminatoires, les arrestations
arbitraires, la confiscation des terres
ajoutaient au sentiment général de
désespoir des chrétiens palestiniens »,
qui se retrouvent dans « une situation
désespérée où ils ne peuvent plus
entrevoir le moindre avenir pour leur
enfants ou pour eux-mêmes ».
Les affirmations
non fondées selon lesquelles des
chrétiens palestiniens partent en raison
de
tensions religieuses entre eux et
leurs frères musulmans n’ont aucune
réalité.
Gaza en est un
autre exemple. Seulement
2% de chrétiens de Palestine vivent
dans la bande de Gaza appauvrie et
assiégée. Quand Israël occupa Gaza avec
le reste de la Palestine historique en
1967, environ 2300 chrétiens vivaient
alors dans la bande de Gaza. Mais
aujourd’hui, il n’en reste plus que 1100
chrétiens. Des années d’occupation, de
guerres terribles et un siège
impitoyable ont raison d’une communauté
dont les racines historiques remontent à
deux millénaires.
Comme les musulmans
de Gaza, ces chrétiens sont coupés du
reste du monde, y compris des lieux
saints de la Cisjordanie. Chaque année,
les chrétiens de Gaza demandent
l’autorisation à l’armée israélienne de
se joindre aux offices de Pâques à
Jérusalem et à Bethléem. En avril
dernier, seuls 200 chrétiens ont
obtenu un permis, mais à la
condition qu’ils aient au moins 55 ans
et qu’ils ne soient pas autorisés à se
rendre à Jérusalem.
Le groupe israélien
de défense des droits de l’homme,
Gisha, avait qualifié la décision de
l’armée israélienne de « nouvelle
violation des droits fondamentaux des
Palestiniens à la liberté de mouvement,
à la liberté de religion et à la vie de
famille » et a, à juste titre,
accusé Israël de vouloir
« approfondir la séparation » entre Gaza
et la Cisjordanie.
Israël vise à faire
plus que cela. En séparant les chrétiens
palestiniens les uns des autres et de
leurs lieux saints (comme dans le cas
des musulmans), le gouvernement
israélien espère affaiblir les liens
socioculturels et spirituels qui donnent
aux Palestiniens leur identité
collective.
La stratégie
d’Israël repose sur l’idée qu’une
combinaison de facteurs – d’immenses
difficultés économiques, un siège
permanent et le système d’apartheid, la
rupture des liens communautaires et
spirituels – finira par chasser tous les
chrétiens de leur patrie palestinienne.
Israël tient à
présenter le « conflit » en Palestine
comme un
conflit religieux afin de pouvoir se
présenter comme un État juif assiégé au
milieu d’une population musulmane
largement dominante au Moyen-Orient. La
persistance de chrétiens palestiniens
n’entre pas dans les objectifs
israéliens.
Malheureusement,
Israël a malgré tout réussi à donner une
fausse représentation de la lutte en
Palestine, faisant une lutte religieuse
d’une lutte pour des droits politiques
et des droits de l’homme contre le
colonialisme. Tout aussi troublant, les
plus fanatiques des partisans d’Israël
aux États-Unis et ailleurs sont de
fervents chrétiens.
Il faut comprendre
que les chrétiens palestiniens ne sont
ni des étrangers ni des visiteurs en
Palestine. Ils ont été transformés en
victimes de la même manière que leurs
frères musulmans. Ils ont également joué
un rôle important dans la définition de
l’identité palestinienne moderne, par
leur résistance, leur spiritualité,
leurs liens profonds avec la terre,
leurs contributions artistiques et leur
savoir scientifique en plein essor.
Il ne faut pas
laisser Israël exclure la plus ancienne
communauté chrétienne du monde de son
territoire ancestral, juste pour marquer
quelques points dans sa féroce course à
la suprématie raciale.
De manière tout
aussi importante, notre compréhension du
légendaire « Soumoud » palestinien – ou
fermeté – et de la solidarité ne peut
être complète sans une parfaite
compréhension du rôle central des
chrétiens palestiniens dans le récit et
l’identité palestiniens modernes.
* Ramzy Baroud
est journaliste, auteur et rédacteur en
chef de
Palestine Chronicle. Son prochain
livre est «The
Last Earth: A Palestine Story» (Pluto
Press). Baroud a un doctorat en études
de la Palestine de l’Université d’Exeter
et est chercheur associé au Centre
Orfalea d’études mondiales et
internationales, Université de
Californie. Visitez son site web:
www.ramzybaroud.net.
30 octobre 2019
–
The Palestine Chronicle – Traduction
:
Chronique de Palestine – Lotfallah
* Ramzy Baroud est journaliste,
auteur et rédacteur en chef de
Palestine Chronicle. Son prochain
livre est «The
Last Earth: A Palestine Story» (Pluto
Press). Baroud a un doctorat en études
de la Palestine de l’Université d’Exeter
et est chercheur associé au Centre
Orfalea d’études mondiales et
internationales, Université de
Californie. Visitez son site web:
www.ramzybaroud.net.
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