France
Trois femmes nous expliquent
pourquoi elles tiennent tant à leurs
voiles
Nadir Dendoune
Kahina
nous explique pourquoi elle tient tant à
son voile.
Jeudi 7 avril 2016
Les femmes
voilées comme « on » a pris l’habitude
de les appeler restent invisibles dans
l’espace médiatique. Peu invitées sur
les plateaux télé, on préfère donner la
parole à des spécialistes qui répètent
inlassablement le même refrain : en
France, dans les quartiers populaires,
on oblige les femmes à se voiler. Des
nanas soumises à leurs maris, à leurs
grands frères.
On a donc décidé de
donner la parole à trois d’entre elles.
Linda, Kahina et Baya, ont toutes grandi
en banlieue. Linda a 35 ans : elle porte
le voile depuis près de 20 ans. Pour
Kahina, ce choix est plus récent : elle
a « franchi le pas » en 2012. Baya,
elle, porte le voile depuis 10 ans.
A entendre les
« spécialistes du voile », on vous
aurait forcé à le porter ? Y a-t-il eu
une quelconque pression ? Même de
manière insidieuse ?
Linda : Je
le porte par conviction personnelle.
D'ailleurs, le premier jour, j'avais
emprunté un foulard et j'en ai parlé à
personne autour de moi. Il pleuvait,
j'étais discrète ... J'en ai parlé plus
tard à ma mère et à ma famille sauf à
mon père. Durant les 6 premiers mois,
j'ai dû me cacher et j'ai refusé de
sortir en présence de mon père. Quand je
lui avais fait part de ce choix avant de
le porter, il me l'avait interdit. Il
craignait les conséquences que ce choix
pouvait avoir dans une société française
où il a toujours adopté une attitude
discrète... Il avait peur que ce choix
m'empêche d'aller à l'école. Au collège,
ce n'est pas chose facile : je le
retirais à l'entrée et la plupart des
élèves cherchaient à savoir qui m'avait
poussé à faire ce choix, il y avait
forcément quelqu'un qui m'avait forcé...
Rares sont ceux qui ne m'ont pas
interrogé sur mes motivations... celles
et ceux qui connaissaient mon intérêt
pour la spiritualité musulmane. Oui j'ai
eu une éducation religieuse assez jeune
et il me paraissait normal de plaire à
Dieu. En été, mon père a découvert mon
voile et n'a rien dit. Il m'a suggéré
d'abandonner le voile mais voyant mon
entêtement, Il m'a juste dit qu'il ne
fallait pas que le voile m'empêche
d'étudier.
Kahina :Personne
ne m’a forcé à le porter, et je dirais
même plus : personne ne m’a influencé
dans ma décision. Aussi surprenant que
cela pourrait paraître, la pression je
l’ai ressentie lorsque certains de mes
proches, famille et amis, m’ont plutôt
mis en garde contre les inconvénients de
porter le voile en France. C’était
extrêmement fatiguant de devoir
expliquer mon choix et de devoir
expliquer que j’avais les épaules assez
solides pour faire face au regard des
autres.
Baya : Pas
du tout, bien au contraire. Ma famille
est très ouverte d'esprit, tolérante et
respecte les choix de chacun. Et vu mon
caractère, ce n'est pas à moi qu'on va
imposer quelque chose !
Porter le voile
pour vous, cela signifie quoi au juste?
Linda : Pour
moi, porter le voile est un acte de foi
parmi tant d'autres qui ne concerne que
la croyante et son Créateur. C'est un
moyen comme un autre de plaire à Dieu.
Dans la tradition musulmane et
certainement dans d'autres traditions,
nous nous vétissons de manière pudique
et nous couvrons les cheveux lorsque
nous prions notre Seigneur. Pourtant,
personne n'ose parler d'asservissement
de la femme à l'homme. Cet acte est donc
bien religieux et un acte exclusif de
soumission à Dieu. De plus, porter le
voile revêt d'autres significations que
je ne maîtrise pas encore, mais qui
s'inscrit de manière différente dans le
parcours d'une croyante qui décide de le
porter. Mais pour moi, porter le
voile n'est qu'un détail et ne
représente pas le degré de foi des unes
et des autres. C'est un choix personnel.
C'est pour cela que je ne comprends
pas tout le temps l'intrusion des
personnes extérieures à vouloir entrer
dans ma relation intime avec Dieu.
Certes, c'est visible mais ça ne regarde
personne d'autre que moi : c'est mon
corps et j'en fais ce que je veux.
L'ambiance actuelle m'attriste car elle
me cloisonne derrière le voile alors que
celui-ci ne représente en rien qui je
suis. Elle manifeste un choix mais pas
qui je suis.
Kahina : Le
port du voile s’inscrit dans un
cheminement et ceci c’est la religion
musulmane qui nous le dit. Je vais
me permettre une comparaison, ce rapport
à Dieu c’est comme une relation
amoureuse, là on parlera d’adoration.
Depuis ma jeunesse, je pratique ma
religion : j’y attache une grande
importance, et je conçois mon rapport
à Dieu comme un rapport amoureux.
Autrement dit, il n’y’a pas d’amour sans
preuve de cet amour. J’ai un
sentiment profond qui m’anime et qui me
pousse à lui témoigner ce que je ressens
et la prière, le jeûne du mois de
ramadan, et d’autres actes m’aident à
vivre pleinement cette adoration. Vous
savez le voile c’est juste de l’amour,
un amour si fort qu’il en devient
visible. J’ajouterais aussi que le port
du voile c’est la réalisation d’un
idéal de vie, c’est là qu’il est aussi
une question personnelle. Le bonheur
n’a pas de définition universelle, à
chacun de trouver le sien, à chacun de
se battre pour l’atteindre. En ce qui me
concerne, je suis heureuse et épanouie
ainsi. Dans ce rapport à moi j’ai
trouvé un équilibre et un bien être
et tout cela je le tire de mon histoire
personnelle et de mon vécu.
Baya : Cela
peut paraître curieux, mais porter le
voile me permet d'être une femme libre
et épanouie dans ma spiritualité. Ça
contribue à mon bien être.Comprenez-vous
qu'en France, pays laïque par
excellence, les féministes voient dans
le voile un outil d'oppression de la
femme?
Linda : Je
comprends que certaines femmes voient
dans le voile un outil d'oppression dans
la mesure où certaines femmes sont
contraintes de le porter dans certains
pays. En effet, dans ces pays, les
hommes utilisent la religion pour
asservir les femmes. Je suis la première
à défendre ces femmes! Tout est une
question de liberté ou de contrainte.
Une femme doit être libre de ses choix
et personne ne doit lui dicter sa
manière d'être, de vivre ou de
s'habiller. Je comprends également que
la France ait un passé douloureux avec
son histoire religieuse et qu'il lui a
fallu du temps pour s'en séparer. La
laïcité a été la meilleure chose qu'elle
a pu mettre en place à l’époque en 1905
: cette loi intègre tous les citoyens de
différentes convictions de manière
égale. Tout le monde a le même
traitement de faveur. Par contre, je ne
comprends pas l'acharnement du
gouvernement français et des médias
contre le voile islamique. Le voile
est devenu un symbole qui dépasse sa
signification. Elle s'associe aux faces
obscures de notre temps comme le
terrorisme alors qu'il n'y a aucun
lien. Le plus important n'est pas
l'importance du voile dans une société.
C'est réduire la complexité de celle-ci
à pas grand chose. Le plus important
pour une femme est de savoir quelle est
sa place dans la société. Dispose-t-elle
des mêmes droits que les hommes tant au
travail que dans la vie quotidienne?
Dans ce cas là, vous serez étonné de
voir nombre de femmes voilées défendant
le droit des femmes et sans distinction.
De plus, La France est un Etat de droit
et de liberté qui permet à tout à chacun
de vivre sa spiritualité comme bon lui
semble tant que celle ci ne gêne pas
l'ordre public. Il me semble que je ne
fais de mal à personne en le portant. Je
respecte malgré moi une lecture limitée
et intolérante de la laïcité . Je suis
contrainte de retirer mon voile pour
travailler et si je souhaite le garder,
je prends le risque d'être exclue du
monde du travail et renoncer à mes
passions et mes compétences
professionnelles. Si je me présente
voilée à un entretien d'embauche, mes
chances de succès sont quasi nulles. Je
peux dire qu'en tant que femme voilée,
je subis l'oppression d'une société
française qui refuse de m'accepter et de
considérer comme un être à part entière,
capable de réfléchir et de défendre
seule ses droits.
Kahina : Que
l’on me corrige si je fais erreur, mais
le combat féministe a pour but de donner
à la femme la liberté de choisir,
l’accès a une volonté qui lui est propre
et non pas une volonté qu’on lui
imposerait. Elles n’ont pas à nous
dicter la nature de cette volonté et
actuellement c’est ce qui arrive. Les
féministes veulent s’emparer du débat
sur la question de la féminité alors que
cette question appartient à toutes les
femmes, elles n’ont pas le monopole.
Pourquoi devrait-il exister une seule et
unique forme de féminité, celle des
talons et des mini-jupes ? Il n’y’a de
féminité que celle que l’on a choisi et
qui nous correspond. La France a
effectivement connu une période sous
l’emprise du religieux, où la femme
était réduite à néant mais cela ne doit
pas justifier que l’on nous impose
aujourd’hui un autre modèle de société
où le religieux serait totalement exclu
parce que là on retombe dans les mêmes
travers ceux de l’oppression. On ne
chasse pas l’oppression par une autre
forme d'oppression, seul le combat pour
la liberté n'a de sens et là en
l'occurrence la liberté à disposer de
soi- même...
Baya : Je
pourrais le comprendre si les femmes
étaient forcées à le porter, mais
honnêtement je côtoie beaucoup de
femmes voilées et aucune de ces femmes
n'a été forcée. Il faut aussi que
la société comprenne que la France est
multiculturelle et qu'on ne peut pas
détacher certaines communautés de leurs
appartenances religieuses. On n’a
pas à le faire. Cela fait partie des
libertés de chacun. Au contraire, la
société doit faire un travail sur le
plan du vivre ensemble, de la tolérance
et du respect des choix de chaque
individu. Je suis musulmane et je suis
une femme libre, et les 2 vont très bien
ensemble. Les féministes doivent
l'entendre. Leur idéal vestimentaire et
leur idée de la liberté n'est pas celui
de toutes les femmes. Justement la
liberté c'est de penser, s'habiller et
s'épanouir comme on le souhaite et pas
comme les autres le veulent.
Comment faire
selon vous pour dépassionner le débat ?
Linda : La
rencontre, le dialogue et l'union pour
défendre des causes communes et graves
qui touchent notre société. Nous occuper
des véritables problèmes de la France:
le chômage, la lutte pour les droits des
citoyens, et surtout l'égalité et la
justice pur tous !
Kahina : Pour
dépassionner le débat, commençons par
écouter les femmes concernées par le
sujet, celles qui ont vraiment quelque
chose à dire. Pour le moment, on entend
que les politiques, certains
journalistes et intellectuels qui font
de la question du voile un enjeu social.
Ce qu’elle n’est pas. Je pense que c’est
vraiment là le point de départ : donner
la parole à celles concernées et qui
maitrisent le sujet. Seules ces
personnes seront posées le débat en de
bons termes. Un débat sain et
intelligent ne peut se faire en
l’absence de ces parties, dès lors il
n’est pas objectif et raisonnable il
devient démesuré et vide de sens.
Baya :Il
faut entendre les personnes concernées
par ce sujet, les premières intéressées.
Cela permettra d’arrêter de fantasmer.
Malheureusement, on ne donne pas assez
la parole à ces femmes et c'est bien
dommage.
Est-ce que le
voile vous empêche de vivre votre vie ?
Linda : Le
voile ne m'empêche pas de vivre ma vie !
C'est la société française actuelle qui
m'empêche de m'épanouir dans mes choix.
J'ose espérer un peu plus de tolérance
de la part de celle-ci ! Une société qui
accepte ses citoyens dans sa richesse et
sa diversité culturelle. Une France plus
ouverte, responsable, mûre, juste et
ambitieuse pour ses quartiers
populaires.
Kahina : Le
voile ne m’empêche pas de vivre ma vie :
ce que l’on dit du voile à tort me rend
la vie difficile à certains moments.
Comme je le disais, actuellement
certains politiques, journalistes et
intellectuels se sont emparés de la
question du voile et s’expriment sur les
plateaux télés, dans les journaux, dans
les universités. La majorité des
français entend ce genre de discours
sans prendre la peine de se poser les
bonnes questions. Ces mêmes personnes,
qui dans la rue, posent un regard
violent et jugeant sur moi.A certains
moments, ces regards vous font l'effet
d’un uppercut, certains propos également
et là faut avoir les épaules solides.
Indépendamment de cela, la femme voilée
mène une vie semblable au reste des
femmes.
Baya : Pas
du tout, je vis ma vie de la même façon
que lorsque je ne le portais pas encore.
Je sors, je voyage, comme je l'ai dit,
je me sens encore plus libre et
épanouie. Malheureusement, ce que je
peux ressentir parfois, ce sont les regards
méprisants de certaines personnes
dans la rue, voir parfois des remarques
et même des insultes. Mais je ne
m'arrête pas là dessus.
A qui êtes-vous
soumise ?
Linda : Je
ne suis soumise à personne excepté à mon
Seigneur.
Kahina : La
soumission je ne la concède qu’à Dieu,
je crois en lui et ma croyance me fait
dire que chacun est libre de croire ou
de ne pas croire.
Baya : Je
suis soumise à Dieu et assume
complètement mes convictions
religieuses. Par contre, je ne suis
soumise à aucun homme et aucune femme.
Et je ne plierai jamais devant la
pression de qui que ce soit, pas même
des politiques et des féministes qui
veulent nous imposer leurs idées et code
vestimentaire de force.
Quelle serait
pour vous la société idéale ?
Linda : Une
société qui accepte tous les citoyens et
la traite de manière égale et juste. Une
société unie, forte et tolérante qui
applique la justice pour tout le monde.
Une société où les citoyens s'unissent
pour des causes communes et échangent
sur leurs différences avec beaucoup de
respect. Et où personne n'imposerait sa
vision du monde ou de l'émancipation.
Un peu plus d'empathie et moins
d'égoïsme ou de rapport de pouvoir
... Mais je rêve peut-être : je suis un
peu Bisounours.
Kahina : Je
ne sais pas trop quelle société idéale
je souhaite mais j’imagine une société
meilleure. On parle beaucoup du vivre
ensemble, mais c’est une belle utopie
quand on constate que l’on marginalise,
que l’on exclut la femme voilée de la
société française. Quand j’entends
parler d’une probable loi interdisant le
port du voile au sein des universités je
me dis que la France a échoué. Je ne
comprends pas, comment peut-on à la
fois dire des femmes voilées qu’elles
sont soumises aux dictats masculins,
qu’elles ne sont que de pauvres victimes
et pendant ce temps là, on leur interdit
les bancs des universités. Après
tout, le savoir n’est-il pas le meilleur
outil d’émancipation ? Je pourrais en
dire autant en ce qui concerne l’accès à
l’emploi, aujourd'hui voilée, il est
difficile de trouver un emploi, le peu
de sociétés privées qui embauchent des
femmes voilées sont pointées du doigt et
on tente par tous les moyens de les
dissuader d’une telle pratique. Donc si
on résume : la femme voilée doit rester
chez elle et ne pas se mêler aux autres.
Qu’on m’explique alors où se situe le
vivre ensemble ? La construction d’une
société meilleure commencerait par
accepter la différence, peu importe
sa nature, parce que toutes les
minorités souffrent en France, toutes
sans exception.
Baya : La
société idéale serait, pour moi, une
société qui respecte les différentes
cultures et les us et coutumes de chacun
ainsi que les religions de chacun.
Respecter celui qui croit et celui ne
croit pas, celle qui veut sortir en mini
jupe et celle qui veut sortir voilée. A
partir du moment où personne ne porte
atteinte à l'intégrité de l'autre et que
l'on essaye de vivre ensemble, alors on
pourra envisager une évolution de la
société.
Quelle
discrimination subissez-vous au
quotidien ?
Linda : J'ai
subi de la discrimination lors de mes
entretiens d'embauche. Depuis, je me
présente sans voile. J'ai aussi été
victime d'insulte ou de rejet dans
certains endroits et parfois des
endroits ludiques comme les salles de
sport. Depuis, je réinvente ma façon de
porter le voile... mais un turban sur la
tête d'une arabe reste un voile
islamique... On se demande ce qui
pose réellement problème : le voile ou
mes origines ou mes convictions tout
court...
Kahina : La
discrimination se manifeste par des
réflexions que l’on vous jette au visage
dans la rue, les transports en commun; «
si vous n’aimez pas la France rentrez
chez vous », ou encore « quelle honte!
». N’importe quelle femme voilée vous le
dira c’est récurrent. Y’a des regards
qui en disent plus que les mots : la
meilleure des réactions c’est
l’ignorance mais on ne va pas se mentir
c’est lourd, c’est pesant. On nous
reproche notre voile mais ces gens là ne
se rendent pas compte du voile duquel il
nous recouvre au travers de leurs
comportements.
Baya : Je
subis parfois des regards méprisants,
des remarques désobligeantes, voire,
insultantes, des insultes, je me
suis même fait un jour bousculer par une
dame aux Galeries Lafayette à Paris.
Elle m'a dit "retournez dans votre pays
!".
Propos
recueillis par Nadir Dendoune
Publié le 8 avril 2016
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