Algérie Résistance
Prof. Mebtoul : « Toute déstabilisation
de l’Algérie aurait des répercussions
géostratégiques sur tout l’espace
méditerranéen et africain »
Mohsen Abdelmoumen
Professeur Abderrahmane Mebtoul.
DR.
Jeudi 29 décembre 2016
English version here:https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2016/12/29/prof-mebtoul-any-destabilization-of-algeria-would-have-geostrategic-repercussions-on-all-the-mediterranean-and-african-space/
Mohsen Abdelmoumen : Nous
suivons depuis longtemps vos travaux.
Pour l’économiste que vous êtes,
l’Algérie respecte-t-elle les
engagements internationaux?
Prof. Abderrahmane Mebtoul :
Vous faites allusion à l’Accord
d’Association signé en toute
souveraineté le 01 septembre 2015. Pour
l’Algérie, par la voix du directeur
général des relations économiques et de
la coopération internationale au
ministère des Affaires étrangères, en
date du 05 aout 2015, il n’est pas
question de remettre en cause
l’architecture générale, l’Europe ayant
accédé à la demande algérienne et donné
son accord pour une révision partielle
de certains articles permettant un
partenariat gagnant/gagnant, tout en
soulignant pour la partie européenne
que, pour une économie diversifiée, les
réformes structurelles dépendent avant
tout du gouvernement algérien, afin de
bénéficier de cet accord. On reparle à
nouveau d’une éventuelle adhésion de
l’Algérie à l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) qui représente 97% du
commerce mondial et 85% de la population
mondiale.
Fin juillet 2016, l’organisation
comptait 164 pays membres et 20 pays
observateurs dont l’Algérie. À ce jour,
l’Algérie a mené 12 rounds de
négociations multilatérales durant
lesquels elle a traité 1.900 questions
liées essentiellement à son système
économique. Pour ma part, je suis
favorable à cette adhésion et pour le
respect des accords internationaux,
l’Algérie les ayant toujours respectés.
La récente loi votée du retour des
licences d’importation s’insère dans le
cadre du respect des engagements
internationaux de l’Algérie. La liberté
du commerce et de l’industriel est le
fondement de la politique économique et
commerciale du gouvernement algérien,
consacrée par l’ensemble des
dispositions de la législation
algérienne. Dans ce cadre, cette
législation, à l’instar de ce qui est
prévu par les législations de plusieurs
pays à économie ouverte en Europe et
ailleurs, offre la possibilité de
recourir dans des cas précis et
prédéfinis à une période de transition
afin de mettre à niveau l’appareil
productif, aux licences d’importation ou
d’exportation neutres dans leur
application et administrées de manière
juste et équitable, pour gérer des
exceptions à cette liberté du commerce
et ce, en conformité avec les règles de
l’OMC. D’une manière générale,
l’adhésion de l’Algérie à l’OMC lui
imposera l’ouverture des frontières et
la spécialisation accrue suscitée par la
mondialisation. En effet, tant les
accords avec l’Union européenne que ceux
avec l’OMC prévoient de développer les
échanges en mettant en place les
conditions de la libéralisation
progressive des échanges de biens, de
services et de capitaux. Récemment, des
organes de presse ont versé dans la
supputation en sortant le contenu de son
contexte. Il n’a jamais été question, ni
de la part de l’Union européenne ni des
USA, de geler la coopération économique
avec l’Algérie. Le souhait, face à la
chute du cours des hydrocarbures de
longue durée, est un changement de la
politique du gouvernement qui devra
accélérer les réformes afin d’éviter la
déstabilisation de l’Algérie et, par là,
de la région, ce que la communauté
internationale ne souhaite pas. Cela m’a
été confirmé lors de ma conférence à
l’invitation du Parlement européen et
récemment par des responsables de
l’Union européenne. C’est que la lutte
contre le terrorisme de l’ANP et des
forces de sécurité de l’Algérie est
fortement saluée par la communauté
internationale, des liens dialectiques
sécurité/développement existant devant à
terme mutualiser les dépenses par une
entente régionale. En cas de récession
économique de l’Algérie et de l’ensemble
du Maghreb, l’intégration à laquelle je
suis profondément attaché depuis des
décennies, avec la forte pression des
démographies, c’est tout le Maghreb qui
risque la déstabilisation et, par
ricochet, l’Afrique et l’Europe, surtout
après l’annonce par les services de
renseignement américains de la
pénétration de Daech dans la région.
Cette stabilité passe par
l’approfondissement de la réforme
globale interne qui dépendra
grandement des rapports de forces
politiques entre les réformistes et les
conservateurs assis sur la rente.
Pour terminer avec votre question,
effectivement il a été constaté
des litiges internationaux en
cascade pour certaines entreprises
algériennes dont Sonatrach avec leurs
partenaires étrangers, mais il existe
une prise de conscience qu’une loi doit
se conformer aux normes internationales
afin d’encourager tant l’investissement
privé national qu’international. Cela
pose d’ailleurs la problématique de la
règle de 49/51% généralisable que le
gouvernement algérien n’a pas introduit
dans le nouveau code des investissements
dont j’ai préconisé l’assouplissement au
gouvernement depuis 2010, tant aux
segments hydrocarbures pour les
gisements marginaux qu’aux autres
segments non stratégiques afin de
dynamiser les exportations hors
hydrocarbures. Les exportations « hors
hydrocarbures » qui restent toujours
marginales avec seulement 5,46% du
volume global des exportations, soit
l’équivalent de US$ 2,06 milliards en
2015, ont enregistré une diminution de
20,1% par rapport à l’année 2014. Les
groupes de produits exportés en dehors
des hydrocarbures sont constitués
essentiellement par des demi-produits
qui représentent une part de 4,48% du
volume global des exportations, soit
l’équivalent de 1,69 milliard de Dollars
US, des biens alimentaires avec une part
de 0,62%, soit US$ 234 millions, des
produits bruts avec une part de 0,28%,
soit en valeur absolue de 106 millions
de dollars US et enfin des biens
d’équipements industriels et des biens
de consommation non alimentaires avec
les parts respectives de 0,05% et 0,03%.
L’élection américaine et
la future élection française
auront-telles des répercussions sur
l’Algérie ?
Les États-Unis d’Amérique, la France
et l’Algérie entretiennent des relations
d’amitiés depuis de longues années. Pour
les USA, il faut reconnaitre qu’avec la
révolution du pétrole/gaz de schiste,
ils sont devenus des concurrents de
Sonatrach et cela a eu des répercussions
sur la valeur de la balance commerciale
qui est passée de 12 milliards de
dollars vers les années 2008 à $ 5
milliards en 2015. Mais d’importants
investissements hors hydrocarbures
américains sont en cours. Reconnaissons
que les principaux clients et
fournisseurs sont les Européens avec une
percée pour la Chine en matière
d’importation. Malgré certains remous
saisonniers, comme un vieux couple, les
relations économiques avec la France
sont excellentes. L’Espagne demeure un
partenaire clef de l’Algérie avec la
France. En bref, la situation est
différente des impacts de la crise de
1986 : les réserves de change, bien
qu’en baisse, sont substantielles de
plus de 112/116 milliards de dollars fin
2016, l’endettement extérieur est
faible. L’Algérie a toutes les
potentialités de sortie de la crise et a
pris conscience de l’urgence de la
dynamisation de la production hors
hydrocarbures dans le cadre d’une
économie ouverte. Toute déstabilisation
de l’Algérie aurait des répercussions
géostratégiques sur tout l’espace
méditerranéen et africain, d’où
l’importance du développement reposant
sur un partenariat gagnant/gagnant.
Où en est le partenariat
avec les États-Unis et la
Grande-Bretagne ?
Les sentiments n’existent pas
dans ce monde mais seulement des
intérêts devant analyser avec lucidité
le poids économique de chaque nation,
l’objectif face aux nouvelles mutations
géostratégiques mondiales et
l’instauration de l’Amérique première
puissance économique mondiale,
concurrent énergétique de l’Algérie avec
le pétrole/gaz de schiste. Comme client,
en 2015, les États-Unis représentent $
1,977 milliards, une baisse de 59,04%
par rapport à 2014 et, comme
fournisseur, $ 2,710 milliards soit une
baisse par rapport à 2014 de 5,48%.
Alors qu’en 2012, les exportations
algériennes vers les USA (source douanes
algériennes) ont été estimées à $ 10,778
milliards et pour les importations de $
1,651 milliards. À prix courant, le PIB
des USA pour une population de 324
millions d’habitants en 2015, a été de $
17 698 milliards, le Royaume Uni de $ 3
371. L’Union européenne, y compris la
Grande Bretagne, avec un PIB de $ 180
812 milliards pour une population de 510
millions d’habitants, reste la première
puissance économique mondiale. Les USA
et l’Europe, pour moins d’un milliard
d’habitants, totalisent plus de 40% du
PIB mondial estimé à $ 73 400 milliards
en 2015 et $ 75 700 milliards en 2016.
Des perspectives commerciales s’offrent
entre les USA et l’Algérie en dehors des
hydrocarbures, l’Algérie étant avant
tout intéressée par le transfert du
savoir-faire technique et managérial
avec la présence d’importantes sociétés
américaines devant impulser la
coopération, notamment dans le domaine
des nouvelles technologies, de
l’industrie, les services, l’agriculture
et le BTPH, sans oublier la formation.
Récemment, en dehors des hydrocarbures
où les USA sont présents, le dernier
contrat en date est celui signé en 2013
entre le groupe Sonelgaz et le groupe
américain General Electric (GE) pour un
partenariat dans un complexe industriel
de fabrication de turbines à gaz en
Algérie, pour un investissement de 200
millions de dollars. Cette société, qui
sera détenue à 51% par Sonelgaz et 49%
par GE, produira à partir de 2017 entre
six à dix turbines à gaz par an, soit
une capacité de 2 000 MW, dont une
partie pourrait être exportée. Par
ailleurs, GE a remporté un marché de
fournitures de turbines à gaz et à
vapeur d’une capacité de 8.400 MW pour
un montant de $ 2,2 milliards, destiné à
équiper les six centrales électriques
que l’Algérie prévoit de construire
d’ici à 2017. Mais les relations
dépassent le cadre économique.
Les USA reconnaissent que l’Algérie
est la puissance militaire et économique
dominante dans la région du Maghreb.
Elle représente un partenaire-clé des
États-Unis dans la lutte contre le
terrorisme, selon un document composé de
6 chapitres du service de recherche en
sécurité du Congrès américain qui traite
essentiellement la question du
gouvernement et de la politique en
Algérie. Abordant les relations entre
l’Algérie et les États-Unis, le rapport
note que l’Algérie est un pays de plus
en plus important dans les efforts
américains pour lutter contre le
terrorisme international et représente
un partenaire-clé dans la lutte contre
les groupes liés au terrorisme. Mais
n’oublions jamais que les USA ont une
stratégie planétaire qui ne se
différencie pas fondamentalement de
celle de l’Europe (sauf certaines
divergences tactiques) avec pour
fondement les intérêts économiques et
insistent sur l’intégration du Maghreb
sous segment du continent Afrique, dont
le contrôle économique à travers les
rivalités notamment de la Chine
constituera un enjeu majeur du XXIe
siècle.
La Grande-Bretagne avec 64 millions
d’habitants, a un produit intérieur brut
PIB (2014) de € 2 231,5 milliards. Elle
est la 5ème économie mondiale avec une
exportation de € 407,4 milliards et une
importation de € 493,8 milliards. En
2015, selon le CNIS, pour les échanges
algéro-britanniques, nous avons $ 903
millions à l’importation représentant
1,75% et $ 2 883 millions à
l’exportation soit $ 3,8 milliards
contre $ 2,5 milliards en 2012. Aussi,
reconnaissons que la coopération algéro-britannique
a connu un réel essor depuis la
nomination de lord Risby, envoyé spécial
du Premier ministre britannique pour le
partenariat économique avec l’Algérie,
qui a exploré bon nombre d’opportunités
d’affaires en Algérie. Le Royaume-Uni
est présent dans le secteur traditionnel
des hydrocarbures, notamment à travers
BP, Shell et BG, mais également dans
d’autres domaines tels que l’éducation (Linguaphone),
les infrastructures (Biwater), les
industries pharmaceutiques (GSK), les
produits à la consommation (Unilever),
les services financiers (HSBC), ainsi
que le transport (BA). Sans oublier les
récents contrats signés avec Hospital
Group pour la construction d’un CHU de
500 lits à Tlemcen. Petrofac a obtenu un
contrat de $ 970 millions dans une
association entre Sonatrach (40%),
l’espagnol Repsol (29,25%), l’allemand
RWE (19,5%) et l’italien Edison
(11,25%), pour la construction d’une
usine de traitement de gaz dans le Sud.
Quant à l’Algérie, le Produit
intérieur brut nominal (PIB) devrait
s’établir à US$ 166 milliards en 2016
contre US$ 172,3 milliards en 2015,
selon les prévisions du FMI, pour une
population dépassant 40 millions
d’habitants. Concernant la balance
commerciale entre l’Algérie et le reste
du monde, pour 2015, les hydrocarbures
ont représenté l’essentiel de nos
exportations à l’étranger avec une part
de 94,54% du volume global des
exportations, et une diminution de
40,76% par rapport à l’année 2014. Les
exportations « hors hydrocarbures », qui
restent toujours marginales, avec
seulement 5,46% du volume global des
exportations soit l’équivalent de US$
2,06 milliards, ont enregistré une
diminution de 20,1% par rapport à
l’année 2014. Les groupes de produits
exportés en dehors des hydrocarbures
sont constitués essentiellement par des
demi-produits qui représentent une part
de 4,48% du volume global des
exportations, soit l’équivalent de US$
1,69 milliards, des biens alimentaires
avec une part de 0,62% , soit US$ 234
millions, des produits bruts avec une
part de 0,28%, soit en valeur absolue de
US$ 106 millions et enfin des biens
d’équipements industriels et des biens
de consommation non alimentaires avec
les parts respectives de 0,05% et 0,03%.
Concernant l’année 2015, selon les
statistiques publiées par le CNIS,
l’Espagne était le principal client de
l’Algérie, avec US $ 6,56 milliards,
suivie de l’Italie (US$ 6,16 milliards),
la France (US$ 4,92 milliards), la
Grande-Bretagne (US$ 2,88 milliards),
les Pays-Bas (US$ 2,28 milliards) et la
Turquie (US$ 2,07 milliards). Parmi les
principaux fournisseurs de l’Algérie, la
Chine occupe la première place pour la
troisième année consécutive, avec (US$
8,22 milliards), suivie de la France
(US$ 5,42 milliards), de l’Italie (US$
4,82 milliards), de l’Espagne (US$ 3,93
milliards), de l’Allemagne (US$ 3,38
milliards) et des États-Unis (US$ 2,71
milliards). Selon les statistiques
officielles, ces chiffres dévoilent
également que 63,49% des importations de
l’Algérie proviennent des pays de l’OCDE
qui sont également la destination des
82,64% des exportations algériennes. Les
membres de l’Union européenne sont les
principaux partenaires commerciaux de
l’Algérie qui y importe à hauteur de
49,21% de ses produits et y exporte
68,28% des biens qu’elle produit dominés
par les hydrocarbures. Les échanges avec
les pays du Maghreb (UMA) restent très
marginaux, ayant connu un recul de 40%
en 2015, passant à US$ 2,28 milliards
contre US$ 3,8 milliards en 2014, et les
échanges avec les pays arabes ont baissé
de 2,68% à US$ 2,54 milliards contre US$
2,61 milliards. Quant aux échanges avec
l’Afrique, elles sont marginales. Les
échanges commerciaux étaient
relativement modestes, ayant atteint en
2010, $ 2 milliards, dont 1,260
milliards d’exportations algériennes et
$ 771 millions d’importations, mais
elles ont fortement progressé entre
2012/2014.
En ce qui concerne le
modèle économique, d’après nos sources,
les autorités ne vous ont pas écouté
alors que vous avez tiré la sonnette
d’alarme dès le début. Êtes-vous écouté
aujourd’hui ? Nous avons eu écho que
vous aviez subi des pressions concernant
le travail que vous faites et des
constats que vous avez élaborés,
n’est-il pas trop tard pour redresser la
situation économique actuelle ?
Non, il n’est pas trop tard,
l’Algérie recelant d’importantes
potentialités de sortie de la crise sous
réserve d’une gouvernance rénovée et du
primat de l’économie, de la
connaissance, loin de la vision rentière
qui ne peut que conduire le pays au
suicide collectif. Par ailleurs, je
tiens à souligner que je n’ai jamais
subi de pressions, étant expert
indépendant. Un modèle technique n’a
aucune portée s’il n’est pas porté par
des forces sociales économiques et
politiques chargées de sa mise en œuvre.
Evitons le tout-sinistrose, tout ce qui
a été réalisé entre 2000/2016 n’est pas
totalement négatif. Beaucoup de
réalisations ont été faites après la
décennie sanglante de 1989/1999, mais
aussi beaucoup d‘erreurs qu’il s’agit de
corriger impérativement. Fin 2013,
toujours à titre d’expert indépendant,
j’avais dirigé pour le gouvernement,
avec plus de 20 experts, un important
dossier suivi de bon nombre de
recommandations entre 2014/2016 en
insistant sur l’urgence de revoir
l’actuelle politique socio-économique.
Si on avait eu une bonne gouvernance,
plus de rigueur dans la gestion, une
meilleure allocation des ressources
favorisant l’économie et la
connaissance, piliers du développement,
loin de la vision matérielle périmée des
années 1970, en prenant en compte la non
maturation des projets avec les
différentes réévaluations et les
surcoûts qui ont été parfois entre
25/30% pour certains projets (dépenser
sans compter), selon le rapport de la
banque mondiale, l’Algérie aurait pu
économiser plus de 130 milliards de
dollars entre 2000/2016, un montant qui
dépasse les réserves de change
actuelles, tout en créant une dynamique
de croissance. Lorsque le
gouvernement invoque le tourisme,
l’industrie, l’agriculture, les services
comme secteur dynamisant entre 2016/2020
pour atteindre un taux de croissance de
7% notamment, on doit avoir une vision
précise projet par projet et s’inscrire
dans le cadre de filières
internationalisées selon les normes
coût-qualité en rapport avec les
nouvelles mutations mondiales et non
parler de secteur globalement. Comme
doit être pris en compte en dynamique
les accords de libre échange passés avec
l’Europe depuis le 01 septembre 2005, un
dégrèvement tarifaire progressif zéro
étant prévu à l’horizon 2020, sans
compter les contraintes de l’OMC en cas
d’adhésion. Aurons-nous des entreprises
compétitives en cette période courte ?
La politique de substitution à
l’importation pour alléger la facture
d’importation doit reposer sur une
analyse minutieuse de la rubrique
importation, produit par produit, à
partir des grandes masses. L’Algérie, si
elle veut devenir un pays émergent, et
elle en a les capacités, n’a pas besoin
d’une stratégie non industrielle, vision
des années 1970/1980, mais d’une
stratégie d’entreprises dans le cadre de
filières internationalisées. Un taux de
croissance en termes réels de 9/10%
entre 2016/2020 est nécessaire pour
dynamiser les exportations hors
hydrocarbures et réduire les tensions
sociales. Ce, d’autant plus que
l’Algérie devrait connaitre des tensions
budgétaires à l’horizon 2016/2020 avec
la baisse du cours des hydrocarbures,
étant utopique de prédire un cours
supérieur à 75/90 dollars entre
2017/2020, l’OPEP représentant 33% de la
production commercialisée mondiale ayant
un impact déclinant. Gouverner étant
prévoir, il s’agira, en fonction des
résultats quantifiés et datés, de mettre
en place des stratégies d’adaptation,
tant sur le plan économique que social
et politique solidaires, supposant un
large front national, tenant compte des
différentes sensibilités, des mutations
locales et internationales, étant à
l’aube de la quatrième révolution
économique mondiale avec de profonds
bouleversements géostratégiques.
Je suis persuadé que l’Algérie souffre
d’une crise de gouvernance et non d’une
crise financière, la situation étant
différente de celle de 1990. Mais en
absence de réformes, cette crise de
gouvernance risque de se transformer en
crise financière, car l’Algérie reposera
encore pour longtemps sur la rente des
hydrocarbures. Rappelons que,
selon les données officielles produites
en conseil des Ministres en 2015 suite
au rapport du Ministre de l’Énergie, les
réserves de gaz de l’Algérie sont de 2
700 milliards de mètres cubes gazeux et
de pétrole de 10 milliards de barils,
allant, au vu des exportations et de la
consommation actuelle, à l’épuisement à
l’horizon 2030. On se focalise
actuellement sur le cours du pétrole en
oubliant le cours du gaz, représentant
33% des recettes de Sonatrach dont les
contrats à long terme expirent vers
2018/2019 avec une très forte
concurrence, devant assister à une
révision des prix à la baisse. C’est une
erreur stratégique de raisonner sur un
modèle de consommation linéaire axé sur
les énergies fossiles traditionnelles.
Le monde se prépare à une transition
énergétique entre 2020/2030, comme cela
s’est produit en passant du charbon aux
hydrocarbures, d’où l’urgence d’une
nouvelle politique économique 2016/2025.
Face à une situation tant géostratégique
que socio-économique inquiétante pour le
devenir de l’Algérie, au-delà de l’État,
l’ensemble des acteurs de la société
doit être mobilisé si l’Algérie veut
renouer avec une croissance durable
hors-hydrocarbures dans le cadre des
valeurs internationales.
Comment ne pas rappeler que les pays
ayant entrepris avec succès des
réformes, notamment les pays émergents,
se sont appuyés sur une mobilisation de
l’opinion. La nécessité de réformer
s’impose à l’Algérie. Malgré des
dépenses monétaires sans précédent, les
résultats économiques sont mitigés et
peuvent conduire à des crises sociales
politiques à terme si l‘on continue à
dépenser sans compter, posant l’urgence
sur le caractère inéluctable des
changements structurels à opérer.
La croissance forte peut revenir
en Algérie. Mais elle suppose la
conjugaison de différents facteurs : une
population active dynamique, un savoir,
le gout du risque et des innovations
technologiques sans cesse actualisés, le
combat contre toute forme de monopole
néfaste, une concurrence efficace, un
système financier rénové capable
d’attirer du capital et une ouverture à
l’étranger. Ces réformes
passent fondamentalement par une
démocratie vivante, une stabilité des
règles juridiques et l’équité, les
politiques parleront de justice sociale.
La conduite d’ensemble de ces réformes
ne peut ni être déléguée à tel ou tel
ministre ni mise dans les mains de telle
ou telle administration. Elle ne pourra
être conduite que si, au plus haut
niveau de l’État, une volonté politique
forte (que seuls, le président de la
République et le Premier ministre
portent) la conduit et convainc les
Algériens de son importance, d’où, avec
l’ère d’internet, une communication
active transparente permanente. Ensuite,
chaque ministre devra recevoir une «
feuille de route » personnelle
complétant sa lettre de mission et
reprenant l’ensemble des décisions qui
relèvent de sa compétence. Au regard de
l’importance des mesures à lancer et de
l’urgence de la situation, le
gouvernement devra choisir le mode de
mise en œuvre le plus adapté à chaque
décision : l’accélération de projets et
d’initiatives existantes, le vote d’une
loi accompagnée, dès sa présentation au
Parlement, des décrets d’application
nécessaires à sa mise en œuvre et, pour
les urgences, seulement des décisions
par ordonnance pourront être utilisées.
Les actions coordonnées et
synchronisées dans le temps exigeront le
courage de réformer vite et massivement,
non des replâtrages conjoncturels, mais
de profondes réformes structurelles à
tous les niveaux en ayant une vision
stratégique pour le moyen et le long
terme, devant donc réhabiliter la
planification et le management
stratégique. L’Algérie peut y parvenir
dans un délai raisonnable. Elle en a les
moyens. Pour cela, elle doit réapprendre
à envisager son avenir avec confiance,
sécuriser pour protéger, préférer le
risque à la rente, libérer l’initiative,
la concurrence et l’innovation, car le
principal défi du XXIème pour l’Algérie
sera la maîtrise du temps. Le monde ne
nous attend pas et toute nation qui
n’avance pas recule forcément. Retarder
les réformes ne peut que conduire à la
désintégration lente, à
l’appauvrissement, à une perte de
confiance en l’avenir puisqu’avec
l’épuisement de la rente des
hydrocarbures, l’Algérie n’aura plus les
moyens de préparer ces réformes et vivra
sous l’emprise de la peur, voyant
partout des menaces où les autres voient
des chances. Cette croissance exige
l’engagement de tous, et pas seulement
celui de l’État, en organisant les
solidarités devant concilier efficacité
économique et équité par une
participation citoyenne et un dialogue
productif permanent. Le pouvoir algérien
a vécu longtemps sur l’illusion de la
rente éternelle. La majorité des
Algériens dont le revenu est fonction à
plus de 70% de la rente des
hydrocarbures doivent savoir que
l’avenir de l’emploi et de leur pouvoir
d’achat n’est plus dans la fonction
publique, et que celui des entreprises
n’est plus dans les subventions à
répétition. L’essentiel de l’action est
entre les mains des Algériens, qui
devront vouloir le changement et
partager une envie d’avenir, d’apprendre
davantage, de s’adapter, de travailler
plus et mieux, de créer, de partager,
d’oser. La nature du pouvoir
doit également changer, supposant une
refonte progressive de l’État par une
réelle décentralisation autour de grands
pôles économiques régionaux, impliquant
qu’il passe de l’État gestionnaire à
l’État régulateur, conciliant les coûts
sociaux et les coûts privés, en étant le
cœur de la conscience collective, par
une gestion plus saine de ses
différentes structures.
Pour s’inscrire dans la croissance
mondiale, l’Algérie doit d’abord mettre
en place une véritable économie de la
connaissance, développant le savoir de
tous, de l’informatique au travail en
équipe, de l’arabe, du français, du
chinois, de l’anglais, du primaire au
supérieur, de la crèche à la recherche.
Elle doit ensuite faciliter la
concurrence, la création et la
croissance des entreprises, par la mise
en place de moyens modernes de
financement, la réduction du coût du
travail et la simplification des règles
de l’emploi. Elle doit favoriser
l’épanouissement de nouveaux secteurs
clés, dont : le numérique, la santé, la
biotechnologie, les industries de
l’environnement, les services à la
personne avec le vieillissement de la
population. Simultanément, il est
nécessaire de créer les conditions d’une
mobilité sociale, géographique et
concurrentielle et de permettre à chacun
de travailler mieux et plus, de changer
plus facilement d’emploi, en toute
sécurité. Pour mener à bien ces
réformes, l’État et les collectivités
locales doivent être très largement
réformés. Il faudra réduire leur part
dans la richesse commune, concentrer
leurs moyens sur les groupes sociaux qui
en ont réellement besoin, faire place à
la différenciation et à
l’expérimentation, évaluer
systématiquement toute décision, a
priori et a posteriori.
L’Algérie doit s’adapter à la quatrième
révolution économique avec d’importantes
incidences géostratégiques qui
s‘annoncent entre 2020/2030/2040, loin
de l’ère matérielle des années 1970.
C’est que les nouvelles technologies de
l’information et de la communication
(NTIC), un ensemble de technologies
utilisées pour traiter, modifier et
échanger de l’information, plus
spécifiquement des données numérisées
qui regroupent les innovations réalisées
en matière de volume de stockage et de
rapidité du traitement de l’information
ainsi que son transport grâce au
numérique et aux nouveaux moyens de
télécommunication, ont des implications
au niveau de la gouvernance politique,
la gestion des entreprises et des
administrations et un impact également
sur notre nouveau mode de vie renvoyant
au savoir et à l’innovation permanente.
Politiques, entrepreneurs, citoyens,
nous vivons tous aujourd’hui dans une
société de la communication
électronique, plurielle et immédiate,
qui nous contraint à prendre des
décisions en temps réel. La maîtrise du
temps étant le défi principal de ce XXIe
siècle, engageant la sécurité nationale,
toute inadaptation à ces mutations
isolerait encore plus le pays.
Toute nation ne peut distribuer plus que
ce qu’elle produit annuellement, si elle
veut éviter la dérive sociale. L’entrave
principale au développement en Algérie
provient de l’entropie qu’il s‘agit de
dépasser impérativement, renvoyant non
seulement aux facteurs économiques mais
également sociaux et politiques, dont la
profonde moralisation des dirigeants et
de la société.
Où va l’Algérie, à votre
avis ? L’Algérie ne risque-t-elle pas
l’épuisement de ses réserves de change à
l’horizon 2019/2020 et quelles sont les
propositions que vous avez émises au
gouvernement algérien ?
L’Algérie a un répit de
seulement trois ans pour changer de cap
et éviter de vives tensions sociales
(2018/2020). Alors que faire pour
maintenir à un niveau acceptable les
réserves de change qui tiennent la
valeur du dinar, car à 10/20 milliards
de réserves de change, la cotation
officielle du dinar serait à plus de 200
dinars un dollar ?
La première solution
est une nouvelle gouvernance centrale et
locale, une moralisation de la vie
politique, sociale et économique, la
lutte contre la corruption et l’évasion
fiscale pour un sacrifice partagé, et
une réelle décentralisation autour de
pôles régionaux dynamisant l’entreprise
et l’économie de la connaissance.
La deuxième solution
est la réhabilitation du travail, source
de la richesse de toute nation, évitant
cette distribution de revenus sans
contreparties productives ; évitant ces
emplois fictifs pour une paix sociale
éphémère que voile le taux de chômage
officiel.
La troisième solution
est l’amélioration du climat des
affaires, la bureaucratisation de la
société, la réforme du système
financier, socio-éducatif, et l’épineux
problème du foncier.
La quatrième solution
est que tout projet doit être pensé par
rapport aux normes
coût/qualité/concurrence, donc selon les
normes internationales par une lutte
contre les surcoûts qui ont pris de
proportions exorbitantes, parfois
20/30%, et donc d’avoir une vision
stratégique au sein de filière
internationalisées.
La cinquième solution
est le développement pour les projets
structurants, notamment dans les
infrastructures de la technique du Build,
Operate and Transfer (B.O.T), ce qui
allégerait à court terme les tensions au
niveau du budget des devises de l’État,
mais en étant conscient qu’à terme, il y
aura transferts des profits. Rappelons
que la technique du BOT repose
principalement sur le modèle du «Project
financing/Project finance» qui est en
substance une technique de financement
où les prêteurs acceptent de financer un
projet en se basant uniquement sur sa
rentabilité et sa valeur propre. En
pratique, le remboursement du prêt
dépend principalement du cash-flow
généré par le projet lui-même, de sorte
que la capacité du projet à générer des
revenus qui serviront au remboursement
du prêt constitue la pierre angulaire du
Project financing.
La sixième solution
est l’assouplissement de la règle des
49/51% (bilan mitigé à ce jour) pour les
segments non stratégiques, devant
définir avec précision ce qui est
stratégique et ce qui ne l’est pas, où
l’Algérie supporte tous les surcoûts
sans que souvent le partenaire étranger
ne partage les risques, remplacé par une
minorité de blocage.
La septième solution
est une exportation plus accrue des
hydrocarbures, dont le prix dépend de
facteurs externes échappant totalement à
l’Algérie et là, attention aux faux
calculs, comme ceux effectués par le
Venezuela qui est au bord de la
faillite. Les recettes de Sonatrach à un
cours de 60 dollars le baril, la
majorité des contrats de gaz dont le
prix lui est indexé à long terme
expirant entre 2018/2019 sont évaluées à
34 milliards de dollars, déduction des
charges de 20%, donnant un profit net de
27 milliards de dollars qui s’ajoutent
aux réserves de change actuelles. À 50
dollars, le profit net est de 21
milliards de dollars, et à 40 dollars,
le profit est de 15/16 milliards de
dollars. Entre 2016/2020, il est
utopique de compter sur les exportations
hors hydrocarbures (la maturation et la
rentabilité de tout projet mis en œuvre
en 2016 mettant au minimum en Algérie
4/5 ans au vu des contraintes
bureaucratiques).
La huitième solution
est un arbitrage nécessaire entre la
satisfaction du marché intérieur et les
exportations posant la problématique des
subventions généralisées, source de
gaspillages et d’injustice sociale,
alors qu’elles doivent être ciblées.
L’Algérie risque d’être un importateur
net de pétrole à l’horizon 2025/2030
devant miser sur le gaz et surtout sa
transformation, dans le cadre d’un
partenariat gagnant/gagnant. C’est que
la majorité des contrats à moyen terme
expirent entre 2018/2069, devant
s’aligner sur le marché libre dit marché
spot, étant impossible de concurrencer
la Russie (fameux gazoduc Sibérie/Chine)
et l’Iran sur le marché asiatique, ne
devant plus compter sur les exportations
vers les USA qui eux-mêmes exportent
vers l’Europe, le marché naturel de
l’Algérie étant le marché européen, d’où
l’urgence de la transition énergétique
et d’un nouveau modèle de consommation
reposant sur un mix énergétique, dont
les énergies renouvelables, en tenant
compte de la forte concurrence
internationale.
La neuvième solution,
que j’ai préconisée au gouvernement
depuis deux ans, est l’endettement
extérieur ciblé à long terme, mais
uniquement pour les segments à avantages
concurrentiels de 30/50 milliards de
dollars entre 2017/2020, afin de
maintenir le niveau des réserves, sinon
les prévisions de 60 milliards de
dollars de la Banque mondiale qui ont
été établies selon mes informations à
Washington, à partir des données
2014/2016 de la Banque d’Algérie,
horizon 2018, sont réalistes.
La dixième solution,
la plus sûre, est d’avoir une vision
stratégique, loin de tout replâtrage,
les tactiques pour paraphraser les
experts militaires devant s’insérer au
sein d’une fonction objectif
stratégique, ce qui fait cruellement
défaut actuellement, comme l’a instruit
le Président de la République, c’est
d’aller vers de profondes réformes
structurelles sans lesquelles l’on ne
pourra pas faire émerger une économie
diversifiée.
Dans plusieurs de vos
écrits depuis 2009, vous avez alerté le
gouvernement sur les impacts de la
baisse du cours des hydrocarbures. Vous
n’avez pas été écouté. Pouvez-vous nous
rappeler vos propositions pour une
transition énergétique ?
Il faut passer des discours aux
actes. Il ne faut plus se faire
d’illusion sur un cours du baril
supérieur à 70/80 dollars entre
2017/2020. En effet, tenant compte de
l’évolution des coûts croissants, des
nouvelles mutations énergétiques
mondiales et de la concurrence de
nouveaux producteurs, des exportations
et de la forte consommation intérieure
induits par de nouveaux investissements
dans le doublement des capacités des
centrales électriques qui fonctionneront
à partir des turbines de gaz, favorisé
par des bas prix, l’Algérie sera
importatrice de pétrole dans 10 ans et
de gaz conventionnel dans 15 ans. D’où
l’importance, dès maintenant, de prévoir
la transition énergétique que je
résumerai en sept axes directeurs :
Le premier axe est
d’améliorer l’efficacité énergétique
car comment peut-on programmer
deux (02) millions de logements selon
les anciennes normes de construction
exigeant de fortes consommations
d’énergie, alors que les techniques
modernes économisent 40 à 50% de la
consommation?
Le second axe est de repenser
la politique des subventions
qui doivent être ciblée pour les
produits énergétiques, dossier que j’ai
dirigé avec le bureau d’études américain
Ernest Young et avec les cadres du
Ministère de l’Energie et de Sonatrach
que j’ai présenté personnellement à la
commission économique de l’APN en 2008,
renvoyant à une nouvelle
politique des prix (prix de cession du
gaz sur le marché intérieur environ un
dixième du prix international,
occasionnant un gaspillage des
ressources qui sont gelés
transitoirement pour des raisons
sociales). À cet effet, une réflexion
doit être engagée par le gouvernement
algérien pour la création d’une Chambre
nationale de compensation, que toute
subvention devra avoir l’aval du
Parlement pour plus de transparence, la
Chambre devant réaliser un système de
péréquation, segmentant les activités
afin d’encourager les secteurs
structurants et tenant compte du revenu
par couches sociales, impliquant une
nouvelle politique salariale.
Le quatrième axe, l’Algérie a
décidé d’investir à l’amont pour de
nouvelles découvertes. Mais
pour la rentabilité de ces gisements,
tout dépendra du vecteur prix au niveau
international et du coût, pouvant
découvrir des milliers de gisements non
rentables, posant le problème de la
rentabilité des 100 milliards de dollars
annoncés par le Ministère.
Le cinquième axe est le
développement des énergies renouvelables
devant combiner le thermique et le
photovoltaïque dont le coût de
production mondial a diminué de plus de
50% et le sera davantage à l’avenir.
Or, avec plus de 3 000 heures
d’ensoleillement par an, l’Algérie a
tout ce qu’il faut pour développer
l’utilisation de l’énergie solaire, ou
presque. Le soleil tout seul ne suffit
pas. Il faut la technologie et les
équipements pour transformer ce don du
ciel en énergie électrique. La
production à grande échelle permettrait
de réduire substantiellement les coûts
tout en favorisant à l’aval une
multitude de PMI-PME, renforçant le
tissu industriel à partir des énergies
propres (industries écologiques). La
promotion des énergies renouvelables
suppose des moyens financiers importants
en investissement et en
recherche-développement. Le Fonds
technologique pour les énergies
renouvelables décidé en conseil des
ministres dont le taux est passé de 0,5%
à 1% de la rente des hydrocarbures
devrait être revu à la hausse à 3%
minimum afin de pouvoir permettre le
soutien entre le tarif garanti
permettant la rentabilité de
l’investissement. Grâce aux recettes
d’hydrocarbures alimentant ce Fonds,
l’Algérie peut éviter de faire supporter
ces investissements sur le consommateur
à revenus faibles, à l’instar de
l’Allemagne où la différence entre le
prix garanti et celui du marché est
reportée sur les factures des
consommateurs via une surtaxe, suite à
sa décision de sortir du nucléaire d’ici
à 2022. L’Algérie a réceptionné en
mi-juillet 2011 la centrale électrique
hybride à Hassi R’mel, d’une capacité
globale de 150 MW, dont 30 MW provenant
de la combinaison du gaz et du solaire.
Cette expérience est intéressante. La
combinaison de 20% de gaz conventionnel
et 80% de solaire me semble être un axe
essentiel pour réduire les coûts et
maîtriser la technologie. À cet effet,
le CREG (l’agence de régulation) a
annoncé la publication de décrets
destinés à accompagner la mise en œuvre
du programme algérien de développement
des énergies renouvelables. Des mesures
incitatives sont prévues par une
politique volontariste à travers
l’octroi de subventions pour couvrir les
surcoûts qu’il induit sur le système
électrique national et la mise en place
d’un Fonds national de maîtrise de
l’énergie (FNME) pour assurer le
financement de ces projets et octroyer
des prêts non rémunérés et des garanties
pour les emprunts effectués auprès des
banques et des établissements
financiers. Le programme algérien
consiste à installer une puissance
d’origine renouvelable de près de 22 000
MW dont 12 000 MW seront dédiés à
couvrir la demande nationale de
l’électricité et 10 000 MW à
l’exportation. D’ici 2030, l’objectif de
l’Algérie serait de produire 30 à 40% de
ses besoins en électricité à partir des
énergies renouvelables. Le montant de
l’investissement public consacré par
l’Algérie à la réalisation de son
programme de développement des énergies
renouvelables, à l’échéance 2030, est
contradictoire, annoncé une fois à 100
milliards de dollars selon le Ministère
de l’énergie, et une autre fois à 60
milliards de dollars. En effet, le
gouvernement algérien avait annoncé 100
milliards de dollars en Conseil des
ministres en 2009 et 60 milliards de
dollars fin 2015. En septembre 2016, il
a annoncé que du fait de la crise
financière, le programme se ferait en
partenariat public privé national et
international sans annoncer le montant
exact. L’appel d’offres pour la
réalisation d’une capacité de 4 000
mégawatts (mW) en énergie renouvelable
de partenariat public privé va être
lancé au début de l’année 2017, a
annoncé récemment le ministre algérien
de l’énergie, Nouredine Boutarfa, à
l’ouverture de la conférence sur
l’énergie dans le cadre du Forum
africain d’investissements et d’affaires
qui s’est déroulé à Alger.
Le problème est le suivant :
l’Algérie aura-t-elle les capacités
d’absorption, la maîtrise technologique
pour éviter les surcoûts, la maitrise du
marché mondial, et ne sera-t-il pas
préférable de réaliser ces projets dans
le cadre d’un partenariat public privé
national, international, et pourquoi pas
dans le cadre de l’intégration de
l’Afrique du Nord, pont entre l’Europe
et l’Afrique, marché naturel du Maghreb
et de l’Europe, continent à enjeux
multiples qui, horizon 2O3O/2040, tirera
la croissance de l’économie mondiale ?
Le sixième axe, l’Algérie
compte construire sa première centrale
nucléaire en 2025 à
des fins pacifiques
pour faire face à une demande
d’électricité galopante où, selon le
ministre de l’Energie et des Mines, le
19 mai 2013, l’Institut de génie
nucléaire créé récemment, doit former
les ingénieurs et les techniciens en
partenariat qui seront chargés de faire
fonctionner cette centrale. Les réserves
prouvées de l’Algérie en uranium
avoisinent les 29 000 tonnes, de quoi
faire fonctionner deux centrales
nucléaires d’une capacité de 1 000
Mégawatts chacune pour une durée de 60
ans, selon les données du Ministère de
l’Energie. La ressource humaine étant la
clef, à l’instar de la production de
toutes les formes d’énergie et afin
d’éviter cet exode de cerveaux massif
que connaît l’Algérie, le poste services
avec la sortie de devises étant passé de
2 milliards de dollars en 2002 à 10/12
milliards entre 2010/2015, dont une
grande partie destinée au secteur
hydrocarbures, Sonatrach se vidant de sa
substance, il convient de résoudre le
problème récurrent des chercheurs du
nucléaire (cela s’applique à l’ensemble
des chercheurs) qui depuis des années
demandent l’éclaircissement de leur
statut, la revalorisation de leur
rémunération et surtout un environnement
propice par la levée des obstacles
bureaucratiques qui freinent la
recherche.
Le septième axe, l’option du
pétrole/gaz de schiste (3ème réservoir
mondial selon des études
internationales) introduite dans la
nouvelle loi des hydrocarbures de 2013,
dossier que j’ai l’honneur de diriger
pour le compte du gouvernement et remis
en janvier 2015. En Algérie,
tout en évitant des positions tranchées
pour ou contre, un large débat national
s’impose, car on ne saurait minimiser
les risques de pollution des nappes
phréatiques au Sud du pays. L’Algérie
étant un pays semi-aride, le problème de
l’eau est un enjeu stratégique au niveau
méditerranéen et africain, et un
arbitrage pour la consommation d’eau
douce doit être opéré (les nouvelles
techniques peu consommatrices d’eau
n’étant pas encore mises au point malgré
le recyclage, quel sera le coût,
fonction de l’achat, du savoir-faire),
un milliard de mètres cubes gazeux
nécessitant 1 million de mètres cubes
d’eau douce devant être pris en compte
dans les coûts (en plus de l’achat des
brevets) et il faut forer plusieurs
centaines de puits moyens pour un
milliard de mètres cubes gazeux. Sans
compter la courte durée de vie de ces
gisements et la nécessaire entente avec
des pays riverains se partageant ces
nappes. Le sixième axe, rentrant dans le
cadre des résolutions de la COPE21 et de
la COP22 est l’action climatique qui ne
peut être conçue dans le cadre d’une
nation, impliquera une large
concertation avec notamment les pays du
Maghreb et de l’Afrique. D’une manière
générale, pour le Maghreb, dont
l’Algérie, les ressources hydriques sont
vulnérables aux variations climatiques.
L’eau et sa gestion sont des problèmes
conditionnant son avenir, le volume
maximal d’eau mobilisable étant
déficitaire d’ici à 2020 selon Femise
(réseau euro-méditerranéen sur la région
MENA). Dans la région du Maghreb, les
effets négatifs toucheront la production
de légumes dont les rendements
diminueraient de 10 à 30% et une baisse
du blé à près de 40%. Ainsi, le
changement climatique pourrait entraîner
une véritable crise migratoire. L’or
bleu sera l’enjeu du XXIème siècle qui,
non résolu, pourrait provoquer des
guerres planétaires.
En résumé, la transition
pouvant être définie comme le passage
d’une civilisation humaine construite
sur une énergie essentiellement fossile,
polluante, abondante et peu chère, à une
civilisation où l’énergie est
renouvelable, rare, chère, et moins
polluante ayant pour objectif le
remplacement à terme des énergies de
stock (pétrole, charbon, gaz, uranium)
par les énergies de flux (éolien,
solaire). La transition énergétique
renvoie à d’autres sujets techniques,
posant la problématique sociétale.
Il ne suffit pas de faire une loi car
le déterminant est le socle social. Cela
pose la problématique d’un nouveau
modèle de croissance. Tous les secteurs
économiques, tous les ménages, sont
concernés : transport, BTPH, industries,
agriculture. Les choix techniques
d’aujourd’hui engagent la société sur le
long terme. Dès lors, la transition
énergétique suppose un consensus social
car la question fondamentale est la
suivante : cette transition énergétique,
combien coûte-t-elle, combien
rapporte-t-elle et quels en seront les
bénéficiaires ? Pour une transition
énergétique cohérente visant à renforcer
les interconnexions des réseaux et
l’optimisation de leur gestion (smart
grids) afin de contribuer à l’efficacité
énergétique et au développement
industriel, en allant vers un nouveau
modèle de croissance afin de favoriser
l’émergence d’une industrie del’énergie
au service de l’intégration économique,
les avantages octroyés par l’État
doivent être fonction de ce taux. Dans
ce cadre, un partenariat public privé
national et international est
souhaitable afin de favoriser la
concurrence, le monopole entraînant
forcément des surcoûts. Pour ce segment,
la règle des 49/51% reposant sur une
vision idéologique dépassée est
inappropriée, d’autres mécanismes
doivent être prévus pour protéger la
production nationale (autres critères,
balances technologique et financière
positives). Pour cela, une nouvelle
politique des prix est nécessaire car la
détermination de la politique des tarifs
est inséparable des mécanismes de
répartition du revenu national. Il
vaudrait mieux cibler ces subventions
qui sont supportées par le trésor sans
distinction de revenu. Il existe un
véritable paradoxe en Algérie: la
consommation résidentielle (riches et
pauvres payent le même tarif ; idem pour
les carburants et l’eau) représente 60%
contre 30% en Europe et la consommation
du secteur industriel 10% contre 45% en
Europe montrant le dépérissement du
tissu industriel, soit moins de 5% du
produit intérieur brut. Les décisions
dans le domaine de l’énergie engagent le
long terme et la sécurité du pays au
regard des priorités définies sur le
plan politique (indépendance nationale,
réduction des coûts, réduction des
émissions de carbone, création
d’emplois). Chaque décision majeure
devra être préalablement analysée par le
conseil national de l’Énergie, présidé
par le président de la République, après
un large débat national, comme je l’ai
préconisé il y a deux ans à Bruxelles à
l’invitation du Parlement européen. Le
co-développement et le co-partenariat
avec des partenaires étrangers peuvent
être le champ de mise en œuvre de toutes
les idées innovantes, l’avenir étant au
sein des espaces euro-méditerranéens et
africains. L’Afrique avec 25% de la
population mondiale à l’horizon 2040,
des ressources tant matérielles
qu’humaines considérables, sous réserve
de sous régionalisations homogènes et
d’une meilleure gouvernance, sera la
locomotive de l’économie mondiale
horizon 2030/2040.
L’Algérie ne
risque-t-elle pas l’implosion sociale
sans réformes structurelles ?
Non, il n’y aura pas
d’implosion sociale à court terme, mais
c’est un scenario à ne pas écarter entre
2019/2020 si l’Algérie n‘entame pas
rapidement de profondes réformes
structurelles douloureuses impliquant
une profonde cohésion sociale et la
moralité des dirigeants. Aussi, je
recense quatre raisons pour la période
2017/2019 :
Premièrement,
l’Algérie n’est pas dans la situation de
1986 où les réserves de change étaient
presque inexistantes avec un endettement
qui commençait à devenir pesant. Avec
118 milliards de dollars de réserves de
la banque d’Algérie fin 2016, 112
milliards de dollars selon le FMI, et
une dette extérieure inférieure à 4/5
milliards de dollars, ces réserves de
change, si elles sont bien utilisées,
peuvent à la fois servir de tampon
social.
Deuxièmement, vu la
crise du logement, le regroupement de la
cellule familiale concerne une grande
fraction de la population et les charges
sont payées grâce au revenu familial
global. Mais il faut faire attention :
résoudre la crise du logement sans
relancer la machine économique prépare à
terme l’explosion sociale.
Troisièmement, grâce
à leur travail mais également aux
subventions étatiques, les familles
algériennes ont accumulé une épargne
sous différentes formes. Cependant, il
suffit de visiter les endroits officiels
de vente de bijoux pour voir qu’il y a «
déthésaurisation » et que cette épargne
est malheureusement en train d’être
dépensée face à la détérioration de leur
pouvoir d’achat. Cela peut tenir encore
deux à trois ans. À la fin de cette
période tout peut arriver.
Quatrièmement,
l’État, malgré des tensions budgétaires
qui iront en s’accroissant et les
dispositions de la loi de finances de
2017, continue à subventionner les
principaux produits de première
nécessité : il n’est pas question de
toucher à deux produits essentiels pour
les plus pauvres, à savoir le pain et le
lait. En revanche, à terme, il
s’agira de cibler les subventions qui,
généralisées, sont insoutenables pour le
budget.
L’Algérie a un répit
seulement de trois ans pour changer de
cap et éviter de vives tensions sociales
en 2018/2020. Certes,
à court terme, cette situation peut être
maîtrisable, sous réserve d’une plus
grande rigueur budgétaire et d’une lutte
contre les surcoûts, le gaspillage et la
corruption. Avec la baisse des recettes
de Sonatrach de 45%, il est
indispensable d’accroître la fiscalité
ordinaire : c’est là un exercice
difficile sans pénaliser les activités
productives et les couches les plus
défavorisées. Mais à moyen terne,
en cas de faiblesse de la
production interne, d’un dérapage
accéléré de la valeur du dinar corrélé à
la baisse des réserves de change, nous
devrions assister à un processus
inflationniste accéléré. En effet, il
faut être aussi conscient que sans
réformes structurelles, évitant les
replâtrages et les discours populistes,
l’implosion sociale est inévitable
horizon 2018/2020. L’inflation joue
toujours comme facteur de redistribution
des revenus au profit des revenus
variables et il appartient à l’État de
concilier l’efficacité économique et une
profonde justice sociale, laquelle n’est
pas antinomique avec l’efficacité. Tous
les appareils de l’État doivent donner
l’exemple. J’avais préconisé, lors d’une
conférence devant le Premier ministre en
novembre 2014, que les responsables au
plus haut niveau (Présidence,
Gouvernement, hauts cadres de l’État,
députés, sénateurs, etc.) donnent
l’exemple par une réduction de leurs
salaires et évitent des réceptions
inutiles. Certes, une telle attitude
n’aura pas une importante répercussion
sur le budget de l’État mais ce sera un
signe fort de mobilisation en faveur
d’une austérité justement partagée, car
tout responsable doit penser au devenir
de l’Algérie à l’horizon 2025/2030. La
question est pertinente et relève de la
géostratégie. La population
algérienne était de 40 millions
d’habitants au 1er janvier 2016 et sera
d’environ 50 millions en 2030 avec une
demande d’emploi additionnelle qui
varierait entre 300.000 à 400.000
personnes par an, nombre d’ailleurs
sous-estimé puisque le calcul de l’ONS
applique un taux largement inférieur
pour les taux d’activité à la population
féminine, représentant pourtant
la moitié de la population active et
dont la scolarisation est en forte
hausse, qui s’ajouteront au stock de
chômage. Ainsi, il existe deux
scénarios pour l’Algérie : réussir les
réformes ou aller vers le FMI à
l’horizon 2019/2020.
Le premier scénario
serait le statu quo de l’activisme,
vivant de l’illusion d’un retour à un
cours du pétrole supérieur à 80 dollars
et des discours d’autosatisfaction,
source de névrose collective,
déconnectés des réalités tant locales
que mondiales. Ce serait une erreur
politique d’une extrême gravité, une
fuite en avant (« après moi le déluge
»), d’attendre les élections
législatives de 2017 comme solution à la
crise, en se livrant entre temps à de
l’activisme sans procéder à de
véritables changements, car en économie,
le temps ne se rattrape jamais.
Entre-temps, la crise financière risque
de s’accentuer avec une demande sociale
croissante, des exigences accrues de la
jeunesse dont plusieurs centaines de
milliers de diplômés qui exigeront un
emploi et un logement. Ceux qui
travaillent actuellement auront plus de
60 ans en 2030 et seront en retraite. De
ce fait, il est à prévoir que sans
hydrocarbures, et c’est une forte
probabilité, il y aura forcément
suppression du ministère des
Hydrocarbures et celui de la Solidarité
nationale avec le risque d’implosion de
la caisse de retraite, et sans devises,
pas d’attrait de l’investissement. Il
s’ensuivra un chômage croissant, des
tensions sociales et une instabilité
politique à l’instar des pays les plus
pauvres de l’Afrique subsaharienne, et
le risque d’intervention de puissances
étrangères.
Quant au second scénario, et
je suis optimiste quant à l’avenir
l’Algérie, il se base sur les conditions
favorables de développement de l’Algérie
où l’on aura préparé l’après-pétrole.
On aura révisé profondément la politique
socio-économique en misant sur des
segments de savoir en évitant
l’instabilité juridique, le manque de
cohérence et de visibilité. La
corruption qui devient dramatiquement
généralisable à tous les secteurs,
source d’une démobilisation générale,
serait alors combattue par de véritables
contrepoids démocratiques et non par des
organes techniques aux ordres et peu
d’efficaces, dans les faits et non par
des textes. Dès lors, la sphère
informelle intimement liée à la logique
rentière, produit de la bureaucratie et
des dysfonctionnements des appareils de
l’État qui favorise cette corruption,
serait intégrée progressivement au sein
de la sphère réelle. Le développement se
fonderait alors sur les piliers du
développement du XXIe siècle, tels que
la revalorisation du savoir, l’État de
droit, une nouvelle gouvernance par la
réhabilitation du management stratégique
de l’entreprise et des institutions, et
par une libéralisation maîtrisée grâce
au rôle central de l’État régulateur. Le
dialogue politique, économique et social
évitant la concentration excessive du
revenu national au profit de rentes
spéculatives destructrices de richesses,
aurait remplacé les décisions
autoritaires. On aurait mis fin au
gaspillage de la rente des
hydrocarbures, de ces dépenses
monétaires, sans se préoccuper des
impacts pour une paix sociale fictive.
On aurait préparé un nouveau modèle de
consommation énergétique reposant sur un
Mix, dont les énergies renouvelables. On
aurait réhabilité l’entreprise publique
et privée, loin de tout monopole, seule
source de création de richesses
permanente. Et l’on aurait misé sur
l’investissement immatériel qui manque
aujourd’hui cruellement à l’Algérie,
privilégiant la qualité et non la
quantité, évitant des universités à
fabriquer des chômeurs, non imputable
uniquement à l’enseignement supérieur
qui hérite du fonctionnement de l’école
du primaire en passant par le secondaire
et la formation professionnelle.
Comment un pays qui
dispose de tant d’atouts de réussite se
retrouve-t-il à la traîne et quelle est
la trajectoire future que vous avez
souvent proposée dans vos différentes
contributions ?
Évitons l’illusion juridique,
mentalité bureaucratique en panne
d’imagination, un texte-loi n’est qu’un
texte de loi que peuvent contredire
quotidiennement les pratiques sociales.
Pour son efficacité, le texte juridique
quelle que soit sa forme, doit
s’attaquer au fonctionnement de la
société, favoriser les forces sociales
acquises aux réformes et se projeter
dans l’avenir en tenant compte de la
future carte géostratégie mondiale. Car
nous ne pouvons pas ne pas reconnaître
le décalage qui existe entre les
potentialités que recèle l’Algérie, et
elles sont énormes, et le niveau de
développement, loin des attentes que le
pays a atteint après plusieurs décennies
d’indépendance. Comme rappelé
précédemment, il faut faire un
diagnostic réaliste afin de corriger les
erreurs. Environ 95% des recettes en
devises proviennent de Sonatrach, le
secteur industriel représentant moins de
5% du PIB, et sur ces 5%, plus de 95%
sont issues des PMI-PMI à dominance
familiale peu concurrentielles, le petit
commerce et les services 83% de la
superficie économique, la sphère
informelle drainant plus de 40% de la
masse monétaire en circulation qu’il
s’agira d’intégrer dans la sphère
réelle, et sur les 5% d’exportation hors
hydrocarbures, plus de 60% des recettes
en devises sont des dérivés
d’hydrocarbures et des déchets ferreux
et semi ferreux. Il s’agira de préparer
l’après-hydrocarbure dans le cadre de la
mondialisation, passant impérativement
par une mutation systémique. Aussi
faut-il éviter l’euphorie de certains,
car en perpétuant le statu quo et sans
changement profond, le risque réel est
l’accélération des tensions sociales
différées par la distribution de la
rente des hydrocarbures sans
contreparties productives conduisant à
terme le pays au suicide collectif.
D’où les huit propositions
suivantes, quitte à me répéter :
1 – L’Algérie doit engager de
véritables réformes structurelles
et notamment les réformes du système
politique, centre névralgique de la
résistance au changement et à
l’ouverture en choisissant clairement
entre un régime parlementaire ou
présidentiel afin de responsabiliser les
acteurs politiques.
2 – Réaliser la réforme de la
justice par l’application et
l’adaptation du droit par la
lutte contre la corruption qui se
socialise et devient un danger pour la
sécurité nationale, devant synchroniser
le contrôle populaire, parlementaire et
le contrôle technique.
3 – Les réformes du système
éducatif, centre d’élaboration
et de diffusion de la culture et de
l’idéologie de la résistance au
changement et à la modernisation du pays
misant sur le nombre au détriment de la
qualité et donnant un système
socio-éducatif non adapté.
4 – Procéder aux réformes du
secteur des hydrocarbures,
source de rente et objet de toutes les
convoitises, et de l’agriculture par une
nouvelle politique foncière et une
politique de gestion de l’eau.
5 – Facteur de cohésion
sociale, il s’agira d’avoir une nouvelle
gestion des stratégies sociales,
devant revoir la gestion des caisses de
retraite et de la Sécurité sociale.
6 – S’attaquer à la réforme
du système financier qui est un
préalable essentiel à la relance de
l’investissement national et étranger,
les banques publiques et privées étant
au cœur d’importants enjeux de pouvoir
entre les partisans de l’ouverture et
ceux de la préservation des intérêts de
la rente, étant considérée, à juste
titre, comme l’indice le plus probant de
la volonté politique de l’État algérien
d’ouvrir ou non l’économie nationale à
la libre entreprise.
7 – Intégrer la sphère
informelle contrôlant 40% de la
masse monétaire en circulation et 65%
des segments des produits de première
nécessité.
8 – Et enfin adapter
l’Algérie aux nouvelles mutations
mondiales en analysant les
impacts de l’accord d’association avec
l’Europe applicable depuis le 1er
septembre 2005 et son éventuel adhésion
à l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), dans le Maghreb, pont entre
l’Europe et l’Afrique, son espace social
naturel.
Justement, le système
financier algérien, pilier des réformes,
n’est-il pas obsolète ?
C’est une évidence d’affirmer que le
système financier algérien a besoin
d’être réformé, puisqu’il n’existe pas
de banques accompagnant les véritables
investisseurs et pas de véritable bourse
des valeurs. Il y a une hérésie
économique des entreprises étatiques
dominantes souvent déficitaires achetant
des entreprises étatiques déficitaires.
Ni Sonatrach, ni Sonelgaz, ni aucune
grande entreprise privée comme Cevital
n’est cotée en bourse. À partir de là,
il faut parler de refondation du système
financier. La société des hydrocarbures
ne créait pas de richesses ou du moins
très peu. Elle transforme un stock
physique en stock monétaire (champ de
l’entreprise) ou contribue à avoir des
réserves de change qui, du fait de la
faiblesse de capacité d’absorption, sont
placées à l’étranger. La
richesse ne peut apparaitre que dans le
cadre de la transformation du stock de
monnaie en stock de capital, et là est
toute la problématique du développement,
puisque cette transformation n’est plus
dans le champ de l’entreprise mais se
déplace dans le champ institutionnel
(problème de la répartition).
Dans cette relation, le système
financier est-il passif ou à l’inverse
actif ? Un système, par définition,
n’est jamais neutre, il porte toujours
en lui un ou plusieurs enjeux. Le
système financier algérien porte en lui
la substance de l’enjeu du fait qu’il
cadre parfaitement la politique
économique développée jusqu’à présent et
son corollaire, les sources et les
modalités de son financement ; du fait
que l’on a affaire à une économie de
nature publique au sens ou la totalité
des activités quelles que soient leur
nature se nourrissent de flux
budgétaires, c’est à dire que l’essence
même du financement est liée à la
capacité réelle ou supposée du Trésor.
L’analyse des lois de finances de
l’année et des lois de finances
complémentaires, et les modalités de
répartition du budget de l’État sur la
période 2000-2017 avec le déficit
budgétaire, avec les risques de tensions
inflationnistes à l’avenir que l’on
comprime artificiellement par des
subventions transitoires, le prouvent si
besoin est. On peut considérer que les
conduits d’irrigation, les banques
commerciales et d’investissement,
opèrent non plus à partir d’une épargne
puisée du marché, éventuellement un
reliquat du travail, mais par les
avances récurrentes (tirage: réescompte)
auprès de la Banque d’Algérie pour les
entreprise publiques qui sont ensuite
refinancées par le Trésor public en la
forme d’assainissement (rachat des
engagements financiers des EPE auprès de
la Banque d’Algérie, plusieurs dizaines
de milliards de dollars entre 1991/2016
alors que plus de 70% de ces entreprises
sont revenues à la case de départ). En
ce qui concerne la majorité des
entreprises privées dont plus de 80% ont
une organisation familiale peu ouverte
au management stratégique, il en existe,
certes, mais ce sont des exceptions.
Sans vouloir les stigmatiser, une
analyse rapide de leur structure du
capital et de leur structure de
financement montre à l’évidence qu’elles
sont dans des positions d’endettement
vis-à-vis du système financier. Que ce
soit pour leur investissement ou leur
exploitation courante, elles sont
entièrement dépendantes de la « monnaie
hydrocarbure ». C’est un système
économique construit sur un ensemble de
réseaux portés par des intérêts
financiers individuels à court terme,
développant ensuite à long terme des
stratégies d’enracinement. La théorie de
l’enracinement nous enseigne que les
élites créent des situations et des
processus de manière à ce qu’elles se
considèrent, à juste titre,
indispensables. Cet enracinement n’est
possible en réalité que par le fait de
l’absence de définition de stratégie
économique. Les erreurs de management
quotidien sont couvertes grâce au
transfert financier qui transite par le
système financier et qui irrigue le
système économique. C’est la répartition
de la rente par les canaux ou les
conduits du système financier. Si on
construit un graphique avec en ordonnées
une échelle de date (1980-2016) et en
abscisses le prix du baril de pétrole
(0-130 dollars), à prix constants, on
trace suite une courbe, on remarque
parfaitement les moments de stagnation
et de régression d’une part et les
moments d’avancées. Il y a une
corrélation étroite entre : plus le prix
du pétrole est bas, plus il y a
émergence de potentiel de développement
en ressources matérielles et ressources
humaines. En revanche, plus le prix du
pétrole s’accroît plus le potentiel de
développement décélère, stagne et tend
au final à régresser si le
renchérissement du prix du baril de
pétrole perdure.
Quelle est votre
impression concernant la Loi de Finances
2017, notamment les taxes supportées par
les couches les plus défavorisées ?
La Loi de Finances 2017 qui vient
d’être adoptée par l’APN n’est qu’un
document comptable relevant de la
finance publique, retraçant les dépenses
et les recettes, l’Algérie ayant besoin
avant tout d’une vision stratégique qui
fait cruellement défaut. Le projet de
loi de finances fait une projection sur
les trois prochaines années sur la base
d’un prix de référence du baril à 50
dollars en 2017, 55 en 2018 et 60
dollars le baril en 2019 avec un cours
de la devise nationale de 108 dinars le
dollar et une inflation moyenne de 4%.
Le taux de croissance serait de 3,9% en
2017, de 3,6% en 2018 et de 4,3% en
2019. Or, selon le rapport Perspectives
de l’Économie mondiale présenté le 4
octobre 2016 par le Fonds monétaire
international (FMI), le PIB algérien
devrait passer de 3,6 en 2016 à 2,9 en
2017. Mais le plus inquiétant est que le
gaz traditionnel représentant un tiers
des recettes de Sonatrach avec une
révision de 50% en 2020, selon le FMI, a
atteint son cours le plus bas en douze
ans en raison de la chute des cours du
pétrole, certes, mais également par la
vigueur de l’offre russe en gaz naturel
et par l’affaiblissement de la demande
asiatique. La loi de finances est
établie sur la base des prévisions du
FMI qui le prévoit pour 2017 à 50/51
dollars. Le projet de budget prévoit un
montant de 5.635,5 milliards de dinars
(mds DA) de recettes, soit une hausse de
près de 13% par rapport à celles de
l’exercice 2016 avec pour la fiscalité
ordinaire un montant de 2.845,4 mds et
pour la fiscalité pétrolière prévue à
2.200 mds DA. En dépenses, le projet de
budget prévoit un montant de 6.883,2 mds
DA réparti entre 4.591,8 mds DA pour le
volet fonctionnement et 2.291,4 mds DA
en crédits de paiements pour le volet
équipement. Ainsi, le solde global du
Trésor affiche un déficit de 8%, contre
un déficit de 15% en 2016 du fait que le
cours plancher n’est plus 37 dollars
mais 50 dollars. Malgré les contraintes
financières pour 2017, 1.630,8 mds DA
seront alloués aux transferts sociaux
(23,7% du budget de l’année 2017)
répartis ainsi : 413,5 mds DA pour le
soutien aux familles, essentiellement à
travers la subvention des prix des
produits de base (céréales, lait, sucre
et huiles alimentaires), 330,2 mds DA
pour le soutien à la santé et 305 mds DA
aux programmes nationaux de logement.
Quelles sont les
différentes taxes contenues dans la Loi
de Finances 2017 ?
Le ministre des Finances a rappelé
que le gouvernement compte sur une
augmentation des recettes hors
hydrocarbures de 11% suite à la hausse
de la base fiscale et à l’amélioration
du recouvrement, ajoutant que les
dépenses publiques seront plafonnées
autour de 6800 milliards durant les
trois prochaines années. Par ailleurs,
il est demandé au Gouvernement de
s’atteler à la réforme de la fiscalité
et des finances locales pour accompagner
les missions nouvelles dévolues aux
collectivités locales en matière de
promotion de l’investissement et
d’accompagnement de l’activité
économique.
Les différentes taxes sont les
suivantes :
a. Le texte propose
notamment une augmentation de la taxe
sur la valeur ajoutée (TVA) la portant
de 17% à 19% pour le taux normal et de
7% à 9% pour le taux réduit, une
augmentation qui devrait permettre au
Trésor public, selon le Gouvernement,
d’engranger une plus-value fiscale de
110 milliards de dinars.
b. La LF 2017
prévoit l’augmentation des tarifs
actuels de la Taxe sur les produits
pétroliers (TPP) de 1 à 3 DA/litre
respectivement pour le gasoil et les
trois types d’essence. Le relèvement de
la TPP devrait permettre au Trésor
d’encaisser une plus-value de 42,49 mds
DA dont 30,36 mds DA pour la TPP et
12,13 mds DA pour la TVA, car toute
hausse des prix engendre automatiquement
une hausse des produits de la TVA.
Ainsi, la TPP de l’essence super et sans
plomb sera de 9 DA/l au lieu de 6 DA
actuellement (soit une hausse de 50%),
et celle de l’essence normal passera à 8
DA/l au lieu de 5 DA actuellement
(+60%), alors que la TPP sur le gasoil
passera à 2 DA/l au lieu de 1 DA
actuellement (+50%). Ainsi, le prix de
vente en détail de l’essence normale
sera de 32,47 DA/litre (+14,11% par
rapport au prix actuel), celui du super
à 35,49 DA/litre (+12,94%), celui de
l’essence sans plomb à 35,08 DA/litre
(+13,08%) et du gasoil à 20,23 DA/litre
(+7,85%), selon le PLF
c. Le projet de loi
institue une Taxe d’efficacité
énergétique (TEE) applicable aux
produits importés ou fabriqués
localement fonctionnant à l’électricité,
au gaz et aux produits pétroliers. Son
taux variera entre 30% et 60% selon la
classification. Cette taxe bénéficiera à
hauteur de 90% au budget de l’État. Les
10% restants seront reversés au profit
du fond national de maîtrise de
l’énergie et pour les énergies
renouvelables et de la cogénération. Ce
qui permettra au Trésor public de
percevoir environ 10,7 mds DA (9,2 mds
DA en TEE et 1,5 mds DA en TVA).
d. Il est prévu
d’instituer une autre augmentation de la
taxe sur les recharges téléphoniques
pour la faire passer de 5 à 7%.
e. La taxe
intérieure sur la consommation sera
étendue et relevée pour certains
produits, la TIC concernant notamment
les produits de luxe, le tabac, les
fruits exotiques, le saumon et le
caviar. La TIC passe ainsi pour la
partie fixe de 1.260 DA/kg à 1.760 DA/kg
pour le tabac blond et à 2.470 DA/kg
pour les cigares alors que le taux
proportionnel de cette taxe reste
inchangé à 10% pour chaque paquet de
cigarettes. La TIC augmente par ailleurs
à 30% pour d’autres produits de luxe
comme les véhicules tout-terrain et les
cylindrés supérieurs à 2.000 cm3 et
inférieurs à 3.000 cm3.
f. Il est prévu une
taxation des marges sur les opérations
de vente et livraison de biens meubles
d’occasion. Cela concernera notamment le
marché des véhicules d’occasion. Le but
est d’organiser ce segment en réduisant
le marché particulier tout en assurant
de nouvelles recettes pour l’État.
g. La location des
habitations individuelles sera soumise à
un nouveau taux de 10% d’imposition sur
le revenu global (IRG). Dans le même
temps, les plus-values sur les cessions
d’immeubles bâtis se verront imposées à
hauteur de 5% (IRG) libératoire d’impôt.
Ce prélèvement pourra néanmoins faire
l’objet d’abattements (jusqu’à 100%)
selon la durée de conservation du bien.
I. Pour ce qui est
des droits de timbre, il est prévu une
»procédure accélérée » qui permet de
délivrer le passeport biométrique dans
un délai maximum de huit jours de la
date de dépôt de la demande, contre le
paiement d’un timbre de 25.000 DA pour
le livret de 28 pages et de 60.000 DA
(45.000 dinars dans le projet de loi)
pour celui de 48 pages, dans le cadre
d’un amendement adopté par les députés.
j. Il est prévu des
avantages fiscaux accordés au profit des
sociétés de production de véhicules
industriels, à l’importation de parties,
accessoires et composants qui font
partie des collections destinées aux
industries de montage ou celles dites
CKD, avantage qui serait étendu à
l’ensemble des sociétés de production
activant dans le domaine de l’assemblage
et du montage agréées par le ministère
l’Industrie et des Mines. Dans le même
ordre d’idée, l’avantage temporaire
applicable actuellement depuis le 1er
janvier 2015 pour une durée de trois
ans, devrait être remplacé par un
avantage permanent pour les acteurs du
secteur.
N’oublions pas que le dérapage du
dinar pour ne pas dire dévaluation par
rapport au dollar gonfle la fiscalité
pétrolière (vente en dollars) et par
rapport à l’euro la fiscalité ordinaire,
les taxes à la douane s’appliquant à un
dinar dévalué. Avec un cours de 75
dinars un dollar et 85 dinars un euro,
le déficit du trésor dépasserait 20
milliards de dollars. Comme le
fonds de régulation des recettes est
épuisé en 2017, tout accroissement des
dépenses par rapport aux recettes
prévues accroîtra le déficit budgétaire
avec un impact inflationniste.
À l’avenir, si le cours se maintient
entre 45/55 dollars, la généralisation
des subventions, injuste par définition,
sera intenable financièrement,
impliquant un ciblage pour les plus
démunis et les secteurs que le
gouvernement veut encourager
transitoirement.
Face aux tensions
budgétaires, afin de rapprocher les
citoyens de leurs préoccupations,
pouvez-vous nous rappeler vos
propositions pour une réorganisation
centrale et territoriale de l’Algérie ?
Il s’agira de synchroniser la
gouvernance centrale et la gouvernance
locale. La pression
démographique souvent oubliée sera le
principal défi des années à venir avec
l’accroissement des besoins sociaux
posant la problématique des liens entre
développement et sécurité. La crise liée
à la chute du prix des hydrocarbures et
les conséquences sur le budget de l’État
impliquent la révision des politiques
menées, car l’ère des transferts des
budgets de l’État pour pallier les
déficits de gestion est révolue. Ces
actions synchronisées doivent avoir pour
objectif de rapprocher l’État du citoyen
pour satisfaire la demande sociale en
croissance. Cela signifie qu’il
existe une solution locale aux problèmes
locaux et que celle-ci est
nécessairement meilleure qu’une solution
nationale généralisée. Outre la refonte
du statut de l’administration tant
centrale que locale, il va sans dire que
les prérogatives nouvelles qui en
découleront pour l’autorité locale ne
pourront s’exercer que si elles sont
accompagnées par une réforme des
finances locales, devant imaginer un
système de péréquation entre les APC
riches et les APC les plus pauvres.
Dans le même temps, l’État doit
sauvegarder ses missions fondamentales
de garant de tout ce qui constitue les
intérêts de la communauté nationale
(cohésion et justice sociale, sauvegarde
du patrimoine public, égalité des
chances pour l’épanouissement de tous
les citoyens…). En effet, l’autonomie de
la gestion locale ne peut s’exercer que
dans le respect des politiques et
stratégies que met en œuvre l’État, tant
pour régler et orienter le développement
économique et social du pays, que pour
aider et organiser le développement
équitable et la bonne gestion de toutes
les composantes de l’espace national.
Tirons les leçons de toutes ces tensions
sociales qui se manifestent à travers la
majorité des wilayas (voir les derniers
rapports 2016 alarmants de la
gendarmerie nationale et de la DGSN). Il
existe un lien dialectique entre
sécurité et développement, entendu
développement multidimensionnel, à ne
pas circonscrire uniquement à
l’Économique, vision bureaucratique
matérielle du passé, ce qui serait une
grave erreur politique.
Dans ce cadre, je propose la
réorganisation centrale et territoriale
suivante que je propose aux autorités du
pays, renouvelant mes
propositions déjà formulées en 2004.
1. L’Algérie ayant opté,
selon la Constitution, pour un régime
semi-présidentiel, je préconise
la création de grands départements au
niveau de la présidence de la République
chargés d’élaborer la stratégie
socio-économique en symbiose avec
l’organisation gouvernementale.
2. De grands
ministères avec des secrétariats d’État
techniques chargés du suivi de la
stratégie, le Parlement et le Sénat
étant chargés des lois appropriées et du
contrôle démocratique.
3. Afin de
débureaucratiser tant la société que
l’économie au niveau régional, la
création de cinq grands pôles régionaux
(Est – Centre – Ouest – Sud-est et
Sud-ouest), avec un gouverneur chargé
non pas de gérer mais de représenter
l’État central assisté de walis managers,
évitant de puiser toujours dans
l’école nationale d’administration.
L’objectif est de manager et non de
bureaucratiser : connaissez-vous le nom
du préfet de Paris, de Bordeaux et de
New York ? Évidemment non, mais tout le
monde connaît le président du conseil
régional et le maire de Paris ou de
Bordeaux et le maire ou le gouverneur de
New York. L’objectif est une véritable
décentralisation et non déconcentration,
qui favorisera une société plus
participative et citoyenne.
4. Chargées de
l’exécution, ce sont les entreprises qui
créent la richesse et non
l’administration, et la mise en œuvre
concrète de projets à valeur ajoutée. La
structure qui me semble la plus
appropriée pour créer ce dynamisme, ce
sont les chambres de commerce régionales
(plusieurs wilayas). Comment serait
organisée cette structure régionale
opérationnelle ?
5. Les représentants
de l’État jouant le rôle de
facilitateurs, les présidents d’APC, les
représentants de la société civile, les
organisations patronales privées (qui
doivent aller vers des unifications par
branches d’activité, y compris le FCE
qui n’est qu’une organisation parmi tant
d’autres), les entreprises publiques,
les banques, les centres de formation
professionnelle, et les
universités/centres de recherche.
L’action des chambres de commerce, seul
interlocuteur des pouvoirs publics tant
au niveau national et régional (élection
d’un conseil d’administration national
et régional), lieu de concertation et
d’impulsion pour la concrétisation de
projets serait quadruple :
a. Premièrement,
dynamiser les infrastructures de base et
préparer des sites confiés à des agences
de promotions immobilières publiques et
privées.
b. Deuxièmement,
mettre à la disposition des sociétés une
main-d’œuvre qualifiée grâce à un
système de formation performant et
évolutif allant des ingénieurs aux
gestionnaires, aux techniciens
spécialisés et ce, grâce aux pôles
universitaires et des centres de
recherche, évitant ce mythe d’une
université par wilayas. L’apprentissage
en dynamique est un capital humain pour
de futures sociétés qui s’installeraient
dans la région, une société installée
payant des impôts qui couvriront
largement les avances en capital de la
formation avancée. Cette formation devra
être adaptée pour tenir compte de la
norme qualité standard, le label qualité
étant exigé pour tout exportateur en
direction de l’Europe, de l’Amérique, de
l’Afrique ou de l’Asie. Ainsi, nous
assisterions à une symbiose entre
l’université et les entreprises. Car les
sociétés ont besoin de l’accès aux
chercheurs et aux laboratoires pour les
tests d’expérimentation et l’université
a besoin des sociétés comme support
financier pour améliorer la recherche.
Les étudiants vivent ainsi la
dialectique entre la théorie et la
pratique.
c. La troisième action
est de favoriser des entreprises souples
reposant sur la mobilité et les
initiatives individuelles. Des tests ont
montré que l’initiative personnelle,
pour certains produits, permet
d’économiser certains équipements (donc
d’avoir un amortissement moindre dans la
structure des coûts) et de faire passer
le processus de sept (7) minutes (420
secondes) à 45 secondes, soit une
économie de temps de plus de 90%
améliorant la productivité du travail de
l’équipe. Ce qu’on qualifie d’équipes
autodirigées.
d. La quatrième action,
la chambre de commerce intensifierait
les courants d’échange à travers
différentes expériences entre les
régions du pays et l’extérieur, et
l’élaboration de tableaux de prospectifs
régionaux, à l’horizon 2016/2020/2030.
La mise à la disposition des futurs
investisseurs de toutes les commodités
nécessaires ainsi que des prestations de
services divers (réseau commercial,
loisirs) est fondamentale. Cette
symbiose entre ces différentes
structures et certains segments de la
société civile doit aboutir à un tableau
de bord d’orientation des futures
activités de la région, afin de
faciliter la venue des investisseurs.
On devra impérativement
prendre en compte les facteurs sociaux
et culturels devant procéder à une
réorganisation institutionnelle du
sommet à la base en se fondant sur un
État régulateur et non gestionnaire, se
fondant sur le trio stratégie/suivi de
la stratégie/exécution. Cette nouvelle
organisation ne devant pas être imposée
mais se faire progressivement et en
concertation avec les populations
locales – spécificités régionales
(propositions contenues dans les
documents remis en
arabe-anglais-français à la Présidence
de la République lorsque j’ai été invité
pour la révision constitutionnelle). La
pleine réussite de ce processus complexe
éminemment politique implique de poser
le rôle de l’État et son articulation
avec le marché dans la future stratégie
socio-économique, ce qui renvoie au mode
de gouvernance tant local
qu’international. L’ensemble
des actions citées précédemment implique
une vision stratégique, d’où
l’importance d’un organe de
planification stratégique sous
l’autorité du Président de la République
ou du Premier Ministre et non d’actions
conjoncturelles, d’une réorganisation
tant territoriale que gouvernementale
autour de grands pôles régionaux et de
grands ministères, notamment
économie/éducation/recherche
scientifique.
Dans le cadre de la mise
en œuvre des dispositions de l’article
202 de la Constitution, le président
Abdelaziz Bouteflika a procédé, par
décret présidentiel en date du 14
septembre 2016, à la nomination de la
composante de l’Organe national de
prévention et de lutte contre la
corruption. Qu’en pensez-vous ?
Je ne saurais trop insister que le
contrôle efficace doit avant tout se
fonder sur un État de droit, avec
l’implication des citoyens à travers la
société civile, une véritable opposition
sur le plan politique, une véritable
indépendance de la justice, tout cela
accompagné par une cohérence et une
visibilité dans la démarche de la
politique socioéconomique, un renouveau
de la gouvernance au niveau global afin
de délimiter clairement les
responsabilités. Cela impliquera plus de
moralité des dirigeants au plus haut
niveau pour un sacrifice partagé afin
d’éviter le divorce État/citoyens.
Si l’on veut lutter contre la
corruption, notamment contre les
surfacturations, les transferts illégaux
de capitaux, rendre le contrôle plus
efficient, il y a urgence de revoir le
système d’information qui s’est
totalement écroulé depuis des décennies,
posant la problématique d’ailleurs de la
transparence des comptes, y compris une
grande société comme Sonatrach. Ayant eu
à diriger un audit financier avec une
importante équipe d’experts et
l’ensemble des cadres de Sonatrach sur
cette société, il nous a été impossible
de cerner avec exactitude la structure
des coûts de Hassi R’mel et Hassi
Messaoud tant du baril du pétrole que le
MBTU du gaz arrivé aux ports, la
consolidation et les comptes de
transfert de Sonatrach faussant la
visibilité. Sans une information interne
fiable, tout contrôle externe est
difficile et dans ce cas la mission des
institutions de contrôle dont celle de
la Cour des comptes serait biaisée.
Dans les administrations, disons que
c’est presque impossible du fait que
leurs méthodes de gestion relèvent de
méthodes du début des années 1960
ignorant les principes élémentaires de
la rationalisation des choix
budgétaires. Effectivement,
récemment, dans le cadre de la
mise en œuvre des dispositions de
l’article 202 de la Constitution, le
président Abdelaziz Bouteflika a procédé
par décret présidentiel à la nomination
de la composante de l’Organe national de
prévention et de lutte contre la
corruption. Signalons qu’il existe
d’autres textes de loi traitant
également de la lutte contre la
corruption, comme la loi sur la monnaie
et le crédit relative à la répression
des infractions de change et des
mouvements des capitaux de/et vers
l’étranger. Il s’agira impérativement
d’éviter le télescopage de tous ces
organes, notamment de l’organe chargé de
la corruption, et de la Cour des
Comptes, deux institutions stratégiques
prévues par la Constitution. Pour la
Cour des Comptes, dont le rôle est
stratégique dans la majorité des pays
développés où existe un État de droit,
en Algérie, elle est sous-encadrée. Elle
était composée en 2014 d’environ 100
magistrats financiers ne pouvant pas
contrôler environ 17.000 entités
(administration et entreprises
publiques), notant que le contrôle de
Sonatrach uniquement nécessiterait 200
magistrats financiers. Ayant eu
l’occasion de visiter ces structures au
niveau international et de diriger en
Algérie par le passé (entre 1980/1983
pendant la présidence de feu docteur
Amir, ex-secrétaire général de la
présidence de la République) en tant que
magistrat premier Conseiller et
Directeur Général des études économiques
à la Cour des Comptes, trois importants
audits sur l’efficacité des programmes
de construction de logements et
d’infrastructures de l’époque, et sur
les surestaries au niveau des ports et
les programmes de développement des
wilayas, en relation avec le ministère
de l’Intérieur et celui de l’Habitat,
assisté de tous les walis de l’époque,
je ne saurais donc trop insister sur son
importance en évitant, comme par le
passé, qu’elle ne soit instrumentalisée
à des fins politiques. Concernant les
responsabilités, il y a lieu de tenir
compte que l’Algérie est toujours en
transition depuis 1986, sans économie de
marché ni économie planifiée, un lien
dialectique existant entre la logique
rentière bureaucratique et l’extension
de la sphère informelle qui draine plus
de 50% de la masse monétaire en
circulation et qui accapare autant pour
la superficie économique (voir mon étude
réalisée pour l’Institut français des
Relations Internationales IFRI décembre
2013 – Poids de la sphère informelle au
Maghreb). C’est cette interminable
transition qui explique les difficultés
de régulation, posant d’ailleurs la
problématique de la responsabilité du
manager de l’entreprise publique en cas
d’interférences ministérielles, donc du
politique, où la loi sur l’autonomie des
entreprises publiques de 1990 n’a jamais
été appliquée.
Dans ce cas, la
responsabilité n’est-elle pas collective
et ne renvoie-t-elle pas au blocage
systémique, les managers prenant de
moins en moins d’initiatives ?
Cela explique la
bureaucratisation de la société avec des
contraintes au niveau du climat des
affaires qui bloque les initiatives
créatrices, notamment celles du secteur
privé, et ce, en référence aux libertés
économiques. Parmi les facteurs
favorisant la liberté économique, il y a
la taille du gouvernement, la structure
juridique du pays en matière de
protection des biens de propriété, la
valeur de la monnaie, le libre-échange
avec les pays du reste du monde et la
réglementation des crédits, du travail
et des entreprises. Le rapport publié
par la Fondation Heritage et le Wall
Street Journal pour l’année 2015,
en date du 25 janvier 2016, classe les
178 pays étudiés en 5 grandes catégories
sur une échelle allant de 40 points (les
moins libres) à 100 points (les plus
libres) : « libres » (80-100 points), «
plutôt libres » (70-79,9 points), «
modérément libres » (score 60-69,9
points), « plutôt pas libres » (50-59,9
points) et « réprimant la liberté »
(40-49,9 points). L’Algérie a été
déclassée de onze places, la 157ème
position sur 178 pays. Ce rapport place
l’Algérie dans la catégorie des pays où
la liberté économique est « réprimée »
avec un score global de 48,9 points,
soit 1,9 point de moins que l’année
2014, ce score global restant inférieur
à la moyenne aussi bien régionale que
mondiale. Le think tank
canadien Fraser Institute dans son
édition de 2016, classe l’Algérie à la
151e place sur 159 pays avec un score de
5,15/10. En matière de taille du
gouvernement, l’Algérie est classée
157e, pour la liberté de commerce 154e,
le système légal pour le droit de
propriété à la 106e place et pour la
force de la monnaie à la 113e. Cela
explique le manque d’esprit des
entreprises qui est fondé sur le risque
et la déperdition des entreprises
productives. Aussi, sans une
transparence dans la gestion et une
nette volonté politique de lutte contre
la corruption, il ne peut y avoir de
développement en Algérie impliquant une
profonde moralisation de la société.
Les PMI/PME dans la
majorité des pays sont le socle du
développement. Pouvez-vous nous rappeler
les propositions que vous avez émises
pour le gouvernement algérien afin les
dynamiser ?
La nouvelle loi sur les PME
n’aura aucun impact sans de profondes
réformes structurelles d’ensemble et une
vision stratégique d’adaptation au
nouveau monde. Aussi je formule dix
propositions. Ce sont les propositions
sur la dynamisation des PMI/PME émises
lors de la rencontre du 06 novembre 2014
au Palais des Nations devant le Premier
Ministre et les membres du gouvernement,
au moment ou je préconisais un comité de
crise pour parer à la baisse du cours
des hydrocarbures.
Premièrement, créer
une Agence de service aux petites
entreprises de moins de 20 salariés.
L’environnement juridique,
administratif, fiscal et social est
particulièrement complexe et instable
pour une très petite entreprise. En
qualité d’employeur, une TPE est
aujourd’hui en relation avec plusieurs
dizaines d’organismes. Pourquoi ne pas
s’inspirer du Small Business Service,
interlocuteur administratif unique pour
les très petites entreprises, créé par
le gouvernement britannique ?
Deuxièmement, pour
le délai de paiement, je propose
d’imposer une loi, si nécessaire, ou un
décret exécutif pour le paiement aux PME
à moins de 30 jours à compter de la date
de livraison. Une telle décision
permettra aux PME de recouvrer les
milliards de dinars de trésorerie pour
toutes les livraisons aux grandes
entreprises et pour tous les marchés
passés avec les collectivités publiques,
les longs retards accumulés dans le
paiement devenant étouffants, en
supposant de revoir les procédures des
finances publiques.
Troisièmement, il
s’agira de réduire le délai de
remboursement de la TVA aux PME à 15
jours maximum où il devra être exigé que
l’administration fiscale rembourse dans
les 15 jours la TVA aux PME, sauf
interrogation motivée sur un risque de
fraude. En cas de dépassement,
l’administration fiscale devra être
pénalisée selon les mêmes modalités que
celles appliquées aux entreprises.
Quatrièmement, il
faudrait élargir les possibilités de
financement des PME en introduisant le
Leasing, le capital-développement, afin
de financer les petites et moyennes
entreprises à un stade peu avancé de
leur expansion, car la majorité des
entreprises familiales rechignent à
chercher du capital à l’extérieur, et
plus encore à entrer en Bourse d’Alger
qui est d’ailleurs en léthargie depuis
des années.
Cinquièmement,
contraindre les grandes entreprises
publiques dont Sonatrach et Sonelgaz
notamment à réaliser de la
sous-traitance par un co-partenariat. Il
ne s’agit pas là de prendre des
décisions administratives, mais d’en
appeler à des changements de mentalité
chez les dirigeants des grandes
entreprises. À l’instar de ce qui se
fait dans d’autres pays, les grandes
entreprises algériennes fonctionnant
d’ailleurs avec des fonds publics,
pourraient s’appuyer sur des réseaux
puissants de PME qui peuvent leur
apporter des sous-traitants fiables, des
innovations et des centres de recherches
compatibles avec leurs propres
activités. L’expérience allemande qui
considère les PME comme des partenaires
égaux, contrairement à la France où
existe l’effet de domination, est
intéressante à étudier.
Sixièmement, les
règles comptables régissant les PMI-PME
sont très lourdes et ne sont pas utiles
à toutes les entreprises. On pourra donc
s’orienter vers une comptabilité de
trésorerie pour les entreprises de moins
de 10/20 salariés. Cette mesure
permettrait de réduire leurs charges
administratives. Cependant, cela ne
concerne pas les PMI/PME empruntant ou
augmentant leur capital, qui devront
répondre comme à l’heure actuelle aux
demandes d’information des investisseurs
et des banquiers.
Septièmement, il
serait souhaitable de soumettre les
petites PMI/PME à un régime fiscal et
social spécifique, notamment pour ceux
dont le chiffre d’affaires ne dépasse
pas 10.000.0000 dinars avec un
prélèvement libératoire de 10 à 15%
assimilable à l’impôt sur le revenu, se
substituant à tous les impôts directs.
Huitièmement,
alléger la procédure des 49/51%, ce que
j’ai demandé au gouvernement depuis
2010, et ce que vient d’annoncer le
Premier ministre devant les walis le 13
novembre 2016, concernant le partenariat
avec l’étranger pour les activités non
stratégiques à lister, dont les petites
et moyennes entreprises, en introduisant
la minorité de blocage d’environ 30% et
l’obligation d’un transfert
technologique, managérial, et d’une
balance devise positive pour l’Algérie.
Neuvièmement, faire
un bilan du crédit documentaire Crédoc
qui n’a pas permis de limiter la facture
d’importation, ni de dynamiser le tissu
productif et réintroduire le Remdoc pour
certaines petites et moyennes
entreprises et donc adapter les règles
aux besoins du tissu économique algérien
cas par cas, ce qui est prévu en
principe dans la Loi de Finances 2017.
Dixièmement, au
final, l’amélioration du climat des
affaires en synchronisant la gouvernance
centrale, locale, et la gouvernance
d’entreprise. Cela passe par une lutte
contre le cancer de la bureaucratie, la
corruption, la réforme profonde du
système financier. On devra éviter tant
l’illusion monétaire que mécanique des
années 1970, le système socio-éducatif
devant reposer sur la qualité, le marché
du travail conciliant flexibilité et
protection sociale, et réformer le
marché du foncier afin de pouvoir faire
face à la concurrence internationale en
termes de coût/qualité et donc à
l’inexorable défi de la mondialisation.
Il existe une polémique
actuellement sur la réforme des caisses
de retraite en Algérie, qu’en pensez
vous ?
Le Président de la République vient
de décider le 01 décembre 2016
d’ajourner le départ à la retraite à
plus de 60 ans, avec une période
transitoire de 2 années, et toute
personne ayant fait 32 ans d’activité
peut partir à la retraite. Sans
entrer dans des polémiques sur un sujet
si sensible, devant tenir compte des
arguments productifs des uns et des
autres privilégiant les intérêts
supérieurs du pays, en tenant compte
tant de la situation financière du pays
que des nouvelles mutations mondiales,
il s’agit de modifier les
pratiques collectives et réduire les
à-coups sur l’emploi en accroissant la
flexibilité des revenus et des temps de
travail par une formation permanente
pour permettre l’adaptation aux
nouvelles techniques et organisations,
dans le cadre de l’amélioration de la
qualité qui s’est nettement détériorée.
Une décentralisation de la gestion de
l’éducation d’une manière globale est
souhaitable afin de faire jouer la
concurrence régionale et son adaptation
aux besoins de la société, avec quatre
(04) grand pôles d’excellence et éviter
le mythe d’une université par wilaya.
L’autre axe de la cohésion sociale est
celui d’une nouvelle gestion de la
sécurité sociale. Le financement de la
protection sociale continue à être assis
pour l’essentiel sur les cotisations
sociales et absorbe les gains de
productivité au détriment de l’emploi et
des salaires directs. Force est de
reconnaître qu’avec la baisse de la
salarisation due à l’accroissement du
chômage, cela pèse sur le compte de la
sécurité sociale, le déficit étant
couvert par des prêts à moyen terme qui
sont supportés sur les générations
futures. Aussi la pérennité du système
risque d’être menacée à moyen terme et
nécessite de profondes réformes
structurelles. La notion
d’équité a changé et l’accès à l’emploi
doit être une priorité car la protection
sociale actuelle accroît le chômage.
Donc, ce n’est pas un changement
d’assiette des prélèvements qui résoudra
les problèmes mais dans la maîtrise de
la dépense, aussi bien la dépense
globale que la dépense remboursée, car
dans cette sphère spécifique, celui qui
consomme n’est pas nécessairement celui
qui finance, et cela n’est pas neutre
pour l’activité productive. Aussi,
l’ensemble des dépenses de la sécurité
sociale ne doit pas croître, en volume,
plus vite que la croissance du Produit
intérieur brut (PIB). Cette
rationalisation des dépenses ne saurait
signifier restriction aveugle afin de
permettre de couvrir les besoins des
plus démunis, supposant des enquêtes
ciblées sur le terrain. Quant au système
fiscal, le niveau de l’impôt direct dans
une société mesurant le degré d’adhésion
de la population, il y a urgence d’une
nouvelle politique, car le système
d’impôt est au cœur même de l’équité.
Mais l’impôt peut tuer l’impôt, car il
modifie l’allocation des ressources
réalisée, notamment l’offre de capital
et de travail ainsi que la demande de
biens et services. Je déplore qu’aucune
enquête précise quantifiée dans le temps
ne mette en relief les liens entre la
répartition du revenu national entre les
couches sociales, l’évolution du
processus inflationniste et le modèle de
consommation, information indispensable.
Un système fiscal efficace doit trouver
le moyen de prélever des recettes en
perturbant le moins possible les
mécanismes qui conduisent à l’optimum
économique, supposant une mutation de
l’État providence. La population
algérienne est passée de 12 millions en
1965, de 34 591 000 le 1er juillet 2008,
à 37,5 millions d’habitants en
2010, 39,5 millions d’habitants au 1er
janvier 2015, et 40,4 millions
d’habitants au 1er janvier 2016.
Dans une étude publiée par l’ONS fin
2015, la population active est de
9 493 millions d’habitants en 2005, 10
862 en 2010, 10 661 millions d’habitants
en 2011, 11 964 en 2013, et 11 932
millions en 2015. La population en
chômage pour la même période, toujours
selon l’ONS, est de 15,3% en 2005, 10%
en 2011, 11% en 2012, 9,8% en
2012/2013, 10,6% en 2014 et 11,2%
en 2015 avec un taux de chômage des
jeunes de 29,9%, un taux de chômage de
9,9% en 2015 pour le sexe masculin et de
16, 6% pour le sexe féminin (dont le
taux d’activité retenu est inferieur),
incluant les sureffectifs, les empois
temporaires et la sphère informelle. Selon
l’enquête de 2013 de l’ONS, la structure
de l’emploi selon le secteur d’activité
fait ressortir un secteur tertiaire
(commerce et services) en progression.
Ce dernier absorbe 59,8% de la main
d’œuvre totale, suivi par le BTP
(16,6%), l’industrie (13,0%) et enfin
l’agriculture (10,6%). Quant
à la part de la fonction publique, selon
la direction générale de la fonction
publique, le nombre de fonctionnaires au
01 janvier 2015 est de 2.020.172
fonctionnaires dont 1.608.964 à temps
plein (79,64%) et 411.208 agents
contractuels (20,30%). Le ratio
masse salariale sur le PIB a été en 2001
de 22,94%, en 2005 de 18,03%, en 2010
de 25,97%, en 2014 de 27,11% et en 2015
de 29,70%. À titre de comparaison,
la France comptait 5.416.900 agents de
la fonction publique fin 2014, dont
2.385.000 à la fonction publique d’État,
1.878.700 à la fonction publique
territoriale, 1.152.000 à la fonction
publique hospitalière. Juste derrière
vient l’Allemagne et ses 4,9 millions
d’agents publics. La part des
fonctionnaires français dans la
population reste toutefois nettement
supérieure à la médiane européenne. Par
contre, elle est loin derrière certains
pays européens lorsque l’on considère le
nombre d’agents publics pour
1000 habitants, avec 80 fonctionnaires
pour 1000 habitants, se situant au même
niveau que la Belgique, loin derrière le
Danemark avec plus de 145 agents pour
1000 habitants, la Finlande avec 129,40
agents et la Suède avec 123,60. Le Maroc
comptait 900.000 fonctionnaires pour 35
millions d’habitants en 2015 (ratio
25,7), la Tunisie 630.000
fonctionnaires pour 11 millions
d’habitants (69,3), alors que, selon le
FMI, la Tunisie comptait 44
fonctionnaires pour 1 000 habitants en
2013, et le Maroc avait un ratio de 27
fonctionnaires pour le même nombre
d’habitants. L’Algérie, contrairement à
certaines supputations, a un ratio de
50,5 pour 2015, loin derrière les normes
européennes. Mais un
ratio global peut voiler l’efficacité,
il faut donc calculer l’optimalisation
de la valeur de la fonction publique qui
ne crée pas de valeur, excepté
l’éducation et la santé
indirectement, selon le rapport du PNUD
et ce afin de rapprocher l’État du
citoyen.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est le Professeur
Abderrahmane Mebtoul ?
Le Professeur Mebtoul est un
économiste algérien, professeur des
Universités et expert International.
Fils de feu un grand militant de la
guerre de Libération nationale
algérienne, il est un ancien émigré
ayant effectué des études primaires,
secondaires, une fraction du supérieur à
Lille (France). Docteur d’État
en Sciences Economiques (1974),
diplômé d’expertise comptable de
l’Institut supérieur de Gestion de Lille
(1973), il est membre de plusieurs
organisations internationales, auteur de
plus de 20 ouvrages, et conférencier
de plus de 500 conférences nationales et
internationales. Au cours de sa
carrière, il a été officier
d’administration à la route de l’unité
africaine (1972/1973), Directeur
d’Études au Ministère de l’Énergie/Sonatrach
(1974/1979, 1990/1995, 2000/2006),
ancien magistrat, premier Conseiller,
directeur général des études
économiques à la Cour des Comptes
(1980/1983), président du Conseil
algérien des privatisations au rang de
Ministre Délégué (1996/1999), Directeur
d’Études au cabinet de la Sûreté
Nationale-DGSN (1997/1998), Expert
conseil économique et social
(1995/2007), Expert à la Présidence de
la République (2007/2008), Expert
indépendant auprès du Premier ministre
(de janvier 2013 à ce jour) ayant dirigé
plusieurs dossiers importants pour le
compte des gouvernements algériens
successifs de 1974 à 2016. Le Professeur
Mebtoul est Expert indépendant depuis le
10 novembre 2016 pour des dossiers
économiques auprès du Secrétaire Général
du FLN, le président du FLN étant le
Président de la République.
Published in English in American
Herald Tribune, December 28, 2016:http://ahtribune.com/world/africa/1410-abderrahmane-mebtoul.html
In Oximity, partie 1:https://www.oximity.com/article/Prof.-Mebtoul-Toute-d%C3%A9stabilisati-1
Partie 2:https://www.oximity.com/article/Prof.-Mebtoul-Toute-d%C3%A9stabilisati-2
Reçu de l'auteur pour
publication
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