Monde
Yémen : Le massacre des enfants
et le déshonneur du silence
Ghaleb Kandil
Samedi 11 août 2018
Encore un massacre au Yémen
après tant d’autres massacres depuis
plus de trois ans, dans une guerre dont
les objectifs ne paraissent toujours pas
clairement définis et qui pourrait durer
encore longtemps, tout simplement parce
que son règlement ne semble pas faire
partie des priorités du moment et
certainement pas parce que les yéménites
ne se sont pas défendus ou n’ont pas su
se défendre.
Maintenant
que le faux prétexte d’une guerre menée
par l’Arabie saoudite pour restituer la
légitimité d’un président illégitime est
tombé, remplacé par le prétexte de
brider l’hégémonie iranienne dans la
région avec la bénédiction des
États-Unis et tous les subalternes, on
comprend mal comment les corps
déchiquetés d’enfants yéménites
pourraient affaiblir l’Iran.
Au journal du soir du 9 août, le
porte-parole du mouvement Ansarullah a
parlé de 47 enfants martyrs et de 77
blessés suite au bombardement par les
avions de la coalition saoudo-américaine
d’un bus scolaire transportant des
enfants âgés de moins de 10 ans, lors de
son passage dans un marché de la région
de Dahyane au nord de Saada [1][2].
Nous traduisons ici le cri de
douleur de M. Ghaleb Kandil, sans être
sûrs d’avoir réussi à traduire l’étendue
de sa juste colère qui est la nôtre et,
normalement, celle de toute personne
saine d’esprit et de cœur [NdT].
Nous parlons
du Yémen, là où toute parole devient
muette devant l’horreur des massacres
commis par les avions de la coalition
américano-saoudienne contre de pauvres
gens, des va-nu-pieds, mais de fiers
va-nu-pieds.
Nous parlons
du Yémen, là où toute parole perd de son
sens devant les petits corps d’écoliers
déchirés et déchiquetés par les missiles
d’une haine aveugle larguée sur ceux-là
qui ont osé refuser leur hégémonie,
ceux-là qui ont osé les affronter
jusqu’à exceller dans leur résistance et
leur résilience.
L’épopée de
la résistance yéménite suscite
admiration et respect. Mais elle suscite
aussi de l’embarras devant sa
persistance en dépit du manque de moyens
et du peu de soutien, face à un blocus
criminel marqué du sceau d’États petits
et grands ; certaines capitales étant
criminelles pour avoir organisé cette
agression barbare afin d’affamer les
Yéménites et les mettre à genoux,
d’autres capitales étant criminelles
pour avoir couvert les agresseurs
assassins ne serait-ce qu’en gardant le
silence et en fermant les yeux sur leurs
crimes.
En effet,
nombre de gouvernements ont témoigné de
leur honteuse décadence morale en
s’abstenant de réagir, même timidement,
devant ces massacres à répétition. Des
massacres qui ont pourtant utilisé les
dernières armes et munitions sorties des
usines américaines, britanniques et
françaises et ont transformé le Yémen,
au vu et au su du monde entier, en
terrain d'essai d’armes nucléaires dites
« tactiques » et de toute une série
d’instruments de propagation de la mort
et des épidémies par mer, par air et par
terre : guerre bactériologique,
éradication des récoltes et de toutes
sortes de plantes et d'arbres,
interdiction de la pêche en mer et du
transfert de toute nourriture par les
ports bloqués.
Mais malgré
tous les radars et cuirassés des
assaillants massés devant leurs rivages
sinueux, les Yéménites arrivent toujours
à briser leur siège avec leurs petits
bateaux primitifs habitués à chuchoter
aux oreilles des vagues pour qu’elles se
calment ; ce qu’elles font, accueillant
leurs filets et accompagnant leurs
pagaies selon une tradition respectée
depuis des siècles et des siècles.
Ces gens
démunis de tout ne s’agenouilleront pas.
Collés à leur terre rocailleuse depuis
la nuit des temps, ils teintent leurs
habits de la couleur de ses poussières
qui s’enfoncent dans les pores de leur
peau brunie, tandis que leurs pieds nus
la foule comme s’ils traversaient un
champ fleuri. Et aujourd’hui, les pieds
nus de ces amoureux de leurs montagnes
et de leurs chemins escarpés
s’acclimatent avec les pierres colorées
du sang versé par des criminels de
guerre venus jouer aux plus forts en
usant des technologies les plus récentes
pour tirer sur un bus scolaire,
transformé en mare de sang.
Dans leur
communiqué militaire, ils disent avoir
ciblé les ingénieurs et les lanceurs de
missiles balistiques, mais manque le mot
« futurs » pour que ce communiqué
corresponde à la vérité. Car il est
certain que parmi les enfants yéménites,
assassinés dans ce bus, se trouvaient
quelques-uns qui seraient devenus, dans
une quinzaine d’années environ, des
ingénieurs en missiles balistiques
conçus pour défendre leur patrie contre
les tyrans agresseurs, les repousser et
les écraser.
C'est donc la
même logique de la rhétorique sioniste
justifiant l'assassinat des enfants
palestiniens afin d’éviter la
confrontation avec leurs pères, leurs
frères adultes parmi les « Fedaiyine »
et les héros des champs de bataille. La
signature saoudienne, reconnaissant avec
arrogance cette agression, n’est là que
pour exécuter l’ordre reçu par les
véritables acteurs du massacre : les
États-Unis, Israël et les membres de
l’OTAN associés à ce crime.
Mais le sang
des enfants est indélébile. En terre
yéménite et sur ses montagnes pousseront
des forêts de bras prêts à se battre ;
puisque, de l’Océan au Golfe, il est peu
probable que ceux qui sont restés
silencieux sur tous ces crimes, leurs
fronts marqués du stigmate du
déshonneur, se mettent à parler alors
que les pétrodollars, trempés du sang de
ces enfants, continuent à affluer dans
les poches des dirigeants, des
fonctionnaires, des scribes et orateurs.
Les montagnes finiront par parler tandis
qu’ils continueront à se taire, car le
pétrole lie les langues et empoisonne
les esprits. Mais le scandale s’amplifie
et leur prostitution se découvre devant
les rêves brûlés d’une enfance trahie
dans son bus scolaire, devant les petits
corps déchiquetés en prévision du festin
de partage de sordides intérêts.
Sont marqués
du même stigmate du déshonneur tous ceux
qui les ménagent en bégayant de peur, et
tous ceux qui échangent la morale et les
valeurs contre l'argent et la
bienveillance des Saoudiens en inventant
des prétextes, tantôt au nom d’un
prétendu réalisme, tantôt au nom d’une
arabité qu’ils ont assassinée et dont
leurs élites ont bu le sang lorsqu’elles
se sont tues sur les massacres des
Yéménites.
Quant aux
pédants bavards sur les droits de
l'homme, ils sont les professionnels de
la négation de ces mêmes droits et, par
leur odieux silence sur ces crimes, ils
ne font que tuer toute personne humaine
arabe sur toute terre arabe.
Vous les
complices silencieux... les massacres
des enfants du Yémen révèlent votre
scandale, le scandale de votre
asservissement aux réseaux du
renseignement et de l’esclavagisme
mondial des Temps modernes, lequel
recrute des leaders d'opinion pour des
armées d'esclaves. Des armées d’esclaves
destinées à couvrir des criminels
assassins de millions de gens et
motivées par la haine du moindre souffle
de liberté, du moindre râle de
protestation, sortis de la gorge d’un
enfant immolé ou d’une mère blessée.
En
conséquence, le sang yéménite triomphera
de vos monstres métalliques, de vos
cœurs de pierre et de vos esprits
diaboliquement criminels. Les enfants du
Yémen vous poursuivront dans vos
chambres à coucher et vos horribles
cauchemars. Ils finiront par écraser vos
prétextes fallacieux et vos gueules
« pétrolisées » [3].
Ghaleb
Kandil
10/08/2018
Traduit de
l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source :
New Orient News
http://www.neworientnews.com/index.php/news-analysis/62844-2018-08-10-07-41-12
Notes :
[1] [Al-Manar
/ Massacre des élèves au Yémen : la
coalition saoudo-US paiera le prix. La
France est-elle complice ?]
[2] [L’Express
/ Yémen: au moins 29 enfants tués dans
une attaque, l'ONU veut une enquête
"indépendante"]
[3] D’autres
traductions sont possibles.
Monsieur
Ghaleb kandil est le
Directeur du Centre d’études New Orient
News (Liban)
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