Syrie
Les Kurdes de Syrie, entre rêve et trêve
: quel avenir ?
Antoine Charpentier
Mardi 13 septembre 2016
Tandis que les combats font rage à
Alep, des citoyens syriens ont fait le
choix, après leur combat contre le
terrorisme, de se retourner contre leur
pays et leur armée dans l’objectif
d’obtenir un Etat indépendant.
Des citoyens syriens d’obédience
kurde acceptent de se mettre au service
de l’Occident dans la perspective de
prolonger la guerre en Syrie. Les
Assayech, branche des Unités de la
protection du Peuple (PYG), ont attaqué
sans aucun préavis l’armée syrienne,
perpétuant de multiples exactions envers
les civils. La situation a poussé
l’armée syrienne à intervenir, tandis
que les médias occidentaux ont ressorti
leur refrain fétiche afin d’accuser
encore une fois le pouvoir syrien
d’assassiner les civils.
Néanmoins cette attaque des Kurdes
syriens contre leur armée a le mérite
d’éclaircir l’intention des Kurdes en
Syrie. L’opération kurde permet aussi de
comprendre pourquoi les unités de
Protection du Peuple (PYG) se sont
acharnées à combattre Daech dans un
espace géographique bien déterminé. Il
convient de préciser qu’en 2015 les
combattants du PYD sont partis vers Tal
Al-Abyad et Manbij dans le but de couper
la route à Daech. Cette dernière action
a pour but la tentative de s’accaparer
les puits de pétrole que l’Etat
islamique contrôle, afin de rendre
viable leur projet d’Etat indépendant, à
l’instar du Kurdistan irakien.
Toutefois, il ne faut pas oublier que
les raffineries syriennes se situent
dans les régions de Banias et Homs, qui
sont contrôlées par l’Etat syrien. Ce
qui signifierait que les Kurdes syriens
devraient -en cas de mainmise sur les
puits de pétroles- soit se partager la
recette avec l’Etat syrien, soit se
brancher sur l’oléoduc des Kurdes d’Irak
qui se dirige vers la Turquie. Dans les
deux cas, les idées sont irréalisables.
L’Etat syrien ne fera aucune concession
sur la souveraineté et l’unité de son
territoire. Quant à la Turquie, elle ne
permettra pas l’existence d’un Etat
kurde sur ses frontières, sachant
qu’elle voit en le PYG un prolongement
du PKK. Quant aux Kurdes irakiens, ils
ne soutiennent pas leurs
coreligionnaires syriens.
L’erreur des leaders kurdes est
fatale, leurs lectures des évolutions de
la situation syrienne sont erronées,
leurs appuis par les Américains
vacillent. Le péché mortel des Kurdes de
Syrie réside en partie dans le
manquement à la confiance que l’Etat
syrien leur a accordé. Aujourd’hui, ils
apparaissent aux yeux de bon nombre de
Syriens comme des traîtres. Une majeure
partie de la société syrienne perçoit
les agissements de leurs concitoyens
kurdes comme un coup de poignard dans le
dos, au moment où la priorité est de
combattre le terrorisme, de gagner la
bataille stratégique d’Alep et de
persister dans les réconciliations
internes. Les Kurdes syriens choisissent
d’ouvrir un front interne.
Rida Albasha[1]
résume bien la situation en précisant
que :
« Les manœuvres des Kurdes de
Syrie sont perçues comme un plan B
américain consistant à démembrer la
Syrie. Cela signifie également
permettre aux Kurdes de mettre la
main sur des ressources importantes
d’eau coulant du Tigre, de
l’Euphrate et le Khabour ainsi que
sur des gisements de pétrole et de
gaz conséquents qui se trouvent pour
la plupart à Hassaké, à Raqa et
Kamishli et pour certains contrôlés
actuellement par Daech. »
Néanmoins, ce plan B est en suspens.
A l’avenir, les Kurdes syriens
n’auront qu’un seul choix celui de
revenir sous la coupe de l’Etat central.
Leur rêve d’un Etat indépendant à
l’irakienne va s’atténuer rapidement,
dans la mesure où les Etats-Unis ne
peuvent plus leur garantir un avenir
fiable dans la région. Actuellement, ce
qu’il se passe à Jarablus constitue un
bon exemple, puisque les Américains ont
couvert l’intervention militaire turque
en territoire syrien afin d’écraser les
Kurdes. Les Etats-Unis ont déjà sacrifié
leurs amis kurdes pour apaiser leurs
relations avec la Turquie suite au coup
d’Etat raté. L’amateurisme des Kurdes
syriens et leur obstination ont réveillé
contre eux plusieurs acteurs dans la
région, dont la Turquie qui voit en eux
une continuité du PKK turc.
Nous pouvons nous interroger sur le
manque de visibilité stratégique des
Kurdes de Syrie, ou le piège qui leur a
été tendu. Nul besoin d’être spécialiste
des questions stratégiques pour savoir
que la réaction de la Turquie était
prévisible. Il suffisait d’observer
comment la diplomatie turque a usé de
tous ses stratagèmes pour empêcher la
participation des Kurdes syriens aux
négociations de Genève, alors que la
délégation diplomatique syrienne inclut
toujours des représentants kurdes.
À l’heure, le projet d’un Kurdistan
syrien est en suspens et risque de le
rester bien longtemps. En définitive, le
court épisode des Kurdes en Syrie
pourrait favoriser un rapprochement
entre Turcs et Syriens, rapprochement
dont les Kurdes risqueraient d’être
exclus.
Cependant, l’occident a toujours
exploité la cause kurde, sans avoir
aucun remords de l’abandonner quand les
intérêts l’exigent. L’histoire
contemporaine montre comment les Anglais
ont utilisé les Kurdes contre les
Ottomans.
Finalement, si les présidents Erdogan
et Assad se rencontrent, comme le
montrent les rumeurs médiatiques, cela
peut signifier que malgré tous les
dossiers à traiter, la rencontre des
deux hommes pourrait marquer la fin pure
et simple du rêve des Kurdes syriens
d’avoir un Etat indépendant.
Par Antoine Charpentier
| 12 septembre 2016
[1] Rida Albasha, reporters de
guerre pour la chaîne Al-Mayadeen, la
citation constitue un post sur la page
Facebook du journaliste, utilisé avec
son autorisation.
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