Opinion
Montée de la haine anti-Islam :
à qui profite le crime ?
Nicolas Bourgoin
Mercredi 7 janvier 2015
On observe depuis une dizaine
d’années une montée de l’islamophobie en
France et plus généralement dans les
pays occidentaux. Selon
Raphaël Lioger, la « grande
bifurcation » (à partir de laquelle
l’islamisation est posée par les
responsables politiques comme un
problème majeur) a lieu en France en
2003, année de l’intervention américaine
en Irak. C’est à cette période que
naissent l’ensemble des associations
anti-islamisation comme
l’Observatoire de l’islamisation,
le Bloc Identitaire,
Riposte Laïque ou encore Ni
Putes Ni Soumises. C’est aussi en
2003 que François Baroin rendra, à la
demande du Premier Ministre de l’époque,
Jean-Pierre Raffarin, un rapport dans
lequel il propose une nouvelle
conception de la laïcité. Il conduira
au vote de la première loi anti-voile en
mars 2004. Elle sera suivie par d’autres
qui contribueront à exclure les
manifestations visibles de la religion
musulmane d’un nombre croissant de lieux
publics.
La fabrication médiatique du
« problème musulman » – érigé en
« problème de civilisation » par Alain
Finkielkraut – favorise une
libération de la parole raciste et une
stigmatisation des musulmans et de leurs
pratiques religieuses avec
la bénédiction des journalistes du
système. Le
battage médiatique autour du dernier
roman de Michel Houellebecq ouvertement
islamophobe, la complaisance des médias
vis-à-vis des dérapages d’Alain
Finkielkraut, l’islamophobie
déclarée de
certains journalistes ,
l’hostilité rencontrée par un
mouvement qui prône la réconciliation
avec les populations issues de
l’immigration post-coloniale montrent
que la classe politico-médiatique dans
sa majorité encourage le rejet des
musulmans. On peut être surpris de cette
tolérance vis-à-vis d’opinions
discriminatoires et parfois même
racistes surtout au regard de la censure
qui frappe impitoyablement les
critiques, même mesurées, de la
politique israélienne. Deux poids, deux
mesures ? Si l’ostracisation de l’Islam
ne fait aucun doute, reste à en
connaître les raisons. Dès lors, la
question devient : quels bénéfices le
système en place peut-il en tirer ?
La
déferlante anti-Islam en Europe
L’aggravation continue de la crise
économique dans les pays de la zone euro
conduit à une montée en force de
l’extrême droite islamophobe. Des
organisations violemment anti-musulmanes
se multiplient et bénéficient d’une
audience grandissante. L’Allemagne
semble être
particulièrement touchée par cette
déferlante anti-islam avec une
multiplication des manifestations contre
« l’islamisation de l’Occident » sous
l’égide du
mouvement Pegida (Patriotes
Européens contre l’Islamisation et le
Déclin de l’Occident) né en octobre
dernier. Rassemblant à chaque appel
plusieurs milliers de personnes, près de
20.000 à Dresde (ex-RDA) ce lundi 5
janvier,
le mouvement est relativement massif
à l’image du durcissement droitier et
populiste d’une grande partie de la
société d’outre-Rhin.
En Grèce, pays particulièrement
touchée par la crise, la minorité
musulmane est
la cible privilégiée des mouvements
néo-nazis qui prospèrent sur les ruines
de l’État social.
En France, on assiste également à une
montée de l’islamophobie. Des faits
divers comme
l’agression de Créteil ou le
conducteur fou de Dijon,
l’attaque de Joué-les-Tours ou
encore la
fusillade de Charlie-Hebdo (sans
parler de
celle de Bruxelles) sont autant
d’occasions de réactiver le mythe de
l’ennemi intérieur socio-ethnique en
stigmatisant les musulmans. Conséquence
de ces campagnes politico-médiatiques,
une très nette majorité de Français (73
%) ont une image négative de l’Islam,
ce qui n’est pas le cas pour les autres
religions, notamment pour le
judaïsme qui recueille l’agrément des
deux tiers des sondés. Dès lors, on ne
s’étonnera pas de la facilité avec
laquelle le concept « Pegida » a franchi
le Rhin :
une manifestation est appelée le 18
janvier à Paris par Riposte laïque,
Résistance républicaine de Christine
Tasin et la Ligue de Défense Juive pour
« exiger l’expulsion de tous les
islamistes de France ».
Sionisme et
islamophobie
La haine que ces organisations vouent
à l’Islam ne semble avoir d’égal que
leur allégeance au sionisme et à Israël.
Que ce soit en Grande-Bretagne, en
Suède, aux Pays-Bas ou ailleurs en
Europe, il n’est pas rare de voir
fleurir des
drapeaux israéliens dans les
manifestations hostiles à l’Islam.
On peut en effet comprendre que la
politique de colonisation agressive et
d’apartheid que pratique l’entité
sioniste puisse servir de modèle à une
certaine extrême droite. De fait, la
ligne actuelle du Front National ne fait
pas exception : complaisance à l’égard
des mouvements extrémistes juifs
comme la LDJ, combat contre
« l’islamisation de la France » érigé en
cause prioritaire et condamnation
politique de l’antisionisme.
Le choc des
civilisations, nouvelle idéologie
dominante.
Le modèle politique défendu par cette
nouvelle extrême droite correspond trait
pour trait à celui du choc des
civilisations, théorie élaborée par
Samuel Huntington au milieu des années
1990. Prenant acte de la décomposition
de l’Union Soviétique, elle considère
que le conflit civilisationnel fondé sur
le substrat religieux s’est substitué
aux clivages idéologiques qui
organisaient les rapports géopolitiques
entre l’Est et l’Ouest. Selon elle, la
chute du communisme aurait conduit à une
montée des sentiments identitaires,
notamment à un réveil de l’Islam
radical menaçant directement la
civilisation occidentale. Nouvelle
idéologie dominante des élites
mondialistes, cette théorie
néoconservatrice a servi de justificatif
idéologique aux guerres menées par
l’Empire contre les peuples d’Orient.
Prophétie autocréatrice, elle a alimenté
la menace même qu’elle prétendait
combattre, la destruction militaire de
pays comme l’Irak, la Lybie ou la Syrie
provoquant une montée en force du
fondamentalisme djihadiste et justifiant
en retour de nouvelles guerres.
Loin d’être anti-système comme ils
aiment se définir, les mouvements
islamophobes servent donc en réalité les
intérêts de l’oligarchie mondialiste qui
joue sur les conflits communautaires
pour renforcer son pouvoir. Diviser pour
mieux régner est une recette qui
continue tant bien que mal de faire ses
preuves. Le matraquage médiatique
anti-Islam a aussi la vertu de préparer
l’opinion publique à de nouvelles
guerres sous couvert d’éradication du
« terrorisme » avec le coût que cela
suppose : effort de guerre, chaos
géopolitique et surveillance renforcée
des populations. Cerise sur le gâteau,
la propagande islamophobe exonère les
vrais responsables de la crise en
présentant une victime de substitution
qui cumule toutes les qualités du
« bon » bouc émissaire : économiquement
dominé, socialement isolé et
politiquement fragile. Là sont les
vraies raisons de la complaisance des
médias vis-à-vis des opinions
islamophobes que, loin de combattre, ils
encouragent en sous-main. Rappelons que
Marine Le Pen a été, sur un an, la
personnalité
la plus invitée dans les matinales,
ce qui en dit long à la fois sur sa
posture « anti-système » et sur la
moralisme sélectif des médias. Contre
ces tromperies, il faut rappeler une
évidence : le peuple français n’a aucun
intérêt dans une guerre civile,
transposition sur le front intérieur des
guerres de l’Empire, dont seule une
extrême minorité pourrait tirer profit.
Publié le 10 janvier 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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