Opinion
« Eliminations préventives » :
la guerre Minority Report, c’est
maintenant !
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Samedi 12 septembre 2015
La guerre est la simple continuation de
la politique par d’autres moyens. La
décision prise par François Hollande de
mener des frappes en Syrie contre des
djihadistes présumés montre une nouvelle
fois l’actualité de la citation
attribuée au Général Clausewitz. Traquer
et identifier les terroristes potentiels
sur le territoire français par une
surveillance renforcée d’Internet,
liquider purement et simplement ceux
opérant sur le territoire syrien et le
tout au mépris des principes du droit
national ou international sont les deux
faces d’une même politique que n’aurait
pas reniée George W. Bush. Créatrice
d’instabilité géopolitique et de chaos
intérieur, elle alimente la menace même
qu’elle prétend combattre comme le
montrent les exemples Irakien, Lybien et
Syrien. Le terrorisme est en grande
partie
une réaction, directe ou indirecte,
à l’ingérence occidentale. Totalement
contre-productif, l’interventionnisme
impérialiste n’en est pas moins pratiqué
avec un zèle qui ne se dément pas. Au
bénéfice de qui ?
Agiter le peuple avant de s’en
servir. Une fois l’opinion préparée à
grands renforts de storytelling avec
terroriste fanatisé et GI américains
sauvant une fois de plus des innocents
au péril de leur vie, de compassion
lacrymale face
au drame du petit Aylan, place aux
grandes manoeuvres. François Hollande va
lancer des missions aériennes de
renseignement en Syrie pour préparer des
éliminations ciblées et éradiquer les
groupes terroristes qui menaceraient
directement la France. Autrement dit,
tuer des djihadistes français partis
combattre en Syrie avant qu’ils ne
reviennent en France planifier des
attentats. Et ce, sans mandat de l’ONU
ni concertation avec le gouvernement
local. Avec à la clé un afflux
supplémentaire de réfugiés pour la plus
grande joie
du MEDEF et des
libéraux qui sauront utiliser comme
il convient cette « armée de réserve »
industrielle et providentielle pour
faire encore un peu plus pression sur
les salariés
priés de renoncer à leur Code du Travail.
Sans compter la multiplication à prévoir
des attentats sur le sol français avec
la présence inéluctable de djihadistes
parmi les réfugiés, ce qui ne manquera
pas de justifier a posteriori
les mesures liberticides prises pour
combattre le risque terroriste.
Cette politique de la canonnière qui
bafoue le droit international place la
France dans le sillage des anglo-saxons.
Rappelons que la Royal Air Force a déjà
tué trois djihadistes, dont au moins
deux Britanniques, le 21 août dans la
région de Rakka, fief de l’Etat
islamique parce qu’ils étaient supposés
vouloir commettre des attentats contre
le Royaume-Uni. David Cameron, mis en
cause, a
plaidé le droit naturel de légitime
défense (garanti par l’article 51 de
la charte des Nations Unies) sans
toutefois convaincre l’opposition
politique ni les associations de défense
des droits de l’homme. Les Américains
font de même en menant des frappes
partout dans le monde avec ou sans
l’aval des pays concernés. Les attentats
du 11 septembre 2001 ont fait monter en
puissance cette politique avec la
promulgation du Patriot Act qui
légalise les assassinats ciblés et avec
la rhétorique de la « guerre contre le
terrorisme » qui justifie les opérations
militaires préventives contre des États
supposés menaçants pour les USA (rogue
states).
Mais elle conduit aussi à une
inversion du droit pénal en créant un
régime d’exception. Les lois
antiterroristes votées sous la
présidence Hollande ont déjà sapé
certains principes dont celui selon
lequel il n’y a pas de sanction sans
fait punissable. La présomption de
culpabilité introduite par
la loi sur le renseignement qui
conduit à punir quelqu’un pour ce qu’il
est – et donc pour ce qu’il pourrait
faire étant donné sa dangerosité
supposée – et non pour ce qu’il a fait,
ainsi que le délit d’opinion introduit
par
la loi contre le terrorisme de
l’automne 2014 qui criminalise
l’apologie du terrorisme sont de vraies
machines de guerre contre les principes
fondateurs du droit pénal. Et la mise en
oeuvre d’assassinats ciblés est une
brèche de plus qui va contribuer à faire
basculer encore un peu plus notre régime
pénal dans ce que Günther Jacobs appelle
le
droit pénal de l’ennemi. Traiter le
délinquant non comme un infracteur mais
comme un ennemi (ou un « combattant
illégal ») permet d’employer à son
encontre un régime d’exception qui va de
l’internement extra judiciaire sans
garantie procédurale dans des lieux de
non-droit à l’homicide pur et simple.
Tirer d’abord, discuter ensuite. La
nouvelle doctrine de « sécurité
globale » née du
Rapport Bauer semble monter en
puissance sous la présidence Hollande.
Surveillance tous azimuts et
renseignement préventif, décèlement
précoce des foyers de dangerosité et
traque aux dissidents, le principe de
précaution en matière pénale conduit à
toutes les dérives liberticides. Et
aussi à la guerre : le nouveau concept
de défense globale fait du
« terroriste » un ennemi à la fois
intérieur et extérieur, ce qui conduit à
rapprocher l’industrie de la guerre de
celle du contrôle, le domaine de la
défense de celui de la sécurité
intérieure, comme le spécifiait le livre
blanc sur la défense et la sécurité
nationale qui « acte la fin du clivage
traditionnel entre sécurité intérieure
et sécurité extérieure (…) dépasse le
cadre strict des questions de défense
(…) élargit la réflexion à une sécurité
nationale qui intègre désormais des
dimensions importantes de la politique
de sécurité intérieure ».
Ces véritables « opérations de police
extraterritoriales » qui vont conduire à
tuer des ressortissants français en
Syrie montrent à quel point les
frontières entre police et défense
nationale sont désormais brouillées.
François Hollande, sans doute le
président le plus néo-conservateur de la
Cinquième République, est
un adepte convaincu des assassinats
ciblés et des opérations clandestines
visant à neutraliser les « cibles
prioritaires » (high-value targets) –
des personnes jugées dangereuses pour la
sécurité nationale, sur le territoire
français ou à l’étranger. La menace
terroriste, à la fois intérieure et
extérieure justifie la stratégie
transversale déployée à son encontre qui
ouvre encore un peu plus la voie aux
régimes d’exception et à la
militarisation des politiques de
maintien de l’ordre. Cette nouvelle
« guerre contre le terrorisme » aura
sans doute les mêmes effets que les
précédentes : ajouter encore un peu plus
de chaos et d’instabilité et ainsi
affaiblir, dans le cas présent, l’un des
derniers États qui résistent à
l’impérialisme occidental.
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