Opinion
L’antisémitisme augmente-t-il en
France ?
Nicolas Bourgoin
Dimanche 25 mai 2014
Un couple de
touristes Israéliens, une Française et
un jeune employé ont été tués samedi
dans l’attaque contre le Musée juif de
Bruxelles menée par un homme
«probablement seul» et «bien préparé».
Sans même attendre les conclusions de
l’enquête, le président François
Hollande en déplacement à Tulle, a
déclaré que «le
caractère antisémite de cet acte, une
fusillade dans le Musée juif de
Bruxelles, avec cette volonté de tuer,
ne fait pas de doute». Le même jour,
deux hommes de confession israélite sont
agressés à la sortie de la synagogue de
Créteil. Là encore, aucun doute : «l’agression
est à caractère antisémite, c’est
indiscutable» selon le maire
socialiste Créteil, Laurent Cathala.
Le fantasme d’une
montée, voire d’une explosion de
l’antisémitisme, est régulièrement agité
par la communauté juive et ses
représentants à l’occasion de ces faits
divers dramatiques – comme celui de la
tuerie de Toulouse ou du meurtre d’Ilan
Halimi -, que certains cherchent à
instrumentaliser à des fins
politiciennes. Le procédé est toujours
le même : disqualifier les opposants au
sionisme et à la politique israélienne
en les rendant responsables d’un climat
délétère favorisant une progression des
actes antisémites. Il est très bien
analysé par Jean Bricmont qui revient
ici sur cet événement. Dimanche, le
Bureau national de vigilance contre
l’antisémitisme (BNVCA) au sujet de la
fusillade de Bruxelles qualifiée
"d’attentat antijuif", estimait dans un
communiqué que «les
juifs sont de nouveau en danger dans
plusieurs pays de l’Union européenne»,
évoquant une «situation inquiétante et
persistante due à la stigmatisation
d’Israël, de son armée, de son
gouvernement, autant que des divagations
anti-juives de prétendus humoristes,
idéologues, extrémistes de droite et de
gauche, tels que Dieudonné ou Soral». On
se souvient de
la réaction du journaliste Judea Pearl
pour qui le meurtre d’Ilan Halimi était
une conséquence indirecte de la critique
d’Israël. Même son de cloche à la LICRA
qui, par la voix de son président,
a accusé Alain Soral, Dieudonné et
Laurent Louis d’être indirectement à
l’origine de la tuerie de Bruxelles. Une
dizaine de jours avant ces événements,
Roger Cukierman, dans
sa déclaration au Congrès Juif mondial,
après avoir dressé un tableau noir de la
situation des juifs en France, s’en
était vivement pris à la population
immigrée musulmane, au Front National et
aux gauchistes pro-palestiniens jugés
par lui responsables d’une montée de
l’antisémitisme en France. Mais celle-ci
a-t-elle une réalité statistique ?
Les agressions
contre les membres de la communauté
juive, abondamment médiatisées et
systématiquement dramatisées, ne font en
réalité que réactiver des présupposés
immuables relatifs à l’antisémitisme.
Derrière les propos grandiloquents
évoquant la haine, la tuerie ou
l’extermination, deux idées sont
omniprésentes :
- les juifs sont
davantage victimes que les personnes des
autres confessions
- l’antisémitisme
est en augmentation
Ainsi Roger
Cuckierman, lors du Congrès Juif mondial
dont il est le vice-président a affirmé
qu’en France 40 % des actes de violence
visaient les juifs alors qu’ils ne
représentent qu’un pour cent de la
population française. Un autre
intervenant a décrit l’antisémitisme en
Europe comme « un
cancer qui a été autorisé à se
développer ».
Le rapport du Service de
Protection de la Communauté Juive de 2013,
donne des éléments de cadrage qui
permettent de relativiser ces constats
alarmistes. On retrouve bien le chiffre
de « 40% des violences racistes commises
en France en 2013 dirigées contre des
Juifs. Cela signifie que moins de 1% des
citoyens du pays a concentré 40% des
violences physiques racistes commises en
France ». Seul problème, il n’existe pas
de recensement exhaustif ni de
définition objective des « violences
physiques racistes » car celles-ci
reposent exclusivement sur les
déclarations des victimes. Le
pourcentage calculé sur un effectif
total pour l’année 2013 de 125 actes de
violence raciste toutes confessions et
ethnies confondues, ridiculement faible,
montre bien que cette déclaration est
loin, très loin d’être exhaustive…
En revanche, les
meurtres racistes, non sensibles aux
effets déclaratifs, permettent d’y voir
plus clair sur le niveau de victimation
de la communauté juive. Or pour 2013, le
rapport ne fait état que d’un seul
homicide… à comparer aux 900 homicides
commis en France cette même année,
toutes confessions et ethnies
confondues. De quoi nettement
relativiser fortement certaines
dramatisations médiatico-politiques.
L’antisémitisme
augmente-t-il ? Le rapport du SPCJ, au
vu des chiffres présentés – 423 actes au
total pour 2013 contre 614 en 2012 – est
bien contraint de répondre par la
négative. Mais dès lors comment
entretenir le fantasme d’une France (de
plus en plus) antisémite ?
L’argumentaire a de quoi laisser
perplexe : une hausse a bien eu lieu en
2013 mais par rapport au chiffre
attendu (attendu comment ? le
rapport ne le précise pas…). Ainsi, « la
diminution attendue du nombre d’actes
antisémites après l’année 2012 – année
hors norme en matière d’antisémitisme –
n’a pas eu lieu dans les proportions
légitimement escomptées. Le nombre
d’actes antisémites recensés en 2013 a
diminué de 31% par rapport à 2012 mais
est supérieur de 9% à celui de 2011
pourtant déjà très préoccupant ». Très
préoccupant le chiffre des 389 actes
antisémites en 2011 ? c’est pourtant
nettement moins que ceux des années
précédentes : en 2009 il était de 832
et en 2004 atteignait le record de 974.
En réalité, le nombre d’actes
antisémites déclarés est globalement en
baisse à une échelle de 10 ans, et a
diminué de plus de 50 % entre 2004 et
2013.
Last but not
least, la grande majorité des actes
antisémites de 2013 (318 sur 423, soit
plus des trois-quarts) sont en réalité
des menaces (geste ou propos verbal
menaçant, tract ou courrier) et non des
agressions consommées. Ce qui est
également le cas pour les années
précédentes.
S’il est en
revanche une communauté ostracisée et en
butte aux agressions racistes, ce sont
bien les musulmans.
L’islamophobie explose en France et
les chiffres sont bien réels : les
agressions physiques ou verbales contre
les musulmans ont augmenté de 57 % en
2012 par rapport à l’année précédente.
Depuis 2005, leur fréquence a quasiment
décuplé. Les atteintes interpersonnelles
(agressions verbales ou physiques) ont
connu une croissance pharamineuse avec
27 fois plus de cas recensés en 2012
qu’en 2008. Les institutions
(cimetières, mosquées, associations,
centres culturels, boucheries et
restaurants halal) sont régulièrement la
cible d’actes de vandalisme ou de
dégradation en nombre croissant : ces
actes ont été en 2012 cinq fois plus
fréquents qu’en 2007 et ceux visant les
mosquées ont été deux fois plus nombreux
en 2012 qu’en 2011. L’islamophobie se
banalise et touche désormais tous les
secteurs de la société : « Nous
observons une mutation de
l’islamophobie, qui après avoir été
longtemps et majoritairement l’œuvre des
services publics, s’enracine désormais
dans le monde du travail, dans le
secteur privé, sous la forme d’atteintes
interpersonnelles ou d’agressions. La
France est passée d’une islamophobie
politique à une islamophobie culturelle,
relayée politiquement » note le CCIF
dans
son rapport annuel. La différence de
traitement médiatique et politique des
agressions selon l’origine
confessionnelle des victimes ne fait que
refléter la politique du deux poids/deux
mesures qui semble être devenue la
norme.
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