Syrie
Bachar al-Assad répond aux questions
des Syriens sur le Nord du pays
Mercredi 6 novembre 2019
Le 22 octobre dernier, le
président syrien rendait une visite
surprise au front nord-ouest, où la
province d’Idleb est occupée par les
milices du terrorisme international,
dont Erdogan s’est porté garant dans le
cadre du processus d’Astana, lancé en
janvier 2017 et fondé sur un accord
tripartite turco-irano-russe en vue de
la cessation des hostilités en Syrie.
Le président a affirmé aux soldats
de l’Armée arabe syrienne que le front
d’Idleb était aussi prioritaire que le
front nord-est [Al-Jazira] envahi par
les États-Unis, la France, etc., sous
prétexte de soutenir les Kurdes
séparatistes aussi bien avant qu’après
leur lâchage partiel par
l’administration américaine.
Le même jour fut signé l’accord
turco-russe entérinant un retrait total
des forces kurdes , considérées comme
terroristes par Erdogan, jusqu’à 30 Kms
de la frontière turque et le long des
440 Kms séparant le fleuve Euphrate de
l’Irak, tandis que la Turquie se
contenterait de 120 Kms et de 30 Kms de
profondeur entre Tal Abyad et Ras al-Aïn,
au lieu de sa prétendue « zone de
sécurité » de 450 Kms de long.
Un accord russo-turc qui a semé
le doute quant à l’allié russe, lequel
n’a jamais cessé de défendre la
souveraineté, l’unité et l’intégrité
territoriales syriennes, et dont la
parole est généralement plus crédible
que les résolutions des Nations Unies
aux yeux des Syriens.
C’est
justement la partie traitant de ce sujet
que nous avons extrait de l’entretien
accordé, le 31 octobre, par le président
Bachar al-Assad aux journalistes de deux
chaines nationales syriennes : Al-Souriya
et Al-Akhbariya. [NdT].
Question : Des questions ont été
soulevées dans la rue syrienne au sujet
de l'accord russo-turc du 22 octobre,
notamment sur le maintien du statu quo
dans la région de l’agression turque
entre Tal Abyad et Ras al-Aïn sur une
profondeur de 32 Kms. Certains ont
interprété cet accord comme une
légitimation de l'occupation turque,
d’autant plus qu’il ne mentionne aucun
rôle attribué à la Syrie au sein de
cette région. Que répondez-vous à cela ?
Président Al-Assad :
Premièrement, les principes russes ont
été clairs tout au long de cette guerre
et bien avant qu’une base russe ne soit
installée en 2015, afin de soutenir
l’Armée syrienne en s’appuyant sur le
droit international, la souveraineté de
la Syrie et son unité territoriale.
C’est là un sujet qui n’a varié, ni
avant, ni après, ni selon les
différentes circonstances.
Or, la politique russe s’appuie à
travailler sur la réalité des faits, ce
qui a permis de réaliser deux choses :
d’abord, le retrait des groupes armés du
nord vers le sud en coordination avec
l’Armée syrienne et, en retour, la
montée de l’Armée syrienne vers le nord
dans la région non occupée par le Turc.
Ce résultat est en soi positif, bien
qu’il n’annule pas l’effet négatif de la
présence turque, d’ici à son expulsion
définitive d’une manière ou d’une autre.
En effet,
l’accord russo-turc est provisoire et
d’une durée déterminée. Prenons, pour
exemple, les zones de désescalade à
l’une quelconque des étapes, quand
certains ont cru qu’elles seraient
irrévocables et autoriseraient les
terroristes à rester indéfiniment dans
les régions [dont ils avaient pris le
contrôle]. Non, la vérité est que
c’était là une occasion de protéger les
civils, d’une part ; d’autre part, de
trouver des possibilités de dialogue
avec les terroristes afin qu’ils sortent
de ces zones ultérieurement.
Nous devons
donc distinguer entre les objectifs
ultimes -ou les stratégies- et les
tactiques. Ce premier aspect fait qu’à
courte échéance cet accord est bon. Mais
permettez que je vous éclaire sur
d’autres aspects qui vont dans ce même
sens.
Pour
commencer, mis à part le fait que
l’intrusion turque exprime les ambitions
nuisibles de la Turquie, elle traduit
aussi la volonté américaine. Le Turc a
ses convoitises et la relation russe
-établie à partir des principes et des
intérêts russes- est une bonne relation
car, d’un côté, elle bride ces
convoitises ; d’un autre côté, elle
coupe la route au jeu américain dans le
nord du pays.
Puis, pour
plus de clarté, j’aborderai la récente
proposition allemande directement
soutenue par l'OTAN. L'Allemand -ne
s’exprimant qu’au nom de l'Amérique et
l'OTAN étant l'Amérique- a parlé de
rétablir la sécurité dans cette même
région, via une tutelle internationale.
En d'autres termes, il s'agit là aussi
d’une tentative visant à consacrer la
sortie de l'État syrien de la région et
la partition.
Donc, par cet
accord, le Russe a bridé le Turc, a
coupé la route à l’Américain et a aussi
coupé la route à l'appel à
l’internationalisation proposé par
l’Allemand.
C’est
pourquoi nous disons que cet accord est
un pas positif qui ne permet pas de tout
concrétiser, puisque l’occupation turque
n’a pas soudainement pris fin, mais il
réduit les dommages et prépare la voie
vers la libération de cette région dans
un avenir que nous espérons très proche.
Question :
Monsieur le Président, puisque vous avez
décrit cet accord comme étant
temporaire. Vu que la Turquie, telle que
nous la connaissons, ne respecte ni
accords ni engagements, la question
est : que se passera-t-il si elle ne
sortait pas des régions passées sous son
contrôle lors de sa récente agression ?
Vous avez déclaré à maintes reprises que
l’État syrien utilisera tous les moyens
pour se défendre. En pratique, l’accord
russo-turc n’a-t-il pas empêché
l’utilisation de ces moyens ?
Président
Al-Assad : Prenons un
autre exemple, celui d’Idleb dans le
cadre du processus d’Astana, lequel
stipule que la Turquie doit en sortir,
ce qu’elle n’a pas fait, tandis que
nous, nous sommes en train de travailler
à la libérer. Une libération qui a pris
une année de retard, au cours de
laquelle toutes les chances ont été
données au processus politique, aux
dialogues politiques et aux diverses
tentatives cherchant à en faire sortir
les terroristes. Toutes les possibilités
ont été épuisées et, finalement, nous
avons entrepris sa libération,
évidemment progressive, par une
opération militaire.
Il en ira de
même pour la région nord du pays une
fois que toutes les possibilités
politiques auront été épuisées, en
tenant compte du fait qu'Erdogan vise
depuis le début de la guerre à créer un
problème entre le peuple turc et le
peuple syrien, afin que le peuple turc
devienne notre ennemi. Ce qui se
produirait en cas d’affrontement
militaire, alors que l'armée turque
était avec l'armée syrienne et coopérait
jusqu’à l’extrême limite avec nous,
jusqu’à ce qu’Erdogan se retourne contre
elle.
C’est
pourquoi, dans notre travail, il nous
faut tenir à ce que la Turquie ne soit
pas un État ennemi. Actuellement Erdogan
et son groupe sont des ennemis. C’est
lui qui mène ces politiques. Mais
jusqu’ici, la plupart des forces
politiques en Turquie s'opposent à ses
politiques. Nous devons faire attention
à ne pas transformer la Turquie en
ennemie et c’est là le rôle des amis :
le rôle russe et le rôle iranien.
Question :
Permettez, Monsieur le Président, que je
complète l’idée en rappelant les actions
entreprises ces derniers temps par les
Turcs et par Erdogan en particulier,
notamment la turquification, la
construction d'universités, l'imposition
de certaines langues. Ce sont des
procédures de quelqu’un qui ne pense pas
sortir. Puisque vous avez dit qu’il
sortirait tôt ou tard, qu’en est-il des
mesures disponibles ?
Président
Al-Assad : Exactement.
Si Erdogan avait eu l’intention de
sortir d’Idleb, il serait déjà sorti.
Naturellement, vous pourriez me dire
qu’à Idleb n’y a pas une véritable
armée. [Voir en fin d’article la liste
des milices de la prétendue opposition
syrienne, soumise à Erdogan et qualifiée
d’« armée nationale syrienne » ; NdT].
Mais l’arène
syrienne est une seule arène et un même
théâtre d’opérations, de l’extrême sud à
l’extrême nord du pays. Le Turc est
l’agent américain pour cette guerre.
Partout où nous nous sommes battus, nous
combattions l’agent turc. Et s’il ne
sort pas par tous les moyens [précités],
il n’y aura d’autre choix que celui de
la guerre. C’est une évidence.
Cependant, je dis qu’à court terme nous
devons laisser place au processus
politique sous ses diverses formes.
Faute de résultats, nous serons face à
un ennemi et nous irons à la guerre. Il
n’y a pas d’autre choix.
Question :
Pourtant, en dépit de ce qui précède,
certains ont dit que le retrait
américain du nord de la Syrie, suivi du
lancement de l'agression turque, puis de
l’accord russo-turc entrent dans le
cadre d’un accord américano-russo-turc.
Qu’en dites-vous ?
Président
Al-Assad : Un tel
discours est destiné à prétendre que le
Russe était d’accord ou qu’il avait
fermé les yeux sur l’intrusion turque.
Non, ce n’est pas la vérité. Plus d’un
an auparavant, il s’était inquiété du
sérieux de cette proposition [turque].
Nous savions tous qu’elle était
sérieuse, mais qu’elle était bridée par
les ordres ou la volonté des Américains.
Peut-être que certains reprochent à la
Russie des prises de position ayant mené
à ce résultat, comme c’est le cas aux
Nations Unies. Cependant, comme je viens
de le dire, le Russe travaille sur des
faits et, par conséquent, tente de créer
toutes les conditions politiques
nécessaires à l’ouverture d’une voie de
sortie [du Turc] de la Syrie, de limiter
les dommages causés par la Turquie ou de
limiter ses ambitions, encore plus
dommageables, par l’occupation de
davantage de territoires.
La Russie ne
fait certainement pas partie d’un tel
accord [américano-turco-russe]. Les
accords russes ont toujours été annoncés
publiquement, le texte détaillé de
l’accord russo-turc a immédiatement été
annoncé dans les médias, ainsi que notre
accord conclu avec les Kurdes avec la
médiation et le soutien de la Russie.
Question : En
revanche, les réunions entre Américains
et Turcs ne sont pas annoncées. Vous
avez souvent dit que la zone tampon
était le premier objectif d'Erdogan
depuis le premier jour de la guerre sur
la Syrie. Le président Obama avait
refusé la création d’une telle zone.
Aujourd'hui, nous voyons des actions
probablement contraires. Est-ce à dire
qu’Obama est meilleur que Trump ?
Président
Al-Assad : Nous ne
devons parier sur aucun président
américain. Qu’Erdogan déclare « Nous
avons décidé d’entrer [en Syrie] et nous
avons prévenu les Américains » ;
autrement dit, essaye de se faire passer
pour une superpuissance ou pour le
maître de sa décision, n’est qu’un jeu
entre lui et les Américains.
Or, au tout
début, les Américains et l’Occident
n’ont autorisé personne à s’ingérer, car
ils pensaient que les manifestations se
développeraient et règleraient
l’affaire. Ce ne fut pas le cas.
L’affaire ne s’est pas réglée comme ils
le souhaitaient. Ils sont passés aux
armes. L’affaire n’a pas été réglée pour
autant.
Ils se sont alors tournés vers les
groupes terroristes extrémistes dont la
folle doctrine devait réussir à la
régler militairement. Mais ils n’ont pas
réussi. À l'été 2014, ce fut le
rôle de Daech de disperser les efforts
de l'Armée arabe syrienne ; ce qu’il a
réussi. C’est à ce stade que la Russie
est intervenue. Tous les paris sur le
terrain militaire ayant alors échoué,
l’intrusion turque est devenue
nécessaire pour renverser la table. Tel
est le rôle de la Turquie.
Quant à l’une
de vos questions concernant Trump, ma
réponse pourrait vous surprendre. Je
vous dirai qu’il est le meilleur
président américain. Pourquoi ? Non pas
parce que sa politique est bonne, mais
parce qu’il est le plus transparent.
Tous les présidents américains
commettent toutes sortes de péchés
capitaux politiques et de crimes,
prennent des prix Nobel, se présentent
en tant que défenseurs des droits de
l’homme, des valeurs américaines nobles
et uniques et des valeurs occidentales
en général, mais ils ne correspondent
qu’à un groupe de criminels représentant
et exprimant les intérêts des lobbies
américains que sont les grandes sociétés
de l’armement, du pétrole, etc. Trump
parle en toute transparence et dit :
« Nous voulons le pétrole ». Telle est
la réalité de la politique américaine,
au moins depuis la Deuxième Guerre
Mondiale. « Nous voulons nous
débarrasser d’un tel ». « Nous voulons
rendre un service contre telle somme
d’argent ». Oui, telle est la réalité de
la politique américaine. Que
pouvons-nous espérer de mieux qu’un
ennemi transparent ?
Question : Le
commandant des milices FDS, Mazloum
Abdi, a déclaré par voie de presse
qu’avant le retrait [américain] Trump
leur avait promis de contacter les
Russes afin de trouver une solution à la
question kurde, par le biais d'un accord
entre les Russes et l'État syrien
donnant aux Kurdes une chance de se
défendre. Cet accord a-t-il réellement
été conclu Monsieur le Président ? Et
quel est le sort des régions non
frontalières de la Jazira syrienne
[nord-est de la Syrie], lesquelles
étaient sous le contrôle des milices
armées desdites FDS ? Ont-elles été
effectivement remises à l'État syrien ?
Si oui, de quelle façon ? Militaire
uniquement ? Ou bien militaire avec le
retour des institutions étatiques
syriennes ?
Président
Al-Assad : Que ce
contact ait eu lieu ou pas, tout ce que
l’Américain dit n’est pas crédible. Et
qu’il l’ait dit à un ami ou à un ennemi
ne change rien au fait qu’il ne nous
faut pas compter avec. Alors, ne perdons
pas notre temps sur ce point. Le seul
accord russe avec les Kurdes correspond
au rôle russe -dont nous avons déjà
parlé- dans l'accord entre l'Armée arabe
syrienne et les Kurdes -ou plutôt les
groupes kurdes qui se désignent
eux-mêmes par le sigle FDS, pour ne pas
stigmatiser les Kurdes- en vue de
l’entrée de notre Armée [dans les
territoires qu’ils contrôlaient]. Bien
entendu, l'Armée syrienne ne peut pas
entrer dans un but uniquement militaire
et sécuritaire. Son entrée signifie
l’entrée de l’État syrien et donc
l’entrée de tous les services qu’il doit
assurer.
Cet accord a
donc eu lieu. Nous sommes entrés dans la
plupart des régions mais pas
complètement. Il reste encore des
obstacles face auxquels nous intervenons
directement, car nous avons avec ces
groupes des relations très anciennes
datant de bien avant l’intrusion de la
Turquie. Certains nous répondent
positivement, d’autres pas. Mais
l’entrée de l’Armée arabe syrienne sera
indubitablement étendue [à toutes ces
régions], parallèlement au retour des
institutions étatiques ; autrement dit :
parallèlement au retour de l'autorité de
l'État.
Je répète que
ce retour se fait progressivement, le
règlement de certaines réalités sur le
terrain nécessitant du temps. L’absence
de l’État a créé de nouvelles réalités
au niveau de la population et nous ne
pouvons pas nous attendre à ce que les
groupes armés nous remettent leurs armes
spontanément. Nous l’exigeons, mais
notre politique doit rester progressive,
rationnelle et réaliste ; son but ultime
étant le rétablissement du contrôle
total de l'État.
Question : Après
tout ce qui s’est passé ; après leurs
attaques contre l'État syrien, ses
citoyens et son Armée ; après le rôle
nuisible qu’ils ont joué tout au long de
ces années de guerre ; après leur
inféodation évidente à l’Américain ;
après tout cela Monsieur le Président,
nous Syriens, pouvons-nous revivre
ensemble avec les Kurdes ?
Président
Al-Assad : Soyons
précis. Ce sujet est constamment soulevé
publiquement et parfois en séances
privées. Je sais que vous posez ces
questions abstraction faite de vos
convictions personnelles. Mais, ce qui
s’est passé au cours de cette guerre est
une déformation des concepts. Par
conséquent, dire que telle frange de la
population est qualitativement positive
ou négative est subjectif, irrationnel
et même antipatriote.
Certes, des
Kurdes ont fait office d’agents et de
pions inféodés à l’Américain, mais des
cas similaires existent parmi les
Arabes, aussi bien dans la région d’Al-Jazira
[nord-est de la Syrie] que dans d’autres
régions. La faute du groupe de kurdes en
question est qu’ils se sont fait passer
pour des représentants non seulement des
Kurdes, mais aussi des Arabes et de
toutes les diverses franges de la Jazira.
Et, l’Américain est venu les soutenir
via des armes et de l’argent, évidemment
pris chez certains États arabes du
Golfe, afin de consacrer leur autorité
sur toutes les autres franges.
Dès lors,
nous nous sommes mis à croire que tous
ceux qui se retrouvaient là dedans
étaient des Kurdes. Non. Désormais, nous
devons en parler en tant que « partis »
auxquels nous avons à faire. Quant aux
Kurdes, la plupart d'entre eux ont
toujours eu de bonnes relations avec
l'État syrien. Ils sont toujours restés
en contact avec nous, proposant des
idées véritablement patriotes,
réagissant positivement à l’entrée de
nos troupes dans certaines régions avec
autant de bonheur et de joie que les
autres franges de la population. Par
conséquent, leur évaluation [telle que
posée par la question] est inexacte.
Sinon, cela signifie que la Syrie ne
sera plus jamais stable.
Question : Mais
alors, Monsieur le Président, quel est
le problème avec les Kurdes, même avant
la guerre ? Où réside le problème ?
Président
Al-Assad : Ces groupes
existent depuis des décennies bien que
nous les ayons soutenus en risquant d’en
payer le prix par un affrontement
militaire avec la Turquie, en 1998. À
l’époque, nous les soutenions en partant
de leurs droits culturels. De quoi nous
accusent-ils ? Ils accusent l'État
syrien et parfois le Parti Baas de
chauvinisme, alors que lors du
recensement de 1962 ce parti n’était
même pas au pouvoir. Et maintenant, ils
nous accusent nous-mêmes de priver cette
frange de citoyens de ses droits
culturels.
Supposons que
ces accusations soient fondées. Est-ce
possible que je sois à la fois une
personne ouverte et fermée [à la
diversité] ? Est-ce possible que l’État
soit à la fois tolérant et ouvert,
intolérant et fermé [à la diversité] ?
C’est impossible. Prenons l’exemple de
la dernière frange de citoyens ayant
intégré le tissu social syrien : celle
des Arméniens.
Les Arméniens
ont toujours été des patriotes par
excellence, cette guerre ayant
indiscutablement confirmé ce fait. Il
n’empêche qu’ils ont leurs propres
églises, leurs propres associations et,
sujet plus délicat, leurs propres
écoles. Mais lorsque vous êtes invités à
assister à n’importe laquelle de leurs
célébrations, à l’occasion d’un mariage
ou d’autres occasions -j'ai des
amis arméniens et j'assistais à leurs
fêtes en d’autres temps- vous les
entendrez chanter des chansons de leur
patrimoine, suivies par des chansons
patriotes de dimension politique. Y
a-t-il une liberté supérieure ? Et ce,
en sachant que cette frange de la
diaspora arménienne mondiale est celle
qui s’est le moins dissoute dans la
société environnante. Elle s’est
intégrée mais elle ne s’est pas diluée
et a conservé toutes ses
caractéristiques.
Pourquoi
serions-nous ouverts ici et fermés
ailleurs ? Parce qu’existent des
propositions séparatistes et que nous
voyons circuler des cartes faisant la
promotion d’un Kurdistan syrien comme
partie d’un grand Kurdistan. Nous avons
le droit de défendre l’intégrité de
notre territoire et de nous méfier des
projets séparatistes, mais nous n'avons
aucun problème avec la diversité
syrienne. Au contraire, nous considérons
que cette diversité est belle et riche.
Une richesse qui signifie « force ».
Cependant la
diversité est une chose et la partition,
le séparatisme et le dépeçage du pays en
sont une autre absolument contraire. Tel
est le problème.
[…]
Question :
Le président Donald Trump a déclaré son
intention de maintenir un certain nombre
de ses soldats en Syrie, de déployer
certaines unités aux frontières
jordanienne et israélienne, tandis que
d'autres unités protègeraient les champs
pétrolifères. Qu’en pensez-vous et
comment réagira l'État syrien face à
cette présence illégale ?
Président
Al-Assad : Abstraction
faite de ces déclarations, l'Américain
est un occupant. Il est présent au nord,
au sud, à l’est et à l’ouest et le
résultat est le même. Encore une fois,
nous ne tenons pas compte de ses
déclarations mais de la réalité. Comment
réagir à cette réalité ? En fonction des
priorités militaires, comme je l’ai déjà
dit, c’est-à dire que nous avons
certaines régions à libérer avant d’en
arriver aux régions que l’Américain n’a
pas quittées. Je n’userai pas de
rodomontades en vous disant que nous
enverrons notre Armée combattre
l'Amérique. Nous parlons d'une grande
puissance, en avons-nous les moyens ? Je
pense que le sujet est clair pour nous
les Syriens.
Irons-nous
vers la résistance ? Dans ce cas, le
sort de l'Américain sera comparable à ce
qui s'est passé en Irak. Mais, le terme
« résistance » nécessite une disposition
populaire contraire à la collaboration
[avec l’ennemi]. Dès lors, le rôle
naturel de l’État est de créer toutes
les conditions susceptibles de soutenir
toute forme de résistance nationale
contre l'occupant, laquelle n’a rien à
voir avec la mentalité coloniale
américaine ou la mentalité commerciale
qui vient coloniser une région pour
l'argent, le pétrole, etc.
Il est
illogique de passer en revue tous les
facteurs d’influence et d’oublier que le
principal facteur qui a amené
l’Américain, le non-Américain et le Turc
dans cette région est le Syrien
collaborateur et traître. Traiter tous
les autres facteurs revient à traiter
les symptômes alors qu’il faut traiter
les causes. Nous devons traiter avec ce
Syrien là et tenter de restaurer la
notion de patrie au sein de la société,
de telle sorte que la traîtrise ne soit
pas juste un point de vue, au même titre
qu’une différence d’opinion politique.
Lorsque nous réaliserons cela, je vous
assure que l'Américain sortira parce
qu’il n’aura plus le loisir de rester et
qu’il n’en aura pas la force, bien qu’il
soit une grande puissance. C’est ce que
nous avons constaté au Liban, à un
moment donné, ainsi qu’en Irak à un
stade ultérieur. Je crois que c’est la
bonne solution.
[…]
Question :
Après avoir abordé les diverses
interprétations consécutives à votre
récente visite surprise à Idleb,
j’aimerais vous interroger sur un autre
aspect de la situation dans cette
province. Une situation que Geir
Pederson [Envoyé spécial des Nations
Unies pour la Syrie] a abordé dans un
entretien en la décrivant de
« complexe ».De son point de vue, il
faut éviter une opération militaire à
grande échelle car elle ne
contribuera pas à résoudre le problème,
mais aura de graves conséquences
humanitaires. Qu’en dites-vous ? Et
pensez-vous que le processus de
libération pourrait effectivement être
retardé ?
Président
Al-Assad : Si Pederson
possède les outils et la capacité de
résoudre le problème sans opération
militaire à grande échelle, c'est une
bonne chose. Pourquoi n’avance t-il pas
la solution s’il en a une vision claire
? Nous n’avons pas d’objection. Le
problème est finalement très simple : il
peut se rendre en Turquie et la
convaincre de convaincre à son tour les
terroristes d’opérer la séparation entre
les civils et les milices armées, les
premiers seraient amenés dans une région
et les seconds dans une autre. Ce qui
rendrait l’opération encore plus facile,
c’est s’il pouvait distinguer celui qui
est armé de celui qui ne l’est pas.
Mais,
la
vérité est que le processus de lutte
contre le terrorisme ne se fait pas en
théorisant, en dissertant ou en
sermonnant.
Quant au retard du processus de
libération, si nous avions attendu les
résolutions de l’ONU -en fait, quand
nous parlons de résolutions de l'ONU,
nous parlons de décisions des
États-Unis, de la France, de la
Grande-Bretagne et de ceux qui les
suivent- nous n'aurions libéré aucune
région de la Syrie depuis le début de la
guerre. Ces pressions n’ont pas d’effet
sur nous, bien qu’il arrive parfois que
nous prenions en compte telle ou telle
situation politique comme je l’ai déjà
dit, pour ne pas leur fournir de
prétextes. Mais
lorsque toutes les possibilités sont
épuisées, l’action militaire devient
nécessaire afin de sauver les civils.
Je ne peux
pas sauver les civils en les laissant à
la merci du milicien armé. La logique
occidentale qui appelle à l’arrêt de
l’opération militaire pour protéger les
civils est une logique inversée,
sciemment et hypocritement bien entendu,
vu qu’elle prétend que laisser le civil
sous l’autorité du terroriste le
protège. Ce sont les militaires qui
protègent les civils et lorsque vous
laissez le civil sous l’autorité du
terroriste, vous lui rendez service et
vous participez à l’assassinat du civil.
Question :
Monsieur le président, vous n'attendez
pas une résolution de l'ONU. Mais
attendez-vous une décision de la Russie?
Les Russes peuvent-ils retarder
l’opération [de libération] ? Il y a
déjà eu des arrêts d’opérations
militaires annoncées vers Idleb. À
chaque fois, certains ont parlé de
pressions russes pour cause
d’arrangements personnels avec les
Turcs. Quelle est la vérité d’un tel
discours ?
Président
Al-Assad : Le mot «
pression » n’est pas précis. Nous
menons, avec les Russes et les Iraniens,
une même bataille militaire et une même
bataille politique. Nous ne cessons de
nous concerter pour saisir le moment
opportun en fonction des circonstances.
À plusieurs reprises, nous avons convenu
ensemble d'une date d’opération qu’il
nous a fallu reporter, à cause
d’éléments nouveaux militaires ou
politiques.
Nous, nous
voyons ce qui est lié au niveau local,
l’Iran voit ce qui est lié au niveau
régional, et la Russie voit ce qui est
lié au niveau international. D’où la
complémentarité. D’où le dialogue.
[…].
Mais, il n’y
a pas que le rythme rapide d’évènements
nouveaux qui nécessite le report des
opérations. Il y a aussi la nécessité de
sortir les civils [des champs
d’opération] et de leur ouvrir la voie
vers les régions que nous contrôlons ;
ce qui contribue à sauver des vies. Une
autre de nos priorités est de préserver
la vie de nos soldats, ce que nous avons
réussi dans certains cas grâce à une
solution politique.
Les données
pouvant influencer une décision, ou la
reporter à plus tard, sont nombreuses.
Ce n’est ni le lieu, ni le moment de les
passer en revue. Par conséquent, il ne
s’agit pas d’un problème de
« pressions ». Le Russe tient autant que
nous à lutter contre le terrorisme ;
sinon, pourquoi enverrait-il son
aviation militaire ? Et le timing est
donc le résultat de nos concertations.
Dr Bachar
al-Assad
Président de la
République arabe syrienne
31/10/2019
Traduction
de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source :
Vidéo sous titrée en anglais
Entretien avec le président Bachar al-Assad :
https://www.youtube.com/watch?time_continue=376&v=4QRd3TNNbLA
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
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dossier Syrie
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