Tunisie
La mort annoncée
de l'Union du Maghreb arabe
Ould Amar Yahya
Mardi 17 décembre 2013
Le
nouvel accord bilatéral entre Alger et
Tunis pour la constitution d'une zone de
libre-échange et la mise en place de
l'axe atlantique entre le Maroc, la
Mauritanie et le Sénégal scellent le
démembrement définitif du Maghreb.
Par
Ould Amar
Yahya*
Sur les trente dernières années,
l'économie mondiale a connu des
bouleversements sans précédent et plus
de 260 accords régionaux sur les
échanges commerciaux ont été notifiés au
GATT (General Agreement on Tarifs and
Trade, ou Accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce) et à l'OMC
(Organisation mondiale du commerce):
Union européenne (EU), Marché commun du
Sud (Mercosur), Accord de libre échange
nord-américain (Alena), Association des
Nations d'Asie du Sud Est (Asean),
Conseil de coopération du Golfe (CCG),
Union économique et monétaire
ouest-africaine (UEMOA), Union du
Maghreb Arabe (UMA)...
L'anecdote de
la tomate marocaine
L'UMA, formée de cinq pays (Tunisie,
Algérie, Maroc, Libye, Mauritanie) a vu
le jour en 1989.
Cet ensemble était perçu comme un
impératif géostratégique, un facteur de
prospérité et un enjeu de stabilité
régionale.
Une trentaine de
conventions ont été signées au cours de
ces 24 dernières années, beaucoup de
temps et d'argent ont été dépensés, sans
que les échanges entre les pays membres
ne dépassent les 2% de leurs échanges
extérieurs, ni que les frontières de
certains pays ne soient ouvertes, ni que
les visas ne soient supprimés, ni qu'une
ébauche crédible d'une quelconque
coordination de politiques économiques
ou de mécanismes de stabilisation ne
soit entreprise... Il arrive souvent que
certains produits importés d'Europe
soient fabriqués par un membre de l'UMA
voisin. La célèbre anecdote de la tomate
marocaine, importée en Algérie via
Marseille est bien une réalité.
Ce passage par l'Europe des échanges
Maroc/Algérie engendre un surcoût du
transport de près de 10% et des retards
de livraison.
Pourtant il n'y a pas d'Himalaya, ni
d'océan qui sépare les pays de l'UMA.
Depuis cinquante ans les rivalités
maroco-algériennes bloquent toute
intégration régionale.
Dans ce contexte, l'avenir des
peuples du Maghreb restera l'otage de
l'entêtement jusqu'au-boutiste, dans les
escalades et les provocations mutuelles
de deux pays, rendant virtuellement
impossible la réalisation de toute
action unitaire.
Cela coûte très cher à tous les
membres de l'UMA.
Sans nul doute, l'histoire sera
cruelle avec les élites de ces deux
pays.
Quelle que soit la sémantique
diplomatique utilisée pour maintenir
l'UMA, le résultat est là: un échec
patent de tous, un refus de la modernité
et de la prospérité, un encouragement
pour les idéologies extrémistes.
Chacun sait que l'UMA n'existe que
sur le papier. Mais aucun des membres ne
veut être le premier à le reconnaitre
publiquement.
D'ailleurs, les chefs d'Etat des pays
membres ne se sont pas réunis depuis une
dizaine d'années. Ce qui en dit long sur
son utilité.
La menace
islamiste renforce le statu-quo
Avec la montée de l'islamisme en
Afrique du Nord, la peur de l'Occident
est que cette UMA devienne une union
d'islamistes – à grandes barbes ou à
barbichettes – d'où l'impérieuse
nécessité de freiner l'intégration
régionale maghrébine en renforçant les
échanges commerciaux avec l'Union
européenne.
C'est ainsi qu'on a vu naitre un
nouvel engouement pour le Maghreb:
- le Processus de Barcelone (en 1995
avec le partenariat euro-méditerranéen,
quatre ans après le déclenchement de la
guerre contre les islamistes en
Algérie);
- l'Union pour la Méditerranée (en
2008 avec «», entre l'Union européenne
et les pays du pourtour oriental et
méridional de la Méditerranée);
- la Politique européenne de
voisinage (PEV);
- le statut d'Etat Associé à l'Union
Européenne... pouvant bénéficier aux
pays du Maghreb.
Le marché régional maghrébin de 90
millions d'habitants ne verra donc pas
le jour.
Le PIB du Maghreb est
approximativement égal à celui de la
Grèce, pays peuplé de 10 millions
d'habitants... et ne représente
qu'environ 0,6% du PIB mondial...
L'échec de l'UMA coûte aux pays de la
région près de 3% du PIB annuel, une
perte d'opportunités de création
d'emplois, un manque d'attrait des
investisseurs, une fuite des capitaux,
une émigration des cerveaux vers
l'étranger et un poids marginal dans les
négociations internationales.
Sans revenir sur les bienfaits d'une
intégration économique et monétaire
régionale en termes d'efficience
d'allocation des ressources, donc de
répartition des coûts de développement
ou d'avantages comparatifs, le Maghreb a
raté la sortie de son isolement
économique face aux zones de libres
échanges qui l'entourent (UE, CCG,
UEMOA...) et a compromis les chances de
toute prospérité partagée.
La division
définitive du Maghreb
L'Algérie et la Tunisie viennent de
constituer une zone de libre-échange,
enterrant sans courage l'UMA, tournant
le dos à un grand marché régional et à
un avenir non conflictuel dans le
Maghreb, au profit de considérations de
leadership algérien, caprice de l'époque
Boumediene.
Dans ces conditions où la proximité
géographique, les opportunités
commerciales et les infrastructures
routières sont déterminantes dans le
choix des partenaires, il ne reste plus
donc au Maroc et à la Mauritanie que de
construire une zone de libre-échange,
seuls ou avec le Sénégal, pays
partageant une même langue (le
français), une même histoire coloniale
et une même religion (l'islam), et qui
est aussi leur porte d'accès aux
prometteurs marchés du Sud et leur
continuité naturelle.
Ce sera l'axe atlantique.
L'Algérie et la Tunisie ont choisi
celui de la Méditerranée que la Libye
rejoindra très probablement, consacrant
de fait la division définitive du
Maghreb.
Tel un équilibriste, l'UMA a évolué
durant ses 24 années d'existence, sur un
fil tenu à une extrémité par l'Algérie
et à l'autre par le Maroc, avec en
contrebas, l'observateur Union
européenne qui attend la chute, en
l'espérant spectaculaire. C'est ce qui
vient d'arriver avec le nouvel accord
bilatéral entre Alger et Tunis.
Finalement, l'entêtement des élites
dirigeantes algériennes et marocaines
l'a emporté sur les beaux rêves
unionistes, les transformant en mirages.
*Administrateur directeur général
de la Banque pour le commerce et
l'industrie, Mer Rouge, région Afrique
de l'Est et Moyen Orient.
Copyright © 2012
Kapitalis. Tous droits réservés
Publié le 17 décembre 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|