Égypte
Les secrets de l'avalanche de milliards
de dollars sur l'Égypte
Nasser Kandil
Jeudi 19 février 2015
Du 13 au 15 mars courant s’est tenue à
Charm el-Cheikh « la Conférence sur
l’avenir de l’Égypte ».
Quatre pays du Golfe ont promis des
investissements et une aide de
12,5
milliards de dollars,
et le
Caire aurait signé des contrats
d'investissements directs d'un montant
de
36,2
milliards. Plusieurs
ministres occidentaux ont fait le
déplacement, dont le chef de la
diplomatie américaine John Kerry [1].
Certains analystes se
sont demandé quel était le but de ce
soutien financier, éminemment politique,
des Pays du Golfe et de l’Occident,
notamment des États-Unis. Éviter le
rapprochement entre l’Égypte et la Syrie
dans leur lutte commune contre le
terrorisme et les Frères Musulmans ?
Éloigner l’Égypte de la Russie ?
Empêcher l’Égypte de jouer son rôle
historique dans la région du
Moyen-Orient et le Monde arabe ?
Pour M. Nasser Kandil,
sans nier toutes ces hypothèses qui
pourraient paraître contradictoires, ce
qui s’est passé en Égypte est en
relation directe avec ce qui se passe
actuellement au Yémen [NdT].
Comprendre les
raisons de l’avalanche de ces milliards
de dollars sur l’Égypte exige que nous
envisagions les deux dimensions de cet
événement :
-
La relation de
cette manne consentie à l’Égypte par
les Pays du Golfe avec les problèmes
auxquels ils font face au Yémen
[depuis la prise
de Sanaa par la rébellion houthiste
le 21 septembre
2014, NdT]
-
Le pourquoi du
soutien occidental sans lequel les
Pays du Golfe n’auraient pas pu
placer leur argent pour redresser la
situation politique et financière de
l’Égypte.
En réalité, nous
sommes devant une équation
bi-factorielle égypto-yéménite, à la
fois, géographique, démographique et
économique. Car, si le Yémen est au cœur
des pays arabes du Golfe, l’Égypte est
au cœur des pays arabes d’Afrique, avec
entre les deux la Mer rouge.
Par conséquent,
lorsque nous parlons des Pays du Golfe,
nous ne pouvons que tenir compte du
Yémen. La preuve en est que l’Arabie
saoudite, qui ne semblait se préoccuper
que de la Syrie et du Liban, n’a plus
d’yeux que pour ce qui se passe au Yémen
[2]. Les Saoudiens se sont battus
avec tous leurs moyens financiers et
relationnels pour que leur capitale,
Riyad, soit le siège du dialogue entre
les yéménites. Ils ont échoué.
Dès lors, comment
faire alors qu’ils ne disposent pas de
la force militaire nécessaire pour
imposer leurs exigences comme, par
exemple, la reconnaissance de Mansour
al-Hadi [Le
président yéménite démissionnaire qui a
subordonné la poursuite des négociations
nationales inter-yéménites au transfert
du siège des pourparlers de Sanaa vers
le Conseil de Coopération du Golfe
Persique à Riyad, NdT]
ou la qualification d’Aden en tant que
capitale yéménite ? Comment faire face
aux forces des Houtis [3] rendues
à leur frontière avec des incursions
au-delà ?
D’où le pari sur
l’Égypte. Le président égyptien,
Mohammad al-Sissi, n’a-t-il pas déclaré,
au quotidien Al-chark, que la sécurité
du Golfe faisait partie de la sécurité
de l’Égypte [4] ? Alors, payons
ce qu’il faudra pour que les Égyptiens
dépêchent leurs forces au Yémen et nous
aident à imposer notre domination.
Mais voilà que les
Égyptiens se comportent comme les Turcs.
Les Saoudiens ont bien tenté de les
réconcilier dans l’espoir de les pousser
à coopérer au Yémen. Mais la réponse
évidente du Turc fut : « Quand nous
serons prêts à intervenir militairement
quelque part, nous irons en Syrie ». Et
la réponse, tout aussi évidente, de
l’Égyptien fut : « Quand nous serons
prêts à intervenir militairement quelque
part, nous irons en Libye ».
Ne restait plus qu’à
leur proposer d’assurer une sorte de
« siège maritime » du Yémen par une
alliance « locale »
turco-égypto-saoudienne. Pourquoi ?
Parce qu’il faut absolument étrangler
Sanaa et empêcher les Houtis d’en faire
la capitale du Yémen, alors que l’Arabie
saoudite en a décidé autrement et a
invité les États à transférer leurs
ambassades à Aden. Une telle pression
sur les régions acquises aux
révolutionnaires est censée les amener à
négocier une solution à Riyad et non
entre yéménites, ce qui lui permettrait
de les empêcher de consolider leur
relation avec l’Iran.
C’était sans compter
sur la colère du peuple égyptien suite à
l’exécution de vingt-et-un de leurs
compatriotes par Daech [EIIL, ISIS ou
État islamique], en Libye ; colère qui a
imposé aux autorités égyptiennes
d’envisager une riposte militaire [5]
et de pousser le Conseil de sécurité à
mandater une intervention internationale
spéciale contre le terrorisme en Libye,
appuyées en cela par la France [6],
l’Arabie saoudite et les Émirats arabes
unis. Ceci, alors que l’Égypte avait
refusé d’intégrer la Coalition
internationale décidée par les
États-Unis suite à l’invasion de
Mossoul, faute d’avoir obtenu que la
guerre contre le terrorisme inclut la
lutte contre les Frères Musulmans.
Mais quelle ne fut la
surprise du ministre égyptien des
Affaires étrangères, une fois rendu à
l’ONU [Conseil de sécutité du 18 février
2015, NdT], de constater que le Qatar
s’opposait à qualifier la demande
égyptienne de « demande formulée par les
États arabes » et que, vérification
faite, l’Arabie saoudite soutenait le
Qatar !
Ici, la décision a
été dictée par l’administration
américaine, et cette décision est liée
au Yémen : « Laissez agir les Frères
Musulmans. Qui d’autres vous restent-ils
pour défendre vos intérêts au Yémen ? ».
Par conséquent, l’Arabie saoudite mise
devant le fait de choisir entre la
volonté de l’Égypte et les Frères
Musulmans, qui l’aideraient à rétablir
l’équilibre des forces escompté au
Yémen, a choisi ces derniers.
D’où la déclaration
du ministre saoudien des Affaires
étrangères, Saoud Al-Faisal, se résumant
à dire : « Nous n’avons aucun litige
avec les Frères Musulmans ». D’où le
rétablissement des relations entre
l’Arabie saoudite et le Qatar. D’où la
volte-face des Saoudiens contre l’Égypte
et en faveur du Qatar.
Ainsi, et nous devons
l’admettre, l’Égypte a été maîtrisée par
le refus de sa demande d’une
intervention internationale spéciale en
Libye, l’administration US lui ayant
fait savoir que la solution devra être
politique. Laquelle solution passe par
les Frères Musulmans et la recherche
d’un accord entre l’Arabie saoudite, la
Turquie et le Qatar.
Le régime égyptien
s’est donc incliné en dépit du soutien
de la Russie prête à coopérer, la
coalition contre le terrorisme en Libye
n’a pas eu lieu, mais instruction a été
donnée aux Pays du Golfe d’ouvrir les
tiroirs-caisses pour distraire le peuple
égyptien par la manne financière à
venir. Et les voilà tous rendus à Charm
el-Cheikh pour claironner des chiffres
de 10, 18, puis 30 milliards de dollars,
qui pourraient atteindre les 100
milliards si l’année prochaine il
s’avérait que les investissements
étaient profitables.
Alors qu’en réalité,
il s’agit essentiellement de projets et
de prêts dont les intérêts iront aux
nantis, et de placements bancaires
destinés à éviter l’écroulement de la
monnaie égyptienne ; ce qui ne modifiera
pas grand-chose du revenu réel des
citoyens égyptiens écrasés par la
pauvreté.
Partant de là, nous
pouvons donc répondre aux questions
suivantes :
-
L’équation
yéménite penchera-t-elle en faveur
de l’Arabie saoudite ? NON.
-
L’équation
libyenne penchera-t-elle en faveur
de l’Égypte ? NON.
-
L’Égypte,
acceptera-t-elle de s’aventurer dans
une guerre contre le Yémen ? NON.
-
La Turquie,
acceptera-t-elle de s’aventurer dans
une guerre contre le Yémen ? NON.
-
L’Arabie
saoudite, se trouvera-t-elle obligée
d’accepter de revenir au dialogue
inter-yéménite qui devrait déboucher
sur un Conseil présidentiel, avec
les Houtis comme interlocuteurs de
poids ? OUI.
-
Le gouvernement
égyptien se trouvera-t-il obligé à
une confrontation, car si les Frères
Musulmans arrivaient au pouvoir en
Libye, même au sein d’un
gouvernement d’union nationale
[actuellement, deux gouvernements et
deux assemblées législatives, NdT],
ils se renforceront en Égypte ? OUI.
Autrement dit, la
situation évolue dans un sens qui ne
sert pas les intérêts de ceux qui se
sont embarqués dans le sillage des USA,
que ce soit du côté saoudien ou du côté
égyptien.
Ceci, alors que le
destin de l’Égypte est de s’associer
avec la Syrie dans la guerre contre
Daech, Jabhat al-Nosra et les Frères
Musulmans, et que le destin de l’Arabie
saoudite est de reconnaître humblement
que les Houtis sont désormais un facteur
obligatoirement déterminant dans les
négociations, ainsi que dans le dialogue
inter-yéménite, et que leur relation
avec l’Iran, au cas où elle se
concrétise, ne peut les affecter en tant
que force patriote yéménite capable
d’apaiser les tensions, non l’inverse.
Nasser Kandil
16/03/2015
Source :
émission de Top News-nasser-kandi [à
partir de la 48ème minute]
https://www.youtube.com/watch?v=LWFRgRP0lBI&feature=youtu.be
Transcription et
traduction par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] L'Egypte décroche 36,2 milliards de
dollars de contrats en trois jours
http://www.latribune.fr/economie/international/l-egypte-decroche-36-2-milliards-de-dollars-de-contrats-en-trois-jours-461114.html
[2]
Yémen. Les dernières nouvelles de
demain... par Hedy Belhassine
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article5702
[4] Al-Sissi
:
la sécurité du Golfe
est
une ligne rouge
et elle est
inséparable de la
sécurité égyptienne
http://www.alsharq.net.sa/2014/11/02/1242609
[5]
L'Egypte bombarde l'Etat islamique en
Libye et réclame un appui international
http://www.lemonde.fr/libye/article/2015/02/16/chretiens-decapites-par-l-ei-l-egypte-riposte-en-libye_4577040_1496980.html
Monsieur Nasser Kandil est
libanais, ancien député, Directeur de
TopNews-nasser-kandil, et Rédacteur en
chef du quotidien libanais Al-Binaa.
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