Syrie
Syrie / ONU : Pas question de
justifier l’invasion turque par la
légitime défense ou la lutte contre le
terrorisme…
Bachar al-Jaafari
Dimanche 27 octobre 2019
Après l’invasion turque de la
Syrie le 9 octobre courant, suite à
l’annonce du prétendu retrait total
américain du nord est de la Syrie [1],
et la conclusion de l’accord russo-turc
du 22 octobre, le Conseil de sécurité
s’est réuni le 24 octobre ; l’ONU
réclamant le passage de l’aide
humanitaire par la frontière
turco-syrienne [2].
Le délégué permanent de la
Syrie auprès des Nations Unies, le Dr
Bachar al-Jaafari, dit tout haut ce que
dissimulent les « pleurnicheries
humanitaires » des coalisés ayant
projeté le dépeçage de la Syrie bien
avant d’entreprendre leur massacre
programmé de la Syrie et des Syriens [NdT].
Monsieur le
Président,
J’aimerais
commencer par vous remercier pour vos
efforts personnels et pour les efforts
de votre délégation amie [Afrique du
Sud ; Ndt], en tant que membre du
Conseil de sécurité et aussi en tant que
Président de ce conseil pour ce mois-ci.
Le 9 octobre,
le régime turc a lancé un nouvel épisode
de sa série d’agressions sur mon pays,
en violation flagrante du droit
international, des principes de la
Charte des Nations Unies, des
résolutions de ce conseil, des
communiqués adoptés suite aux réunions
successives du processus d’Astana et des
accords de Sotchi affirmant, sans
exception, le respect de l'unité
territoriale, de la sécurité et de la
souveraineté de la Syrie.
Une agression
caractérisée qui s’est soldée par
l'occupation de terres syriennes, des
centaines de morts et de blessés parmi
les civils dont des enfants, des femmes
et des travailleurs du secteur public,
des centaines de milliers de personnes
déplacées, d’énormes dégâts matériels
aussi bien au niveau des bâtiments
publics, tels les hôpitaux et les
écoles, qu’au niveau des infrastructures
vitales tels les barrages, les
centrales électriques et hydrauliques.
C’est tout cela que le Bureau de la
coordination des affaires humanitaires
de l’ONU [OCHA] a considéré comme un
mirage éphémère ne méritant pas qu’on
s’y arrête ; ce qui prouve la vacuité de
ses allégations humanitaires.
Et, il est
regrettable que nous n’ayons pas entendu
M. Khaled Khiari [Sous-Secrétaire
général pour le Moyen-Orient, l’Asie et
le Pacifique au Département des affaires
politiques et de la consolidation de la
paix], ou Mme Ursula Mueller [Sous-Sécrétaire
générale aux affaires humanitaires et
Coordinatrice adjointe des secours
d’urgence], condamner cette
agression contre notre souveraineté,
plutôt décrite comme une « opération
militaire turque au nord-est de la
Syrie ». Comme si cette opération avait
lieu au nord-est de Mars, de Vénus ou de
Mercure, non sur les terres d’un État
fondateur de cette organisation
internationale, un État souverain
conformément aux dispositions de la
Charte et au droit international.
De plus,
poursuivant ses tentatives de
légitimation et d’enjolivement des ses
crimes, le régime turc a sciemment
inclus dans sa lettre S/2019/804,
adressée à votre conseil, une série de
mensonges, lesquels ne trompent
personne, afin de justifier son
agression. C’est le cas, lorsqu’il
prétend que son objectif est de
faciliter le retour des personnes
déplacées, de préserver l'intégrité
territoriale de la République arabe
syrienne et de lutter contre le
terrorisme. Il est même allé jusqu’à
qualifier son agression de « source de
paix » et la région qu’il ambitionne
d’occuper de "zone de sécurité",
confirmant ainsi l'aggravation de
sa schizophrénie ; vu qu’il s’agit du
même régime turc étant passé du slogan
"zéro problème avec les voisins", lancé
il y a quelques années, à celui devenu
aujourd’hui : « zéro principe, zéro ami,
zéro bon voisinage avec tous les
voisins » !
Il n’est pas
étonnant que le régime turc ait fondé
son agression contre mon pays sur
l’article 51 de la Charte [3], étant
donné qu’il reprend la même approche
adoptée par ses alliés de l’OTAN dans le
but d’ingérences militaires directes,
d’invasions et de menaces de la
souveraineté, de la sécurité et de la
stabilité de nombreux États membres de
l’ONU, comme ce fut le cas lors de la
constitution de ladite « Coalition
internationale » illégale, dont les
crimes directs ou par procuration à ses
milices ont servi de base à l'agression
turque en cours.
Vraiment
surprenante est la magie de cet article
51 utilisé par certains pour lancer des
guerres et des agressions militaires
contre des États membres des Nations
Unies, sans accorder la moindre
importance au mandat de ce conseil
chargé de maintenir la paix et la
sécurité internationales.
Nous nous
souvenons tous de ce qui est arrivé à la
Yougoslavie, à l’Irak et à la Libye. Ce
qui exigerait, peut-être, que votre
conseil tienne une réunion avec des
représentants du Bureau des affaires
juridiques [de l’ONU], afin d’ôter le
masque couvrant cet important article de
la Charte, mettre fin aux mythes et
légendes dont l’enveloppent certains et
leur faire comprendre la différence
entre légitime défense et actes
d'invasion, de guerre ou d'agression
militaire, condamnés par la Charte.
Monsieur le
Président,
Le gouvernement de mon pays
condamne avec la plus grande fermeté
l'agression turque et refuse
catégoriquement la tentative du régime
turc de justifier son agression sous le
prétexte de la légitime défense ou de la
lutte contre le terrorisme. Car, c’est
ce régime qui a violé l'« accord
d'Adana », un accord sécuritaire conclu
en 1998 entre nos deux pays [Lequel
accord autoriserait la Turquie à entrer
en Syrie sur une profondeur de 5 Kms en
cas de perturbations ou d’agressions
menées contre son territoire par des
éléments du PKK présents sur le sol
syrien ; des analystes syriens disent
que l’inverse est vrai en cas d’actes
terroristes menés contre la Syrie à
partir de la Turquie ; NdT].
C’est ce régime qui a travaillé au
recrutement, à l’entraînement et à
l’armement de milliers de terroristes,
dont des terroristes étrangers qu’il a
ramenés de plus de 100 pays, selon les
rapports émanant de votre Conseil de
sécurité. Les Services de renseignement
turcs les ont accueillis dans les
aéroports turcs, ont facilité leur
infiltration en Syrie via la frontière
commune, ont planifié leurs crimes, leur
ont accordé un soutien politique,
militaire et médiatique pendant des
années, avant d’avoir récemment
travaillé à les réunir et à les intégrer
parmi les forces d’invasion ayant
agressé le nord-est de mon pays.
Les condamnations entendues
aujourd’hui de la part de représentants
d’États européens, lesquels se sont plu
à qualifier l’agression turque
d’« action unilatérale turque » et, au
mieux, d’« opération turque », ne les
dégagent pas de leur responsabilité dans
la genèse de la situation actuelle ;
laquelle situation a offert à Erdogan
les prétextes de son agression sur un
plateau en or.
Et ce, parce
que ces États européens ont joué un rôle
majeur, aussi bien dans le soutien et le
parrainage des milices séparatistes
illégitimes dans le nord-est de la
Syrie, que dans l'émergence et
l'exacerbation de la menace des
organisations terroristes actuellement
déployées dans Idleb et ses environs.
De plus,
comme le dit l’adage bien connu
« et un
témoin de sa famille témoigna… », c’est
l’ex-envoyé spécial du président
de ladite Coalition internationale
contre Daech, Brett McGurk, qui a
affirmé que la Turquie avait autorisé le
passage de 40 000 terroristes venus de
110 pays pour se joindre à Daech, et que
la Turquie a refusé de fermer sa
frontière avec la Syrie devant cette
racaille. C’est le témoignage de Brett
McGurk. Cette vérité, que nous n’avons
cessé de clamer depuis des années,
était-elle cachée aux États européens ?
Non ! Qu’ont-ils fait pour empêcher
leurs terroristes de venir dans mon
pays, sinon que de pleurnicher sur le
droit international humanitaire ? Rien !
Ainsi, il
faut que nous combattions le terrorisme
par le droit international humanitaire,
non que nous renvoyions les terroristes
en Europe, d’où ils sont venus. Non !
Nous devons accueillir les terroristes
de Daech et du Front al-Nosra dans des
Hôtels 10 étoiles et demander à l’OCHA
de leur offrir une nourriture venue des
plus prestigieux restaurants de Paris.
Ainsi, nous appliquerions effectivement
le droit international humanitaire !
Il est
regrettable que certains tiennent
toujours à persévérer dans leur
habituelle hypocrisie et leur double
standard, en nous donnant à nous
émerveiller de leurs éloges du régime
turc, de son généreux accueil des
Syriens déplacés et de son rôle dans la
facilitation du travail humanitaire
transfrontalier.
Ceux-là font
mine d’ignorer qu'Erdogan n’aurait
jamais accueilli aucun de ces Syriens
s’il n’avait cherché à les
instrumentaliser afin de concrétiser ses
ambitions expansionnistes dans la
région, donner vie à ses illusions d’un
sultanat ottoman erdoganien, tout en les
exploitant comme carte utile pour faire
chanter l’Europe en de multiples
occasions, même si cela a mené à la
noyade de centaines d’entre eux dans les
embarcations de la mort chargées en mer
Egée ou en mer Méditerranée par des
passeurs turcs.
Tout comme il
n’aurait jamais offert une quelconque
facilité à l’aide humanitaire
transfrontalière des Nations Unies, s’il
n’avait cherché à couvrir son
implication dans l’acheminement de
dizaines de milliers de terroristes
étrangers, la livraison de camions
d’armes à ces terroristes, ainsi que son
implication dans le pillage du pétrole,
des antiquités, du blé, des usines et de
toutes sortes de richesses syriennes.
Tel est le
bénéfice des résolutions 2449 (2018) et
2160 (2014) [4] !
Tout cela
était-il caché à quiconque ? Non ! Mais
l’inimitié conçue par certains
gouvernements contre l’État syrien les a
poussés à préférer une alliance avec le
diable plutôt qu’avec le gouvernement
syrien. Et ce, aux dépens du droit
international, des valeurs humaines, des
principes fondateurs de la civilisation
et du sang des Syriens.
Monsieur le
Président,
L’Empire
ottoman a commencé son invasion de la
Syrie en 1516 et il a cessé d’exister en
1916, aux portes de Damas ; aux portes
de Damas et non aux portes de Vienne !
Cela devrait faire comprendre à notre
voisin turc que ce qui devrait nous
réunir est l’Histoire, la Géographie et
les intérêts communs, non les
agressions.
Monsieur le
Président,
Hier, la
délégation de mon pays a adressé à votre
conseil une lettre officielle avec une
réponse détaillée du gouvernement syrien
au contenu du rapport du Secrétariat
général N°63 concernant la mise en œuvre
des résolutions relatives à la situation
humanitaire en mon pays. Vu le manque de
temps, je me contenterai d’affirmer, une
fois de plus, que l’amélioration
concrète de cette situation humanitaire
exige le plein respect de la
souveraineté, de l'unité et de
l'intégrité territoriale de la Syrie,
l’opposition aux ingérences politiques,
militaires et économiques extérieures
dans ses affaires et la garantie du
retrait de toutes les forces étrangères
présentes illégalement sur son
territoire.
Lesquelles
forces étrangères violent la
souveraineté de la Syrie, soutiennent le
terrorisme, entravent nos efforts et les
efforts de nos alliés justement destinés
à améliorer la situation humanitaire,
comme c’est le cas pour le camp d’Al-Roukbane.
Un camp situé dans la région syrienne
d’al-Tanf dont nul n’a évoqué, ici, le
fait qu’elle est occupée par les forces
américaines.
Nous
insistons aussi sur la nécessité de
lever les mesures coercitives
unilatérales qu’endurent les Syriens, de
coopérer pleinement avec l’État syrien
et de soutenir ses efforts dans sa lutte
contre le terrorisme, son travail
humanitaire et de développement. En
dehors de cela, tout revient à une
simple pêche en eaux troubles.
Monsieur le
Président,
Un dernier
mot destiné à Madame Marcaillou [Directrice
du Service de la lutte anti-mines de
l’ONU]. Comme elle l’a dit, elle
s’est rendue il y a quelque temps à
Damas. Elle est entrée en contact et a
eu des réunions importantes avec mes
collègues du ministère des Affaires
étrangères. Nous l’avons informée de
notre stratégie double anti-mines, dont
une partie importante est prise en
charge par le gouvernement syrien et les
alliés russes, l’autre partie étant
confiée à une délégation arménienne de
spécialistes compétents qui font un
travail louable. Nous l’avons également
informée de notre coopération avec la
« Fondation Agha Khan » dans la région
de Salamyeh. Et, nous lui avons aussi
fait savoir que l’Union européenne, qui
prétend financer 30 projets humanitaires
en Syrie, exclut tout projet de
déminage.
Nous avons
dit tout cela à Madame Marcaillou, à
Damas. Le déminage ne serait donc pas un
travail humanitaire ? Serait-ce un
travail politique ? Auquel cas, pourquoi
nous a-t-elle gratifiés de sa conférence
sur le travail humanitaire en Syrie ?
Merci
Monsieur le Président.
Dr Bachar
al-Jaafari
24/10/2019
Délégué permanent de la Syrie auprès des
Nations Unies
Transcription et traduction par Mouna
Alno-Nakhal
Sources :
https://www.youtube.com/watch?v=GJmnfCzbcMg
Notes :
[1] [Ce
que rapporte « Libération » des tweets
du 13 octobre de Brett McGurk]
‘…le
Pentagone a annoncé dimanche le retrait
rapide des soldats américains déployés
dans le nord de la Syrie. Un
départ qui fait redouter un vide
sécuritaire encore plus abyssal.
Furieux, l’ancien conseiller américain
auprès de la coalition internationale
anti-Daech Brett McGurk a dressé un
bilan cinglant de l’opération turque :
«130 000 déplacés, terroristes qui
s’échappent, Syriens exécutés sur des
routes, principales lignes
d’approvisionnement américaines coupées
[…], de plus en plus impossible pour les
forces américaines de rester en Syrie,
aucun plan pour s’occuper de ceux qui
ont travaillé avec nous», a-t-il
énuméré sur Twitter. Avant de conclure :
«C’est un désastre total.»’
[2] [Conseil
de sécurité: après l’offensive turque en
Syrie, l’ONU réclame le passage de
l’aide humanitaire par la frontière
turco-syrienne]
[3]
[Article 51 de la Charte des Nations
Unies (24 Oct. 1945 - mis à jour le 03
Nov. 2008)]
Aucune
disposition de la présente Charte ne
porte atteinte au droit naturel de
légitime défense, individuelle ou
collective, dans le cas où un Membre des
Nations Unies est l’objet d’une
agression armée, jusqu’à ce que le
Conseil de sécurité ait pris les mesures
nécessaires pour maintenir la paix et la
sécurité internationales. Les mesures
prises par des Membres dans l’exercice
de ce droit de légitime défense sont
immédiatement portées à la connaissance
du Conseil de sécurité et n’affectent en
rien le pouvoir et le devoir qu’a le
Conseil, en vertu de la présente Charte,
d’agir à tout moment de la manière qu’il
juge nécessaire pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité
internationales.
[4] [Syrie:
pour répondre à l’urgence, le Conseil de
sécurité reconduit son Mécanisme de
surveillance de l’aide transfrontalière
humanitaire]
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
Le
dossier Russie
Le
dossier Syrie
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