Opinion
Coupe du Monde : ce qu’on ne
verra jamais
Nicolas Bourgoin
Copie
écran vidéo AFP: PalSol
Mercredi 11 juin 2014
Sous les feux des
médias, la grande messe planétaire de la
Coupe du Monde de football. Dans
l’ombre, la triste réalité de la société
brésilienne. Flambées de violence,
répression policière brutale… des
centaines de blessés, des assassinats
ciblés, des disparitions, près de 10.000
familles expulsées… La situation sociale
devient explosive au Brésil où les
protestations contre la gabegie de la
Coupe du Monde de football se
multiplient, et alors que la police
militaire s’est installée durablement
dans les favelas de Rio où de vastes
programmes de transformation urbaine
sont engagés depuis quelques années.
L’indécence des milliards dépensés en
pure perte dans un contexte de
paupérisation absolue des masses
populaires brésiliennes montre une
nouvelle fois l’absurdité du capitalisme
mondialisé où se côtoient dénuement
total et dépenses somptuaires. Mais les
enjeux de la Coupe du Monde pour
l’oligarchie mondialiste sont énormes :
tenter de masquer la faillite inexorable
du système par le spectacle d’une
opulence factice, réactiver les réflexes
nationalistes pour cacher les désastres
de la mondialisation, désamorcer les
luttes de classe par la grande communion
dans le jeu, contrôler les quartiers
populaires par le quadrillage
militaro-policier. Et, last but not
least, permettre aux firmes
multinationales d’engranger des profits
énormes tandis que les coût pharamineux
seront supportés par le peuple
brésilien. Socialiser les pertes,
privatiser les profits : on ne change
pas une recette qui marche.
La colère du
peuple brésilien contre l’oligarchie
La révolte
populaire ne cesse de s’étendre au
Brésil. Tout s’est dégradé fin avril à
Copacabana quand
la ville est devenue le théâtre
d’affrontements violents entre les
unités de la police militaire et les
habitants des favelas (bidonvilles) de
la région. En cause, l’assassinat par
balles de Douglas Rafael da Silva
Pereira, 26 ans, connu sous le nom de
DG, dont le corps a été découvert dans
une crèche de la favela Pavão-Pavãozinho-Cantagalo
située sur la colline qui surplombe les
deux quartiers les plus touristiques du
pays, Copacabana et Ipanema. Le jeune
danseur, célèbre pour avoir participé à
plusieurs émissions de télé, avait
tourné dans un court métrage, « Made
in Brazil » produit en 2013 par le
collectif Contraa parede
(« contre le mur ») montrant la réalité
quotidienne des jeunes des favelas dans
une ville qui se prépare à accueillir
l’événement le plus médiatisé de la
planète. Film pour le moins
prémonitoire : sa propre exécution par
la police y était mise en scène ! Mais
il n’est pas, loin s’en faut, la seule
victime. Violences policières, tortures,
expulsions de familles pauvres,…
le bilan de la répression est accablant
pour le gouvernement brésilien.
Ces révoltes
prolongent celles provoquées par la
décision du gouvernement brésilien
d’augmenter les tarifs des transports
publics, il y a tout juste un an, alors
que ces infrastructures sont notoirement
défaillantes. Décision inique quand on
considère les sommes colossales
dépensées en vue de la Coupe du monde –
pas moins de 20 milliards de dollars. Le
17 juin 2013, les manifestations contre
la hausse du prix des tarifs des
transports publics avaient réuni près de
500 000 personnes dans les principales
villes du Brésil : le plus grand
soulèvement de ces vingt dernières
années depuis la destitution du
Président Fernando Collor pour fait de
corruption, en 1992. Les marches
pourtant pacifiques avaient été
brutalement réprimées par la Police
Militaire, provoquant des centaines de
blessés et se soldant par l’arrestation
de 160 personnes. Plusieurs journalistes
qui couvraient la mobilisation ont été
agressés et arrêtés, certains d’entre
eux même hospitalisés en raison de la
gravité de leurs blessures.
Ces violences ont été dénoncées par
Amnesty International.
Mais ces deux
étincelles n’ont fait que ranimer un feu
qui couve depuis longtemps et qui
conduit à des explosions sociales
répétées. Comme la plupart des
« démocraties » sous influence
étasunienne, le Brésil est gouverné par
une oligarchie qui spolie le peuple au
profit d’une minorité compradore et le
maintient dans la misère absolue.
Une longue
histoire de paupérisation et
d’oppression
Depuis le coup
d’État made in CIA de 1964, le Brésil
est dans le giron des États-Unis. 20
années de dictature militaire suivies de
30 années de politiques libérales
débridées ont fait de ce pays l’un des
plus inégalitaires de la planète. Les
riches sont toujours plus riches, les
pauvres toujours plus pauvres. Près de
10 % des Brésiliens vivent avec moins
d’un dollar par jour, une proportion
identique est analphabète, tandis que le
pays ne compte pas moins de 46
milliardaires en dollars US. La
diminution de la pauvreté et des
inégalités sociales sous la présidence
de Lula da Silva, homme de main de
l’impérialisme US, est un
mythe absolu démenti par de
nombreuses analyses.
La grand messe
de la Coupe du Monde : répression
policière et propagande impérialiste
Pas sûr que la
Coupe du Monde puisse faire oublier au
peuple brésilien le dénuement et la
misère qui est son lot quotidien, et
d’autant moins que les sommes dépensées
ne feront que dégrader encore un peu
plus les comptes publics. La réfection
du stade du Maracana à Rio de Janeiro
aura coûté à l’Etat de Rio la bagatelle
de 500 millions d’euros et au passage
aura nécessité l’expulsion des
améridiens qui logeaient à proximité, à
coups de matraque et de gaz lacrymogène.
Pas question pour les autorités
de laisser transparaître la pauvreté
sous les apparats. Y pénétrer ne
sera réservé qu’à une élite favorisée
capable de débourser des milliers
d’euros pour s’acheter une place. Et
gare aux récalcitrants :
le dispositif de sécurité, qui n’a
pas coûté moins de 600 millions d’euros,
sorte de Big Brother sécuritaire, est
inédit par son ampleur : 3.000 caméras,
20.000 policiers déployées dans Rio de
Janeiro sur les 170.000 membres des
forces de l’ordre préparés pour
l‘événement. Le gouvernement brésilien a
également acheté des drones, des
lunettes de reconnaissance faciale, des
robots censés accompagner les policiers,
tandis qu’une centaine de leurs
collègues issus de 40 pays collaboreront
avec les autorités brésiliennes dans le
secteur du renseignement. Les forces de
l’ordre se voient engagées dans une
véritable guerre pour le contrôle des
territoires pauvres.
Et pourtant, la
grand messe quadriennale du foot ne
connaît pas la crise. Pourquoi un tel
engouement ? Son rituel est un antidote
parfait aux frustrations que génère le
capitalisme mondialisé. Celui-ci
maintient les peuples dans la misère ?
Le Mondial les fait rêver avec le
strorytelling de l’ascension sociale
fulgurante,
de l’enfant du bidonville au statut de
vedette internationale. La
souveraineté nationale se délite sous
les coups de boutoir du mondialisme ? la
magie de la compétition internationale
permet de ressusciter le nationalisme
sous la forme dégradée du chauvinisme et
de l’affrontement sportif,
sorte de guerre démilitarisée. Le
capitalisme opprime les peuples ?
l’anesthésie du spectacle abrutissant
leur fait oublier pour un temps – très
court – les soucis quotidiens. Le
football est le nouvel opium du
prolétariat mondial.
Panem et
circenses… du pain et des jeux de la
Rome antique, il ne reste aujourd’hui
que les jeux. Le capitalisme vit sa
grande crise, sans doute la dernière, et
il se pourrait bien que l’indécence des
dépenses somptueuses ait l’effet inverse
de celui escompté. Non d’endormir le
peuple mais de le réveiller en portant
au jour l’une des contradictions
fondamentales du capitalisme : celle qui
oppose la paupérisation de la majorité à
l’accroissement global des richesses
produites pour le bénéfice exclusif
d’une minorité parasitaire.
Publié le 12 juin 2014 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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