Opinion
Les violences policières
augmentent-elles en France ?
Nicolas Bourgoin
© Nicolas
Bourgoin
Vendredi 31 octobre 2014
Le décès de Rémi Fraisse, tué par une
grenade offensive, l’usage abusif et en
forte augmentation des « armes
non-létales » (pistolet Taser ou Flash-ball)
dénoncé par le Défenseur des droits dans
son rapport,
ont ramené sur le devant de la scène
médiatique cette question politiquement
sensible. Il est vrai que la justice
semble ne plus fonctionner quand les
forces de l’ordre sont en cause :
réticence à poursuivre les responsables,
circonstances du « drame » maintenues
opaques, procédure lente et souvent à
charge contre les victimes qui aboutit
généralement à une ordonnance de
non-lieu, à un classement sans suite ou
à une relaxe (pour la plupart des
affaires), à une peine de prison avec
sursis ou, fait rarissime, à une peine
de prison ferme.
Seules 5 % des affaires recensées ont
conduit à cette dernière option. Le
déséquilibre est frappant : rappelons
que le meurtre d’une personne
dépositaire de l’autorité publique est
passible de la réclusion criminelle à
perpétuité. Si le traitement pénal
semble invariablement favoriser les
policiers face à leurs victimes, quel
que soit le gouvernement en place, en
revanche leurs « passages à l’acte »
redoublent d’intensité sous les
législatures de droite.
Les décès liés aux « bavures
policières », sont particulièrement
nombreux depuis 2002 : 206 entre
2002 et 2013 inclus, soit près d’une
vingtaine par an, tandis que le nombre
de policiers tués en service ne cesse de
diminuer – exactement 64 pour la même
période d’après
le comptage de Stéphane Lemercier –
dont la majorité pour des raisons
accidentelles. Dans les rangs des
« forces de l’ordre », les années 2000
ont été les moins meurtrières des 30
dernières. Selon
un rapport d’Amnesty International
d’avril 2009, cette progression
s’explique par l’impunité de fait dont
bénéficient les policiers, étant
couverts par leur hiérarchie, et par
l’obligation de résultats à laquelle ils
sont soumis qui favorise une
multiplication des contrôles et donc des
chances de dérapage. La « présomption
d’innocence renforcée » que voulait
instaurer le candidat Sarkozy entre les
deux tours des élections
présidentielles, à la demande de
plusieurs syndicats de police, est un
signe parmi d’autres de la complaisance
de la droite. Inversement, le nouveau
code de déontologie des forces de
l’ordre mis en place par l’actuel
gouvernement ou la création en 2000 de
la Commission Nationale de Déontologie
de la Sécurité (que Sarkozy a bien pris
le soin de supprimer) montre une volonté
de mieux encadrer les pratiques
policières. De fait, les bavures
policières mortelles sont généralement
plus fréquentes sous les gouvernements
de droite, le sentiment d’impunité
éprouvé par les policiers étant sans
doute conforté par l’idéologie
sécuritaire favorable aux forces de
l’ordre : sur la période 1979-2013, on
en compte 271 pendant les 17,5 années de
législature de droite et 95 pendant les
17,5 années restantes,
soit un rapport de 1 à 3. De fait,
le nombre de plaintes dont s’est saisie
la Commission Nationale de Déontologie
de la Sécurité a nettement
progressé : de 140 en 2006, l’effectif
annuel monte à 228 en 2009, soit une
augmentation de plus de 60 %. Chez les
gendarmes, le sentiment d’impunité est
encouragé par la « présomption de
légitime défense » dont ils bénéficient.
La police ne frappe pas au hasard :
ce sont généralement les populations les
plus démunies en capital social et en
ressources juridiques (jeunes, étrangers
ou issus de l’immigration et appartenant
aux classes populaires) qui sont les
cibles des violences policières. Le
profil-type de la victime est un
homme noir ou d’origine arabe, habitant
un quartier populaire de l’agglomération
francilienne ou lyonnaise, âgé de 25 à
30 ans. Les « handicaps » sociaux
diminuent fortement
la validité des témoignages et la
recevabilité de la plainte éventuelle.
Dans
son rapport de 2010, Amnesty
International estimait en outre que les
enquêtes sur les violences policières
semblent « souvent manquer
d’indépendance et d’impartialité », la
quasi-inexistence de sanctions émises à
l’encontre de policiers s’expliquant par
plusieurs facteurs : « la difficulté à
déposer plainte contre un officier de
police ; les manœuvres d’intimidation de
la part de certains policiers ; le
non-respect fréquent des droits des
détenus en garde à vue ; une conception
dévoyée de la solidarité policière qui
conduit certains fonctionnaires à
couvrir les atteintes commises ;
l’absence de poursuites ; les retards
déraisonnables dans les enquêtes
judiciaires ; des sanctions souvent trop
légères pour les actes commis ; et
l’insuffisance d’une autorité
indépendante d’accès direct pour traiter
les plaintes contre la police». Les
circonstances du drame sont à l’avenant
: course-poursuite en voiture,
garde-à-vue ou placement en cellule de
dégrisement, contrôle d’identité ou
interpellation qui tourne mal, tentative
de fuite… Dans une majorité des cas,
policiers et gendarmes concernés ont
fait usage de leur arme à feu. La
majorité des tirs touche des régions du
corps peu propices à une neutralisation
tentant d’éviter la mort. Sur un
échantillon de 200 personnes tuées par
balles, une cinquantaine sont atteintes
à la tête, 25 dans la poitrine, 25 dans
le dos, une dizaine dans l’abdomen, une
dizaine dans la nuque, une dizaine dans
le cœur, 6 dans le cou. Une soixantaine
de morts par balles n’est pas
renseignée. Pourtant, dans ces cas
précis, les situations où les agents se
font tirer dessus, et sont donc
contraints de riposter, demeurent
exceptionnelles…
Les violences policières sont le fait
d’une société toujours plus inégalitaire
et
d’une politique de classe toujours plus
brutale envers les pauvres et les
immigrés. Leur progression depuis 35
ans est une tendance lourde : de 6 à 8
bavures mortelles par an entre 1977 et
1997, on passe à 10 dans la période
1997-2001 puis
à 18 depuis 2002. L’année 2012 ne
fait pas exception avec 19 décès, dont
12 au cours des 6 premiers mois. Face à
une « crise » économique qui les met en
échec, les gouvernements qui se
succèdent depuis 30 ans sont tentés de
choisir l’autoritarisme étatique et
policier en lieu et place des politiques
sociales de relance keynesienne, plus
difficiles à mettre en œuvre du fait de
la supranationalisation des politiques
économiques. Ce choix est lourd de
conséquences. Il conduit à miser sur les
rapports de force en criminalisant les
résistances populaires, en multipliant
les unités d’intervention brutales et
militarisées (types BAC), en donnant de
plus en plus de pouvoir à la police, en
développant les technologies et les
armements. Cette politique ne peut
qu’entraîner toujours plus de dérapages
et toujours plus de victimes.
Publié le 2 novembre 2014 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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