Syrie
Lorsque les États occidentaux
auront la volonté de faire leur devoir,
nous n’aurons plus de problème pour
arrêter le cauchemar en Syrie
Bachar al-Assad
Samedi 5 mars 2016
Entretien accordé
par le Président syrien à la télévision
allemande « ARD » [Texte intégral]
Journaliste : Monsieur le Président, je
vous remercie infiniment pour avoir
accordé cette entrevue à la télévision
allemande ARD.
Le Président
al-Assad : Bienvenue à vous en Syrie
Question
1 : Hier, alors que nous filmions à la
Mosquée des Omeyyades, nous nous sommes
entretenus avec les gens sur le
cessez-le feu. Un vendeur de Chawerma
nous a dit « c’est peut-être un jour
historique ». Ma question est, Monsieur
le Président, êtes-vous d’accord que ce
serait là un jour historique, et
vivons-nous un moment particulier de
l'histoire syrienne ?
Le Président
Al-Assad : Disons plutôt que je
l'espère, étant donné que nous avons
accepté l’accord sur la « cessation des
hostilités » la semaine dernière.
Parlons plutôt d’une lueur d’espoir pour
les Syriens et pour nous tous. Mais en
général, un cessez-le-feu, une cessation
des hostilités, ou n’importe quel accord
de ce type est bilatéral. Il va donc
être difficile de le maintenir et de le
sauver, puisqu’il est multilatéral. Je
veux dire par là que vous parlez d'une
centaine de factions de terroristes et
de nombre de pays qui les soutiennent.
Autrement dit, vous parlez de deux camps
ayant des objectifs contradictoires en
ce qui concerne cet accord. C’est
pourquoi, disons que nous allons faire
notre travail pour qu’il fonctionne,
quoique la bonne volonté ne soit pas
suffisante.
Question 2
: Que faites-vous, vous et le
gouvernement syrien, pour sauver ce
cessez-le feu ?
Le Président
Al-Assad : Dans les faits, il a commencé
il y a moins de 48 heures et, comme vous
êtes ici depuis quelques jours, je pense
que vous savez que les terroristes l’ont
violé dès la première heure. Quant à
l'armée syrienne, nous nous sommes
abstenus de riposter pour lui laisser
une chance de se maintenir. Voilà ce que
nous pouvons faire, mais finalement
toute chose a ses limites et cela dépend
de l’autre partie.
Question 3
: Pourquoi a-t-il fallu si longtemps
pour arriver à un accord ?
Le Président
Al-Assad : Il n'a pas fallu si longtemps
pour arriver à un accord. Il a fallu
longtemps pour que les autres pays qui
supervisent les terroristes, notamment
les États-Unis, se mettent à travailler
là-dessus. Ils ont commencé à en parler
il y a seulement quelques mois ; alors
que, dès le début, nous avions initié ce
processus sur une base interne que nous
avons désigné par « Réconciliation
locale ». Un processus qui mène à la
cessation des hostilités à partir du
moment où vous accordez l’amnistie aux
miliciens afin qu’ils rejoignent l’armée
syrienne ou retournent à une vie civile
normale. C’est un processus que nous
avons lancé depuis quelques années et
qui a réussi dans plusieurs régions. La
seule différence est que cet accord de
cessation des hostilités est plus
global, bien qu’il ne soit pas total.
Question
4: Il y a trois jours, nous étions à
Daraya. Nous avons vu le bombardement
intensif de cette ville. Je pense que
l'un des problèmes de la Syrie est :
« qui décide que ceux que vous frappez
sont des terroristes de l’EIIL et du
Front al-Nosra ou des rebelles ? ». Je
pense que vous êtes le seul à en décider
et que la paix est entre vos mains. Non
?
Le Président
Al-Assad : Qu’entendez-vous par «
la paix entre mes mains » ?
Question 5
: Votre décision de frapper ou de ne pas
frapper. C’est vous qui définissez qui
sont ces gens ?
Le Président
Al-Assad : Vous avez raison. Lorsque
vous avez un tel accord, vous devez vous
poser deux questions : sur quelles
cartes militaires devez-vous travailler
et quels sont les critères ou les
mécanismes de surveillance du
cessez-le-feu ? Or, comme je viens de le
dire, la cessation des hostilités a été
décrétée il y a 24H et, jusqu’à cet
instant précis, nous ne disposons
toujours pas de ces cartes. Par
conséquent, disons que l’accord n’est
pas encore arrivé à maturité. Lorsque ce
sera le cas, vous pourrez dire que j’en
assume la responsabilité en tant que
partie prenante de la survie de cet
accord.
Question 6 :
Imaginez,
Monsieur le Président, que je sois
un rebelle et
non un terroriste
de l’EIIL
ou du Front al-Nosra,
un rebelle de l’armée syrienne libre
[ASL]. Que devrais-je faire pour
que vous
m’acceptiez de nouveau comme civil
syrien ?
Le Président
Al-Assad : Juste que
vous déposiez vos armes et que vous
n’ayez aucun autre agenda politique. Que
vous décidiez de rejoindre le
processus politique
ou que vous vous en
désintéressiez, n’a pas d’importance.
Le plus important
pour moi, d’un
point de vue légal et
constitutionnel,
en
me basant sur
l'intérêt
du peuple syrien
et sur le principe
valable pour tout État, est
qu’en tant que citoyen
vous n'êtes pas
autorisé à user de vos armes pour
nuire aux personnes et aux biens. C’est
tout ce que nous demandons et rien
d’autre. Comme je l'ai
dit, nous leur
offrons une amnistie
totale. C’est déjà arrivé,
certains ayant rejoint
l'armée syrienne,
d’autres s’étant intégrés dans
la vie politique.
Question 7
: C’est donc une réelle amnistie que
vous offrez à tous les rebelles ?
Le Président
Al-Assad : Nous l'avons fait, et cela a
fonctionné.
Question 8
: Pourquoi le gouvernement syrien ne
peut-il accepter l’existence de deux
sortes de groupes [armés] : l’un
correspondant aux terroristes, tels ceux
de l’EIIL et du Front al-Nosra ; l'autre
correspondant aux rebelles, disons, plus
civils ? Pourquoi dites-vous toujours
que vous combattez uniquement des
terroristes ?
Le Président
Al-Assad : Dun point de vue légal, celui
qui porte des armes contre les civils ou
contre les propriétés privées ou
publiques est un terroriste. Je crois
qu’il en est de même pour mon pays et le
vôtre. Vous n’acceptez pas qu’une
soi-disant « opposition modérée » use de
ses armes pour atteindre ses objectifs.
Aucun pays ne l’accepterait. C’est l’un
des aspects de votre question.
L’autre
aspect est que nous ne disons pas que
tout milicien est un extrémiste. Nous
disons qu’actuellement la majorité des
groupes armés qui contrôlent certaines
régions sont essentiellement des groupes
terroristes. L’autre partie, promue
comme modérée, est marginale et sans
importance. Elle n’a aucune influence
sur le terrain et c’est pourquoi la
plupart de ses bases rejoignent les
extrémistes, non parce que ses éléments
sont nécessairement des terroristes,
mais par peur, pour l’argent ou le
salaire. Donc, si nous disons que nous
combattons des terroristes, c’est parce
qu’aujourd’hui le vrai ennemi est
constitué par des groupes terroristes,
principalement Daesh, Al-Nosra, Ahrar
al-Cham, et Jaïsh al-Islam.
Question 9
: N’avez-vous pas le sentiment qu’en
réalité il y a quand même une différence
entre ces deux groupes ? Ces terroristes
viennent de l'étranger, d'Arabie
Saoudite, de Tchétchénie et de partout
dans le monde ; alors que les rebelles
sont finalement des Syriens et viendra
le moment où vous devrez discuter avec
eux. Pourquoi ne pouvez-vous pas
commencer dès aujourd’hui ?
Le Président
Al-Assad : Nous l'avons fait. Nous
l’avons déjà fait. C’est ce que j’ai
signifié en évoquant les réconciliations
locales. Dans ce cas, vous parlez avec
les milices [armées] qui se battent sur
le terrain, non avec l’opposition
politique. Je suis donc d’accord avec
vous sur ce point.
En revanche,
lorsque vous parlez de deux sortes de
groupes, les Syriens que vous désignez
par « rebelles » et les autres, vous
négligez qu’en réalité, ils travaillent
ensemble. Vous n’avez pas, en Syrie, un
groupe [terroriste] composé
exclusivement d’étrangers. Vous avez des
[terroristes] étrangers mélangés avec
des Syriens partageant la même idéologie
qui refuse quiconque ne leur ressemble
pas et les mêmes espoirs, notamment
celui de créer ce qu’ils appellent
l’«État islamique» ou équivalent.
Question
10 : Monsieur le Président, vous avez
accepté un processus de transition.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le Président
Al-Assad : C’est un processus qui doit
aboutir à un gouvernement d'union
nationale auquel se joindront ceux qui
souhaiteront en faire partie. Ce
gouvernement devra préparer la prochaine
Constitution, laquelle sera suivie
d’élections législatives qui définiront
la forme de la prochaine ou de la
nouvelle Syrie. Telles sont les
principales étapes de la période de
transition.
Question
11: J’étais ici il y a quatre ans, au
moment ou se sont déroulées les
élections législatives de 2012. Comment
pouvez-vous dire qu'il serait possible
de tenir des élections pendant la guerre
civile ?
Le Président
Al-Assad : Tout d'abord, il n'y a pas de
guerre civile. Une telle définition est
fausse. Il y a guerre civile quand
existent des lignes de démarcation
sociales correspondant à des différences
sectaires, ethniques, ou autres. Nous
n’avons toujours pas cette sorte de
lignes, vu le mélange manifeste dans les
zones contrôlées par le gouvernement où
coexistent toutes les couleurs du
spectre social syrien. Vous ne pouvez
donc pas parler de cette guerre comme
d’une guerre civile. C’est vraiment les
terroristes contre tout le reste.
Quant aux
élections, il ne s’agit pas d’un
passe-temps, de l’opinion du Président
ou de l’humeur du gouvernement. Elles
renvoient à la Constitution. Notre
guerre est motivée par l'indépendance de
notre pays, parce que d’autres pays,
principalement en Occident veulent, avec
l'Arabie Saoudite et le Qatar, détruire
notre pays et transformer la Syrie en
État confessionnel comme au Liban et,
peut-être, comme en Irak.
La
Constitution est aujourd'hui le symbole
de l’unité, de la souveraineté et de
l’indépendance du pays. Nous devons la
défendre. Or, la Constitution n’est pas
une simple rédaction sur papier. C’est
la manière dont vous la mettez en
pratique, notamment en organisant des
élections, lesquelles n’appartiennent
pas de droit au gouvernement mais à
chaque citoyen. C’est aux citoyens de
décider s’ils en veulent ou pas. Et si
vous interrogez les Syriens, tous
souhaitent un nouveau Parlement.
Question
12 : Est-ce que la Constitution et donc
la stabilité en Syrie valent plus que
des centaines de milliers de vies ?
Le Président
Al-Assad : Il n'y a pas de contradiction
qui ferait que nous ayons à juger de
l’importance de l’un de ces sujets par
rapport à l’autre, car sans stabilité
vous perdriez des milliers de vies,
alors que la stabilité retrouvée vous
permettrait de les sauver. Vous ne
pouvez donc pas dire que ceci est plus
important que cela, la stabilité et la
Constitution étant très importantes pour
épargner des vies.
Question
13: L’écrasante majorité des pays et
organisations du monde disent qu'il ne
pourrait y avoir de solution à la
question syrienne avec vous au pouvoir.
Êtes-vous prêt à l’abandonner ?
Le Président
Al-Assad : Pour ces pays et ces
fonctionnaires ? Non, bien sûr que non,
car ce n’est pas leur affaire. C’est
pourquoi je ne leur ai jamais répondu.
Cela fait cinq ans qu’ils le répètent et
que nous n’avons accordé le moindre
intérêt à ce qu’ils disent. C’est notre
affaire. C’est l'affaire de la Syrie.
Seuls les citoyens syriens ont le droit
de dire qui ils veulent pour président.
En tant qu'Allemand, vous n’accepteriez
pas que moi ou n’importe qui d’autre
vous dicte quel devrait être votre
Chancelier ou votre système politique.
Vous ne l'accepteriez pas, comme nous ne
l'acceptons pas. Par conséquent, non,
quoi qu'ils disent, mon destin politique
est uniquement lié à la volonté du
peuple syrien.
Question
14 : Plus généralement, si les
conditions étaient telles que le peuple
syrien le voulait, seriez-vous prêt à
vous retirer ?
Le Président
Al-Assad : Certainement et sans aucun
doute. Je le ferais immédiatement sans
aucune hésitation, car si vous voulez
réussir en tant que fonctionnaire élu à
un poste de Président, de Premier
ministre ou de n’importe quelle autre
fonction, vous avez besoin du soutien du
peuple. Sans ce soutien, vous ne pouvez
rien accomplir. Alors, que feriez-vous à
votre poste ? La volonté du peuple et
votre capacité à accomplir quelque chose
sont donc liées l’une à l’autre.
Question
15 : Avez-vous déjà une idée sur le
timing de cette étape ? Vous savez que
plusieurs dates ont été évoquées. Une
information issue du Bureau de De
Mistura dit que la date la plus probable
serait en 2018.
Le Président
Al-Assad : Non, non, ce n'est pas leur
affaire. Cela ne fait partie d’aucun
plan. Comme je l'ai dit, seuls les
Syriens peuvent en décider.
Question
16 : Êtes-vous d'accord que ce que nous
voyons en Syrie est une catastrophe
humanitaire?
Le Président
Al-Assad : Bien sûr, sans aucun doute.
Question
17: Alors, pourquoi a-t-il fallu
attendre si longtemps pour que vous
autorisiez le plein accès aux zones
assiégées ?
Le Président
Al-Assad : Non, ce n'est pas vrai. Nous
n'avons pas mis si longtemps à en
autoriser l’accès. En réalité, ce sont
les médias occidentaux qui ont mis
beaucoup de temps à reconnaître ce qui
se passait sur le terrain. Je vais être
très franc avec vous. Posons une
question logique et réaliste à la fois :
ces zones dont vous parlez, lesquelles
seraient assiégées depuis des années par
l'armée tout en continuant à la
combattre jusqu’aujourd’hui et à lui
envoyer bombes et tirs de mortiers ainsi
que sur les villes voisines, comment
aurions-nous pu les empêcher de recevoir
aides et nourriture alors que nous
n’avons pas pu les empêcher de recevoir
des armes ? Est-ce logique ? Non, ça ne
marche pas. Soit l’embargo est total,
soit vous ne pouvez pas faire d’embargo.
Et si nous n’avons pas fait d’embargo
c’est pour plusieurs raisons. Mis à part
l’aspect humanitaire, les valeurs
auxquelles nous croyons et le sens des
responsabilités de notre gouvernement à
l’égard de tous les Syriens, imposer un
embargo aurait précipité les civils
habitant ces régions dans le giron des
terroristes.
Une autre
raison concrète est pourquoi
assiégerions-nous ces villes, citées par
vous et récemment par beaucoup d’autres
médias, pendant que nous continuons à
envoyer des vaccins et les salaires des
fonctionnaires à des villes comme Raqqa,
laquelle est sous contrôle de l’EIIL ?
Comment pouvons-nous faire un embargo
ici et ne pas faire un embargo là-bas ?
Ce que vous dîtes est contradictoire et
irréaliste.
Question
18 : Maintenant que vous avez la
couverture du cessez-le-feu, vous est-il
possible de garantir aux organisations
de secours un accès permanent à ces
zones assiégées ?
Le Président
Al-Assad : Elles ont travaillé ici au
cours de ces dernières années. Nous
n’avons jamais dit non. Mais leur
travail doit passer par le gouvernement.
Elles ne peuvent pas faire comme si le
gouvernement n’existait pas. Ceci dit,
il est évident que la réalité sur le
terrain peut parfois faire obstacle en
zones de combats. D’autres fois, il
arrive que des conflits surgissent entre
ces organisations et les fonctionnaires
de notre gouvernement. Mais du point de
vue décision politique, nous ne posons
aucun problème à l’arrivée des aides
partout en Syrie, et nous les soutenons.
Question
19 : Vous avez parlé d’élections en
avril prochain. Ne serait-ce pas
consulter une fraction du peuple,
puisque nombre de Syriens ont quitté le
pays pour fuir le chaos ?
Le Président
Al-Assad : Oui, mais pour autant la
Syrie n’est pas vidée. La majorité des
Syriens vit toujours en Syrie, non
l’inverse. Ce fut le discours précédant
les élections présidentielles, mais le
monde a été surpris de voir un
pourcentage élevé de réfugiés, à
l’extérieur de la Syrie, participer à
ces élections. Par conséquent, je crois
que chaque Syrien aimerait un tel
renouveau dans son pays, parce qu’il
redonnera de l’espoir et que c’est
naturel pour tout pays et toute culture.
Question
20: Le gouvernement syrien apprécie-t-il
le rôle de l'Allemagne pour son accueil
d’un grand nombre de Syriens ?
Le Président
Al-Assad : Disons que nous l’apprécions
d'un point de vue humanitaire. Nous ne
pouvons pas dire que ce n’est pas bien
d'accepter des réfugiés ayant quitté
leur pays en raison des difficultés
qu’ils y rencontrent. Mais ne serait-il
pas plus humain de les aider à rester
dans leur pays ? Parce que si vous
posiez cette question à l'un d’entre
d'eux, il vous répondrait qu’il aimerait
pouvoir y retourner. Ne serait-il pas
moins coûteux d'adopter ou de mener des
politiques plus sages et plus prudentes
en ce qui concerne la crise syrienne, et
de permettre à ces personnes de vivre
dans leur pays, en travaillant contre le
terrorisme, pour la stabilité de la
Syrie, sans s’ingérer dans ses
affaires ? Ce serait plus humain.
Question
21 : Y a-t-il un rôle précis attribué à
l'Allemagne dans l'ensemble de la
question syrienne, ou bien est-elle
considérée au même titre que d’autres
pays étrangers, tels les États-Unis et
l'Arabie Saoudite ?
Le Président
Al-Assad : Nous espérons que chaque pays
puisse jouer son rôle, particulièrement
les pays européens dont l’Allemagne, qui
a la plus forte économie et qui est
censée mener l’Union européenne non
seulement économiquement mais aussi
politiquement ; un rôle que nous n’avons
toujours pas constaté en pratique, car
ce rôle suppose la volonté et que la
volonté suppose l’indépendance. La
question est donc : combien de
fonctionnaires européens sont-ils
indépendants de la politique et des
politiciens étatsuniens ? Jusqu'à
présent, ce que nous avons vu est un
copier-coller de ce qu'ils disent et de
ce qu’ils font. Par conséquent, je ne
peux pas parler de rôle s’il n'y a pas
d'indépendance.
Question
22 : Lors de mon dernier voyage en
Syrie, je suis allé à Alep. Cette
fois-ci, je me suis rendu à Homs. Ce
sont des images incroyables, telles des
images de l'Apocalypse. Je suppose qu'il
n'y a pas de doute sur le fait que
l'armée syrienne est en partie coupable
de ce qui est arrivé ici. Ma question
personnelle, Monsieur le Président,
êtes-vous capable de dormir la nuit ?
Le Président
Al-Assad : La question plus importante
est : suis-je capable de travailler ?
Peu importe que vous dormiez ou non.
Pour les gens, ce qui importe est de
savoir ce que le Président peut faire et
de combien de terroristes nous pouvons
nous débarrasser, à défaut de les
convaincre de reprendre une vie normale.
C’est ce que nous faisons tous les
jours. Donc, si nous ne pouvons pas
dormir, c’est parce que nous devons
travailler. C’est précisément de cela
qu’il s’agit.
Question
23: L’ONG « Médecins Sans Frontières » a
déclaré qu’en 2015, 94 hôpitaux ont été
bombardés, avec le soutien de l'État.
Comment est-ce possible? Je veux dire,
vous ne pouvez pas prétendre que,
disons-le, ces crimes de guerre ont été
commis seulement par la coalition
américaine. La Russie et la Syrie ont
leur part de responsabilité.
Le Président
Al-Assad : Si nous avions voulu
commettre ce genre d’actions, nous
l’aurions fait depuis longtemps. Nous ne
savons pas qui a commis le dernier
bombardement [signalé par cette ONG].
Nous n’avons aucune raison de bombarder
un hôpital. Quant à ce que vous décrivez
comme un crime, c’est évidemment un
crime. Mais cela dépend des critères sur
lesquels vous vous basez pour user de ce
terme. Si c’est sur nos critères à nous,
c’est certainement un crime. En
revanche, si vous vous basez sur les
critères occidentaux, ce n’est plus le
cas, pour la simple raison que
l’Occident n’a toujours pas appliqué ce
terme à sa guerre de 2003 en Irak, où
plus d'un million et demi d’Irakiens ont
été tués. L’occident ne parle pas non
plus de crimes de guerre au Yémen, où
les Saoudiens ont commis des atrocités.
Il ne parle pas de crimes de guerre en
Syrie, quand les groupes armés tuent des
milliers d'innocents par des tirs de
mortiers et des attentats de kamikazes.
Franchement, cela dépend des critères
et, selon nos critères, ce sont des
actes criminels.
Question
24 : Pour être clair, la plupart des
observateurs imputent le bombardement
des écoles et des hôpitaux à l'armée
syrienne et à la force aérienne russe,
précisant qu’il s’agit d’une stratégie
de guerre, non de dommages collatéraux.
N’est-ce pas un fardeau sur vos épaules
?
Le Président
Al-Assad : Une question simple que vous
devriez vous poser devant un tel
discours : quel serait notre intérêt à
agir de la sorte ? Mettant de côté les
valeurs et les principes, je vous
réponds : non. Non, parce que c’est le
gouvernement qui a construit ces
installations et ces infrastructures et
qu’il a besoin que la population soit de
son côté. Pour cela, c’est plutôt lui
qui offre les services de base. Une
simple question : que gagnons-nous ?
Rien. Nous perdons. Nous n’avons donc
aucun intérêt à ce faire et c’est un non
définitif. Non, nous n’avons pas
bombardé cet hôpital, il nous
appartient, nous savons que ce sont des
médecins qui l’occupent et non des
terroristes. Il en est de même pour
l’hôpital de Raqqa où sévit l’EIIL et
où, comme je vous l’ai déjà dit, nous
expédions des vaccins à la population.
Pourquoi attaquerions-nous l’hôpital de
cette ville ? C’est contradictoire !
Question
25 : Il y a deux ans, au moment où
l'armée syrienne était affaiblie et en
défaite, nous avons vu le Hezbollah
intervenir comme, par exemple, à Al-Qusayr
près de la frontière libanaise. Vers la
fin de l'année dernière et alors que
vous étiez sur le point de perdre Alep,
nous avons vu les Russes intervenir pour
vous aider, ainsi que nombre de
combattants et de conseillers venus
d’Iran. Qu’attendent-ils de vous en
retour ?
Le Président
Al-Assad : Tout d'abord, concernant ce
que vous qualifiez de « défaite », toute
guerre est en réalité une somme de
batailles, certaines que vous perdez,
d’autres que vous gagnez. Nous étions
donc en train de perdre en un endroit et
de gagner en un autre, la situation ne
pouvant se ramener à une victoire ou une
défaite. Ce n'est pas une guerre facile.
Nous nous battons contre des dizaines de
pays qui soutiennent ces mercenaires
terroristes. Nos alliés et amis, ayant
rejoint cette guerre directement ou
indirectement, ont une vision différente
de la vôtre. Ils ne sont pas venus en
Syrie pour aider le président syrien ou
le gouvernement syrien. Ils sont venus
parce qu'ils savent que lorsque le
terrorisme s’installe dans une région,
il ne reconnaît pas les frontières. La
preuve en est l’EIIL : de Libye, à
l’Irak, à la Syrie, il n’a plus de
frontières. Ils savent que si le
terrorisme finit par contrôler cette
région, il débordera ailleurs et non
seulement dans les pays voisins. Leur
vision de la situation est donc très
claire. Ils ne se contentent pas de nous
défendre, mais se défendent aussi. Ils
ne sont pas venus pour me demander quoi
que ce soit. Tous nos amis respectent
notre souveraineté sans rien nous
demander en retour.
Question
26 : Monsieur le Président, pouvez-vous
encore dire que la Syrie est un État
souverain. Votre politique n’est-elle
pas d’ores et déjà définie à Téhéran ou
au Kremlin ?
Le Président
Al-Assad : La souveraineté est un terme
relatif. Avant la crise, Israël occupait
déjà une partie de notre terre. Par
conséquent, nous considérions que notre
souveraineté ne serait pas totale tant
que nous n’aurions pas libéré cette
terre. Actuellement, nombre de
terroristes traversent nos frontières et
nombre d’avions américains et de ce que
l’on désigne par « la Coalition »
violent notre espace aérien. Donc, en
effet, notre souveraineté est
incomplète. En même temps, tant que vous
avez une Constitution, que les
institutions fonctionnent, que l’État
fait son travail au service de la
population même à un niveau minimal, et
surtout tant que le peuple syrien n’est
soumis à aucune puissance étrangère ;
cela signifie que vous êtes toujours
souverain, même si ce n’est pas au sens
plein de ce terme.
Question
27 : Revenons cinq ans en arrière quand
les soulèvements dans le monde arabe ont
commencé, ainsi qu’à Daraa, ville située
au sud de la Syrie à la frontière
syro-jordanienne. Notre impression est
que des jeunes ont été emprisonnés pour
avoir inscrit des graffiti sur un mur et
que les Forces de sécurité ont frappé
très fort lorsque les parents ont
manifesté pour les récupérer. Était-ce
une bonne idée de réprimer si durement
cette sorte de jeunes fous et de
déclencher toute la guerre civile qui a
suivi ?
Le Président
Al-Assad : Pour commencer, toute cette
histoire n'a pas existé. Elle n'a pas eu
lieu. Ce ne fut que de la propagande. Je
veux dire que nous avons entendu parler
d’eux, mais que nous n’avons jamais vu
ces jeunes prétendument emprisonnés à ce
moment là. Ce récit est donc faux.
Supposons qu’il soit vrai, ce qui n’est
pas le cas, et comparons-le avec ce qui
s’est passé aux États-Unis l’année
dernière, quand tout le monde discutait
et condamnait plusieurs meurtres de
citoyens noirs américains par la police.
Quelqu'un a-t-il demandé aux gens d’user
de leurs mitrailleuses pour tuer, juste
parce qu’un policier a commis une erreur
? Ce n’était pas justifiable. Par
conséquent, même si les choses s’étaient
passées comme vous le dites, ce qui n’a
pas eu lieu, ce n’est pas une excuse qui
vous permettrait de prendre votre
mitrailleuse, de combattre le
gouvernement et de tuer des civils et
des innocents.
L'autre
question: quelles contre-mesures
adopteriez-vous face à des gens qui
tuent dans vos rues et attaquent les
propriétés ? Vous leur diriez : faites
ce que bon vous semble, quoi que vous
fassiez je reste ouvert, je ne vous
répondrai pas ? Ce n'est pas possible.
Nous avons une seule option, celle de
les arrêter et de les empêcher de
continuer à tuer. Face à des
mitrailleuses, nous n’allons pas
répondre par un lâcher de ballons. Nous
devons utiliser nos armes. C’est notre
seule option.
Question
28 : La guerre en Syrie déstabilise
toute la région, les États voisins comme
la Turquie, l'Irak, la Jordanie, le
Liban. De plus, elle affecte déjà
l'Europe. Ceci fait qu’une large partie
du monde est touchée par la guerre
syrienne. Que faites-vous pour arrêter
ce cauchemar ?
Le Président
Al-Assad : Ce cauchemar ne dépend pas
uniquement de la Syrie. Depuis le début
de la crise, nous avons adopté deux
pistes de travail : établir le dialogue
avec tout le monde, les pays, les
factions et les miliciens, afin de
rétablir la stabilité ; combattre les
terroristes qui refusent de déposer
leurs armes. Mais la question est : à
quoi sont prêtes les parties adverses ?
Car une part de la catastrophe, ou du
cauchemar dont vous parlez, est due à
l’embargo occidental qui affecte tous
les citoyens syriens sans exception et
non seulement aux terroristes qui tuent
et détruisent. Qu’est-ce qu’elles sont
prêtes à faire pour arrêter le cauchemar
et soulager la douleur des Syriens ?
Sont-elles prêtes à faire pression sur
des pays comme la Turquie, l'Arabie
Saoudite et le Qatar, lesquels
soutiennent les terroristes, afin de les
obliger à arrêter le passage clandestin
de terroristes, la contrebande de toutes
sortes d’armes et la fourniture de
toutes sortes de supports logistiques ?
Telle est la question. Lorsque tous ces
États se seront mis d’accord ou,
disons-le, auront la volonté de faire
leur devoir à ce sujet, je puis vous
assurer que nous n’aurons pas de
problème pour arrêter ce cauchemar en
Syrie.
Question
29 : Ma dernière question, Monsieur le
Président. Lorsque votre père Hafez est
décédé en 2000, vous avez quitté Londres
où vous exerciez votre métier
d’ophtalmologiste, pour rentrer à Damas
et accéder à vos fonctions. Ayant à
l'esprit tout ce qui s’est passé ces
cinq dernières années, le feriez-vous
encore ? Reviendriez-vous à Damas, ou
bien resteriez-vous à Londres ?
Le Président
Al-Assad : En fait, dans cette région,
la politique fait partie intégrante de
la vie de chaque citoyen syrien étant
donné les circonstances qui font qu’elle
affecte son quotidien. Vous ne devenez
donc pas un homme politique par goût,
mais par nature. Il en est de même pour
moi, d’autant plus que je suis issu
d’une famille politique et que j’ai
hérité de cette passion. Mais cette
passion ne se réduit pas à un passe
temps ou à un domaine qui vous plaît.
Elle vous ramène à la façon dont vous
pouvez servir votre pays. J’étais un
médecin dans le secteur public. Je suis
désormais un homme politique. Je suis
donc passé d’un secteur public à un
autre secteur public plus large. C’est
toujours le même principe. Et, bien sûr,
tant qu’il s’agit d’aider le peuple
syrien vous devez être prêt à aider de
plus en plus, à continuer encore et
encore, jusqu'à ce que vous n'en soyez
plus capable et que le peuple syrien ne
veuille plus de vous à ce poste.
Journaliste : Je vous
remercie beaucoup.
Le Président
Al-Assad : Merci à vous
Docteur
Bachar al-Assad
Président de la
République arabe syrienne
01/03/2016
Source :
SANA [ Syrian Arab News Agency]
http://sana.sy/en/?p=70991
Texte
traduit par Mouna Alno-Nakhal
Le
dossier Syrie
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
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