Opinion
Mise en coupe réglée d’Internet :
la loi antiterroriste fait sa
première victime
Nicolas Bourgoin
Lundi 16 mars 2015
Le front des libertés publiques est l’un
des rares domaines où le gouvernement ne
chôme pas. L’encre du
dernier décret concernant les sites
faisant l’apologie du terrorisme est à
peine sèche qu’une première victime est
déjà tombée : le site islamic-news,
réputé pro-djihad. Et celui-ci ne
devrait être que le premier d’une (très)
longue liste car au moins une
cinquantaine de plateformes sont d’ores
et déjà dans le collimateur du
gouvernement. Prenant acte d’une
individualisation des parcours
terroristes,
la loi du 13 novembre 2014
renforçant les dispositions relatives à
la lutte contre le terrorisme est
dirigée contre les « loups solitaires »
se radicalisant sur Internet. Mais gares
aux victimes collatérales… La tentation
est évidemment grande de s’en servir
aussi contre des sites contestataires
non liés à la mouvance islamique mais
prônant l’activisme militant ou le
soutien aux mouvements de libération
nationale. En réalité, tout est dans la
manière de définir le « terrorisme »,
notion éminemment élastique…
A l’occasion des débats
parlementaires de l’automne dernier, le
projet de loi antiterroriste porté par
Bernard Cazeneuve a
été dénoncé comme inadapté à la
menace qu’il prétendait éradiquer et
fortement liberticide. Renforçant la
surveillance sur Internet, il
permet, par son article 4, le blocage
administratif des sites faisant
l’apologie du terrorisme ou incitant à
commettre des actes terroristes.
L’apologie du terrorisme, comme
l’apologie des crimes de guerre, était
jusque-là réprimée par
la loi sur la presse de 1881 qui
encadre la liberté d’expression en
France. Le texte a sorti de ce périmètre
législatif relativement protecteur les
délits de « provocation aux actes de
terrorisme » et d’« apologie du
terrorisme », pour les intégrer dans un
article spécifique du code pénal,
considérant qu’il ne s’agit pas « d’abus
de la liberté d’expression (…) mais de
faits qui sont directement à l’origine
d’actes terroristes », afin de les
réprimer plus sévèrement tout
en donnant davantage de pouvoirs aux
enquêteurs travaillant sur ces
dossiers, notamment pour infiltrer des
réseaux et avoir recours à des écoutes
et des sonorisations. Le texte permet
aussi la possibilité d’un blocage
administratif, sans requérir l’aval d’un
juge, de sites faisant l’apologie du
terrorisme. La procédure est expéditive
: si l’éditeur et l’hébergeur d’un site
ne répondent pas aux demandes de retrait
de la police judiciaire, les
fournisseurs d’accès à Internet (FAI)
sont alors saisis pour bloquer l’accès
sans délai. Une mesure qui s’inspire des
dispositions prévues pour les sites
pédopornographiques et qui, à défaut
d’être efficace, constitue une entrave
de plus à la liberté d’expression. Ce
dispositif de blocage qui échappe à
toute procédure contradictoire est en
effet totalement opaque en plus d’être
arbitraire : le ministère de
l’Intérieur rend inaccessible les
contenus incriminés et n’a pas à motiver
pas sa décision. Ainsi,
pas un début de preuve de la
dangerosité du site islamic-news n’a été
apportée. Et, cerise sur le gâteau, en
redirigeant les internautes vers une
page d’accueil sous son contrôle, le
ministère de l’intérieur se donne les
moyens de connaître les adresses IP des
visiteurs de ces sites… Plutôt
inquiétant quand on sait par ailleurs
que le gouvernement envisage d’étendre
le blocage administratif
aux sites faisant la promotion de propos
racistes ou antisémites, voire
antisionistes, infractions qui seraient
également sorties de la loi de la presse
de 1881 afin de faciliter et durcir les
sanctions à leur encontre.
Plus grave, le blocage concerne une
infraction dont les contours sont
toujours aussi flous : la
définition du terrorisme donnée par
L’Union Européenne est en effet
assez large pour permettre la répression
d’actions syndicales ou politiques
non-violentes (grève illégale, blocage
de systèmes informatiques, occupation de
routes, de bâtiments publics ou privés
pour manifester) : « association
structurée, de plus de deux personnes,
établie dans le temps et agissant de
façon concertée en vue de commettre des
infractions terroristes (…) visant à
menacer un ou plusieurs pays, leurs
institutions ou leur population avec
l’intention d’intimider ces derniers et
de modifier ou détruire les structures
politiques, sociales et économiques de
ces pays ». Le soutien à un mouvement
social radical ou à une lutte comme
celle du mouvement palestinien pourrait
très bien tomber à terme sous le coup de
l’inculpation d’apologie du terrorisme.
Le
CRIF considère d’ores et déjà qu’une
exposition photographique sur le Hamas
fait l’apologie du terrorisme et à
demandé son interdiction.
Le contrôle d’Internet est une
constante préoccupation des
gouvernements qui se succèdent depuis 10
ans car cet espace de liberté et aussi
souvent un espace de contestation. Mais
jamais on n’était allé aussi loin dans
les mesures liberticides. Le
prétexte de l’antiterrorisme justifie
une surveillance sans précédent
d’Internet et un renforcement du pouvoir
exécutif en installant une justice
administrative expéditive. Cette reprise
en main est bien utile au gouvernement
pour faire diversion et resserrer les
rangs dans un moment de crise
économique, sociale et politique sans
précédent.
Voir également sur le site de
l'auteur
: un entretien à propos de son dernier
ouvrage « La
République contre les libertés« .
Une
présentation orale de cet ouvrage
Le sommaire de Nicolas Bourgoin
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