Agence Média
Palestine
BDS : comment un mouvement non-violent
controversé
a transformé le débat
israélo-palestinien
Nathan Thrall
Campagne
d’affichage contre Israël à Londres en
2017. Photo Alamy Stock Photo
Jeudi 23 août 2018
Aux yeux d’Israël, la campagne
internationale de boycott représente une
menace existentielle pour l’État juif.
Les Palestiniens la considèrent comme
leur ultime recours.
Nathan Thrall pour
The Guardian, 14 août 2018
Le mouvement pour
le boycott, le désinvestissement et les
sanctions contre Israël – connu sous le
nom de BDS – semble rendre le monde un
peu fou. Depuis sa fondation il y a 13
ans, il s’est fait presque autant
d’ennemis que les Israéliens ajoutés aux
Palestiniens. Il a entravé les efforts
des États arabes pour revenir
complètement sur le boycottage qu’ils
pratiquent depuis des décennies et
s’engager dans une coopération de plus
en plus ouverte avec
Israël. Il a fait honte au
gouvernement de l’Autorité palestinienne
à Ramallah en dénonçant sa collaboration
dans les domaines de l’économie et de la
sécurité avec l’armée d’Israël et son
administration militaire. Il a dérangé
l’Organisation de libération de la
Palestine en empiétant sur sa position
de défenseur et de représentant
internationalement reconnu des
Palestiniens du monde entier.
Il a mis en rage le
gouvernement israélien en le plaçant en
position de pestiféré auprès des
libéraux et des progressistes. Il a
exaspéré les vestiges du camp de la paix
israélien en détournant les Palestiniens
de la lutte contre l’occupation pour les
inciter à la lutte anti-apartheid. Il a
suscité une telle contre-campagne
anti-démocratique de la part du
gouvernement israélien qu’il a poussé
les libéraux israéliens à craindre pour
l’avenir de son pays. Et il a valu de
graves maux de tête aux gouvernements
bailleurs de fonds des Palestiniens en
Europe, auprès de qui Israël fait
pression afin qu’ils ne s’associent pas
à des organismes des
territoires palestiniens soutenant
le BDS, demande impossible à satisfaire
étant donné que presque tous les groupes
importants de la société civile à Gaza
et en Cisjordanie soutiennent le
mouvement.
À une époque qui
met en avant la responsabilité sociale
des entreprises, le BDS a fait une
publicité négative à de grandes
entreprises liées à l’occupation
israélienne (Airbnb,
Re/Max,
HP) et a contribué à faire partir de
Cisjordanie d’autres sociétés
importantes. Il a perturbé des festivals
de cinéma, des concerts, des expositions
partout dans le monde. Il a agacé des
organismes universitaires ou sportifs en
leur imposant un choix politique,
exigeant qu’ils prennent position sur ce
conflit particulièrement clivant. Il a
fâché des acteurs et artistes
palestiniens qui collaborent avec des
institutions israéliennes, en les
accusant d’assurer une couverture
palestinienne aux violations des droits
humains commises par Israël.
Au Royaume-Uni, BDS
a provoqué des remous dans les instances
judiciaires et les collectivités
locales, les impliquant dans des litiges
sur le caractère légal des boycotts
locaux de marchandises produites dans
les colonies. Aux États-Unis, BDS a
conduit une bonne vingtaine d’États à
adopter des lois ou à prendre des
décrets pénalisant ou criminalisant
celles et ceux qui boycottent Israël ou
ses colonies, et le résultat est de
mettre aux prises partisans d’Israël et
défenseurs de la liberté d’expression,
notamment l’American Civil Liberties
Union. Des débats se sont déclenchés au
sein d’églises protestantes des
États-Unis, et certaines grandes églises
se sont dessaisies de leurs
investissements dans des sociétés qui
profitent de l’occupation israélienne.
Le BDS est devenu un souci lancinant
pour les administrateurs universitaires,
forcés d’arbitrer entre les professeurs
et étudiants qui soutiennent le BDS et
se plaignent que leur liberté de parole
ait été réprimée, et les enseignants,
donateurs et étudiants sionistes qui
affirment que leur campus n’est plus un
espace « sûr ». Il a agi sur les
libéraux dans le sens d’un soutien plus
fort aux Palestiniens, faisant d’Israël
un enjeu de plus en plus partisan aux
États-Unis, moins lié aux Démocrates et
aux progressistes qu’à Trump, aux
évangéliques et à l’extrême-droite.
Dans la diaspora
juive, le BDS a créé de nouveaux
schismes au centre-gauche, pris en étau
d’un côté par le gouvernement israélien
de droite et favorable aux colonies et,
de l’autre, la gauche non sioniste. Il a
incité les sionistes libéraux à se
demander pourquoi ils acceptent parfois
le boycott des produits des colonies
mais pas le boycott de l’État qui crée
celles-ci et les soutient. Il a forcé
les soutiens d’Israël les plus critiques
à justifier leur opposition à des formes
non violentes de pression sur Israël,
sachant que l’absence de véritable
pression n’a en rien permis de mettre
fin à l’occupation ou à l’extension des
colonies. À cause du BDS, les sionistes
libéraux ont été forcés de défendre leur
soutien non pas à un idéal abstrait, à
leur espoir de ce qu’Israël pourrait
devenir un jour, mais aux pratiques
réelles et de longue date de l’État, à
savoir l’expropriation de terres
palestiniennes au profit de colonies
juives ; la détention de centaines de
Palestiniens sans inculpation ni
jugement ; la punition collective
infligée à deux millions de Gazaouis qui
subissent le blocus depuis plus d’une
décennie ; et l’inégalité
institutionnalisée ente les citoyens
juifs et palestiniens d’Israël. Le BDS a
privé les partisans libéraux d’Israël de
la justification selon laquelle les
pratiques non démocratiques de l’État
seraient à imputer à une occupation
aberrante ou à des gouvernements de
droite.
Le point le plus
important est peut-être que le BDS a
ébranlé le consensus de la communauté
internationale relatif aux deux États.
Ce faisant il a perturbé tout l’édifice
professionnel des organisations sans but
lucratif, des missions diplomatiques et
des groupes d’experts, lequel s’appuie
sur le processus de paix au
Moyen-Orient, en réfutant leur
présupposé principal – il suffirait,
pour résoudre le conflit, de mettre fin
à l’occupation par Israël de Gaza, de
Jérusalem-Est et du reste de la
Cisjordanie, sans tenir compte des
droits des citoyens palestiniens
d’Israël et des réfugiés.
Pour de nombreux
Juifs de la diaspora, le BDS est devenu
un symbole du mal et une source
d’effroi, une force néfaste qui
transforme le débat israélo-palestinien,
d’une négociation sur la fin de
l’occupation et le partage du
territoire, en litige sur les racines
anciennes et profondes du conflit : le
déplacement originel de la plupart des
Palestiniens et, sur les ruines de leurs
villages conquis, l’instauration d’un
État juif. L’apparition du mouvement BDS
a fait ressurgir des questions anciennes
sur la légitimité du sionisme, comment
justifier le traitement privilégié des
droits des Juifs au regard de ceux des
non-Juifs, et pourquoi les réfugiés
peuvent rentrer chez eux dans le cas
d’autres conflits mais pas de celui-ci.
Par-dessus tout, il a mis en lumière un
problème gênant qui ne peut pas être
négligé indéfiniment : Israël, même s’il
devait cesser l’occupation de la
Cisjordanie et de Gaza, peut-il être à
la fois une démocratie et un État juif ?
Dans la vieille
ville de Bethléem, dans une ruelle
bordée d’arcades près du souk et de la
place de la Crèche, se dresse un
bâtiment ancien en pierre calcaire où se
trouve aujourd’hui le siège du Holy Land
Trust, organisation palestinienne qui se
consacre à la résistance non violente au
pouvoir israélien. Sami Awad, le
fondateur de cette association sans but
lucratif, a un bureau au dernier étage ;
les étagères sont garnies de livres dont
les auteurs sont de grands théoriciens
et praticiens de la protestation et de
la désobéissance civile : Gene Sharp, le
Mahatma Gandhi, Nelson Mandela et Martin
Luther King Jr, qui occupent tous une
place importante dans son enseignement,
ses écrits et même sa conversation
familière.
Sami Awad rencontre
souvent des délégations de Juifs
israéliens et américains ; à la
différence de nombreux militants
palestiniens, il aborde sans inhibition
la question du lien des Juifs avec ce
pays : « Je peux le nier jusqu’à la fin
des temps. Mais ce lien est très profond
et très affectif ». En même temps, il
parle avec franchise de l’occupation et
du racisme, et il affirme qu’Israël
n’accordera la liberté aux Palestiniens
que sous la contrainte. « Aucun groupe
d’oppresseurs ne décide spontanément
d’adopter une attitude correcte et de
changer de comportement », m’a-t-il dit.
« Il faut qu’il se passe quelque chose :
militantisme, résistance, boycott. »
Les Juifs et les
Arabes se boycottent mutuellement depuis
les premiers jours du sionisme. Dans les
décennies qui ont précédé la fondation
d’Israël, le courant dominant du
mouvement sioniste a fait campagne pour
le boycott des travailleurs arabes, le
refus des produits arabes, l’exclusion
des Arabes des zones d’habitation
réservées aux Juifs et l’interdiction
aux Arabes d’acheter des terres
appartenant à des Juifs. Le cinquième
congrès des Arabes de Palestine a lancé
un appel au boycott des marchandises
juives en 1922. Après qu’Israël a occupé
la Cisjordanie et Gaza en 1967, les
avocats palestiniens ont boycotté les
tribunaux israéliens et les enseignants
se sont mis en grève avec le slogan
« Pas d’éducation sous l’occupation ».
Israël a riposté à ces actions de
désobéissance civile, et à quelques
autres, en procédant à des arrestations,
en imposant des amendes, en restreignant
les déplacements, en fermant les
commerces, en instaurant le couvre-feu
et en
expulsant des enseignants, des
avocats, des maires et des présidents
d’université.
L’oncle de Sami,
Mubarak Awad, était un pionnier de la
résistance non violente palestinienne
dans les années 1980 : Mubarak
encourageait les Palestiniens à renvoyer
les factures écrites uniquement en
hébreu, à refuser les citations à
comparaître et à faire flotter le
drapeau palestinien, un motif
d’arrestation. Inspiré par Gandhi et son
boycott des textiles britanniques, il
préconisait le remplacement des produits
israéliens par des produits
palestiniens.
Mais ce n’est pas
avant la première intifada, le
soulèvement populaire contre
l’occupation qui débuta en 1987, que le
programme soutenu par Mubarak Awad et
bien d’autres a la possibilité de
s’exprimer pleinement. Les tactiques
qu’il a défendues dans de petites salles
de classe et des revues universitaires
sont alors largement mises en
application par un mouvement populaire
appuyé par les grands partis
politiques : les consommateurs
boycottent les marchandises et services
israéliens, les travailleurs employés
par des firmes israéliennes cessent le
travail, les commerces ferment leur
porte à l’unisson, les clients retirent
leurs fonds des banques israéliennes,
les habitants refusent de payer les
taxes et la plupart des percepteurs et
des policiers palestiniens
démissionnent. La Banque d’Israël
annonce que le boycott palestinien a
coûté 650 millions de dollars US (soit,
aujourd’hui, 1,4 milliards de dollars
US) au cours de la seule première année
du soulèvement. Mubarak Awad est inculpé
pour avoir « fomenté une rébellion
contre l’État » ; à l’instar de dizaines
d’autres personnes, Israël l’expulse
pendant la première année de l’intifada.
Les parents de Sami
Awad l’ont envoyé au Kansas pour qu’il y
poursuive ses études. Quand il revient à
Bethléem en 1996, la ville a été
transformée par le processus de paix
d’Oslo. Des dizaines de milliers de
responsables et de combattants de l’OLP
ont quitté leur exil dans différents
pays arabes pour rejoindre la
Cisjordanie et Gaza, et occupent
maintenant des postes de fonctionnaires
dans l’administration palestinienne
nouvellement mise en place. La culture
de résistance a laissé place à celle de
la coexistence. Une industrie de la paix
prospère, à mesure que les fonds
étrangers affluent pour financer les
groupes de dialogue, les ONG et les
initiatives « de peuple à peuple ». Sami
Awad, comme la plupart des Palestiniens,
pense avec optimisme que la paix est à
l’horizon.
En l’espace de deux
ans, son optimisme s’affaiblit.
L’administration palestinienne
émergente, mise en place à la suite de
l’accord d’Oslo de 1993, ne ressemble
guère à une démocratie en plein essor
destinée à construire un pays
indépendant en Cisjordanie et à Gaza
mais plutôt à l’embryon d’un État
policier. Il entend sans cesse des
discours sur la paix et la coexistence
mais, sur le terrain, il voit croître la
ségrégation et les restrictions à sa
propre liberté. Les zones autonomes
palestiniennes en Cisjordanie sont de
petites îles sans lien entre elles, au
nombre de 165, entourées d’un océan de
territoires contrôlés par Israël. Au
sein de cet océan – 60 % de la
Cisjordanie, échappant à l’autorité du
gouvernement palestinien – Israël
confisque des terres pour les coloniser,
démolit des bâtiments palestiniens et
accorde des avantages financiers pour
encourager la population de colons à
croître. Si Oslo est la voie à suivre en
vue d’une solution à deux États, Sami
Awad commence à se demander s’il a
vraiment envie de parvenir à cette
destination.
En septembre 2000,
lorsque se déclenche la deuxième
intifada, marquée par des attentats
suicides palestiniens et des invasions
et attaques de missiles israéliennes,
les activités de groupes comme Holy Land
Trust, axées sur le dialogue et la
construction de la paix, s’interrompent.
Sami Awad se centre sur la résistance
non violente, qui, à l’époque, n’est ni
populaire ni simple. C’est la période la
plus sanglante des affrontements
israélo-palestiniens depuis la guerre de
1948. Plus de 3000 Palestiniens et de
1000 Israéliens sont tués. La
militarisation de l’intifada a rendu
dangereuse toute opposition à Israël,
même pacifique.
Pourtant Sami Awad
et d’autres militants parviennent alors
à dégager un petit espace pour la
résistance non violente. Il manifeste
contre la confiscation des terres en
Cisjordanie et, après 2002, contre la
construction de ce que les Israéliens
dénomment la barrière de sécurité, alors
que les Palestiniens en sont venus à le
désigner sous le nom de mur de
l’apartheid. La barrière – où alternent
des dalles de béton de huit mètres de
haut, des palissades et du fil barbelé –
traverse la Cisjordanie et Jérusalem,
séparant les Palestiniens les uns des
autres et les paysans de leur terre. De
facto, la barrière annexe à Israël
presque 10 % de la Cisjordanie. Dans
Jérusalem-Est occupé, environ un tiers
des résidents palestiniens sont confinés
par ce mur qui les coupe de leur école,
de leur hôpital, de leur lieu de
travail. À 4 ou 5 heures du matin, on
voit des foules denses d’habitants de
Jérusalem ou de la Cisjordanie, massés
comme du bétail, avancer petit à petit
dans les cages des checkpoints pour
passer de l’autre côté du mur.
Manifestations
contre Israël au Cap, en Afrique du Sud,
en mai 2018. Photo Nic Bothma/EPA
À mesure que la
violence de la deuxième intifada
s’accroît, une campagne de solidarité
internationale avec les Palestiniens se
développe. Au cours des premiers mois du
soulèvement, des étudiants de
l’Université de Californie à Berkeley
installent de faux checkpoints et
brandissent des banderoles appelant à
« Désinvestir de l’apartheid
israélien ». En 2002, le corps
enseignant de Harvard signe une pétition
favorable au désinvestissement. À
Durban, en Afrique du Sud, parallèlement
à une conférence mondiale contre le
racisme parrainée par l’ONU et
conflictuelle, les représentants de
quelque 3000 ONG appellent la communauté
internationale à « imposer une politique
d’isolement complet et total d’Israël en
tant qu’État d’apartheid ». Les
campagnes de boycott et de
désinvestissement s’étendent dans les
campus des États-Unis, du Royaume-Uni et
de divers pays d’Europe, obtenant le
soutien de plusieurs universitaires
israéliens et d’un grand nombre de
Palestiniens.
En Cisjordanie et à
Gaza, des militants internationaux et
israéliens affluent pour proposer leur
soutien. Leur présence incite l’armée
israélienne à agir de manière plus
prudente, ce qui procure une certaine
protection aux manifestants
palestiniens. Sami Awad s’associe
toujours à des Israéliens, mais il
affirme maintenant que les bases de la
coopération ne doivent pas être la
coexistence mais la co-résistance, les
Palestiniens assurant la direction du
mouvement. Il reçoit des gaz
lacrymogènes, se fait frapper et placer
en détention en compagnie de membres de
groupes d’action directe comme
l’International Solidarity Movement, les
Christian Peacemaker Teams et les
Anarchists Against the Wall (Anarchistes
contre le mur), dont les chefs de file
sont israéliens.
Après avoir passé
une semaine ou davantage parmi des
villageois palestiniens, les militants
étrangers repartent dans leur
université, leur groupe paroissial ou
leur syndicat, où ils expliquent qu’il
existe un mouvement peu connu de
résistance palestinienne non violente et
qu’il est possible de le soutenir par le
désinvestissement et le boycott. Le
premier désinvestissement d’un
établissement d’enseignement supérieur
américain, Hampshire College – qui est
aussi le premier établissement américain
à avoir retiré ses investissements
d’Afrique du Sud – est impulsé par un
étudiant israélien appelé Matan Cohen,
blessé à l’œil à l’âge de 17 ans par un
tir de l’armée israélienne lors d’une
manifestation contre la barrière de
séparation. Le militantisme non violent
de la deuxième intifada préfigure la
campagne de boycott qui va s’étendre au
monde entier.
Le mouvement
Boycott, Désinvestissement et Sanctions
est fondé le 9 juillet 2005 avec une
déclaration de principes connue sous le
nom d’Appel au BDS. C’est en quelque
sorte un dernier recours. La défaite
militaire de la deuxième intifada a
broyé les Palestiniens. Yasser Arafat,
symbole du mouvement national
palestinien, est mort. Son successeur
récemment mis en place, Mahmoud Abbas,
incarne le processus de paix d’Oslo plus
que tout autre Palestinien. Bien que la
politique impulsée par Abbas semble
déboucher sur un répit dans la violence,
elle promet également un retour à une
stratégie de diplomatie et de
coopération qui n’a pas fait grand-chose
pur mettre fin à l’occupation. Si une
pression doit s’exercer sur Israël afin
qu’il accorde la liberté aux
Palestiniens, elle va devoir venir de la
base et du dehors.
L’appel au BDS est
lancé lors du premier anniversaire d’un
avis consultatif historique de la Cour
internationale de Justice. La Cour
déclare le 9 juillet 2004 que la
construction du mur de séparation par
Israël est contraire au droit
international, qu’Israël est tenu de le
démanteler « immédiatement », qu’il est
dans I ‘obligation de réparer tous les
dommages causés par la construction du
mur dans le territoire palestinien
occupé, et que tous les États parties à
la quatrième convention de Genève – ce
qui veut dire pratiquement tous les
États du monde – ont l’obligation, de
faire respecter par Israël le droit
international humanitaire. Mais Israël
ne tient aucun compte de cet avis, et ni
l’OLP ni la communauté internationale ne
s’efforcent sérieusement de veiller à
l’application des conclusions de la
Cour. « Si la communauté internationale
avait mené une action pour faire en
sorte que la décision de la CIJ soit
appliquée », m’a dit Ingrid Jaradat,
membre fondateur de la campagne du BDS,
« il n’y aurait pas eu d’appel au BDS. »
Plus de 170
organisations palestiniennes des
territoires occupés, d’Israël et de la
diaspora souscrivent à l’appel au BDS.
Elles se situent sur l’ensemble de
l’échiquier politique – de la gauche aux
islamistes, des partisans de la solution
à deux États à ceux qui favorisent
l’État unique. Elles comportent les
Forces nationales et islamiques en
Palestine – l’instance de coordination
dont relèvent tous les partis politiques
importants – ainsi que les grands
syndicats, les comités des camps de
réfugiés, les associations de
prisonniers, les centres artistiques et
culturels et les groupes de résistance
non violente, parmi lesquels le Holy
Land Trust de Sami Awad. Vingt-neuf de
ces entités forment aujourd’hui le
Comité national du BDS (BDS National
Committee, BNC), un conseil de
direction.
L’innovation
principale de l’appel au BDS ne réside
pas dans les tactiques qu’il préconise :
les campagnes de boycott et de
désinvestissement sont déjà très
présentes en 2005, et même les sanctions
et embargos sur les armes ont été
proposés antérieurement, y compris par
l’Assemblée générale de l’ONU. Ce que le
BDS a de nouveau, c’est qu’il reprend
des campagnes disparates visant à faire
pression sur Israël et qu’il les unit
autour de trois exigences claires, dont
chacune correspond à une des grandes
composantes du peuple palestinien.
Premièrement, la liberté pour les
résidents des territoires occupés;
deuxièmement, l’égalité pour les
citoyens palestiniens d’Israël;
troisièmement, la justice pour les
réfugiés palestiniens de la diaspora –
le groupe le plus nombreux – y compris
le droit au retour dans leur foyer.
L’appel au BDS est
un défi pour Israël, mais aussi pour les
dirigeants palestiniens. Il représente
une reformulation conceptuelle du combat
national, plus proche des positions
originelles de l’OLP – avant que la
défaite militaire, la pression
internationale et le pragmatisme
politique ne la forcent à abandonner
l’objectif d’un État démocratique
unique, pour consentir à la place à un
compromis à deux États. Les puissances
mondiales ont présenté la solution à
deux États comme un cadeau aux
Palestiniens. Mais aux yeux des
Palestiniens, c’est évidemment un cadeau
pour Israël, car ils voient que le
peuple indigène doit renoncer à 78 % de
ses terres. Les Arabes constituaient
plus de 90 % de la population aux
premiers jours du sionisme, à la fin du
19e siècle, et plus des deux
tiers en 1948, avant la guerre
d’indépendance d’Israël. Cette année-là,
80 % des habitants palestiniens du
territoire qui allait devenir Israël ont
été forcés de le quitter ; ils ont
ensuite été empêchés de revenir dans
leurs foyers. L’OLP est fondée environ
16 ans après, en 1964, avant qu’il
existe une occupation israélienne de la
Cisjordanie et de Gaza. C’est la
libération de la patrie toute entière et
le retour de ses habitants originels qui
constitue l’objectif central de
la cause palestinienne.
Cependant, lors de
la première intifada et de l’accord
d’Oslo de 1993 qui met fin à ce
soulèvement, de nombreux Palestiniens
sont prêts à accepter la formule à deux
États, non qu’elle leur paraisse
équitable, mais parce que c’est ce
qu’ils peuvent espérer de mieux à ce
moment-là. Mais à mesure que les détails
des différentes propositions de paix se
font jour, on commence à sentir que cet
accord a quelque chose de pourri. Les
Palestiniens vont devoir renoncer à 78 %
de leur pays d’origine, mais aussi aux
terres occupées par d’importantes
colonies israéliennes à l’intérieur des
territoires occupés. Ils auront à
renoncer à toute souveraineté dans de
grandes parties de Jérusalem-Est
occupée, leur future capitale, et de la
Vieille Ville entièrement intégrée à ce
secteur. Ils devront accepter qu’aucun
traité de paix ne puisse autoriser le
retour chez eux de la plupart des
réfugiés,
contrairement aux dispositions de la
plupart des autres accords de paix
signés depuis que les Israéliens et les
Palestiniens ont négocié un projet
d’accord final en 1995. Ils vont devoir
renoncer à toute revendication à l’égard
d’Israël – et notamment à toute exigence
de droits égaux pour les citoyens
palestiniens de cet État, qui
constituent alors plus d’un cinquième de
sa population. En échange ils
obtiendront un État de Cisjordanie-Gaza
que les Premiers ministres israéliens,
de Yitzhak Rabin à Benjamin Netanyahu,
décrivent comme un « État diminué » ou
« une entité qui est moins qu’un État ».
Au cours des
négociations avec Israël, l’OLP accepte
toutes ces concessions, alors même que
pour la plupart, voire dans leur
ensemble, elles ne sont pas conformes au
droit international. Lorsque ces
compromis eux-mêmes s’avèrent
insuffisants pour obtenir qu’il soit mis
fin à l’occupation, un nombre croissant
de Palestiniens commence à se détourner
de la notion de deux États. Ce n’est pas
seulement que le compromis originel sur
les deux États s’est dégradé au point
d’être méconnaissable. En réalité, même
la version miniaturisée donne maintenant
l’impression d’un mirage.
Lorsqu’est lancé
l’appel au BDS, l’occupation de la
Cisjordanie et de Gaza dure depuis un
peu moins de quatre décennies, et rien
n’indique qu’elle pourrait cesser. Le
nombre de colons a presque doublé depuis
Oslo, atteignant
presque un demi-million en 2005. Ils
sont nombreux à vivre non pas dans des
caravanes parquées au sommet des
collines, mais dans des villes équipées
de centres commerciaux, de jardins
publics, de piscines et de voies
autoroutières qui les relient sans
discontinuité à Israël. L’idée d’évacuer
ne serait-ce qu’un tiers de cette
population qui ne cesse de croître
semble de moins en moins plausible. Les
États-Unis et les autres puissances se
contentent de faibles réprimandes. Tous
promettent aux Palestiniens que la
situation prendra bientôt fin avec la
fondation d’un État indépendant.
Au fil du temps, la
solution à deux États devient un slogan
vidé de son sens. Moins il semble
plausible, plus il est lancé avec force.
Mais tant qu’il reste imaginable, les
grandes puissances mondiales refusent
d’exiger qu’Israël accorde aux
Palestiniens la citoyenneté et l’égalité
des droits. Le concept de deux États
cesse ainsi d’être une solution possible
à l’occupation israélienne pour devenir
le prétexte principal permettant de
priver les Palestiniens d’égalité. C’est
aussi l’argument n° 1 pour maintenir en
exil la majorité des Palestiniens : afin
d’assurer le maintien d’une majorité
juive en Israël, les réfugiés doivent
continuer à languir dans des camps hors
des frontières d’Israël jusqu’au jour où
un État palestinien pourra les absorber.
Le mouvement du BDS
offre une alternative. Il refuse les
débats sur des solutions fictives, qu’il
s’agisse de deux États ou d’un seul. À
ses yeux, le problème fondamental ne
porte pas sur le type de dispositif qui
doit remplacer le système actuel ; le
problème, c’est de forcer Israël à le
changer. Les discussions qui opposent
les deux États et l’État unique sont
byzantines, tant que l’occupation
perpétuelle convient mieux à Israël que
l’une ou l’autre de ces solutions.
La riposte d’Israël
au BDS met longtemps à venir, mais
lorsqu’elle se produit elle prend une
forme percutante. Yossi Kuperwasser,
surnommé Kuper, a mené les actions du
gouvernement israélien contre le
mouvement du BDS jusqu’en 2014. Il
travaille maintenant pour le Jerusalem
Center for Public Affairs, groupe de
réflexion conservateur dirigé par Dore
Gold, ancien ambassadeur israélien à
l’ONU et confident de longue date du
Premier Ministre israélien Benjamin
Netanyahu. Kuperwasser, qui a une coupe
de cheveux en brosse plutôt juvénile,
une grosse voix et l’habitude
israélienne de combler les pauses en
grommelant « ehh », est un interlocuteur
affable et véhément. Il parle bien
l’arabe, de même que sa femme Tsionit
(« sioniste » en hébreu), née en Israël
de parents juifs irakiens. Kuper était à
la tête de la division prestigieuse du
renseignement militaire chargée de la
recherche au cours de la deuxième
intifada, et a été nommé directeur
général du ministère des Affaires
stratégiques en 2009.
C’est Kuperwasser
qui a fait de ce ministère le centre de
commandement israélien de ce qu’il
appelle la bataille contre le BDS. Il
s’engage dans cette tâche juste après la
guerre de 2008-2009 contre Gaza, où le
décompte des morts s’élève à
13 Israéliens et environ 1400
Palestiniens, ce qui accroît fortement
l’activité du BDS. En septembre 2009, la
réputation internationale d’Israël se
voit infliger un coup sévère par le
rapport de l’ONU sur la guerre, rédigé
par une mission d’établissement des
faits dirigée par Richard Goldstone,
éminent juriste sud-africain. Ses
conclusions sont les suivantes : Israël
et des groupes armés palestiniens ont
commis des crimes de guerre, et Israël a
mené des « attaques délibérées contre la
population civile » dans le but de
« semer la terreur ». Le rapport établit
également que le blocus persistant de
Gaza – « les divers actes qui privent
les Palestiniens … de moyens de
subsistance, de travail, de logement et
d’eau, qui dénient leur liberté de
circulation et leur droit de quitter
leur propre pays et d’y entrer » – peut
constituer un crime contre l’humanité.
Selon Kuperwasser,
le rapport Goldstone a été le premier
élément qui a alerté Israël sur la
gravité de la menace liée à ce que cet
État appelle la « délégitimisation ».
Fin 2009, Netanyahu présente la
délégitimisation comme une des trois
menaces fondamentales contre Israël, aux
côtés du programme nucléaire iranien et
de la prolifération de roquettes et de
missiles à Gaza et au Liban. Depuis
lors, il est devenu fréquent d’entendre
des politiciens israéliens de haut
niveau qualifier le BDS et la
délégitimisation de menace
« existentielle » ou « stratégique ».
Certains
commentateurs israéliens de
centre-gauche, tous opposés au BDS, ont
pourtant une vision assez cynique de la
campagne internationale menée par le
gouvernement contre le BDS. Ils pensent
qu’elle a pour moteur essentiel la
politique intérieure. Ils soulignent que
depuis la fondation du BDS, il y a 13
ans, le commerce d’Israël avec le monde
extérieur s’est en fait accru ; ses
relations diplomatiques avec l’Inde, la
Chine, les États africains et même le
monde arabe se sont développées. De
nombreux commentateurs en vue
estiment que le mouvement du BDS et
les politiciens israéliens de gauche ou
de droite opèrent une symbiose : la
gauche israélienne présente comme une
menace le « tsunami diplomatique »
international que le BDS et la
délégitimisation va créer contre
Israël ; la droite israélienne profère
comme d’habitude des discours alarmistes
sur les menaces extérieures pour
mobiliser les soutiens à domicile et à
l’étranger. Pendant ce temps, le
mouvement du BDS met en lumière toutes
les déclarations israéliennes excessives
pour mieux affirmer son propre succès.
Kuperwasser affirme
cependant que la menace représentée par
le BDS est bien réelle et qu’il n’est
pas judicieux de l’ignorer ou d’y voir
un simple désagrément : « Jusqu’en 2010,
nous avons essayé d’adopter cette
attitude, et les résultats n’ont pas été
bons. » Selon lui, il y a un point plus
important : il était totalement erroné
de mesurer l’impact du BDS sous l’angle
du commerce israélien. « La question
centrale, ça n’est pas de savoir s’ils
vont nous boycotter ou pas », explique
Kuperwasser. « La question centrale,
c’est de savoir s’ils vont réussir à
faire passer dans le débat international
l’idée qu’Israël n’a pas de
légitimité en tant qu’État juif. »
Plus de 20 % des
8,8 millions de citoyens d’Israël sont
palestiniens. Ils sont les survivants ou
les descendants de la minorité qui est
restée à l’intérieur des frontières
d’Israël pendant la guerre de 1948.
Haneen Zoabi, 49 ans, citoyenne
palestinienne d’Israël originaire de
Nazareth, est membre du Parlement
israélien, la Knesset, depuis 2009, et
soutient fermement le BDS. Au sein de la
Knesset, elle est la critique la plus
impitoyable d’Israël, dénonçant
régulièrement les mesures politiques
prises par Israël à l’égard des
Palestiniens et accusant Israël d’être
un État d’apartheid. YouTube regorge de
vidéos où on la voit debout à la
tribune, calme, tentant de prendre la
parole sous les interruptions et les
interjections de parlementaires
israéliens déchaînés, dont certains
l’apostrophent en hurlant « traître ! »
ou « Va à Gaza ! ». Miri Regev, membre
de la Knesset et figure en pointe du
Likoud, a demandé son expulsion du pays.
Haneen Zoabi a fait l’objet d’une
enquête pénale pour incitation et elle a
été plusieurs fois suspendue de la
Knesset, dernièrement en mars, pour
avoir qualifié de meurtre l’homicide de
Palestiniens par l’armée israélienne.
Certes, Israël
autorise des citoyens palestiniens comme
Haneen Zoabi à voter et à exercer une
fonction officielle, mais l’État a
toujours considéré comme une menace la
possession de terres par ses citoyens
palestiniens, et il a mis en œuvre des
programmes officiels de « judaïsation »
des zones arabes, afin de diluer la
présence palestinienne. Après la guerre
de 1948, il n’est resté que 20 % des
Palestiniens vivant antérieurement dans
le territoire qui allait devenir Israël,
et un quart de ces personnes ont fait
l’objet de déplacements à l’intérieur du
pays. Israël a imposé à ses citoyens
palestiniens jusqu’en 1966 un régime de
couvre-feux et de restrictions mis en
œuvre par un gouvernement militaire, a
confisqué à peu près la moitié de leurs
terres et a adopté des lois qui leur
interdisent encore aujourd’hui de les
récupérer.
Des dizaines de
milliers de Palestiniens habitent des
villages antérieurs à l’existence
d’Israël mais considérés par l’État
comme « non reconnus », exposés à des
démolitions et à des expulsions forcées
et largement ou totalement privés de
services de base, y compris l’eau et
l’électricité. Comme l’État limite le
développement et l’expansion des villes
arabes, des citoyens palestiniens ont
été forcés de se porter acquéreurs de
biens situés dans des localités juives.
Mais leurs démarches ont été entravées à
de nombreuses reprises. En Israël, des
centaines de localités exclusivement
juives ont des commissions d’admission
légalement autorisées à rejeter les
candidats sur des critères de
« convenance sociale » qui donnent un
prétexte à l’exclusion des non-Juifs.
« Nous faisons face, nous les
Palestiniens d’Israël, non pas à la
discrimination, mais à l’apartheid »,
déclare Haneen Zoabi. « Israël essaie de
dire “Nous sommes le bon Israël qui est
contraint de faire de mauvaises choses
en Cisjordanie et à Gaza. ” Regardez
donc comment Israël traite ses propres
citoyens qui ne jettent pas de
pierres ! »
Les politiques
d’inégalité menées depuis longtemps par
Israël bénéficient d’un appui
supplémentaire avec l’adoption de la
« loi fondamentale » de juillet 2018
–version israélienne d’une loi
constitutionnelle – qui dégrade le
statut de la langue arabe, affirme que
seuls les Juifs ont droit à
l’autodétermination en Israël, et
déclare : « L’État considère le
développement des colonies juives comme
une valeur nationale et agira pour
encourager et promouvoir leur création
et leur renforcement. »
La barrière de
séparation entre Israël et la
Cisjordanie en 2007. Photo REX/Sipa
Press
Selon Haneen Zoabi,
l’OLP a renoncé à ses responsabilités
envers le peuple palestinien. Après
s’être engagée officiellement en faveur
de deux États séparés in 1988, dit-elle,
« l’OLP, de fait, a concédé à Israël un
État juif », doté d’une législation qui
consacre l’inégalité entre Juifs et non-
Juifs. Elle poursuit en soulignant que,
désormais, ce sont surtout les citoyens
palestiniens d’Israël qui s’en prennent
réellement au sionisme en tant que tel
lorsqu’ils affirment que l’État ne peut
pas être à la fois démocratique et juif.
En résultat, les citoyens palestiniens
d’Israël sont aujourd’hui pour Israël
« une menace bien plus grande que
l’OLP ». Selon elle, « l’OLP a défini
notre lutte » – la lutte des citoyens
palestiniens pour l’égalité – « comme
une question interne à Israël. Ils nous
ont abandonnés ! »
Haneen Zoabi
critique avec vigueur la direction
palestinienne pour le rôle qu’elle joue
dans la prolongation de l’occupation.
Elle impute à Mahmoud Abbas, qui préside
l’OLP et l’Autorité palestinienne,
également connu sous le nom d’Abou Mazen,
le fait que Donald Trump, président des
États-Unis, a décidé de rompre des
décennies de choix politiques américains
et de reconnaître Jérusalem comme
capitale d’Israël en décembre dernier.
« Trump a fait un calcul », m’a-t-elle
expliqué. « Quelle sera la réaction à
mon geste ? Israël et les États-Unis ont
été unanimes pour lui dire, à juste
titre, qu’Abou Mazen ne changerait pas
les règles du jeu, ne mettra pas fin à
la coopération en matière de sécurité
avec Israël, et ne cessera pas le
processus d’Oslo. Quel prix aurait-alors
à payer Israël ou les États-Unis ? »
Haneen Zoabi raconte ceci : lors de
voyages à l’étranger, dans des pays
comme l’Irlande, l’Allemagne ou les
États-Unis, « des responsables officiels
m’ont dit : “L’ambassadeur de l’OLP est
contre votre position sur le BDS. Qui
suis-je censé croire ?” »
Comme l’OLP, Haneen
Zoabi critique fermement l’occupation
israélienne, mais elle est convaincue
que les racines réelles du conflit
résident dans le traitement qu’Israël a
accordé historiquement aux Palestiniens.
« Le problème n’est pas l’occupation, le
problème, c’est le projet sioniste »,
souligne-t-elle. « Israël a une
crainte : si les gens ont une attitude
ouverte et voient ce qu’Israël fait aux
Palestiniens, ce sera fini. Dès que vous
dites qu’Israël n’est pas un État normal
– que ce n’est pas un État démocratique
qui fait quelques erreurs, but un État
anormal, qui agit contre les droits
humains – vous fracassez son image
d’État libéral, humain, [doté de]
l’armée la plus morale du monde. Le BDS
fragilise l’image d’Israël. »
En dépit de leurs
buts totalement antagoniques, la droite
israélienne et les dirigeants du
mouvement BDS sont d’accord sur beaucoup
de points. Ils sont convaincus que le
conflit israélo-palestinien porte
foncièrement sur le sionisme et l’exil
forcé de la majorité des Palestiniens en
1948, et non sur la conquête par Israël
de Gaza, de Jérusalem-Est et du reste de
la Cisjordanie en 1967. Ils affirment
les uns comme les autres que les
colonies ne doivent pas recevoir un
traitement différent de celui dévolu au
gouvernement qui les a créées. Ils
pensent que les revendications des
citoyens palestiniens d’Israël portant
sur l’égalité et des réfugiés portant
sur le retour sont des points litigieux
centraux, auxquels les artisans de la
paix n’ont pas prêté une attention
suffisante dans le passé. Ils estiment
que la lutte d’Israël contre le BDS n’a
pas un caractère essentiellement
économique. À leurs yeux, le mouvement
BDS est représentatif des exigences
palestiniennes générales, même s’ils
reconnaissent que le mouvement ne peut
mobiliser de grands nombres et que ses
principaux militants ne sont pas des
personnalités importantes de la scène
politique palestinienne. Et ils pensent
les uns comme les autres que le
mouvement BDS révèlera au monde la
véritable nature du conflit.
Le mouvement BDS
croit que cette mise en évidence
permettra aux gens de comprendre que le
sionisme est fondamentalement raciste et
doit être rejeté ; mais Kuperwasser,
entre autres, est convaincu que ce sont
les Palestiniens qui seront démasqués.
« Les Palestiniens prennent un très
grand risque », ajoute-t-il. « À mon
avis, il y a de fortes chances pour que
le monde rejette leur schéma conceptuel.
Les gens vont dire : “C’est ça que les
Palestiniens veulent ?! Nous sommes
totalement contre … Ils sont fous ; ils
veulent qu’Israël disparaisse.” » Si
cela se produit, continue-t-il, les
Palestiniens n’auront même pas d’État de
Cisjordanie-Gaza, issue qui, pense-t-il,
n’est toujours pour l’OLP que la
première étape de la libération de toute
la Palestine.
Aux yeux de
Kuperwasser, le mouvement BDS et la
direction palestinienne partagent les
mêmes objectifs ; les différences entre
eux se réduisent à des questions
tactiques. « Abou Mazen comprend mieux
que le mouvement BDS qu’il faut être
subtil », dit-il. L’acceptation par
l’OLP d’une solution à deux États, son
engagement à tenir compte des
préoccupations démographiques d’Israël,
son silence sur les droits des citoyens
palestiniens d’Israël – tous ces
éléments, selon Kuperwasser, ne sont
qu’un subterfuge destiné à obtenir un
État de Cisjordanie-Gaza, qui servirait
alors de rampe de lancement en vue de la
poursuite du combat. « La notion
palestinienne de la lutte est tellement
enracinée dans leur esprit qu’ils ne
parviennent vraiment pas à imaginer
pouvoir renoncer à cette lutte afin de
réaliser la paix. Je ne peux pas vous
dire à combien de Palestiniens j’ai dit
“Écoutez, en menant cette lutte, vous en
payez le prix beaucoup plus que nous.
Nous prospérons. Même si nous payons un
prix, nous prospérons”. »
La clé pour Israël,
affirme-t-il, c’est de gagner les cœurs
et les esprits des libéraux et des
progressistes centristes à l’étranger,
et non des gens qui sont déjà dans un
des camps, sionistes ou antisionistes.
Ce qui a rendu les choses plus
difficiles, selon lui, c’est que
certains Israéliens et Juifs sont
coupables « d’imprudence et d’abandon
intentionnel du champ de bataille » –
pas l’extrême-gauche, mais les
centristes qui ont adopté naïvement le
langage de l’ennemi. Kuperwasser montre
du doigt l’ancien Premier Ministre
travailliste Ehud Barak, qui a averti à
plusieurs reprises qu’Israël était « sur
une pente glissante menant à
l’apartheid » – mise en garde également
lancée par l’ancienne ministre des
Affaires étrangères Tzipi Livni et les
anciens Premiers Ministres Ehud Olmert
and Yitzhak Rabin. Pour Kuperwasser, ces
déclarations, qui veulent convaincre les
Israéliens de faire des concessions
territoriales en vue de la paix, ont été
avant tout un don à ses ennemis.
Pour le mouvement
BDS, l’accusation d’apartheid, devenue
centrale après le début de la deuxième
intifada en 2000, n’est pas une simple
analogie provocatrice avec l’Afrique du
Sud, mais une revendication juridique
fondée sur la définition de l’apartheid
dans les conventions internationales et
le Statut de Rome de la Cour pénale
internationale : un crime contre
l’humanité « commis dans le cadre d’un
régime institutionnalisé d’oppression
systématique et de domination d’un
groupe racial sur tout autre groupe
racial ou tous autres groupes raciaux et
dans l’intention de maintenir ce
régime ».
Le concept
d’apartheid est devenu central dans la
conception du conflit par le mouvement
BDS. Alors que l’Autorité palestinienne
cherchait à accentuer son autonomie et
des caractéristiques de type étatique,
le mouvement BDS a souligné la
soumission de l’Autorité palestinienne à
Israël. Pour les partisans du modèle des
deux États, l’Autorité palestinienne est
un projet nationaliste qui visait une
indépendance finale, alors que sous
l’angle de l’apartheid ce n’est qu’un
gouvernorat israélien. Les dirigeants du
BDS soulignent la « réalité à un seul
État » de facto d’Israël-Palestine –
devenue une métaphore commune, même
parmi les partisans d’Israël, dont
beaucoup sont consternés par la
possibilité que le pays soit finalement
contraint d’émanciper les Palestiniens
vivant sous occupation, et cesser ainsi
d’être un État juif.
De plus en plus,
parmi tant les amis d’Israël appartenant
au centre-gauche que ses ennemis, l’idée
d’un État unique n’a plus été un plan
pour l’avenir – à rechercher ou à éviter
– mais une description précise de la
réalité sur le terrain, de plus en plus
difficile à démonter.
Les Juifs sont déjà une minorité
sur le territoire sous le contrôle
d’Israël, qui réglemente les frontières,
les exportations et les importations des
Palestiniens, les recettes douanières et
les permis de voyage et de travail.
Légalement, commercialement et
administrativement, les populations
juives et palestiniennes sont
entrelacées.
Plus cette réalité
d’un seul État s’est ancrée, plus
l’accusation d’apartheid résonne et plus
il est difficile d’imaginer la défaire
par une division en deux États. Une
bataille contre l’occupation pourrait
être conclue par un simple retrait
militaire, mais une lutte contre
l’apartheid ne pourra être gagnée
qu’avec la fin de la politique étatique
discriminatoire à l’égard des non-Juifs.
Dans le cas d’Israël, ceux-ci ne se
trouvent pas seulement dans les
territoires occupés, mais partout où les
Palestiniens entrent en contact avec
l’État. En Cisjordanie, les Palestiniens
se sont vu refuser le droit de voter
pour le gouvernement contrôlant leur
vie, privés de liberté de réunion et de
mouvement, interdits d’égalité d’accès
aux routes, aux ressources et au
territoire et emprisonnés indéfiniment
sans inculpation. À Gaza, ils ne peuvent
pas sortir, entrer, importer, exporter
ou même approcher de leurs frontières
sans la permission d’Israël ou de son
allié, l’Égypte. À Jérusalem, ils sont
séparés les uns des autres et entourés
de points de contrôle et de murs. En
Israël, ils ont été expulsés de leurs
terres, empêchés de récupérer leurs
maisons expropriées et empêchés de
résider dans des localités habitées
exclusivement par des Juifs. Dans
l’exil, ils sont empêchés de rejoindre
leur famille en Israël et en Palestine
ou de rentrer chez eux, uniquement parce
qu’ils ne sont pas juifs.
Bien que les
dirigeants du monde, en public, parlent
sans cesse d’une solution à deux États,
beaucoup d’entre eux doutent que cela
soit encore possible. Ils condamnent
régulièrement les colonies (car,
contrairement à l’occupation, elles sont
illégales), mais ils n’ont rien fait
pour inverser leur croissance. Ils ont
lancé des appels à la liberté des
Palestiniens, mais pas via l’égalité des
droits et la citoyenneté dans un seul
État – car, entre autres raisons, le
droit international interdit à Israël
d’annexer un territoire acquis par la
force. Ils ont vu Israël subvertir une
solution à deux États et prendre des
mesures pour priver les Palestiniens de
leurs droits. Mais ils n’ont exercé
aucune pression réelle sur Israël tant
qu’il murmurait l’intention d’accorder
un jour aux Palestiniens une forme
d’indépendance limitée. Israël a ainsi
été autorisé à détenir toute la terre
tout en excluant la majorité de ses
peuples autochtones, tout comme
l’Afrique du Sud a aspiré à le faire. En
redéfinissant le conflit comme un cas
d’apartheid, les militants du BDS ont
trouvé un moyen de sortir de ce piège.
La rubrique de l’apartheid pourrait
également défaire la plus grande
faiblesse des Palestiniens – la
fragmentation – en les unissant dans une
lutte commune contre un régime unique et
discriminatoire.
En janvier, à
Gaza, j’ai rencontré Haidar Eid,
professeur de littérature à l’université
Al-Azhar et cofondateur du mouvement BDS
à Gaza. Il est dans la cinquantaine,
petit, avec une barbe grise
broussailleuse et des cheveux courts
bouclés, et a un penchant pour les pulls
en tricot à col roulé. Haidar Eid m’a
dit qu’il n’avait jamais vu une telle
pression sur la population de Gaza.
C’était quelques semaines avant que les
Gazaouis ne lancent la Grande Marche du
Retour, les manifestations hebdomadaires
le long de la barrière de Gaza lors
desquelles des tireurs israéliens ont
tué plus de 100 manifestants non armés
et blessé plusieurs milliers d’autres.
À l’instar de
dizaines de milliers d’autres employés
du secteur public, Haidar Eid a vu son
salaire à l’université réduit de plus de
moitié et il cherchait un deuxième
emploi. Plus de 40 % des habitants de
Gaza, dont la plupart des jeunes,
étaient au chômage. Haidar Eid planifie
une grande partie de sa vie en fonction
de l’ascenseur de son appartement du 10e
étage, car Gaza ne dispose que de six à
huit heures d’électricité par jour.
L’absence de courant empêche le
traitement complet des eaux usées, dont
des dizaines de millions de litres sont
déversés chaque jour, bruts, dans des
étangs fétides et dans la mer.
Comme plus des deux
tiers de la population de Gaza, Haidar
Eid et sa famille sont des réfugiés d’un
village situé dans ce qui est
aujourd’hui Israël. Il s’est opposé à
l’accord d’Oslo parce qu’il ignorait les
réfugiés palestiniens. « Oslo », dit-il,
« a réduit le peuple palestinien aux
habitants de Cisjordanie et de Gaza ».
Mais ce sont les réfugiés qui ont fondé
le mouvement national palestinien et qui
représentent la majorité des
Palestiniens dans le monde. « La
question palestinienne se réduit à un
point : le droit au retour »,
affirme-t-il.
Le village de
Haidar Eid, Zarnuqa, a été purgé de ses
habitants palestiniens puis rasé. Dans
tout Israël, les terres des réfugiés
restent en grande partie vides ou peu
peuplées, de sorte que des chercheurs
éminents, tels que l’historien
palestinien Salman Abu Sitta, estiment
que la plupart pourraient revenir sans
déplacement des Israéliens. Haidar Eid
remarque qu’une solution à deux États
implique d’empêcher la plupart des
réfugiés de revenir, Israël refusant
tout ce qui pourrait menacer la majorité
démographique juive. (Un mythe propagé
par certains partisans d’Israël soutient
que les Palestiniens sont les seuls à
transmettre le statut de réfugié à leurs
enfants. Sur cette base,
l’administration Trump et ses alliés au
Congrès ont cherché à couper l’aide de
l’ONU aux millions de réfugiés
palestiniens nés après la guerre de
1948. En fait, l’octroi du statut de
réfugié aux descendants apatrides est
une pratique courante dans le monde. Par
exemple, la majorité des réfugiés
afghans enregistrés sont de deuxième et
troisième génération, nés à l’étranger,
comme le sont la plupart ce ceux qui
sont revenus en Afghanistan ces
dernières années.)
Haidar Eid a
passé six ans à Johannesburg, où il a
obtenu son doctorat, et son anglais a
des traces d’accent sud-africain. Il
compare Gaza et les camps de réfugiés
palestiniens à l’extérieur des
frontières d’Israël avec les bantoustans
dans lesquels les Sud-Africains noirs
étaient confinés sous l’apartheid ; à
son avis, une solution à deux États ne
mettrait pas fin à l’apartheid, mais
plutôt le consoliderait, créant un État
de Cisjordanie-Gaza affaibli et
discontinu dont la prétention à
l’indépendance serait douteuse.
Pour Haidar Eid, la
solution à deux États est une
proposition essentiellement raciste, car
elle vise à préserver une majorité
ethnique juive, avec une discrimination
confirmée par la loi contre les
non-Juifs. Il préfère un État unique,
démocratique, non racial et non
religieux, qui, selon lui, serait un
« compromis énorme de la part des
Palestiniens » car cela donnerait « la
citoyenneté et le pardon aux colons et
aux occupants ». Eid s’est opposé à la
menace hypocrite de l’OLP de rechercher
un tel résultat, qu’il considère comme
une tentative malavisée de faire peur
aux Israéliens pour qu’ils acceptent un
partage ethnique: « Je veux dire :
l’égalité n’est pas effrayante! Si vous
êtes contre l’égalité et la justice,
vous êtes contre les droits humains. »
Faire confiance aux
États pour se comporter moralement est
une cause perdue, soutient-il ; il faut
que leur propre peuple fasse pression
sur eux, d’en bas, par le biais du
militantisme BDS de la société civile.
Il rappelle qu’il a fallu plus de 30 ans
à la communauté internationale pour
tenir compte des appels au boycott, au
désinvestissement et aux sanctions
contre l’apartheid en Afrique du Sud,
dont les violentes réactions aux
résistances indigènes avaient été un
moteur essentiel de la solidarité
internationale. Tout comme les meurtres
de manifestants par le régime
d’apartheid ont intensifié les boycotts
contre l’Afrique du Sud, indique Haidar
Eid, « le sang de Gaza a ouvert la voie
à la croissance du BDS. Chaque massacre
que nous avons à Gaza me convainc
davantage que nous avons pour seul
espoir la résistance populaire et le
BDS. »
Bien que le BDS
n’ait pas eu d’impact économique majeur
sur Israël jusqu’à présent, comparé à la
campagne qui a duré des décennies en
Afrique du Sud, son ascension a été
plutôt rapide. Des investisseurs
institutionnels tels que le fonds de
pension néerlandais PGGM et l’Église
méthodiste unie se sont retirés des
banques israéliennes. L’Église
presbytérienne, l’Église unie du Christ
et la plus grande caisse de retraite
privée de Norvège se sont retirées des
sociétés profitant de l’occupation
israélienne. Et de grandes entreprises
telles que Veolia, Orange, G4S et CRH se
sont totalement ou partiellement
retirées d’Israël à la suite de
campagnes de boycott. Des dizaines
d’instances étudiantes et de nombreuses
associations universitaires ont approuvé
des initiatives de boycott et de
désinvestissement. Et de nombreux
musiciens et artistes ont annulé des
spectacles ou se sont engagés à
boycotter le pays.
Non moins
important, le mouvement BDS a
effectivement convaincu en Palestine.
Certes, Abou Mazen a déclaré en 2013 :
« Nous ne soutenons pas le boycott
d’Israël, [parce que] nous avons des
relations avec Israël, nous avons une
reconnaissance mutuelle d’Israël »,
l’OLP soutenant par ailleurs les
boycotts visant les colonies ; mais
l’OLP, en 2018, a adopté le BDS, au
moins dans sa rhétorique. Le mouvement
BDS a également incité les organisations
internationales à passer lentement des
condamnations inefficaces à des appels à
des mesures concrètes plus incisives.
L’été dernier, Amnesty International a
appelé à une interdiction mondiale des
produits des colonies et à un embargo
militaire envers Israël et les groupes
armés palestiniens. Human Rights Watch a
appelé les investisseurs institutionnels
dans les banques israéliennes à
s’assurer qu’ils ne contribuent ni ne
bénéficient aux colonies et à d’autres
violations du droit international. Et le
Bureau des droits de l’homme des Nations
Unies a compilé une liste de plus de 200
entreprises – la majorité basées en
Israël ou dans les territoires occupés,
22 basées aux États-Unis – liées à la
création, l’expansion ou le maintien des
colonies israéliennes. Dans ce qui
devrait être le développement le plus
important de la campagne BDS, lancée il
y a 13 ans, le Bureau des droits de
l’homme des Nations Unies prévoit de
publier les noms de ces sociétés plus
tard cette année.
Presque tous les
désinvestissements venant d’entreprises
ou de groupes étudiants ont été
sélectifs: ils n’ont pas ciblé Israël
dans son ensemble, mais seulement les
colonies et l’occupation. Un certain
nombre d’entre eux avaient peu à voir
avec le mouvement BDS lui-même. Mais
tant le gouvernement israélien que le
mouvement BDS ont eu tendance à occulter
ce fait. Cela a aidé le mouvement BDS à
accumuler d’apparentes victoires, et le
gouvernement israélien à discréditer les
initiatives bureaucratiques modérées
visant à adhérer au droit international,
en les qualifiant de tentatives
démoniaques et déstabilisantes dues aux
radicaux du BDS.
Assimiler le
boycott des colonies à une opposition à
l’existence d’Israël a été un élément
central de la politique d’Israël,
reflétant le désir non seulement de
protéger les colonies, mais aussi
d’enrayer la vague de boycotts sélectifs
qui pourraient s’étendre à l’ensemble
d’Israël. « Nous disons qu’il n’y a pas
de différence entre un boycott des
colonies et un boycott d’Israël »,
déclare Yossi Kuperwasser. « Si vous
voulez promouvoir le boycott d’Israël,
de n’importe quelle partie d’Israël,
vous n’êtes pas un ami d’Israël. Vous
êtes en fait un ennemi d’Israël. Alors
on va s’occuper de vous. »
Le
gouvernement a adopté une loi
interdisant l’entrée des étrangers qui
ont publiquement soutenu un boycott
d’Israël « ou d’une zone sous son
contrôle ». Son ministre des Affaires
stratégiques a demandé que l’on impose
des sanctions financières aux
organisations israéliennes, aux
entreprises et, dans certains cas, aux
individus qui préconisent le boycott
d’Israël ou des colonies. Après que
Hagai El-Ad, chef de l’organisation
israélienne de défense des droits
humains B’Tselem, s’est adressé au
Conseil de sécurité de l’ONU en
l’exhortant à s’opposer à l’occupation
israélienne, le président de la
coalition gouvernementale a demandé que
sa citoyenneté soit révoquée et qu’une
loi soit adoptée qui appliquerait la
même mesure à tout Israélien appelant
les organismes internationaux à agir
contre Israël.
Israël et ses
alliés ont suivi la même stratégie à
l’étranger. En 2014, Benjamin Netanyahou
a convoqué une réunion des principaux
ministres israéliens pour discuter des
mesures anti-BDS possibles, y compris,
selon le quotidien israélien Haaretz,
« des poursuites judiciaires devant des
tribunaux européens et nord-américains
contre des organisations [BDS] », « des
actions judiciaires contre les
institutions financières qui boycottent
les colonies », et posant la question
« d’activer le lobby pro-israélien aux
États-Unis, en particulier l’AIPAC, pour
promouvoir des lois au Congrès » .
Depuis lors, de grandes banques dans le
monde entier ont fermé les comptes de
groupes pro-BDS. Dans 24 États des
États-Unis, des projets de loi et des
arrêtés étouffant la liberté
d’expression en décourageant,
sanctionnant ou restreignant le soutien
au boycott d’Israël ou des colonies ont
été adoptés ; l’ACLU les a contestés
dans deux États. À la suite de l’ouragan
Harvey l’été dernier, la ville de
Dickinson, au Texas, a exigé que les
résidents désirant des secours
certifient qu’ils ne boycottent et ne
boycotteront pas Israël, une
exigence que le directeur juridique de
l’ACLU au Texas a appelé « une violation
flagrante du premier amendement,
rappelant les serments de loyauté de
l’époque de McCarthy ». Un projet de loi
fédéral anti-boycott soutenu par l’AIPAC
a également rencontré l’opposition de
l’ACLU, qui soutient que « les boycotts
politiques sont pleinement protégés par
le premier amendement », que le boycott
soit d’Israël ou des colonies.
Cette assimilation
délibérée d’Israël et des colonies n’a
pas peu consterné les partisans les plus
libéraux d’Israël dans la communauté
juive américaine. Pendant des années,
ils ont cherché à protéger Israël contre
des sanctions, en faisant valoir que
seuls les boycotts des colonies sont
légitimes. Maintenant, ils se sentent
attaqués non seulement par le BDS, à
gauche, mais aussi par le gouvernement
israélien à droite, tous deux dédaignant
la notion de centre-gauche d’une
position « pro-israélienne et
anti-occupation », et tous deux rejetant
la position selon laquelle le vin
produit dans les colonies de Cisjordanie
devrait être boycotté, mais pas le
gouvernement qui a créé, financé et
entretenu les colonies.
La stratégie
d’Israël a été de forcer les sociétés
soumises à des pressions à choisir entre
partir et désinvestir : restez sur le
territoire contrôlé par Israël et
ignorez la campagne de boycott, ou
accédez à ses demandes et faites face à
des poursuites et à des pertes sur des
marchés beaucoup plus importants en
Europe et aux États-Unis. . Compte tenu
de ce choix, a déclaré Kuperwasser, la
plupart des entreprises seraient très
réticentes à se retirer d’Israël ou des
colonies : « Mais si cela devait
arriver, il y aura plus de lois dans le
monde qui vont faire souffrir ces
sociétés. Nous pouvons riposter et
trouver une réponse. »
Le ministère des
Affaires stratégiques a externalisé une
grande partie de ses activités anti-BDS
dans des pays étrangers, aidant à créer
et à financer des groupes de façade et
des organisations partenaires afin de
minimiser l’ingérence israélienne dans
la politique intérieure de ses alliés en
Europe et aux États-Unis. Kuper déclare
que les groupes anti-BDS « poussent
maintenant comme les champignons après
la pluie ». Avec un certain nombre
d’anciens responsables du renseignement
et de la sécurité, il est membre de l’un
d’entre eux, Kella Shlomo, décrit comme
un « commando de relations publiques »
qui coopèrera avec le ministère des
Affaires stratégiques et en recevra des
dizaines de millions de dollars. En
2016, l’ambassade d’Israël à Londres a
envoyé un câble à Jérusalem pour se
plaindre du fait que le ministère des
Affaires stratégiques mettait en danger
les organisations juives britanniques,
pour la plupart enregistrées comme
organisations caritatives et interdites
d’activités politiques : « “gérer” les
organisations juives directement de
Jérusalem… peut être dangereux » et
« pourrait rencontrer l’opposition des
organisations elles-mêmes, compte tenu
de leur statut juridique; la
Grande-Bretagne n’est pas les
États-Unis! ». L’an dernier, Al-Jazeera
a diffusé des enregistrements secrets
d’un responsable israélien travaillant à
l’ambassade de Londres, qui disait avoir
reçu une demande du ministère des
Affaires stratégiques
afin qu’il aide à créer au Royaume-Uni
une « compagnie privée » qui
travaillerait pour le gouvernement
israélien et en liaison avec des groupes
pro-israéliens comme l’AIPAC.
Pour les
libéraux israéliens, la menace la plus
grave de la part du BDS est qu’il a
conduit leur gouvernement à une réaction
si imprudente et excessive qu’elle
ressemble à une sorte de maladie
auto-immune, dans laquelle la lutte
contre le BDS porte également atteinte
aux droits des simples citoyens et des
organes de la démocratie. Le ministère
israélien des Affaires stratégiques a
utilisé les services de renseignement
pour surveiller et attaquer les
délégitimeurs d’Israël. Il a appelé à
établir une liste noire des
organisations israéliennes et des
citoyens qui soutiennent la campagne de
boycott non violente, a créé une « unité
de ternissure » pour entacher la
réputation des partisans du boycott et a
publié des articles payés dans la presse
israélienne. Des Juifs israéliens de
gauche ont été convoqués pour
interrogatoire ou arrêtés à la frontière
par des agents du Shin Bet, l’agence de
sécurité intérieure d’Israël, qui se
sont présentés comme des agents
travaillant contre la délégitimation.
Israël a interdit l’entrée à 20
organisations pour leurs opinions
politiques, notamment l’American Friends
Service Committee, un groupe quaker qui
a remporté un prix Nobel de la paix pour
son aide aux réfugiés du génocide des
Juifs en Europe et qui soutient
désormais l’autodétermination des
Israéliens et des Palestiniens tout en
approuvant le BDS.
L’an dernier, le
ministre israélien du Renseignement,
Yisrael Katz, a appelé publiquement à
des « assassinats civils ciblés » de
militants tels que le co-fondateur du
BDS, Omar Barghouti, résident permanent
en Israël. Omar Barghouti a également
été menacé par le ministre israélien de
la Sécurité publique et des Affaires
stratégiques: « Bientôt, tout militant
qui usera de son influence pour
délégitimer le seul État juif du monde
saura qu’il en paiera le prix … Nous
aurons bientôt d’autres nouvelles de
notre ami Barghouti. » Peu après,
Barghouti a été empêché de quitter le
pays, et l’an dernier, les autorités
israéliennes ont fouillé son domicile et
l’ont arrêté pour fraude fiscale.
L’outil peut-être
le plus puissant d’Israël dans la
campagne contre la délégitimation a été
d’accuser d’antisémitisme celles et ceux
qui critiquaient le pays. Cela
nécessitait de changer les définitions
officielles du terme. Cet effort a
débuté au cours des dernières années de
la deuxième intifada, en 2003 et 2004,
alors que les appels antérieurs au
boycott et au désinvestissement d’Israël
gagnaient du terrain. À cette époque, un
groupe d’instituts et d’experts, dont
Dina Porat, une universitaire de
Tel-Aviv, membre de la délégation du
ministère israélien des Affaires
étrangères à Durban (Afrique du Sud) en
2001, lors de la conférence mondiale des
Nations Unies contre le racisme, proposa
une nouvelle définition de
l’antisémitisme qui assimilerait les
critiques d’Israël à la haine des Juifs.
Ces experts et
institutions, travaillant avec
l’American Jewish Committee et d’autres
groupes de défense d’Israël, ont formulé
une nouvelle « définition de travail »
de l’antisémitisme, comprenant une liste
d’exemples, publiée en 2005 (puis
écartée) par un organisme de l’UE
combattant le racisme. Cette définition
de travail a été adaptée en 2016 par
l’International Holocaust Remembrance
Alliance (IHRA) et a été utilisée,
approuvée ou recommandée, avec quelques
modifications mineures, par un certain
nombre d’autres organisations, dont le
Département d’État américain, qui depuis
2008 a formulé une définition de
l’antisémitisme incluant trois
catégories de critiques d’Israël connues
sous le nom des « trois D » : la
délégitimation d’Israël, la
diabolisation d’Israël et l’application
à Israël de deux poids, deux mesures.
(Plus récemment, la définition de
travail de l’IHRA a été au centre d’une
controverse sur l’antisémitisme au sein
du parti travailliste [d’Israël], qui a
adopté une version modifiée des exemples
accompagnant la définition.)
Selon la définition
du département d’État, la
délégitimisation comprend « le déni du
droit des Juifs à l’autodétermination et
le refus d’accorder à Israël le droit
d’exister ». Ainsi, l’antisionisme – y
compris l’idée qu’Israël devrait être un
État de tous ses citoyens, avec des
droits égaux pour les Juifs et les
non-Juifs – est une forme de
délégitimation et donc d’antisémitisme.
Selon cette définition, pratiquement
tous les Palestiniens (et une grande
partie des Juifs ultra-orthodoxes
d’Israël, qui s’opposent au sionisme
pour des raisons religieuses) sont
coupables d’antisémitisme parce qu’ils
veulent que les Juifs et les
Palestiniens continuent à vivre en
Palestine, mais pas dans un État juif.
Kuperwasser, pour sa part, soutient
cette accusation: « L’antisionisme et
l’antisémitisme sont la même femme dans
un manteau différent. »
Le deuxième D, la
diabolisation, comprend « établir des
comparaisons entre la politique
israélienne actuelle et celle des Nazis
» – comme le chef d’état-major adjoint
de l’armée israélienne l’a fait en 2016
lors de son discours pour une journée de
commémoration du Génocide, assimilant
les « tendances
révoltantes » en Europe et en
Allemagne dans les années 1930 et 1940
aux tendances visibles en Israël
aujourd’hui. Le dernier des trois D,
appliquer deux poids deux mesures,
considère que le fait de critiquer
spécifiquement Israël est « le nouvel
antisémitisme ». Pourtant, presque
toutes les initiatives antérieures de
désinvestissement et de boycott dans le
monde entier pourraient être accusées de
cette application de deux poids, deux
mesures, y compris la lutte contre
l’apartheid en Afrique du Sud, dont la
plupart des partisans ne tenaient pas
compte de transgressions plus graves
commises ailleurs, comme les génocides
survenus à cette époque au Cambodge, au
Kurdistan irakien et au Timor oriental.
Campagne
d’affichage contre Israël à Londres en
2017. Photo Alamy Stock Photo
La nouvelle
définition de l’antisémitisme a été
fréquemment déployée contre les
critiques d’Israël aux États-Unis, en
particulier sur les campus
universitaires. Les groupes de défense
d’Israël ont exhorté plusieurs
universités à adopter la définition du
Département d’État. À la Northeastern
University de Boston et à l’Université
de Toledo, dans l’Ohio, des étudiants et
des groupes de défense pro-israéliens
ont tenté de contrecarrer même les
débats sur le boycott et le
désinvestissement, arguant que cela
créerait un climat antisémite sur le
campus. Le corps législatif
californienne a adopté en 2012 une
résolution visant à réglementer les
prises de parole sur les campus de
Californie ; elle citait des exemples
d’antisémitisme qui incluaient non
seulement la délégitimation et la
diabolisation d’Israël, mais aussi « des
campagnes de boycott, de
désinvestissement et de sanctions contre
Israël parrainées par des étudiants et
des professeurs ».
En 2015, un site
anonyme sur l’internet, Canary Mission,
a commencé à publier des listes
d’étudiants pro-palestiniens qui
soutiennent le désinvestissement, les
accusant souvent d’antisémitisme ; le
gouvernement israélien a utilisé des
profils fournis par Canary Mission pour
interroger des citoyens américains
favorables au BDS et leur refuser
l’entrée. Sur plusieurs campus, des
groupes pro-israéliens ont tenté
d’intimider des étudiants et des
professeurs pro-palestiniens en
affichant des noms issus de Canary
Mission: « Les étudiants et les
professeurs suivants… se sont alliés aux
terroristes palestiniens pour perpétrer
sur ce campus le BDS et la haine des
Juifs. »
Kuperwasser ne
prend pas de distance quant aux excès
visibles de la campagne anti-BDS menée
par Israël sur place et à l’étranger. Il
est convaincu qu’Israël adopte la bonne
approche et réussira, comme il l’a fait
contre les attaques passées : « Nous
avons gagné la guerre sur le champ de
bataille conventionnel. Au départ, nos
chances étaient très faibles. Nous avons
gagné la guerre contre le terrorisme.
Encore une fois, ce n’était pas facile.
Je me souviens quand nous nous avons
livré la grande bataille – la deuxième
intifada – et que de nombreux généraux
du monde entier me disaient : “Écoutez,
Kuper, vous perdez votre temps: personne
n’a jamais gagné une guerre contre le
terrorisme”, mentionnant le Vietnam et
d’autres cas. Et j’ai rétorqué : “Non,
nous gagnerons aussi cette guerre. Nous
sommes innovants et déterminés. Et
contrairement à beaucoup d’autres
batailles, nous n’avons pas de deuxième
option, de solution de rechange. Nous
devons gagner. ” C’est encore valable
maintenant. Nous allons gagner. »
Pour les sionistes
juifs de la diaspora, que leur soutien à
Israël soit critique ou inébranlable,
les exigences du mouvement BDS sont
inenvisageables. La plupart estimeront
tragique que 80 % des Palestiniens
vivant dans ce qui deviendrait les
frontières d’Israël aient été forcés de
s’exiler pendant la guerre de 1948, mais
la leçon du Génocide, c’est que les
Juifs doivent avoir leur propre État,
point final. Ils soutiennent le droit
des réfugiés palestiniens à revenir dans
l’État de Palestine, pas en Israël.
C’est l’une des principales raisons pour
lesquelles ils sont si troublés à l’idée
qu’il n’y aura jamais d’État de
Cisjordanie-Gaza : peu de gens
contestent que les réfugiés aient le
droit de rentrer dans leur pays – c’est
après tout l’idée fondatrice du
sionisme.- mais sans État palestinien,
il n’y a pas de bonne réponse libérale
concernant l’endroit où les Palestiniens
devraient revenir.
Parce que le
mouvement BDS s’oppose à un État où la
discrimination à l’égard des non-Juifs
est consacrée par la loi et rejette par
conséquent l’idée d’un État juif, de
nombreux juifs de la diaspora
considèrent la menace qu’elle pose comme
existentielle. Grâce en grande partie au
mouvement BDS, le débat
israélo-palestinien se transforme,
cessant de porter sur les moyens de
mettre fin à l’occupation israélienne,
que la plupart des juifs libéraux ne
soutiennent pas, pour devenir un
référendum sur la légitimité d’Israël,
qu’ils considèrent comme un fait établi
qu’ils ne devraient pas avoir à
défendre.
Sous cette
opposition de principe, il y a aussi des
craintes plus viscérales. L’une des
principales appréhensions des sionistes
libéraux à propos du mouvement BDS est
ce qu’ils considèrent comme son ton
strident et ses positions
intransigeantes. La rabbin Jill Jacobs,
chef de T’ruah, une organisation
rabbinique de défense des droits humains
active à la fois en Israël et aux
États-Unis, déclare qu’elle « oscille
entre groupes progressistes pour
lesquels “sionisme” est un gros mot et
groupes pro-israéliens pour lesquels
“occupation” est un gros mot ». Elle se
sent, dit-elle, repoussée par
l’hostilité du mouvement BDS, qui, à
certains moments, lui semble franchement
jubiler en mettant au jour les méfaits
d’Israël. « BDS réactive 2000 ans de
traumatisme juif et 70 ans de
traumatisme post-Génocide »,
affirme-t-elle. David Shulman,
spécialiste renommé de l’Inde,
professeur à l’Université hébraïque et
militant de Ta’ayush (« coexistence »),
un groupe israélo-palestinien de gauche
qui protège les Palestiniens des
attaques des colons israéliens, déclare
que son plus gros problème avec BDS
était sa « tonalité virulente ». « Je
crois savoir que c’est un mouvement
hétérogène. Mais trop de choses y sont
basées sur la haine, c’est un socle
terrible pour l’action politique. »
De nombreux
sionistes libéraux reculent non
seulement devant la véhémence de
certains militants du BDS, mais aussi en
raison de leur amalgame occasionnel
entre Israël et le peuple juif, qu’ils
ressentent comme un antisémitisme.
Simone Zimmerman, cofondatrice du groupe
anti-occupation juif américain IfNotNow,
souligne qu’à son avis, le gouvernement
israélien est passible de la même
accusation : « Bibi Netanyahou fait le
tour du monde en disant : « Je suis ici
pour représenter le peuple juif et
Tsahal fait ce qu’il fait au nom de tous
les Juifs du monde. » Et l’American
Jewish Committee et l’AIPAC proclament :
“nous faisons ce que nous faisons pour
protéger les Juifs”. J’ai du mal à faire
valoir que ceux qui nous critiquent
devraient être plus nuancés que
nous-mêmes. »
Aux États-Unis et
en Europe, les Juifs libéraux se sentent
tout autant rejetés par le mouvement
antisioniste BDS que par les partisans
intolérants des politiques israéliennes
qu’ils déplorent. L’automne dernier, la
Zionist Organization of America, de
droite, a fêté Steve Bannon, l’ancien
conseiller de Trump, dont l’ex-femme,
dans une déclaration sous serment, a
rappelé qu’il avait regretté la présence
de trop de Juifs dans l’école de leurs
filles. Bannon s’est proclamé « sioniste
chrétien ». Le leader d’extrême-droite
Richard Spencer, organisateur du
rassemblement Unite the Right à
Charlottesville, en Virginie, où les
suprémacistes blancs avaient scandé
« les Juifs ne nous remplaceront pas »,
s’est également identifié comme une
sorte de sioniste inspiré par l’exemple
qu’offre Israël d’un État ethnique
d’exclusion. L’année dernière, il a
déclaré à un intervieweur de la
télévision israélienne : « Vous pourriez
dire que je suis un sioniste blanc dans
le sens où je me soucie de mon peuple.
Je veux que nous ayons une patrie sûre
pour nous-mêmes, tout comme vous voulez
une patrie sûre en Israël. »
L’alliance
entre les alliés d’Israël et les
ultranationalistes en Europe et aux
États-Unis est devenue un thème central
des messages de la campagne BDS. À cet
égard, l’ère Trump a été bénéfique pour
le mouvement. Il en va de même pour le
gouvernement Netanyahou, dont les
attaques contre BDS ont été parmi les
plus grands moteurs de publicité et de
recrutement pour la campagne.
Jill Jacobs
souligne qu’il est devenu de plus en
plus difficile d’être pro-israélien et
anti-occupation dans des cercles
progressistes. « A gauche, l’appui au
BDS est un test décisif : soit vous le
soutenez, soit vous n’avez pas votre
place ». Pour les progressistes, les
groupes pro-israéliens de centre-gauche
sont de plus en plus considérés comme
une sorte d’AIPAC allégé, soutenant
verbalement deux États tout en
protégeant pratiquement Israël de toute
pression pouvant conduire à mettre fin à
une occupation très confortable.
J’ai parlé avec
Sharon Brous, rabbin progressiste bien
connue aux États-Unis. Elle s’exprime
ainsi : « Je ne soutiens pas BDS, mais
je pense que nous ne l’avons pas traité
correctement. Le boycott est un outil
que nous utilisons souvent dans la
communauté juive. Il est non violent. »
Les progressistes américains ont
préconisé plusieurs boycotts nationaux
au cours des dernières années – dont un
contre l’État de Caroline du Nord, à
propos d’une loi anti-LGBT controversée.
Mouin Rabbani, un membre éminent de
l’Institut d’études palestiniennes qui
ne participe pas au mouvement BDS, m’a
dit : « Depuis des années, nous
entendons Israël et ses partisans
demander : “Où est le Gandhi
palestinien ?” Et face à une campagne de
boycott palestinienne totalement non
violente, ils disent qu’ils ne peuvent
pas la soutenir. »
Simone Zimmerman,
cofondatrice d’IfNotNow, ajoute : «Si
vous demandez à un Juif américain croisé
par hasard dans la rue “Pensez-vous que
les membres d’une société donnée ne
doivent pas exercer de discrimination
sur la base de l’origine ethnique, et
que tous devraient avoir accès aux
droits fondamentaux dont vous vous
souciez en Amérique ?”, cette personne
dira probablement oui. Et si on aborde
Israël, elle dira : “L’égalité pour
tous? Vous essayez d’effacer Israël de
la carte! ”’ »
Un samedi
après-midi à Jaffa, j’ai rencontré Kobi
Snitz, un mathématicien qui travaille à
l’Institut des sciences Weizmann à
Rehovot et appartient à Boycott from
Within, un groupe d’Israéliens pro-BDS,
dont la plupart sont juifs. Kobi Snitz
est un militant chevronné qui participe
aux manifestations de Cisjordanie avec
des Palestiniens depuis la deuxième
intifada. Il a été arrêté à maintes
reprises et a passé de nombreuses années
à protester aux côtés de la famille d’Ahed
Tamimi, devenue un symbole de la
résistance palestinienne non armée après
son arrestation en décembre dernier pour
avoir, à 16 ans, giflé des soldats
israéliens entrés chez elle peu après
avoir tiré à bout portant dans la tête
de son cousin, âgé de 15 ans. Selon Kobi
Snitz, les manifestations qu’il a
rejointes à Nabi Saleh, village de
Tamimi, ont diminué au fil des ans, tout
comme la résistance non violente en
Cisjordanie plus généralement. « C’est
incroyable que cela ait duré aussi
longtemps », souligne-t-il. « Quatre
personnes sont mortes à Nabi Saleh, des
centaines ont été blessées et environ un
tiers du village a été arrêté ou
emprisonné. Il est extraordinaire qu’un
village de 500 personnes résiste seul de
cette façon si longtemps. Mais, oui, la
résistance finit par s’éteindre et se
réduire. L’oppression fonctionne. La
terreur fonctionne. »
Kobi Snitz m’a
emmené dans une vieille berline cabossée
déjeuner de lentilles soudanaises à Neve
Sha’anan, le quartier pauvre du sud de
Tel Aviv qui abrite de nombreux
demandeurs d’asile africains. Nous
étions les seuls non-Africains dans le
restaurant ou dans la rue. À la base,
m’a-t-il expliqué, le boycott est une
tactique pacifique pour résister à une
répression immorale ; selon lui, le
refus de coopérer avec une injustice
flagrante est le minimum que l’on peut
attendre d’une personne de conscience.
En repartant vers Jaffa, comme nous
passions devant une prison dans laquelle
Kobi Snitz a été détenu, il a cité
approximativement des propos du
co-fondateur de BDS, Omar Barghouti.
« Omar disait : “Tu comprends, je ne
veux pas que l’Occident vienne nous
sauver. Je ne demande pas que l’Occident
vienne envahir Israël. Je lui demande
juste d’arrêter de soutenir notre
oppression.” » Snitz a ajouté : « Il est
vrai que ce conflit n’a rien de
particulier en ce qui concerne la
gravité des violations. Ce qui est
particulier, c’est le degré du soutien
actif que leur apporte l’Occident
libéral. »
Traduction : SM et
JPB pour Agence Media Palestine
Source:
The Guardian
Le
dossier BDS
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