Opinion
Tuerie de Bruxelles :
quand la créature échappe à ses
créateurs…
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Mercredi 4 juin 2014
Un ex-détenu islamiste et fanatisé, un
"acte terroriste", un lieu symbolique
consacré au judaïsme … la "tuerie de
Bruxelles" tombe à point nommé pour
alimenter les fantasmes d’un Islam
barbare et d’une
montée de l’antisémitisme, et
réactiver la théorie du "choc des
civilisations" chère aux
néo-conservateurs qui nous gouvernent.
Mais derrière l’islamophobie manifeste
des
multiples portraits de Mehdi Nemmouche
dressés par les médias, l’essentiel est
tu : le présumé coupable est un
Français ayant séjourné en Syrie sur le
sol belge. Il a donc sans doute été armé
et entraîné par le gouvernement français
qui soutient activement la rébellion
djihadiste contre Bachar el-Assad. Et
les personnes qui ont péri à Bruxelles
sont en réalité des victimes
collatérales de cette politique
criminelle. Le
"cas Nemmouche" ne sera pas le dernier,
prophétisent certains experts. Cette
tuerie n’est en définitive qu’un
avant-goût de ce qui attend les
occidentaux quand les milliers de
djihadistes européens actuellement en
Syrie seront de retour dans leur pays
d’origine.
La propagande du gouvernement et des
médias français contre Bachar el-Assad a
suscité de nombreuses vocations de
djihadistes parmi les musulmans vivant
en France. Un pic de départ de
combattants français pour la Syrie a été
observé pendant l’été dernier, quand
Laurent Fabius a accusé le régime Syrien
d’avoir utilisé des armes chimiques
contre les rebelles,
information totalement mensongère
mais abondamment relayée par la presse
officielle. Le phénomène continue de
prendre de l’ampleur, et d’autant plus
que le gouvernement ne fait rien pour le
freiner, bien au contraire : pour Manuel
Valls, le combat djihadiste
est juste puisque toutes les grandes
puissances condamnaient les agissements
du régime de Bachar el-Assad et
certaines, dont les
États-Unis et
la France, financent directement le
terrorisme en Syrie. On comprend mieux
la facilité avec laquelle les
terroristes français arrivent à passer
les mailles des services du
renseignement et pourquoi ils ne sont
que très rarement inquiétés à leur
retour en France. De fait, les
combattants djihadistes français sont de
plus en plus nombreux à partir pour la
Syrie et viennent peu à peu s’ajouter
aux
300.000 combattants islamistes étrangers
déjà sur place dont une bonne partie
proviennent de Turquie, de Tunisie et
d’Arabie Saoudite. Si le chiffre des
Français qui combattent sur le sol
syrien est estimé à 250
dont une douzaine de mineurs, une
cinquantaine de plus qu’au mois
d’octobre 2013, le chiffre de ceux qui
ont l’intention de s’y rendre, près de
150, a explosé. En tout, on compte
actuellement
700 Français ou individus résidant en
France recensés et plus ou moins
impliqués par rapport au conflit en
Syrie. Les responsables
anti-terroristes à la DCRI et à la DGSE
considèrent que la fourchette d’âge de
ceux qui partent rejoindre les rangs des
islamistes radicaux s’est resserrée.
Elle se situerait désormais entre 20 et
30 ans et les individus seraient
nettement plus « déterminés »,
en clair : fanatisés. Violents et
bornés, commettant des massacres contre
les civils, voire des
exécutions de masse, ils
sont haïs par la très grande
majorité de la population syrienne.
Leur recrutement est étonnamment
facile : depuis des années, Internet
fait tourner tout un substrat
intellectuel djihadiste où se mélangent
tous les fantasmes, les recettes de
bombe du parfait petit chimiste, la
logorrhée sur le retour à l’âge d’or du
salafisme et la mort en martyr,
rappelle
Alain Chouet, ancien chef du service
de renseignement de sécurité de la DGSE.
Sans pouvoir esquisser avec précision le
portrait-robot des djihadistes, les
experts s’accordent à décrire des jeunes
hommes englués dans des banlieues où ils
nourrissent un profond malaise
facilement exploitable par les
islamistes. Avec Internet, n’importe
quel individu peut avoir un accès direct
à des scènes de guerre plus ou moins
authentifiées et qui frappent les
esprits les plus manipulables,
précise Haoues
Seniguer, chercheur associé au
Groupe de recherches et d’études sur la
Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo).
Quand l’ensemble est combiné à un
discours d’endoctrinement et de
légitimation, les internautes privés de
recul critique sont tentés de franchir
le Rubicon. Pour les
volontaires mus par le romantisme des
“brigades internationales”, la Syrie est
un formidable déclencheur. La
destination est facile: il suffit de
prendre un bus à la porte de Bagnolet à
destination d’Istanbul, où les Européens
ne sont pas astreints à visas, avant de
rejoindre la frontière syro-turque et
les nombreuses infrastructures mises en
place par les rebelles.
Nul besoin de financement important.
Les coûts de transport et de logement
sont modiques. Et si le candidat est
vraiment sans le sou, il pourra toujours
se faire financer son escapade par les
"associations humanitaires" qui servent
de "couvertures"
à ce genre d’expédition.
Les
djihadistes, alliés objectifs de la
diplomatie occidentale
Selon nos services de
renseignements, précise
Alain Marsaud, député et ancien juge
antiterroriste, il apparaît qu’il
est impossible de mettre en œuvre
quelque mesure coercitive que ce soit ou
procédure pénale à l’encontre des
djihadistes de nationalité française
s’étant rendus en Syrie pour mener des
actions violentes. En effet, lorsque ces
djihadistes reviennent en France, ils ne
peuvent être interpellés, mis en garde à
vue, ni éventuellement mis en examen,
car il est considéré qu’ils agissent
dans le cadre d’une action, certes
violente, mais dans la droite ligne de
la diplomatie française. Ils sont en
quelque sorte des “collaborateurs
occasionnels du service public”. Malgré
ma demande, la Ministre de la
Justice refuse de modifier la
législation. Le gouvernement britannique
vient d’annoncer qu’il retirerait la
nationalité britannique à ces
djihadistes qui possèdent la double
nationalité. Le ministre de l’Intérieur
pourrait démontrer sa réelle
détermination en prenant une mesure
identique.
La position diplomatique de la France,
qui soutient l’Armée Syrienne Libre
(ASL) alliée aux terroristes combattus
par la France au Mali, ne permet pas de
poursuivre ces individus pour des actes
terroristes commis à l’étranger mais
seulement pour « association de
malfaiteurs en vue de la préparation
d’actes de terrorisme ». Certains
candidats au djihad avaient commis des
vols à main armée pour tenter de
financer leur voyage et sont maintenant
sous les verrous. Mais ils ne
représentent qu’une infime minorité de
ceux qui sont tentés par l’aventure
syrienne.
Attendre la
fin des djihadistes ?
En restant passif face aux
djihadistes, le gouvernement fait d’une
pierre deux coups. Tout en continuant
d’armer
les insurgés syriens, il laisse nos
terroristes déstabiliser encore un peu
plus la Syrie afin de précipiter la
chute de Bachar el-Assad et la
liquidation du dernier État laïque au
Moyen Orient, servant ainsi les intérêts
d’Israël et de ses alliés saoudiens. Et
il se débarrasse de fanatiques, bien
encombrants en France, en les envoyant
ailleurs et en espérant ne jamais les
revoir. Si le gouvernement peut
s’inquiéter, en effet, c’est surtout du
retour de ces terroristes. Pour
l’instant, les services de renseignement
ne sont pas encore en alerte rouge car
la plupart des djihadistes français sont
encore dans le sens du départ et
seulement un peu moins d’une centaine
sont déjà revenus.
Un projet imminent d’attentat sur la
Côte d’Azur, préparé par un homme de
retour du djihad en Syrie, a
heureusement été déjoué par les services
antiterroristes français mais le tueur
de Bruxelles est passé à travers les
mailles des services de renseignement.
Et le phénomène ne peut que s’amplifier,
surtout si Bachar el-Assad sort
victorieux de la guerre, et ce sera
alors "retour à l’envoyeur" : Les
250 combattants volontaires reviendront
vers la France amers et assoiffés de
vengeance, accablant les Occidentaux de
tous les maux, dont celui de ne pas être
intervenus militairement à Damas,
prophétise un expert de la région.
Considérant qu’il faut mobiliser quinze
personnes pour suivre un suspect
24 heures sur 24, les 3000
fonctionnaires français du
contre-espionnage y suffiraient à peine.
Les défaillances policières dans
le suivi de Merah
avant les tueries de Toulouse et
Montauban rappellent à quel point la
surveillance des djihadistes est
délicate.
Les services de renseignement
comptent-ils alors sur leur disparition
pure et simple, comme
le jeune djihadiste français de 23 ans
qui avait rejoint le Front Al-Nosra,
branche officielle d’Al-Qaida dans le
pays et tué en Syrie il y a deux mois
ainsi que tous ceux qui sont utilisés
pour des missions kamikazes par les
groupes islamistes radicaux en Syrie ?
Mais la vingtaine de djihadistes
français tués en Syrie a déjà été
remplacée par le flot incessant de
nouveaux volontaires et la menace croît
chaque jour. Une fois qu’elle aura
terminé de se battre en Syrie, une grand
partie de l’armée supplétive des
dijahidistes poursuivra ses combats sur
le sol Français.
Publié le 5 juin 2014 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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