Opinion
La réinformation, enjeu crucial des
prochaines années
Nicolas Bourgoin
Mercredi 10 juin 2015
La vérité est enjeu de lutte. Cet
aphorisme prend toute sa portée à
l’heure où le Premier ministre,
s’inspirant du modèle chinois,
mobilise une armée de community managers
pour relayer la parole officielle du
gouvernement et contrer les propos
critiques qui fleurissent sur Internet.
La censure est aussi à l’ordre du jour
avec la dernière loi antiterroriste mais
elle se limite pour l’heure aux sites
faisant l’apologie du « terrorisme »
(notion, il est vrai, passablement
élastique… ). L’énergie déployée par
l’État pour soutenir la désinformation
et réduire l’accès à une information
alternative montre, si besoin était, que
les mots (comme supports des idées) sont
des armes dans les rapports politiques
entre dominants et dominés. Aux mains
des élites mondialistes, ils servent à
la fabrication du consentement et
prêchent la résignation en présentant la
politique actuelle comme la seule
praticable. Aux mains des dominés, ils
sont un outil de réinformation active et
une force émancipatrice.
Les médias, relais du
pouvoir
“Les pensées de la classe
dominante sont aussi, à toutes les
époques, les pensées dominantes,
autrement dit, la classe qui est la
puissance matérielle dominante de la
société est aussi la puissance dominante
spirituelle. La classe qui dispose des
moyens de la production matérielle
dispose, du même coup, des moyens de la
production intellectuelle, si bien que,
l’un dans l’autre, les pensées de ceux à
qui sont refusés les moyens de la
production intellectuelle sont soumises
du même coup à cette classe dominante.
Les pensées dominantes ne sont pas autre
chose que l’expression idéale des
rapports matériels dominants ; elles
sont ces rapports matériels dominants
saisis sous forme d’idées, donc
l’expression des rapports qui font d’une
classe la classe dominante ; autrement
dit, ce sont les idées de sa domination.”
(Karl Marx & Friedrich Engels, Thèses
sur Feuerbach).
Plus d’un siècle et demi plus tard,
ces propos ont conservé leur actualité.
La classe dominante détient les
principaux moyens de communication et de
production de l’information par lesquels
elle impose ses idées au reste de la
société. Les médias les plus influents
sont la propriété des groupes
industriels et financiers liés à
l’appareil d’Etat. Dans l’ensemble des
pays occidentaux, la grande presse
officielle
est aux mains de groupes financiers
qui la contrôlent. A elle seule, la
puissante
Hearst corporation contrôle
aujourd’hui à travers le monde plus
d’une cinquantaine de journaux, une
trentaine de chaînes de télévisions et
300 magazines. En France, nous assistons
ces dernières années à
une concentration croissante des
entreprises de presse et à la
formation de véritables empires chargés
de mettre l’information aux normes de la
pensée dominante.
Mais cette hégémonie est peu à peu
remise en question par le développement
d’une presse alternative, en particulier
sur Internet, incitant le pouvoir
politique à durcir le ton et tenter de
réduire la liberté d’expression et de
consultation de certains sites. Les
dernières lois antiterroristes ont
pour effet sinon pour fonction de
restreindre drastiquement le champ de la
parole contestataire en la criminalisant
partiellement selon le bon vouloir du
pouvoir exécutif (le ministère de
l’Intérieur a déjà bloqué sans
explication ni l’aval d’un juge
près d’une quarantaine de sites Internet/).
Le délit d’opinion est remis au goût du
jour avec la création du délit
d’apologie du terrorisme. Par amalgames
successifs, l’incitation à l’action
violente ou à la subversion radicale
assimilable au terrorisme devient ainsi
passible de 7 ans de prison et 100.000
euros d’amende.
L’invention du complotisme
Mais à la pénalisation pure et
simple, coûteuse politiquement, les
élites mondialistes préfèrent
généralement la technique de dénigrement
des analyses alternatives. Celles-ci
sont qualifiées de complotistes,
conspirationnistes, voire antisémites.
Manuel Valls excelle dans l’art de
discréditer les analyses de ses
interlocuteurs quand elles sont en
désaccord avec la pensée dominante. On
le voit dans
cette vidéo où, par amalgames
successifs, il finit par accuser de
négationnisme des journalistes venus
l’interroger à propos de sa
participation à une réunion du groupe
Bilderberg quelques années auparavant.
La « culpabilité par association »
permet ainsi de discréditer les analyses
d’une personne en lui prêtant des liens
avec quelqu’un d’autre ou en
l’assimilant à un courant de pensée
faisant fonction de repoussoir. Par
exemple, les vrais négationnistes étant
généralement des partisans de la liberté
d’expression intégrale, ce principe
pourtant légitime devient politiquement
indéfendable.
Etienne Chouard ou
Judith Bernard, parmi d’autres, ont
récemment fait les frais de ce procédé
malhonnête.
L’extrême gauche au secours
du capital
Cette stratégie des élites a trouvé
des relais inattendus chez certains
gauchistes qui, sous couvert de vouloir
éradiquer le conspirationnisme, le
complotisme ou le confusionnisme (les
trois termes étant utilisés
indifféremment) tentent de disqualifier
toute analyse critique en rupture avec
l’idéologie officielle. Le site
Confusionnisme info animé par Ornella
Guyet s’est fait le spécialiste de cette
chasse aux sorcières des temps modernes.
Sa rubrique
figures de la confusion livre les
noms de prétendus « rouges-bruns »
accusés de vouloir faire passer en douce
une idéologie (forcément) fascisante
sous une phraséologie de gauche. On y
trouve pêle-mêle, outre
l’auteur de ces lignes, Pierre Rabhi,
Hervé Kempf, Etienne Chouard, Vincent
Lapierre, René Balme, Jean Bricmont,
Michel Collon, Alain Gresh, Frédéric
Lordon, François Ruffin, Pierre Carles…
Beaucoup d’intervenants de la gauche
radicale ou altermondialiste mais pas un
seul fasciste. Pourtant notre continent
n’en manque pas à commencer par ceux
officiant à Kiev. Mais quand Ornella
Guyet prend position dans le dossier
ukrainien… c’est pour s’attaquer
à la presse russophile. Comprenne
qui pourra.
Autre officine gauchiste, les
Morbacks Veners (sic) ont publié
un annuaire (non exhaustif) des sites
conspirationnistes et confusionnistes
à l’intention de ceux qui seraient
tentés de s’informer ailleurs que dans
la presse autorisée (cette liste reprend
d’ailleurs en partie les données de
celle publiée par L’Express). Une
liste de 170 sites généralement
qualifiés d’antisémites (l’accusation
revient dans plus de la moitié des cas)
mais souvent très à gauche (on y trouve
en bonne place celui de Michel Collon ou
du Comité Valmy, Initiative Communiste,
Fakir ou encore Lutte de
classes.org) parfois agrémentée
des coordonnées personnelles (nom,
adresse et numéro de téléphone) de leur
administrateur. Aucun site d’extrême
droite ni aucun blog lié à la presse
dominante mais un éventail de ce que le
monde de l’Internet compte de pensée
critique.
De quoi le complotisme est-il
le nom ?
L’emploi du terme est monté en
puissance après les attentats du 11
septembre pour disqualifier les analyses
remettant en cause la version
officielle. Le site Re-Open 911 est en
bonne place dans la liste des Morbacks
Veners ainsi que dans
le documentaire de Caroline Fourest
consacré aux complotistes. Plus
généralement, le complotisme met en
cause les failles de l’information
officielle, ses zones d’ombre ou ses
lacunes (ce que les medias ne nous
disent pas) ou ses tromperies manifestes
(ce que Michel Collon appelle les
mediamensonges), de façon parfois
brouillonne ou maladroite mais toujours
salutaire car propice au débat. Et le
lecteur reste toujours libre d’opérer un
tri dans la masse des faits, comme
l’évoque
Frédéric Lordon :
« Il suffirait donc parfois d’un
soupçon de charité intellectuelle pour
retenir ce qu’il peut y avoir de fondé
dans certaines thèses immédiatement
disqualifiées sous l’étiquette désormais
infamante de « conspirationnistes »,
écarter leurs égarements explicatifs, et
conserver, quitte à les réagencer
autrement, des faits d’actions
concertées bien réels mais dont la
doctrine néolibérale s’efforce d’opérer
la dénégation« .
Une méthode constructive à l’opposée
des autodafés pratiqués par les antifas.
Le rejet en bloc s’apparente souvent à
une véritable chasse aux sorcières comme
celle à laquelle se livre
l’animateur du site
Gauche de Combat plusieurs fois
dénoncé comme confusionniste par des
sites antifas et qui tente
maladroitement de se refaire une
virginité en balançant le plus de noms
possible. Services rendus qui valent à
notre valeureux gauchiste une brève dans
Confusionnisme info intitulée
Gauche de Combat fait son mea culpa.
(Re)conquérir le pouvoir
médiatique
La parole des dominants ne s’impose
que par la force du système de
domination. Face à ce constat, que faire
? et comment résister à la
désinformation ? Les
techniques de réinformation
existent, il suffit de les mettre en
oeuvre à commencer par se réapproprier
le langage, outil de la pensée. A
l’heure où la propagande se cache sous
la « communication », où les régressions
sociales sont des « réformes », où les
jihadistes oeuvrant sur le territoire
syrien sont des « rebelles », où toute
critique de la politique israélienne est
assimilé à une forme d’antisémitisme, il
est urgent d’appeler les choses par leur
nom. Proscrire évidemment le terme de « complotiste »
ou « conspirationniste » (il est de fait
rarement question de complots ou de
conspirations dans les analyses
auxquelles la presse dominante attribue
ces étiquettes et de toute façon il
existe
des complots avérés) et le remplacer
par « critique de la parole médiatique
officielle » est déjà un minimum.
Ensuite, reconnaître que la
désinformation est avant tout le fait
des medias dominants dont la fonction
est de défendre les intérêts du système
qui les finance, pour en tirer ensuite
toutes les conséquences : puiser sans
retenue dans les medias alternatifs
(indépendants des groupes industriels),
multiplier les sources d’information et
si possible les croiser afin de
s’approcher le plus possible de la
vérité reste le meilleur moyen de
s’affranchir de la parole (et donc de la
pensée) dominante.
Ce travail hors de portée il y a
seulement quinze ans devient aujourd’hui
possible grâce au développement
d’Internet. Espace de contrôle et de
surveillance mais aussi de liberté et de
démocratie,
il rétablit la symétrie de l’information
entre le pouvoir et le peuple en
donnant à n’importe qui la capacité de
s’informer aussi bien qu’un chef d’État
et de se réapproprier un débat confisqué
par les élites ou les « experts » qui
monopolisent l’espace médiatique. Cet
exercice collectif de la pensée critique
est le premier acte de la « dépossession
des dépossédeurs » comme l’écrit
Frédéric Lordon, et un prélude à
l’émancipation sociale et politique. Le
langage construit la pensée et celle-ci
détermine à son tour l’action : en ces
temps d’imposture universelle, dire la
vérité devient un acte révolutionnaire
(George Orwell).
Voir également sur le site de
l'auteur
: un entretien à propos de son dernier
ouvrage « La
République contre les libertés ».
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