Algérie Résistance
Alain Rodier : « La seule certitude est
que le chaos va perdurer »
Mohsen Abdelmoumen
Alain
Rodier. DR.
Jeudi 25 mai 2017 English version
here
Mohsen Abdelmoumen :
Vous êtes l’auteur, entre autres, de « Grand
angle sur le terrorisme » et de « Grand
angle sur les mafias ». Dans
ces deux livres très pertinents, vous
analysez le terrorisme et les mafias, ce
qui nous renvoie aux liens entre ces
deux phénomènes. On parle de plus en
plus d’un terrorisme hybride lié à la
grande criminalité, quel est votre avis
à ce sujet ?
Alain Rodier :
L’expression « terrorisme hybride » est
apparue pour souligner les liens qui
existent entre des mouvements
terroristes et le crime en général et
organisé en particulier. Un premier
phénomène est bien connu : celui des
petits délinquants qui versent dans le
terrorisme. L’intérêt est alors
réciproque. Différents « paumés » y
voient une manière de se « réaliser » en
sortant de leur anonymat criminel en
épousant une cause que, dans leur
immense majorité, ils ne connaissent
pas. Ce qui est époustouflant c’est que
non seulement ils sont capables de
donner leur vie pour cette cause (comme
à peu près tout les militaires
d’active), mais que leur but essentiel
est le martyre. En dehors des kamikazes
japonais, l’Histoire moderne ne connaît
pas de cas semblables. La grande
question qui est posée et qui n’a, à ce
jour, pas trouvé de réponse
satisfaisante est : pourquoi ?
De leur côté, les mouvements
terroristes apprécient ces recrues qui
sont déjà formées à la vie clandestine
du fait de leurs activités criminelles
antérieures. De plus, les cellules
terroristes doivent souvent
s’autofinancer et rien de tel que des
activités délictueuses pour y parvenir.
L’exemple de Mokhtar Belmokhtar alias M.
Marlboro (que la rumeur dit tué
mais il a été annoncé mort à plusieurs
reprises) est frappant. Sa spécialité
qui était fort appréciée du GSPC puis
d’AQMI était la contrebande. En dehors
d’être un chef de guerre devenu
légendaire grâce à de nombreuses
opérations terroristes médiatisées, il
était le premier logisticien de ces
mouvements terroristes. D’ailleurs,
personne ne semble s’être jamais ému des
rutilants 4×4 d’origine asiatique
présents en quantité sur tous les fronts
où sévissent les salafistes-djihadistes…
Quant au crime organisé, cela est
plus compliqué. Généralement, les boss ne
partagent pas les mêmes intérêts que les
« émirs ». Toutefois, le crime organisé
est animé par un seul but : faire des
profits financiers par tous les moyens
imaginables mais en restant le plus
discret possible. La « publicité » nuit
aux « affaires ». Les « émirs », eux, la
recherchent pour faire connaître leur
« cause ». Cela dit, quelques exemples
laissent à penser qu’ils se croisent de
temps en temps. Beaucoup de questions se
posent sur les filières des migrants qui
rejoignent l’Europe et les camps
d’accueil dont certains seraient gérés
par les mafias en Italie.
Vous avez écrit le
livre « Al-Qaïda, les connexions
mondiales du terrorisme ». Peut-on
dire que Daech a les mêmes connexions
qu’Al-Qaïda ou bien cette organisation,
issue de la même matrice qu’Al-Qaïda, a
subi des mutations ?
Daech qui est issu à l’origine de la
branche irakienne d’Al-Qaïda « canal
historique » a son noyau central situé à
cheval sur la Syrie et en Irak. Les
provinces extérieures (les « wilayas »)
sont majoritairement constituées
d’anciens sous-groupes de branches
d’Al-Qaïda, particulièrement en Afrique,
en Extrême-Orient, en Afghanistan, au
Pakistan et dans le Caucase. Par
exemple, en septembre 2014, un groupe de
combattants menés par l’émir de la
région centrale d’AQMI en Algérie a
rallié Daech en prenant le nom des
« Soldats du califat ». Pour se faire
reconnaître, il a assassiné le Français
Hervé Gourdel. En septembre de l’année
suivante, la katiba « al Ansar » active
en Kabylie a rejoint à son tour l’État
Islamique. Les liaisons entre le
commandement central et ses wilayas
semblent être beaucoup plus lâches que
du temps de la splendeur d’Al-Qaïda. À
savoir que très peu de représentants de
ce commandement central ont été détachés
à l’extérieur. Al-Qaïda « canal
historique » a toujours envoyé des
représentants dans ses branches situées
hors de sa zone de prédilection située
en Afghanistan et au Pakistan. En
résumé, un certain nombre de groupes ont
obtenu le « label Daech » mais n’ont
aucun contact opérationnel direct ou
indirect avec Ibrahim Awad Ibrahim Ali
al-Badri alias Al-Baghdadi.
« Proche-Orient: Coups de
projecteur pour comprendre », votre
livre offre au lecteur des pistes pour
comprendre le Proche-Orient dans sa
complexité. Vous avez fait un travail en
profondeur sur cette région du monde que
vous connaissez, et qui est à
contre-courant des clichés relayés par
les médias de masse. Comment voyez-vous
l’évolution de la situation au
Proche-Orient, tant sur le plan
sécuritaire que politique ?
Il convient de partir du constat
actuel : la Syrie et l’Irak ont cessé
d’exister en tant qu’États centralisés.
Des régions entières échappent à
l’autorité des deux capitales selon des
fractures ethniques ou/et religieuses.
Sans le soutien direct de Moscou et
Téhéran, le régime de Bachar el-Assad
serait sans doute tombé ou, du moins, en
très grande difficulté. Enfin, aucune
partie n’est en mesure militairement de
contrôler l’ensemble de la Syrie ou de
l’Irak.
Les Kurdes qui sortent un peu leur
épingle du jeu, sont divisés en
pro-turcs (le Parti démocratique du
Kurdistan en Irak du Nord dirigé par
Massoud Barzani), pro-Iraniens (l’Union
patriotique du Kurdistan contrôlée par
Jalal Talabani), le Parti de l’union
démocratique (PYD) syrien proche cousin
du PKK mais opposé à Barzani. Le PYD est
utilisé par les Américains pour lutter
contre Daech au sein d’une « coalition »
(les Forces démocratiques syriennes,
FDS) dont il est la seule composante
fiable… La Turquie participe directement
et volontairement à ces oppositions
inter-Kurdes, son seul souci étant
d’interdire la création d’un « grand
Kurdistan » à ses frontières sud.
Le théâtre syro-irakien est l’objet
d’une guerre d’influence qui dépasse
largement les acteurs locaux. Elle
oppose directement le régime
théocratique chiite en place à Téhéran à
la famille royale saoudienne. La
nouvelle administration américaine s’est
rangée résolument derrière Riyad alors
que Téhéran est soutenu en sous-main par
Moscou. Cette guerre d’influence connaît
un prolongement au Yémen où le pouvoir
élu soutenu par une coalition arabe
emmenée par Riyad s’oppose à la
rébellion Houthi alliée à l’ancien
président Saleh.
Pour compléter cette photographie
apocalyptique, Al-Qaïda « canal
historique » et Daech sont présents dans
toute cette zone en profitant de la
décomposition des États pour prospérer
malgré les coups qui leur sont portés
par les forces spéciales américaines et
leurs alliés kurdes, irakiens et – dans
une bien moindre mesure – saoudiens.
Pour ces derniers comme pour Israël,
c’est Téhéran qui est l’ennemi
prioritaire. Quant aux Palestiniens,
leur cause ne passionne plus grand monde
dans la région si l’on excepte Téhéran
et Ankara qui s’en servent comme moyen
de faire pression sur l’État hébreu.
Si un état des lieux est
particulièrement difficile à faire, des
prévisions pour l’avenir sont une
gageure. Il y a trop d’inconnues dans
l’équation posée. La seule certitude est
que le chaos va perdurer parce qu’aucune
partie n’a la puissance nécessaire pour
apporter des solutions viables. La
Syrie, l’Irak et le Yémen vont
poursuivre leur parcellisation en fiefs
dirigés par des chefs de guerre qui
participent à l’« afghanisation » de la
situation.
Vous avez participé au livre
collectif très intéressant « La face
cachée des révolutions arabes » du
CF2R auquel a contribué mon amie la
regrettée Anne-Marie Lizin et dans
lequel vous avez signé le chapitre « Al-Qaïda,
grand gagnant des révolutions arabes ».
Al-Qaïda est-elle la seule qui a
bénéficié des printemps arabes ou bien
Daech est-il un autre gagnant de ce
chaos ? D’après vous, d’où vient ce
groupe terroriste ?
Globalement, les
salafistes-djihadistes n’ont pas
contribué aux « révolutions arabes ».
Ils ont été, comme tout le monde,
surpris par l’ampleur de ces mouvements
et ont pris le train en marche profitant
de l’affaiblissement des États. Ainsi,
en 2012, Al-Qaïda a étendu ses terrains
d’action notamment en projetant sa
branche irakienne (l’État Islamique
d’Irak – EII -) en Syrie et en la
rebaptisant l’État Islamique en Irak et
au Levant (EIIL). Daech est né de la
scission de l’EIIL en deux factions : le
Front al-Nosra dont l’émir al-Joulani
est resté fidèle au docteur Ayman
al-Zawahiri et l’EIIL renommé l’« État
Islamique » tout court emmené par Abou
Bakr al-Bagdadi. Emporté par sa
mégalomanie, il s’est autoproclamé
« calife » de tous les musulmans. Tous
doivent lui faire allégeance sous peine
d’être traités d’« apostats ».
On évoque de plus en plus le
problème crucial des « returnees »,
c’est-à-dire les djihadistes partis
d’Europe occidentale se battre dans les
rangs de Daech en Syrie et en Irak et
qui reviennent en masse. Les chiffres
dont on dispose sont inquiétants.
D’après vous, quelles sont les mesures
les plus adéquates pour affronter une
telle situation ? Comment les services
de renseignement des pays européens
peuvent-ils faire face à ce phénomène ?
Ce phénomène n’est pas vrai que pour
l’Europe car les « returnees »
commencent aussi à revenir vers leur
pays d’origine ou dans des pays tiers –
par exemple en Tunisie. Si LA SOLUTION
existait, je pense qu’elle aurait déjà
été mise en œuvre.
Le problème numéro un est le fait que
les « returnees » viennent grossir les
rangs des suspects de radicalisation
dont le nombre se compte en milliers en
Europe.
Le second ne concerne pas directement
les services de renseignement mais les
lois différentes au sein des pays
européens, et plus grave encore, au sein
de ceux membres de l’espace Schengen car
à l’intérieur, il n’y a plus de
contrôles aux frontières. L’effort
devrait donc porter sur une
harmonisation des législations mais cela
est extrêmement compliqué car ces
réformes sont d’ordre politique. Elles
doivent être débattues puis votées par
les représentations populaires de chaque
pays.
Pour revenir au cas spécifique des
« returnees », il faut bien constater
qu’il est indispensable de tenter de
traiter le problème en amont en les
repérant au départ ou quand ils sont sur
le retour. La coopération avec tous les
pays concernés – même ceux dont les
dirigeants sont considérés comme
infréquentables – est donc
indispensable. Que cela plaise ou non,
il faudra bien un jour discuter avec le
régime en place à Damas puisqu’il
perdure, qu’il est officiellement
toujours légal car représenté à l’ONU.
D’après vous, y a-t-il une
optimalisation dans le domaine de la
coopération entre services pour
combattre que ce soit Al-Qaïda ou
Daech ? Comment voyez-vous la
coopération entre les services
occidentaux ? Y a-t-il des avancées dans
la coopération entre les services
occidentaux et les services syriens,
russes, algériens ?
J’ai partiellement répondu à cette
question précédemment. En Europe, des
progrès indéniables ont été faits depuis
les attentats de 2015 mais il convient
de poursuivre l’effort dans le domaine
de la rapidité de transmission de
renseignements entre les services, le
développement de la coopération
opérationnelle et parfois le droit de
« poursuite » hors des frontières
nationales.
Avec les pays du Maghreb en général
et l’Algérie en particulier, la
coopération est excellente entre
professionnels. Il conviendrait
vraisemblablement d’accroître les liens
étatiques, puisque dans tous les pays
démocratiques, ce sont les politiques
qui donnent les instructions et sont
responsables en fin de compte de ce qui
se passe. Les services sont à leurs
ordres et appliquent les consignes
données. Mon opinion est qu’il convient
d’aller de l’avant en rangeant les
séquelles douloureuses du passé au rayon
des livres d’Histoire.
Avec la Syrie et la Russie, tout
reste à faire ou à refaire. Ce sont là
aussi des décisions politiques. Par
exemple, après l’effondrement de l’URSS
et le début de l’ouverture vers les pays
occidentaux, les relations politiques
bilatérales ont commencé par être
bonnes. Il s’en est suivi une
coopération des services dans le domaine
de la lutte contre le terrorisme et le
crime organisé qui a été assez efficace.
Mais depuis que la situation politique
s’est dégradée, la coopération
inter-services a été réduite à sa plus
simple expression.
Ne pensez-vous pas qu’une
coopération stratégique avec les
services algériens et l’armée algérienne
est nécessaire, notamment pour contrer
le chaos qui s’est installé au Sahel
avec la déstabilisation de la Libye ?
Pour la sécurité du Maghreb et du
Sahel, Alger est incontournable dans
tous les domaines :
politique, idéologique, militaire et
bien sûr dans celui du renseignement. Je
crois savoir qu’il existe une bonne
coopération avec l’Europe. Un des
problèmes qui est un frein à la lutte
contre le chaos, réside surtout dans des
incompatibilités politiques et
relationnelles qui peuvent exister en
permanence ou temporairement entre
différents pays de la région. L’intérêt
de tous passe par l’établissement d’un
dialogue constructif. Je crois que ce
n’est malheureusement pas le cas
aujourd’hui.
L’Europe a connu divers
attentats à Paris, Bruxelles, Berlin,
Londres, etc. Des mesures efficaces
ont-elles été prises depuis pour contrer
d’éventuels attentats à venir ? Sachant
que le risque 0 n’existe pas, d’après
vous, l’Europe reste-t-elle une cible
privilégiée des groupes terroristes
Daech ou Al-Qaïda ?
Soyons clairs : l’Europe n’est pas la
cible privilégiée d’Al-Qaïda et de
Daech. Pour Al-Qaïda, très clairement,
ses objectifs principaux sont les
États-Unis puis, à défaut, les
Occidentaux.
Pour les deux mouvements, les cibles
prioritaires sont les pays musulmans
dont les dirigeants sont considérés
comme « corrompus » et les populations
« égarées ». On ne le répètera jamais
assez, les victimes des terroristes
salafistes-djihadistes sont avant tout
des musulmans répartis du Moyen-Orient à
l’Extrême-Orient. D’ailleurs, Daech est
en train de s’installer discrètement en
Indonésie, pays qui compte plus de 200
millions de musulmans.
Toutefois, Daech demande toujours aux
volontaires du djihad de rejoindre le
califat et, seulement si cela n’est pas
possible – ce qui commence à être
sérieusement le cas -, de passer à
l’action sur place.
En tant qu’agent expérimenté,
ne pensez-vous pas que le combat contre
le terrorisme n’est pas seulement
militaire mais surtout idéologique ?
Dans ce cas de figure, peut-on dire que
la France doit revoir ses alliances avec
l’Arabie saoudite et le Qatar, sachant
que l’Arabie saoudite est la principale
matrice idéologique du phénomène
terroriste ?
Vous avez parfaitement raison. Pour
toutes les sociétés attaquées par le
« phénomène terroriste », il y a
toujours une idéologie car le terrorisme
n’est qu’un moyen de combat au même
titre que la guérilla. J’ai toujours
trouvé que l’expression « guerre contre
le terrorisme » était fausse car on ne
fait pas la guerre contre un moyen
technique. C’est comme si lors de la
Seconde guerre mondiale, nous nous
étions battus contre le Kriegspiel. Non,
nous combattions l’idéologie nazie.
Il convient en premier lieu de
définir clairement quelle est
l’idéologie de l’ennemi. Actuellement,
c’est le salafisme-djihadisme qui prône
un retour aux textes sacrés de l’Islam
des origines avec comme objectif final
(dans plusieurs générations)
l’établissement d’un califat mondial
régi par la charia.
Je comprends parfaitement que cette
idéologie puisse séduire de nombreux
individus surtout que la propagande des
réseaux salafistes-djihadiste est très
professionnellement menée. Elle débute
toujours par : « les musulmans sont des
victimes et ils doivent donc se
défendre… ». Face à ces idées, il
convient que chaque État ayant bien
désigné l’adversaire, il affirme les
valeurs qui régissent sa société. Pour
l’Occident en général et surtout pour
l’Europe qui est née après de multiples
guerres dont les deux dernières ont fait
des millions de victimes, la valeur
centrale est la liberté de l’individu(1)
qui doit évoluer dans un système
démocratique qui permet également une
égalité des droits (par exemple entre
les femmes et les hommes) assortie d’un
devoir de fraternité dirigé en
particulier vers les plus faibles (les
malades, les handicapés, les chômeurs,
les réfugiés politiques, les minorités
visibles, etc.).
Un point très positif est à relever
en Europe. Malgré les efforts déployés
par les salafistes-djihadistes pour
monter les communautés les unes contre
les autres (en particulier avec les
attentats aveugles mais aussi avec des
opérations d’influence particulièrement
habiles), les populations ont dans leur
immense majorité fait preuve du plus
grand calme et ont continué à vivre
normalement. Cette capacité de
résilience m’a fortement impressionné.
Il convient de poursuivre dans cette
direction quoi qu’il puisse arriver.
Quant aux relations avec le Qatar et
l’Arabie saoudite, elles doivent être
exemptes de laxisme même si des raisons
mercantiles sont à l’évidence très
présentes. Je disais plus avant qu’il
convenait d’entretenir des relations
avec tout le monde, mais sans rien céder
sur nos valeurs et en prévenant nos
interlocuteurs que nous ne tolérons
aucun prosélytisme, qu’il soit politique
ou religieux. C’est ce qui doit régir
nos relations avec les deux pays cités
avec lesquels nous commerçons dans le
sens de nos intérêts communs. Cette
manière de procéder n’est d’ailleurs pas
spécifique au Qatar et à l’Arabie
saoudite mais à tous les pays de la
planète. À ce propos, je vous renvoie
vers mon dernier livre en ligne paru aux
éditions UPPR en mai :
« Grand angle sur l’espionnage russe »
qui est aussi d’actualité.
1.Par contre, la liberté des uns
s’arrête là où commence celle des
autres. La liberté individuelle ne veut
pas dire l’anarchie.
Depuis les attentats que
l’Europe a connus, les États européens
ont-ils appris les leçons et investi
dans le renseignement humain ? Le budget
alloué aux services de renseignement
est-il proportionné à la menace
d’attentat permanente ?
Oui. De gros efforts ont été faits et
il est difficile d’aller plus loin, que
ce soit en moyens humains ou financiers.
Des améliorations peuvent encore être
apportées dans plusieurs domaines dont
la communication, le partage des
informations, la mutualisation des
moyens, etc. Les réformes
organisationnelles du renseignement
décidées en France en 2014/2015
commencent à porter leurs fruits. Les
personnels qui ont été recrutés dans
l’urgence ont terminé leur formation et
sont désormais intégrés dans le
dispositif, prêts à faire face aux
nouvelles menaces(1). Il convient de ne
pas inscrire ces nouvelles organisations
dans le marbre car elles doivent évoluer
en fonction des menaces qui, elles, sont
en perpétuelle mutation.
1.Il n’empêche que le risque zéro
n’existe pas. Des actes terroristes
auront lieu dans l’avenir.
Après chaque attentat, hier
dans plusieurs capitales européennes,
aujourd’hui à Manchester, on a
l’impression que nous vivons un éternel
recommencement et que les terroristes
imposent leur agenda en frappant où ils
veulent et quand ils veulent. Selon
vous, peut-on prévenir un acte
terroriste ? Ne faudrait-il pas
envisager de créer des programmes
spécifiques de préparation des foules à
un éventuel attentat pour éviter plus de
victimes ?
Il est possible de prévenir beaucoup
d’actes terroristes mais
malheureusement, il est illusoire de
croire que l’on peut tous les empêcher.
Les djihadistes sont nombreux et, plus
grave encore, les « cibles molles »
comme des manifestations ludiques sont
impossibles à protéger dans leur
intégralité.
Il est vrai qu’un programme d’éducation
des foules est utile. Cela a déjà
commencé en Europe, particulièrement
dans les écoles, mais il faudra encore
du temps pour que les réactions du
public soient appropriées. Il va falloir
que les peuples fassent preuve de
résilience car la menace va perdurer
dans les mois et années à venir.
Votre organisme CF2R (Centre
français de recherche sur le
Renseignement) dirigé par votre collègue
Eric Denécé que j’ai déjà interviewé,
fait un excellent travail d’analyse et
de prospective. La communauté du
renseignement en général et le CF2R en
particulier sont-ils écoutés par votre
gouvernement ?
Je ne sais pas si nous sommes écoutés
par les responsables politiques mais au
moins, je sais que nous sommes lus par
certains de leurs collaborateurs.
Maintenant, les dirigeants ont de
multiples sources d’information et leur
problème est de se faire une idée la
plus juste possible. Ensuite vient pour
eux le temps de la décision, et là,
c’est extrêmement délicat. Je dois
reconnaître que je ne les envie guère
car ils doivent souvent choisir la moins
mauvaise des solutions. Dans d’autres
temps et sous d’autres cieux, j’avais
dit à un ministre de la Défense : « nous
vous renseignons, vous décidez… ».
Interview réalisé par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est Alain Rodier ?
Ancien officier supérieur au sein des
services de renseignement français,
Alain Rodier est directeur adjoint du
Centre
français de recherche sur le
renseignement (CF2R). Il est
particulièrement chargé de suivre le
terrorisme d’origine islamique et la
criminalité organisée. Ancien homme de
terrain et de réflexion, il a
aujourd’hui le recul nécessaire pour
replacer les évènements dans leur
contexte.
Alain Rodier est contributeur
régulier auprès de nombreux medias
français (BFM TV, France 24, M6,
France Inter, France Info, le site
Atlantico, la revue
Diplomatie, etc.) et étrangers
francophones (Medi1, Radio Canada,
VOA, RT, etc.). Il collabore à la
revue RAIDS (éditions Histoire
et Collections) depuis plus de dix ans.
Il est conférencier dans le domaine
de l’évaluation des risques
contemporains auprès de grands
organismes institutionnels.
Il est l’auteur de:
Proche-Orient: Coups de projecteur
pour comprendre, Balland, Paris
2017 ;
Al-Qaida, les connexions mondiales
du terrorisme Ellipses, Paris
2006 ;
Iran : la prochaine guerre ? Ellipses,
Paris 2007 (traduit en italien) ;
Les Triades, la menace occultée ,
éditions du Rocher, Paris 2012 ;
Le crime organisé du Canada à la Terre
de Feu, éditions du Rocher,
Paris 2013 ;
Grand angle sur le terrorisme
(livre électronique) éditions UPPR,
Paris 2015 ;
Grand angle sur les mafias (livre
électronique) éditions UPPR, Paris
2015 ;
Grand angle sur l’espionnage russe
éditions UPPR, Paris 2016.
Au titre du CF2R, Alain Rodier a
participé à la rédaction de trois
ouvrages collectifs :
Guerre secrète contre Al-Qaeda,
Ellipses, Paris 2002 ;
Al-Qaeda : les nouveaux réseaux de la
terreur, Ellipses, Paris 2004 ;
La face cachée des révolutions arabes,
Ellipses, Paris 2012.
Il est également le principal
rédacteur des Notes
d’Actualité .
Published in English in American
Herald Tribune, May 24, 1017: http://ahtribune.com/in-depth/1675-alain-rodier.html
Reçu de l'auteur pour
publication
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
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