Interview
Dr. David Schultz :
« Les États-Unis ont
une longue histoire de racisme »
Mohsen Abdelmoumen
Dr. David
Schultz. DR.
Lundi 20 juillet 2020 English version here
Mohsen
Abdelmoumen : Votre travail
remarquable s’est soldé par un constat
sans concession dans votre livre ”American
Politics in the Age of Ignorance”.
Comment expliquez-vous que les États et
les décideurs politiques reproduisent
les mêmes politiques qui ont échoué ?
Dr. David
Schultz : Il y a plusieurs raisons.
L’une d’elles est en réalité la question
du manque de connaissances et de temps
où les décideurs politiques cherchent
des solutions à des problèmes communs et
sont enclins à chercher ailleurs des
réponses ou des solutions possibles.
Ainsi, le concept de diffusion des idées
politiques d’une juridiction à l’autre
l’explique. Mais il y a aussi d’autres
facteurs. Le rôle des lobbyistes et des
intérêts particuliers qui font avancer
un agenda politique, dotés du pouvoir de
l’argent pour permettre la mise en œuvre
des programmes politiques. On peut
également souligner l’incapacité à
s’engager réellement dans une politique
basée sur des faits ou des preuves pour
guider les prises de décision.
Votre livre “Election
Law and Democratic Theory” fait état
d’un déficit démocratique. Ne faut-il
pas approfondir le débat à propos du
droit électoral ou tout simplement de la
pratique démocratique ?
Oui, le but de mon
livre est de faire valoir que la loi
électorale a besoin d’une théorie plus
approfondie de la démocratie et de la
pratique démocratique pour la guider et
l’informer. Le droit électoral implique
souvent des choix normatifs difficiles
concernant les droits spécifiques des
individus par rapport au gouvernement ou
à d’autres individus. Tels que ceux dont
les droits à la liberté d’expression
prévalent. Une théorie de la démocratie
est nécessaire pour guider le droit
électoral et aider à éclairer ces choix.
Peut-on dire
qu’un président qui brandit la bible sur
fond de révolte est le président de tous
les Américains ?
Il ne l’est plus,
surtout dans une culture qui est
multireligieuse et aussi de moins en
moins religieuse. Peut-être qu’à une
certaine époque, les États-Unis étaient
de nature chrétienne dans la pratique
(bien que non constitutionnellement),
mais c’est moins le cas aujourd’hui et
l’appel présidentiel aux symboles
religieux est source de division.
L’une des
conséquences du règne de Donald Trump
n’est-elle pas la crise que vivent les
USA avec ce grand soulèvement populaire
suite à l’assassinat de George Floyd ?
George Floyd devait
arriver. Les États-Unis ont une longue
histoire de racisme qui remonte à leur
fondation et l’inégalité raciale a
stagné au cours des 25 à 50 dernières
années. L’utilisation de la force par la
police contre les personnes de couleur
est également devenue un sérieux
problème. Les politiciens ont promis des
réformes, mais peu de choses ont été
mises en place. En conséquence, lorsque
Floyd a été tué, cela a débouché sur une
frustration et une colère de plusieurs
années.
Votre article “The
Covid-19 Bailout: Another Failed
Opportunity at Structural Change”
est très intéressant. La crise du Covid-19
a mis à nu le système capitaliste. Ne
pensez-vous pas qu’il y a beaucoup de
leçons à retenir de la crise du Covid-19 ?
Le moment n’est-il pas propice pour un
vrai changement au lieu d’opter pour la
réforme d’un système moribond ?
Le Covid-19 a
révélé beaucoup de faiblesses dans le
capitalisme non régulé. Il a notamment
souligné les faiblesses de la forme de
capitalisme que les États-Unis
pratiquent ainsi que de leurs
infrastructures de santé publique. De
réels changements dans ces deux domaines
sont probablement nécessaires pour faire
face aux futures pandémies ainsi qu’aux
inégalités de la société américaine.
Vous avez écrit
“What If They Held a Revolution and
No One Came?” dans lequel vous
faites un constat pertinent. Ne
pensez-vous pas que pour qu’il y ait un
changement radical, il faut qu’il y ait
une gauche authentique ? La gauche
américaine n’est-elle pas à
reconstruire ?
Aux États-Unis, la
gauche a toujours été faible et divisée.
De plus, la gauche aux États-Unis est
différente de la gauche dans d’autres
pays. En effet, la gauche ici n’est ni
socialiste ni communiste et n’est
peut-être même pas aussi progressiste
que les partis sociaux-démocrates de
Scandinavie. Elle est divisée sur la
question de savoir si la classe,
l’identité ou les intérêts devraient
être le ciment pour maintenir la gauche
unie.
Comment
expliquez-vous l’incapacité des
démocrates à constituer une véritable
alternative à Donald Trump ?
Le Parti démocrate
américain est un parti plutôt centriste,
mais il est divisé en interne avec une
ancienne et une nouvelle génération de
membres qui partagent des visions du
monde et des positions politiques
différentes. Cela signifie que le parti
n’a pas un programme clair comme Trump,
ce qui rend plus difficile de leur
trouver un candidat de premier choix. De
plus, pour comprendre la politique
américaine, il faut aussi saisir comment
notre fédéralisme et les taux de
participation électorale de certains
groupes affectent la sélection des
candidats et les élections. Le résultat
est qu’un Biden peut souvent être le
candidat de compromis même s’il n’est
pas le candidat de premier choix pour
beaucoup.
Quelle est votre
analyse concernant les évènements graves
que connaissent les États-Unis après
l’assassinat de George Floyd par des
policiers de Minneapolis ?
Il s’agissait d’un
événement grave mais, comme indiqué plus
haut, il n’était pas inattendu. Le
racisme et l’usage excessif de la force
par la police sont des problèmes qui se
posent depuis des années. La question
est maintenant de savoir si la réaction
à la mort de Floyd entraînera un
changement de politique progressiste ou
une réaction conservatrice. Les deux
sont possibles.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est le Dr.
David Schultz ?
Dr. Schultz est
professeur de sciences politiques à
l’université Hamline. Il enseigne dans
un large éventail de cours de politique
américaine, notamment la politique et
l’administration publiques, les
campagnes et les élections, et l’éthique
gouvernementale. David est également
professeur à la Hamline and University
of Minnesota Schools of Law où il
enseigne le droit électoral. David est
l’auteur de 30 livres et de plus de 100
articles sur divers aspects de la
politique américaine, de la loi
électorale, des médias et de la
politique, et il est régulièrement
interviewé et cité dans les médias
locaux, nationaux et internationaux sur
ces sujets par des journaux tels que le
New York Times, le Wall Street
Journal, le Washington Post,
The Economist et la National
Public Radio. Ses livres les plus
récents sont
Presidential Swing States: Why Only
Ten Matter (2015), Election
Law and Democratic Theory (2014),
et American
Politics in the Age of Ignorance: Why
Lawmakers Choose Belief Over Research (2013).
Trois fois boursier Fulbright et ayant
beaucoup enseigné en Europe, le
professeur Schultz est le lauréat du
prix national Leslie A. Whittington 2013
pour excellence dans l’enseignement des
affaires publiques.
Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour
publication
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