Actualité
La Syrie, ses alliés… et la gestion du
conflit
Ghaleb Kandil
Mardi 21 mai 2019
À ceux qui ont péremptoirement
prétendu que Bachar al-Assad a
gagné la guerre, mais n’a pas gagné la
paix ou encore, qu’il n’a pas gagné la
guerre, la Russie ou l’Iran l’ayant
forcé à accepter certains compromis, cet
article de Monsieur Ghaleb Kandil tend à
nous démontrer que s’il est vrai que
« les États n’ont pas d’amis ; ils n’ont
que des intérêts », le mérite du
Président syrien et de son équipe est
d’avoir défendu leur pays en créant un
modèle relationnel donnant la priorité
aux intérêts communs et à la
compréhension des particularités de
chacun. [NdT].
La machinerie
de l’agression coloniale a
inlassablement travaillé à promouvoir
des vagues de scepticisme destinées à
semer le doute quant aux rôles tenus par
la Russie et l’Iran en soutien de l’État
syrien dans son combat contre les gangs
du terrorisme et du takfirisme, outils
de la guerre par procuration dirigée par
les États-Unis, en partenariat avec les
pays de l'OTAN, les pays du « Golfe » et
une coalition politique internationale
initialement formée par plus de 80
gouvernements.
En effet,
c’est dès la première Conférence de
Genève [Juin 2012] que les
planificateurs américains ont cherché à
démanteler la coalition adverse, opposée
à la guerre, regroupant la Chine, la
Russie, l’Iran et quelques gouvernements
résistant à l’hégémonie américaine.
C’est aussi dès les premières années de
l’agression américano-sioniste qu’ils
ont cherché à diaboliser l’implication
de la Russie et de l’Iran dans la
défense de la Syrie et le soutien
économique, financier et militaire
accordé à sa résilience. Et c’est depuis
longtemps qu’ils tentent d’exploiter
toutes sortes d’hypothèses portant sur
leur « compétition pour influence » en
Syrie.
Mais voici
ces planificateurs face à la réalité
choquante réfutant toutes leurs savantes
hypothèses, vu la complémentarité
militaire et politique entre la Russie
et l’Iran, malgré des divergences
évidentes portant sur nombre de
problèmes en rapport avec des intérêts
et des positionnements particuliers,
notamment, la place de la Syrie dans le
conflit arabo-sioniste.
L’Administration syrienne est
parfaitement consciente de toutes les
particularités de ses alliés et des
positions de chacun face aux multiples
problèmes. Il n’empêche qu’elle a réussi
à créer un environnement stratégique
ayant mené à la réduction des marges
d’opposition et de contradictions entre
les alliés, tout en maintenant sa propre
vision fondée sur les intérêts nationaux
de la Syrie.
Ainsi, la
République arabe syrienne est l’associée
de la fédération de Russie dans
l’« Alliance de la lutte contre le
terrorisme », terrorisme dont la menace
fut le catalyseur décisif de
l'engagement militaire russe [Septembre
2015] ayant contribué à rééquilibrer les
rapports de forces sur le terrain, à
renforcer la capacité de l'Armée arabe
syrienne, à rétablir l’autorité de
l’État syrien dans de nombreuses régions
du pays, à reconstruire ses capacités de
défense face à l'agression coloniale, à
acquérir et à renouveler ses capacités
de dissuasion face à l'entité sioniste.
Pour tout
observateur sérieux, il est clair que
l’intervention russe reposait
fondamentalement sur l’idée que la
bataille de défense de la Syrie serait
une étape décisive de la lutte contre
l’hégémonie mondiale unilatérale des
États-Unis, idée qui n’a cessé d’évoluer
depuis le premier veto russo-chinois [4
octobre 2011] au Conseil de sécurité des
Nations Unies. Par ailleurs, lors du
sommet de l’OTCS [Organisation du Traité
de Sécurité Collective regroupant
l’Arménie, la Biélorussie, le
Kazakhstan, le Kirghizstan, la Russie et
le Tadjikistan) tenu à Douchanbe, en
septembre 2015, à la veille de la
mobilisation aérienne russe en direction
de la Syrie, le président Vladimir
Poutine fut très clair sur l’importance
cruciale de combattre les terroristes
sur le sol syrien, vu le danger de leur
expansion sur toute l’Asie, y compris la
Russie et les pays voisins, dont la
Chine.
Parallèlement, la République arabe
syrienne tient à sa solide alliance
stratégique conclue avec l'Iran depuis
une quarantaine d’années en partenariat
avec l’Axe de la résistance, lequel
repose sur la contradiction
existentielle avec l'entité sioniste vu
son rôle de pierre angulaire du système
de domination coloniale de la région
dirigé par les États-Unis.
D’où la
capacité éminemment exemplaire du
Président Bachar al-Assad dans la
gestion de la défense de son pays selon
ces deux axes ; gestion basée sur leur
complémentarité face aux menaces
communes et sur le travail de
consolidation de leurs relations avec la
Syrie, via un réseau de partenariats et
d'intérêts économiques dans le cadre
d'une compréhension commune du conflit.
Ce qui explique les nombreux accords
conclus avec la Russie et l'Iran dans le
sillage de la confrontation commune aux
ennemis de la Syrie, accords ayant
dépassé le niveau militaire pour porter
sur les secteurs de l’économie, du
pétrole, du commerce et de l'industrie.
Cette vision
est au cœur de l'approche syrienne en
vue de la planification de la
reconstruction physique et économique,
selon les deux principes proposés par le
Président syrien : redirection du pays
vers l’Est, priorité aux partenariats
avec les pays ayant soutenu la
résistance de la Syrie et contribué à sa
défense ; autrement dit, priorité aux
associés à la lutte contre le terrorisme
et à ceux qui refusent l’hégémonie du
bloc occidental, à commencer par la
Russie, la Chine et, bien sûr, l’Iran,
principal partenaire de l’Axe de la
résistance à l’hégémonie
américano-sioniste.
Mais, autant
la Syrie respecte les particularités de
ses alliés, autant elle tient aux
particularités de ses intérêts
nationaux. C’est ainsi que lorsque la
vision syrienne d’un État futur
centralisé et laïc s’est trouvée en
contradiction avec des initiatives
russes et iraniennes, Moscou et Téhéran
ont dû adopter la vision de Damas, comme
en témoigne l'examen minutieux de tous
les textes officiels concernant la
Syrie, notamment les textes des
résolutions et déclarations finales des
réunions et conférences internationales
successives tout au long de ces
dernières années, lesquels reflètent
tous la vision syrienne dudit
« processus politique » fondé sur
l’unité et l’intégrité territoriale,
l’État centralisé et la laïcité.
Ce
comportement face aux initiatives
d’États alliés est désormais un modèle
relationnel donnant la priorité aux
intérêts communs et à la compréhension
des particularités. Dans ce contexte,
bien que la Syrie considérait et
considère toujours que la présence
turque sur son sol est une occupation
inacceptable, elle a quand même tiré
profit du confinement du rôle de la
Turquie -fer de lance de l'agression
coloniale- par la Russie et l’Iran à la
fois. Elle en récolte les résultats par
une opération conjointe
syro-russo-iranienne visant à libérer
les zones encore sous le contrôle des
terroristes. C’est un long processus qui
a débuté avec les batailles de
libération d'Alep et de la Ghouta. Il se
poursuit aujourd'hui par la bataille de
libération d'Idleb, laquelle exige des
opérations d’une grande précision vu la
complexité de la situation et la volonté
d’en limiter les coûts militaire et
humain via les initiatives politiques
des alliés visant d’une part, à
renforcer les capacités de l'Armée arabe
syrienne, d’autre part, à obliger la
Turquie de choisir entre se plier à la
volonté américaine ou s’aligner sur le
camp russo-iranien et donc, à adopter
des relations fondées sur les intérêts
communs à deux pays voisins. Ce qui
explique la proposition de la Russie de
revenir aux accords signés par la
Turquie et la Syrie [à Adana] en 1998.
Les
initiatives de confinement et de
démantèlement des groupes armés sur le
terrain sont des tactiques avancées par
le président Bachar al-Assad dès le
début de l'agression et bien avant
l'implication de la Russie et de l'Iran.
Combinant l’action militaire à l’action
politique, il a conçu les décrets
successifs d’amnistie et a dirigé des
dialogues et des réconciliations ayant
facilité le déploiement de l’armée arabe
syrienne sur une grande partie du
territoire syrien et le démantèlement
des ghettos mis en place par les
factions armées dirigées par Al-Qaïda et
les Frères Musulmans. Ce qui a abouti
aux « Accords d’Astana » et à l’« Accord
de Sotchi » par lequel la Turquie s’est
engagée à séparer les prétendus rebelles
des gangs de terroristes dans le
gouvernorat d’Idleb [devenu la cinquième
zone de désescalade ; NdT]. Un
engagement non respecté géré avec
sagesse par l’Armée arabe syrienne qui
concentre actuellement ses opérations
sur cette zone censée être débarrassée
des armes lourdes.
La gestion du
conflit ainsi mené par le président
Bachar al-Assad en partenariat avec les
alliés russes et iraniens a apporté des
changements radicaux sur le terrain et
des transformations majeures en faveur
de l’armée arabe syrienne. Elle a ouvert
la voie au démantèlement de la
« coalition des agresseurs », laquelle a
perdu de sa cohésion face à la
résilience de la Syrie soutenue par ses
alliés. Il n’en demeure pas moins qu’il
est illusoire de croire en la libération
de tout le territoire national d’un seul
coup. À chaque étape, les efforts
conjugués des alliés permettent
l’exploitation politique et militaire de
nombre de contradictions au sein du camp
ennemi et réduisent le prix à payer par
le peuple syrien et son armée en dépit
du temps qui passe, d’autant plus qu’il
reste à libérer le pays des deux
occupations turque et américaine.
Par
conséquent, la méthodologie adoptée par
les dirigeants syriens a préservé les
constantes nationales et la solidité des
alliances malgré les particularités et
les contradictions. Pour exemple, les
batailles du sud du pays prouvent le
respect de l’allié russe des positions
de principe syriennes, en dépit de son
positionnement vis-à-vis d’Israël et
malgré la forte adhésion de la Syrie à
l’Axe de la résistance. Un
positionnement fondé sur les intérêts
russes avec, cependant, une conception
respectant la particularité de la
situation syrienne face à l’ennemi
sioniste, son engagement à libérer son
territoire occupé, ainsi que son soutien
à la résistance palestinienne et
libanaise. Des engagements sans cesse
rappelés haut et fort par les dirigeants
syriens, pendant que la Russie renoue
avec sa vision traditionnelle d’une paix
globale et permanente, puisée dans son
héritage soviétique et basée sur l’idée
du retrait sioniste des territoires
arabes occupés depuis 1967, à commencer
par le Golan arabe et syrien.
Ghaleb
Kandil
20/05/2019
Traduit de
l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source :
New Orient News
http://www.neworientnews.com/index.php/news-analysis/69830-2019-05-20-07-06-37
Monsieur Ghaleb
kandil est le Directeur
du Centre New Orient News et membre du
Conseil national de l’audiovisuel au
Liban (CNA) chargé des relations arabes
et internationales.
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