Opinion
Contrôles au faciès,
les raisons d’un acharnement politique
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Lundi 19 octobre 2015
On s’en souvient (peut-être), c’était
l’une des nombreuses promesses du
candidat Hollande vite enterrées : la
délivrance systématique d’un récépissé à
chaque contrôle d’identité. Le
gouvernement socialiste avait rapidement
renoncé à cette mesure sous la pression
des syndicats de policiers qui
avaient vu dans ce formalisme imposé une
suspicion à l’endroit des forces de
l’ordre, soupçonnées de réaliser leurs
contrôles sur des critères ethniques.
Le choix du gouvernement de se pourvoir
en cassation contre la décision de la
cour d’appel de Paris du 24 juin dernier
condamnant l’État pour «faute lourde» en
raison de contrôles d’identité
discriminatoires est un nouveau palier
franchi dans l’échelle des renoncements.
Et les conséquences sont prévisibles :
en supposant que les principes d’égalité
et de non-discrimination ne s’appliquent
pas aux contrôles de routine, le
gouvernement légalise de fait les
contrôles au faciès en donnant un
blanc-seing aux policiers. Une manière
originale de fêter le dixième
anniversaire des émeutes de 2005 dont
l’origine était justement un contrôle
d’identité ayant mal tourné ? Ce hasard
de calendrier n’en est sans doute pas
un.
Pour
la première fois dans son histoire,
l’État français a été condamné il y a
quatre mois pour faute lourde sur des
« contrôles d’identité de routine »
effectués par des policiers. Cinq des
treize plaignants, tous d’origine
maghrébine ou sub-saharienne, avaient
obtenu gain de cause. Une telle décision
aurait dû réjouir l’ex-candidat Hollande
qui avait fait de la lutte contre les
contrôles discriminatoires l’un de ses
chevaux de bataille électoraux. Loin
s’en faut. Contre toute attente, et sous
la pression du Premier ministre, le
gouvernement s’est élevé contre cette
décision, considérant que les règles
relatives à l’égalité et à la
non-discrimination ne s’appliquaient pas
aux contrôles d’identité. Difficile de
ne pas voir dans son pourvoi en
cassation un encouragement donné aux
forces de l’ordre à poursuivre ces
pratiques discriminatoires .
Et elles sont totalement banalisées.
Une
récente étude réalisée sur des sites
parisiens a confirmé que les contrôles
d’identité effectués par les policiers
se fondent principalement sur
l’apparence ethnique. Selon la zone
géographique, les Noirs ont entre 3,3 et
11,5 fois plus de risques que les Blancs
de faire l’objet d’un contrôle,
les Arabes entre 1,8 et 14,8 fois plus
de risques. Ces pratiques ne sont pas
seulement humiliantes pour les
populations concernées mais sont aussi
facteurs de tensions avec les forces de
l’ordre pouvant conduire, par effets de
réaction en chaîne, à de véritables
émeutes. Il est bon de rappeler que
l’embrasement des banlieues françaises
pendant l’automne 2005 a été la
conséquence d’un simple contrôle
d’identité qui ayant mal tourné. Les
émeutes de Trappes lors de l’été
2013 ou
celles de Mayotte du mois dernier en
sont des exemples plus récents.
Comment comprendre l’acharnement de
Manuel Valls à défendre coûte que coûte
des méthodes policières non seulement
inutiles mais contre-productives ? Les
contrôles d’identité ont aussi et
surtout une dimension symbolique. Comme
nous l’avons montré
par ailleurs, ils sont l’occasion de
réaffirmer la force brute du pouvoir
étatique et policier sur des populations
socialement dominées. Ciblant pour
l’essentiel la jeunesse issue de
l’immigration maghrébine, ces pratiques
renvoient au registre colonial dans
lequel puisent d’ailleurs abondemment
les médias quand il s’agit d’évoquer la
situation dans les banlieues. Le
vocabulaire généralement employé par les
journalistes ou les politiques pour
qualifier les problèmes de sécurité dans
les quartiers populaires – défaut
d’intégration, zones grises ou de
non-droit à reconquérir, sauvageons,
etc. – leurs références à l’ethnicité
des auteurs de violence ou aux
« valeurs » de la République ainsi qu’à
l’objectif affiché de « reconquête de
territoires perdus »
rappellent les stéréotypes de
l’imaginaire colonial qui font du
jeune émeutier un « ennemi de
l’intérieur ». Le choix de Nicolas
Sarkozy de décréter l’état d’urgence
pendant les émeutes de 2005 a été ainsi
une façon de réaffirmer l’autorité de
l’État face à une situation
insurrectionnelle rappelant les révoltes
anti-coloniales. Il a fait désormais de
cette mesure réduisant les libertés
fondamentales et renforçant les pouvoirs
de police, instituée pour la première
fois en 1955 pour libérer l’armée des
contraintes juridiques du temps de paix
et réprimer la résistance algérienne, un
moyen de contrôle des quartiers
populaires en situation de crise.
En défendant le principe de contrôles
discriminatoires, Manuel Valls marche
clairement dans les pays de
l’ex-président. Mais cette prise de
position est peu surprenante de la part
d’un politique qui soutient
inconditionnellement Israël (et ses
pratiques d’apartheid) et qui a fait de
la lutte contre le port du voile dans
l’espace public l’une de ses
priorités, considérant que cette
question relèvait d’un débat sur la
condition des femmes. Cette
instrumentalisation de la cause
féministe à des fins discriminatoires
qui ne manque pas d’évoquer le combat
politique de
Ni putes ni soumises, fait écho
à la
cérémonie du dévoilement à Alger de
1958 quand des musulmanes ont été
contraintes de brûler leur voile en
signe de désolidarisation d’avec la
résistance anti-coloniale.
La République contre ses barbares
intérieurs. Le schéma qui sous-tend le
contrôle obsessionnel des populations
issues de l’immigration post-coloniale
est bien celui du choc des civilisations
renvoyant dos-à-dos
Islam conquérant et civilisation
judéo-chrétienne, modèle que partage
l’essentiel de la classe politique à
quelques nuances près. En ces temps de
crise économique et de reculs sociaux
tous azimuts, la tentation du recours à
la bonne vieille tactique du bouc
émissaire se fait plus pressante. Le
contrôle au faciès, outil de la
ségrégation ethnique, sert trop bien ce
projet pour être jeté aux oubliettes.
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