Opinion
Les Républicains contre l’Islam
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Mercredi 17 juin 2015
S’il est une question qui fait
aujourd’hui consensus, c’est bien celle
du traitement de l’Islam. Les diatribes
de Nadine Morano sur le péril islamique
ou l’annonce de Nicolas Sarkozy de
vouloir légiférer une énième fois à
propos du port du voile font
sinistrement écho au laïcisme de Manuel
Valls. Cette union sacrée de la classe
politique contre le « péril islamique »
conduit à toutes les surenchères.
Mention spéciale à Christian Estrosi qui
n’a pas hésité à affirmer que la France
« était en guerre contre l’Islam ».
La question musulmane plus
préoccupante que les tensions
géopolitiques avec la Russie,
l’effondrement économique de la zone
euro, la crise écologique,
l’accroissement continu du chômage en
France ? Si l’on en croit les
Républicains qui en ont fait le thème de
leur première journée de travail, la
réponse est oui. Selon Henri Gaino, qui
a défendu cette priorité
en fustigeant « le terrorisme des
bien-pensants », l’Islam « nous
pose un problème qu’il faut régler« .
La fabrication du « problème musulman »
est bien utile aux élites politiques
pour faire diversion sur les sujets
économiques sans doute plus graves… mais
surtout plus difficiles à traiter. Il
est plus délicat de s’en prendre à la
finance qu’aux étudiantes voilées et la
recette du bouc émissaire continue de
faire ses preuves. Mais cette stratégie
du rideau de fumée n’explique pas
totalement la rupture bien consommée
d’avec la relative tolérance dont
bénéficiaient les populations
maghrébines au début des années 1980, à
une époque où la France était déjà en
crise. L’ennemi intérieur musulman est
né du tournant néoconservateur du début
de la décennie 2000. Dans le sillage de
la guerre contre le terrorisme, la
nouvelle laïcité a fait de l’Islam une
menace non seulement pour les
institutions républicaines mais pour la
civilisation judéo-chrétienne elle-même.
En un peu plus de 10 ans, la théorie du
choc des civilisations est devenu
l’idéologie officielle des élites
occidentales.
Tous unis contre l’Islam ! et,
comme on l’a déjà constaté à
l’occasion du vote de la dernière loi
antiterroriste, la conversion
sécuritaire de la gauche, par un effet
de banalisation, ouvre la porte à toutes
les dérives. Le nouveau parti de Nicolas
Sarkozy a consacré sa première journée
de travail (à huis clos) à la question
de l’Islam, sous-entendant que le
gouvernement actuel fait sur cette
question preuve de laxisme. Cette
initiative
a suscité l’inquiétude de
l’Union des Organisations Islamiques de
France (UOIF) ainsi que celle
du Conseil Français du Culte Musulman
(CFCM), pourtant une institution créée
par Nicolas Sarkozy quand il était
ministre de l’Intérieur, qui redoute une
« stigmatisation » de la deuxième
religion de France et a appelé au
boycott de cette réunion. Il est vrai
que Nicolas Sarkozy ne fait pas mystère
de son hostilité à l’Islam quand il
prône
l’interdiction du voile à l’université
et des menus de substitution dans les
cantines. Des propos annonciateurs
de ce qui sera sans doute la politique
de la droite quand elle reviendra aux
commandes.
Islamophobie, toujours plus !
Car l’heure est bien à la surenchère.
Manuel Valls juge que l’interdiction du
port du voile à l’Université
n’est pas d’actualité ?
Eric Ciotti propose d’étendre aux
établissements publics d’enseignement
supérieur le champ d’application de la
loi du 15 mars 2004 interdisant « le
port de signes ou tenues par lesquels
les élèves manifestent ostensiblement
une appartenance religieuse » dans les
écoles, collèges et lycées publics,
jugeant que la situation dans les facs
serait devenue « intolérable » en raison
d’une « montée de revendications
religieuses et communautaristes ». Dans
la même veine, Nadine Morano
s’attaque avec vigueur à l’Islam
sans même avoir recours à l’alibi de la
laïcité puisqu’elle fustige également
les « laïcards extrémistes (…) qui sous
couvert de la laïcité voudraient mettre
à mal nos traditions et notre culture,
ceux qui s’en prennent à une crêche dans
un établissement public ». Pour elle, il
s’agit bien d’une guerre de civilisation
opposant l’Islam au monde judéo-chrétien
: des « réseaux infiltrés » sont là
« pour vouloir détruire notre
civilisation, notre culture, notre façon
de vivre ». « Ce sont des gens
obscurantistes qui rêvent d’une guerre
de religions » qui est déjà
« évidemment » en cours a-t-elle déclaré
au forum de Radio J. Propos tout en
nuances auxquels font écho ceux de
Christian Estrosi
affirmant sur France 3 que la France
devait faire face à des « cinquièmes
colonnes islamistes » (sic), « des
ennemis de la France qui ont une carte
d’identité française », et qu’une
« troisième guerre mondiale » était
déclarée à « la civilisation
judéo-chrétienne » par
« l’islamo-fascisme », oubliant au
passage que les premières victimes de
l’islamisme… sont
les musulmans eux-mêmes. Mais ce
discours, au-delà de ses approximations
et de ses outrances, ne fait que
radicaliser le paradigme d’une nouvelle
conception de la laïcité aujourd’hui
dominante.
Le tournant
de 2003.
Selon
Raphaël Liogier, la « grande
bifurcation » (à partir de laquelle
l’islamisation est posée par les
responsables politiques comme un
problème majeur) a lieu en France en
2003 à l’époque de l’intervention
américaine en Irak. C’est à cette
période que naissent l’ensemble des
associations anti-islamisation comme
l’Observatoire de l’islamisation, le
Bloc Identitaire, Riposte Laïque ou
encore
Ni Putes Ni Soumises. C’est aussi en
2003 que François Baroin rendra, à la
demande du Premier ministre de l’époque,
Jean-Pierre Raffarin,
un rapport dans lequel il propose
une nouvelle conception de la laïcité.
Suivant l’une des conclusions de cette
commission, Jacques Chirac se prononce
en faveur d’une loi interdisant le port
de signes religieux « ostensibles » par
les élèves dans les établissements
scolaires publics. Cette loi est adoptée
le 15 mars 2004 et appliquée à partir de
la rentrée 2004. Elle sera suivie par
d’autres qui contribueront à exclure les
manifestations visibles de la religion
musulmane d’un nombre croissant de lieux
publics.
La défense d’une nouvelle laïcité est
présentée dans
le rapport Baroin comme une réaction
nécessaire face au développement du
communautarisme et à l’action des
fondamentalistes, afin de défendre les
valeurs de la République. Exit le
multiculturalisme, place à l’assimilationnisme
:
« La laïcité a été en effet
progressivement remplacée au panthéon
des valeurs de la gauche par la défense
des différences culturelles et du
communautarisme. Cette tendance
s’inscrit dans le cadre de la promotion
des droits de l’homme comme valeur
dominante de la gauche. Elle se traduit
par une mauvaise conscience vis-à-vis de
l’héritage colonial de la France et un
besoin de réparation (thème de la
« repentance »). La liberté d’expression
et la reconnaissance des différences
sont privilégiées par rapport à d’autres
valeurs comme l’autorité du maître, la
mission d’éduquer et l’émancipation de
la personne ».
Ce rapport considère le voile
islamique davantage comme « un attribut
des fondamentalistes s’inscrivant dans
un modèle de société fondé sur une
logique de ghetto et hostile aux valeurs
de la démocratie » que comme un simple
signe d’appartenance religieuse. Faisant
tout de même la différence entre Islam
et islamisme, il préconise de s’appuyer
sur les musulmans intégrés pour lutter
contre la menace de l’islamisation, de
l’implantation dans notre pays d’un
Islam fondamentaliste qui conteste les
principes mêmes de l’organisation de
notre société :
« Ce contre discours doit être
porté par des personnalités issues de
l’immigration. La nomination de
plusieurs ministres issus de ces rangs a
été un premier signe encourageant. Il
revient à l’actuelle majorité de créer
de vraies élites républicaines issues de
l’immigration dans tous les domaines
(politique, économique et social). C’est
une condition de la reconquête des
territoires perdus de la République
».
La Nouvelle
Laïcité, un principe discriminatoire au
service du choc des civilisations
En faisant d’un principe juridique
une « valeur de civilisation » et en
promouvant une conception
quasi-religieuse de la laïcité, ce
glissement ouvre la voie à toutes les
dérives islamophobes. La pratique
religieuse des musulmans, devenue
véritable phobie collective, est perçue
à la fois comme un signe d’obscurantisme
et un problème menaçant l’identité
nationale. Les partisans de
l’interdiction du voile s’appuient sur
une conception émancipatrice de
l’instruction et sur une vision dévaluée
du signe religieux opposé au
progressisme et au scientisme de la
philosophie des Lumières. Comme
l’affirme
Claude Guéant, « toutes les
civilisations ne se valent pas » et
l’Islam, de par sa nature conquérante,
représenterait une menace pour
l’Occident judéo-chrétien. Reprenant
cette conception dévoyée de la laïcité,
les politiques surfent depuis 10 ans sur
le fantasme de l’islamisation,
traduction française de la théorie
néoconservatrice du
choc des civilisations remise au
goût du jour par Samuel Huntington. Les
débouchés politiques en sont connus :
stratégie du bouc émissaire et
discrimination socio-ethnique,
justification des guerres de l’Occident
contre le monde musulman sous couvert
d’éradication du djihadisme. Ce tournant
idéologique, initié par la droite
chiraquienne, est poursuivi par le
gouvernement actuel qui affiche sur ce
point une remarquable continuité avec le
précédent
en achevant sa mue sécuritaire.
L’étape suivante n’est pas difficile à
deviner : surenchère laïciste et,
pourquoi, appels à la guerre civile
contre les musulmans présents sur le
territoire national sous couvert de
guerre contre le terrorisme islamiste et
de défense des « valeurs
républicaines ».
L’impasse
néoconservatrice
Idéologie dominante de l’après-guerre
froide, le néoconservatisme sert les
intérêts des élites occidentales en
justifiant leurs projets
discriminatoires et bellicistes. En
revanche, les peuples dans leur immense
majorité n’ont rien à gagner d’une
guerre civile et/ou militaire contre le
monde musulman. Loin d’être
l’islamisation, la véritable menace est
celle d’une confrontation avec l’Islam
sur le modèle de la guerre des
civilisations. Le refus de la guerre
sans fin contre le terrorisme dont
les racines socio-économiques sont
constamment niées, coûteuse pour les
deux camps, trace la seule voie
praticable : renouer avec une conception
tolérante, pacifiée et égalitaire de la
laïcité et œuvrer pour une vraie
réconciliation nationale avec les
populations issues de l’immigration
post-coloniale. Une politique à l’opposé
de celle défendue par la droite et la
gauche libérale.
Voir également sur le site de
l'auteur
: un entretien à propos de son dernier
ouvrage « La
République contre les libertés ».
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