Etude
La Turquie : le pays qui ose dire non
aux injustices israéliennes
Oznur Küçüker Sirene

Jeudi 9 mai 2019
Il n’y a plus un
seul jour où les responsables israéliens
ne font pas de déclaration scandaleuse
avec le soutien indéfectible de leur
partenaire américain. Si Israël agit en
toute impunité avec le silence complice
de la communauté internationale, la
Turquie est l’un des rares pays à réagir
systématiquement face aux injustices et
massacres d’Israël.
par Öznur
Küçüker Sirene, 01/05/2019
Bien que la Turquie
soit le premier pays à majorité
musulmane à reconnaître l'État d'Israël
en 1949 et que les deux pays aient
accordé une grande importance à la
coopération militaire, stratégique et
diplomatique, tout en partageant leurs
préoccupations concernant l'instabilité
régionale au Moyen-Orient, les relations
entre les deux pays se sont
progressivement détériorées en raison de
leurs prises de position contradictoires
sur d’importantes questions
internationales qui concernent en
particulier l’avenir des Palestiniens.
Les relations
turco-israéliennes ont connu un regain
de tension plus particulièrement après
la guerre de Gaza de 2008-2009 et
l'abordage par l'armée israélienne du
navire turc « Mavi Marmara » pour Gaza
en 2010. En mars 2013, Israël s'est
excusé pour le raid et les deux pays
sont parvenus à un accord le 27 juin
2016 pour entamer le processus de
normalisation des relations.
Mais depuis cette
date, les crises ne cessent d’accroître
entre les deux pays, notamment en raison
du soutien avéré des Etats-Unis aux
décisions et actions israéliennes
violant le droit international.
Nous nous
pencherons dans notre étude sur les
récentes sources de tension entre la
Turquie et Israël qui risquent de
détériorer davantage les relations entre
les deux pays.
Statut
controversé de Jérusalem, une « ligne
rouge » pour la Turquie
Pour comprendre
pourquoi la Palestine et plus
particulièrement Jérusalem présentent
une telle grande importance pour la
Turquie, il convient de remonter dans le
passé.
L’histoire de la
Palestine reste étroitement liée à
l’Islam, à l’histoire ottomane et par la
suite à l’histoire républicaine de la
Turquie puisque de sa conquête par les
Arabes en 637 jusqu’à la fin de la
Première Guerre mondiale en 1918, la
Palestine fut presque exclusivement
dominée par des puissances musulmanes y
compris l’Empire ottoman.
Le règne de
différentes puissances musulmanes allant
des Omeyyades aux Abbasides, des
Fatimides aux Seldjoukides n’a connu
qu’une seule parenthèse dans l’histoire
: la conquête de la « Terre sainte » par
les Chrétiens lors de la Première
croisade en 1099. Cependant cette
victoire ne fut que de courte durée
devant la gloire de Saladin en 1187.
Du XVIème au début
du XXème siècle, Jérusalem passa sous
domination ottomane. Durant cette longue
période de quatre siècles qui commença
par la conquête de la Palestine en 1516
par le sultan Sélim Ier, la Palestine
intégrée dans l’empire Ottoman devint
une des provinces arabes de l’Empire
ottoman et connut au XVIème siècle un
essor économique avec des cités et lieux
de culte rénovés, tels que la
reconstruction des murs de Jérusalem par
Soliman le Magnifique en 1537.
La perte des terres
palestiniennes après l’avènement du
mouvement sioniste fut un coup dur pour
l’Empire ottoman. Depuis lors, le statut
de Jérusalem, ville trois fois sainte
pour l’Islam, la chrétienté et le
judaïsme, est source de conflits et de
tensions.
Le 6 décembre 2017,
Trump a annoncé sa décision de
reconnaître Jérusalem comme capitale
d’Israël et de relocaliser l’ambassade
américaine de Tel-Aviv à la ville
sainte. La décision a été fortement
contestée par la communauté
internationale, y compris les alliés des
États-Unis, à l’exception d’Israël.
La Turquie fut l’un
des premiers pays à condamner fermement
cette décision et à l’origine d’un
sommet d’urgence de l’Organisation de la
coopération islamique le 13 décembre à
Istanbul. Lors du sommet, le plus haut
organe islamique a reconnu Jérusalem-Est
comme capitale de la Palestine, et a
qualifié la décision de la Maison
Blanche de « nulle et non avenue ».
Le président turc a
déclaré que le statut de Jérusalem est
la « ligne rouge » pour le monde
musulman et que selon lui, Washington a
puni les Palestiniens tandis qu’Israël
qui « viole le droit international
s’est retrouvé récompensé » en
commentant l’inauguration à Jérusalem de
l'ambassade américaine en Israël.
Par ailleurs, au
sujet de violents affrontements dans la
bande de Gaza après le transfert par
Donald Trump de l’ambassade américaine à
Jérusalem, le président turc a souligné
que « l'Histoire ne le pardonnera ni
aux États-Unis, ni à Israël ».
Reconnaissance
américaine de la souveraineté d’Israël
sur le Golan
Le président
américain Donald Trump ne s’est pas
contenté de reconnaître Jérusalem comme
capitale d’Israël sans respecter le
statut spécial de la ville mais il a
également signé le 25 mars 2019 un
décret par lequel les
États-Unis reconnaissent la souveraineté
d’Israël sur le plateau syrien du Golan
dont une grande partie fut envahie par
Israël lors de la guerre des Six Jours
en 1967 et annexée en 1981 sans aucune
reconnaissance de la part de la
communauté internationale.
Bien que la Turquie
soit hostile au régime Assad, elle
soutient l’intégrité territoriale de la
Syrie. C’est ainsi que Recep Tayyip
Erdoğan a souligné que « la
déclaration malheureuse du président
Trump à propos du plateau du Golan met
la région au bord d'une nouvelle crise,
de nouvelles tensions », ajoutant
que la Turquie et l’OCI n’autoriseront
« jamais la légitimation de
l'occupation du plateau du Golan ».
Si l’Iran aussi a
accusé Trump de « colonialisme » après
cette décision, il faut souligner que la
démarche est parfaitement calculée au vu
des réserves de pétrole potentiellement
importantes sous le Golan et pour
lesquelles Israël coopère discrètement
avec le géant américain de l’énergie
Genie pour explorer, selon de nombreuses
sources dont Financial Times. Précisons
que le conseiller et gendre de Trump,
Jared Kushner, a fait des
investissements familiaux dans Genie et
que le seul moyen d’extrader le pétrole
sans difficulté est la souveraineté
reconnue d’Israël sur le territoire.
Volonté de
Netanyahou d’annexer la Cisjordanie
Mais jusqu’où peut
aller Israël dans ses actions
unilatérales avec le soutien
indéfectible de son partenaire
américain ? La réponse se trouve dans
une récente déclaration du Premier
ministre israélien Benyamin Netanyahou,
selon laquelle « il serait prêt à
annexer les colonies israéliennes de
Cisjordanie ». On comprend de cette
déclaration qu’Israël se sent désormais
complètement libre dans ses décisions et
actions et ne se soucie aucunement du
droit international avec l’argument :
« Puisque Trump accepte que nous
annexions illégalement le Golan, rien ne
nous empêche d’annexer la Cisjordanie
! ».
Cette déclaration
est importante car d'une part avec une
telle annexion, Israël mettrait fin à « la
solution des deux Etats » et d'autre
part il rendrait officiellement
israéliens les territoires de
Cisjordanie et de Gaza, occupés par
Israël depuis 1967, mais non annexés au
pays jusqu'à maintenant.
Encore une fois, la
Turquie a vivement réagi contre le
projet de Netanyahou d'étendre la
souveraineté aux implantations en
Cisjordanie, le qualifiant d’« une
autre mesure d'occupation » et
insistant que « la Cisjordanie est un
territoire palestinien ».
Tous ces conflits
entre la Turquie et Israël ont même
provoqué une guerre des mots entre
Erdoğan et Netanyahou : Le président
turc a accusé Israël de pratiquer une
politique de « terreur d'État ».
En conclusion, les
crises entre la Turquie et Israël ne
semblent pas se calmer d’ici peu au vu
des développements régionaux. Si les
Etats-Unis accordent un soutien
inconditionnel à Israël en échange des
intérêts économiques et stratégiques
évidents dans la région, Israël aussi
contrôle dans une certaine mesure la
politique étrangère américaine. En
effet, selon Serdar Turgut, journaliste
turc basé à Washington, Israël exerce
une influence sans précédent sur les
décideurs américains, à un tel point que
les ambitions régionales de Tel-Aviv
empoisonnent les relations entre
Washington et Ankara. A titre d’exemple,
même si Trump fournit des efforts pour
se retirer de la Syrie en créant une
zone de sécurité et cherche un terrain
d’entente avec Erdoğan au sujet de
l’achat des S-400 russes par la Turquie,
le lobbying israélien sabote tout
rapprochement entre la Turquie et les
Etats-Unis.
Tant que le monde
entier ferme les yeux devant les
injustices israéliennes tout en
s’immisçant dans les affaires
intérieures d’autres pays comme le
Venezuela, les efforts considérables de
la Turquie afin de protéger les
Palestiniens ne seront certainement pas
suffisants. A quand donc un monde où la
justice et rien que la justice régnera
et non la loi du plus fort ?
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