Syrie
Réponses d’une Syrienne à la
« Hors-la loi César »
de M. Trump et Cie
Docteur Reem Arnouk
Dimanche 14 juin 2020
Les prochains mois risquent d’être
encore plus douloureusement vécus par la
Syrie et les Syriens. Ladite « Loi
César » -ou plus exactement « The
Caesar Syria Civilian Protection Act »
qui n’a rien d’une loi de protection des
civils, mais tout d’une décision hors-la
loi cherchant à étrangler le peuple
syrien par toutes sortes de sanctions
économiques afin qu’il se désolidarise
de ses dirigeants- devrait entrer en
vigueur le 17 juin prochain.
Sans
aborder les répercussions de cette
décision illégitime sur l’ensemble des
Pays du Levant, nous avons choisi de
traduire les réactions d’une citoyenne
syrienne aux déclarations, ce 7 juin, de
James Jeffrey, le représentant spécial
des États-Unis pour l'engagement en
Syrie et l'envoyé spécial de la
Coalition internationale contre Daech.
Elle nous a parue représentative des
Syriens patriotes conscients des dangers
qui guettent leur pays.
Ses
réactions viennent confirmer l’idée que
ce serait une erreur de céder aux
exigences de Washington au moment même
où les États-Unis et leurs alliés vivent
la tourmente d’un probable déclin
économique et où leurs adversaires
tendent à s’émanciper de leur hégémonie.
Autrement dit, la Syrie ne peut pas
aller contre l’Histoire. D’autres
options existent. [NdT].
Permettez que je vous présente James
Jeffrey l’Américain
C’est ce
Monsieur tout sec qui s’enorgueillit de
ce qui nous afflige.
Il est fier
de l'effondrement de notre monnaie face
au dollar Us.
Il se vante du blocus qui nous est
imposé et de la famine qui nous attend.
Il vole ouvertement notre pétrole vu que
son président aux cheveux oranges a
publiquement déclaré : « Nous occupons
la Syrie, j’aime le pétrole, nous le
garderons » ! [*]
Il fait brûler notre blé afin de nous
priver de ce qui est le plus élémentaire
pour que nous restions en vie.
Il soutient les séparatistes kurdes et
nous coupe de la région nord-est de
notre Syrie.
Il laisse les « daechiens » s’échapper
des prisons pour qu’ils nous découpent
en morceaux.
Pourquoi ?
Pour protéger Israël
désormais plus faible qu’une toile
d'araignée, en dépit des injections
répétées de dollars et de toutes sortes
d’armement.
Pour mettre à genoux l'axe de la
Résistance, dont l'Iran, lequel a asséné
un sacré coup à sa vaniteuse hégémonie
et qui vient d’approvisionner le
Venezuela en pétrole et en aides
humanitaires.
Contre
quoi ?
Contre les promesses de
ses sordides négociations : « Expulsez
la Résistance, éjectez l'Iran et nous
vous promettons la survie du régime
ainsi que la levée des sanctions ».
Les sanctions
ne sont donc pas liées au fameux
« César » [et à ses photos de prétendues
tortures infligées à des civils
syriens ; NdT], ni aux droits de
l'homme, ni aux droits des terroristes
confinés à Idleb.
Non. Les sanctions de ladite « Loi
César » sont liées à nos relations avec
la Résistance : « Expulsez la
Résistance, inclinez-vous devant le
Seigneur sioniste et vous garderez vos
postes et vos prérogatives ».
Quant aux droits de l’homme, connaît-il
seulement le sens du mot « humain » pour
parler de ses droits ?
Plutôt les coups de couteaux que
l’allégeance à l’Amérique
À
votre avis mes frères syriens,
devrions-nous céder aux exigences
nouvelles, mais en réalité anciennes, de
laisser tomber la Résistance afin de
regagner l’amitié des Américains et
faire lever le blocus contre la Syrie ?
Imaginons que
nous ayons rompu nos relations avec la
Résistance libanaise et la Résistance
palestinienne, que nous ayons poussé à
la sortie les amis iraniens ayant
combattu le terrorisme à nos côtés et
versé leur sang sur notre terre, qu’une
nouvelle page ait été ouverte avec
l'Amérique, que l'économie se soit
améliorée, que le peuple se soit enfin
reposé, et que nous ayons repris les
relations diplomatiques avec les pays de
l'axe pétrodollar. Que se passerait-il ?
Autrement dit, que gagnerions-nous de
l'amitié de l'Amérique et de
l'Occident ? Pour répondre, revenons sur
l'expérience de deux grands pays
arabes : l’Irak et la Libye.
L’Irak de Saddam était l’allié de l’Iran
du Shah. Lorsque la Révolution islamique
a pris le pouvoir en Iran (1979), rien
n’a changé du côté iranien. Mais en
raison de son amitié avec Saddam,
l’Amérique humiliée lui a ordonné de
mener la guerre contre le nouvel Iran.
Une guerre qui a duré huit longues
années mes amis. Une guerre qui a
détruit le vivant et l’inerte dans les
deux pays ; l’Irak ayant perdu son
armée, ses capitaux et son armement.
Puis, deux ans plus tard, l’ami
américain lui a inspiré l’idée lumineuse
d’occuper le Koweït (1990). Suite à quoi
elle a lancé sa guerre contre l’Irak,
l’a détruit et assiégé pendant 12 ans,
avant de l’occuper (2003) et de
l’achever pour de bon. C’est ainsi que
l’Irak, le meilleur ami de l'Amérique,
est aujourd'hui détruit, divisé,
dépouillé de ses richesses. L’ami
américain ne lui a laissé ni or, ni
pétrole, ni vestiges historiques, ni
trésors archéologiques. Et, en plus de
lui avoir tant volé, il l’a remis entre
les mains de Daech pour qu’il
l’anéantisse au fil de ses épées. Quant
à Saddam, l’ami de l’Amérique, l’allié
de l’Occident, le chéri de Rumsfeld, il
a fini pendu par une nuit sans lune.
La
Libye de Kadhafi entrée en grâce et en
amitié a consenti plusieurs millions de
dollars d'indemnisation pour les
victimes du vol de la Pan Am 103, des
contrats pétroliers mirobolants avec
l’Europe, des financements de campagne
de candidats à la présidentielle
française, etc. Puis, boom ! L’Occident,
dirigé par l’Amérique, l’a récompensée
par les bombardements et les
destructions. Donc, la même récompense
que l’Irak a reçue de la part de l’ami
américain : pillage des richesses,
occupation, division. Ils ont même fini
par lui ramener Daech et le sort du
Colonel Kadhafi fut encore plus laid et
plus humiliant que celui de Saddam.
Quelles conclusions en tirez-vous les
amis ? Qu’est-ce qui coûterait plus
cher : rester dans l'axe de la
Résistance et subir le blocus, ou courir
après l'amitié et le soutien empoisonné
de l'Amérique ? Je dirai : plutôt les
coups de couteaux que l’allégeance à
l’Amérique !
Au nom de Dieu, de la Syrie et de
la Résistance
Deux petits mots avant de vous quitter
pour aller à mon travail.
Deux petits mots aux Syriens expatriés,
abstraction faite de ceux qui se sont
révélés plus fidèles et plus loyaux que
nombre de Syriens traîtres et corrompus.
Deux petits mots à ces seuls Syriens
dont j’ai lu les propos d’hier, louant
et remerciant Dieu pour leur avoir
épargné de continuer à vivre avec nous,
en Syrie ; l’un d’entre eux allant
jusqu’à déclarer : « Je cracherai au
visage de quiconque oserait parler en
termes tendres et nostalgiques de la
Patrie ».
Deux petits mots valables aussi pour les
Syriens de l’intérieur qui ont exprimé
leur ardent désir d’expatriation,
prétendant avec ironie qu’au cas où des
États étrangers ouvraient leur porte,
l'aéroport de Damas serait bondé de
Syriens fuyant l’enfer, les prix élevés,
la corruption, etc.
À
ceux-là seulement, et je souligne mille
fois le mot « seulement », je dis :
mes chers
bienheureux qui louaient votre Dieu pour
ne plus avoir à vivre avec nous, en
Syrie, que Dieu vous comble de ses
bienfaits jusqu’à pleinement vous
satisfaire et à complètement nous
oublier. Oui, jusqu’à nous oublier.
Oubliez-nous !
Nous sommes fatigués de la corruption,
de la flambée des prix, des commerçants
malhonnêtes, des responsables
corrompus... mais, malgré tout, malgré
les lamentations facebookiennes et le
sentiment général d’une oppression
vertigineuse du Dollar Us, nous sommes
contents d’être là où nous sommes.
Tels les poissons, nous ne pouvons pas
vivre en dehors de l'eau de Syrie.
Tels les arbres, nous mourrions si nos
racines étaient arrachées du sol de
Syrie.
Nous sommes ainsi faits, mes frères.
Nous sommes attachés à cette terre.
Nous ne pouvons pas vivre sans notre
mer, sans nos montagnes, sans nos
oliviers, sans l’eau de Damas, les
bienfaits de Sweida, le savon d’Alep et
la beauté de Homs.
Nous ne le pouvons pas.
Nous ne pouvons pas vivre sans sentir
l’odeur de cette Terre.
Quant à moi, il n’est pas impossible que
je décède officiellement au bout de
trois nuits passées loin de Syrie.
Lorsque nous discutons de la situation
économique, nous parlons sous l’effet de
notre immense douleur et de notre
profonde colère. Cependant, en dépit de
la noirceur de cette situation, nous
sommes prêts à
manger de la terre pour ne pas quitter
notre pays. Aussi, je
jure par le Tout-Puissant qu’en 2014 à
Alep, lorsque les terroristes nous ont
coupé l’eau de notre Euphrate, nous
avons bu les eaux de pluie collectées
sur nos balcons. Nous ne sommes pas
partis. Nous n'avons pas quitté Alep.
Cette eau n'était-elle pas l'eau de
notre ciel syrien ?
Et cette terre n'est-elle pas notre
terre syrienne encore plus douce que le
miel à nos cœurs ?
Vous louez Dieu parce que vous ne vivez
plus en Syrie ? Libre à vous de dire ce
que bon vous semble. Cela prouve que
s’il restait une infime probabilité de
votre retour parmi nous, elle est
désormais morte et enterrée. Libre à
vous, mais aussi libre à nous.
Libre à nous d’aimer intensément notre
mère : la Syrie. Cette mère qui nous a
enfantés, a veillé à nous éduquer, à
nous nourrir et qui encaisse aujourd’hui
les coups du moment. Devrions-nous
l’abandonner ? Devrions-nous la
quitter ? Une
personne digne de ce mot peut-elle
ressentir de la répulsion à l’égard de
sa mère appauvrie et fatiguée ? Ou bien
se précipiterait-elle à ses pieds afin
de lui demander pardon pour la moindre
grogne à son égard ?
Enfant, j'étais profondément attachée à
l'Église, au Christ et à la Vierge
Marie. Ma foi en Dieu était forte et
enracinée en mon âme. Maintenant, à mes
yeux, Dieu est la Syrie, le Christ est
chaque soldat de notre Armée, vivant,
martyr ou blessé, et la Vierge est
chaque mère syrienne ayant donné
naissance à des héros qui protègent leur
patrie.
Telle est ma foi. Je m’y tiendrai
jusqu’à mon dernier souffle, comme je
m’y suis tenue à Alep quand il n’y avait
plus qu’une seule rue me séparant du
couteau des égorgeurs du « Front al-Nosra » ;
comme je m’y tiens encore à Damas alors
qu’entre ma Livre syrienne et le Dollar
Us, le facteur multiplicateur est rendu
à 2000.
Aujourd’hui, je me couche et me lève en
disant : « Au nom de Dieu, de la Syrie
et de la Résistance ».
Que
Dieu vous bénisse où que vous soyez, en
sachant que c’est là un discours que
vous ne pouvez comprendre à moins d’être
aussi amoureux que nous le sommes de
notre Syrie. Amoureux au point qu’un
grain de sa Terre vaut les trésors du
Monde...
Docteur Reem Arnouk
Médecin gynécologue
(Syrie)
Juin 2020
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : Facebook
[*] U.S.
Is 'Keeping the Oil' - Trump on Syria
https://www.youtube.com/watch?v=MIyNMzqHHGQ
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|