Algérie Résistance
« La révolution est notre seul espoir de
salut »
Dr. Garry Potter
Dr. Garry
Potter. DR.
Mardi 9 mai 2017
English version here
Mohsen Abdelmoumen :
Vous avez écrit After Postmodernism:
An introduction to Critical Realism,
et The Bet, the: Truth in
Science, Literature and Everyday
Knowledges. Ces deux livres mènent
vers votre concept de réalisme critique.
Pouvez-vous expliquer ce concept à notre
lectorat ?
Dr. Garry Potter :
Le réalisme critique a émergé à travers
le travail de Roy Bhaskar plus ou moins
à l’époque de l’émergence du
postmodernisme. Le postmodernisme,
peut-être plus que tout autre cadre
théorique, incarnait une partie de
l’incohérence de l’un des anciens pôles
de pensée concernant les sciences
sociales : le constructivisme social.
L’autre pôle était/est, bien sûr, le
positivisme.
La science, les sciences naturelles,
la compréhension de soi de nombreux
scientifiques naturels, est souvent
positiviste. De nombreux spécialistes
des sciences sociales pensaient donc
qu’ils pouvaient être plus scientifiques
en imitant l’identité et la méthodologie
des sciences naturelles. Il y avait donc
une certaine fétichisation des
mathématiques, des exigences
inappropriées pour la « rigueur » et une
mauvaise compréhension de l’objectivité
commune en théorisant les sciences
sociales quantitatives. Cela s’est
accompagné d’une opposition peu
judicieuse : recherche quantitative
contre recherche qualitative. La
tradition interprétative en sociologie
met l’accent sur le sens des actions
sociales. Parallèlement, cela a souvent
été une opposition au positivisme, une
croyance non seulement que les sciences
sociales ne pouvaient être scientifiques
de la même manière que les sciences
naturelles, mais qu’elles ne devraient
même pas essayer de l’être, que de
telles tentatives étaient
intrinsèquement pernicieuses. Le
postmodernisme étant une forme assez
extrême du
constructivisme social, ajoutait
à la confusion théorique commune à l’époque.
Le réalisme critique faisait tout le
contraire. Il a ajouté une clarté de
perspective et une manière de
transcender théoriquement les limites
préexistantes du débat.
Nous avions, d’une part, une notion
naïve de faits étant simplement quelque
chose à découvrir ; le positivisme
semblait aller de pair avec cette vue.
D’autre part, les faits, les
perceptions, les savoirs étaient tous
considérés comme socialement construits.
Le point de vue critique réaliste a
reconnu l’existence d’une réalité
indépendamment existante tout en étant
conscient que nécessairement nous voyons
toujours cette réalité à travers une
lentille socialement construite. La
production de connaissances est
socialement, culturellement et surtout
historiquement située. Nous ne
« découvrons » pas simplement des faits,
mais nous ne les créons pas non plus ni
ne les construisons ex nihilo à partir
de nos propres perceptions. Il y a un
élément de découverte et un élément de
construction impliqué. Le terme que
j’aime utiliser est « production » ;
nous produisons des connaissances.
Le réalisme critique, je crois,
fournit un fondement philosophique
solide à la fois pour les sciences
naturelles et sociales. Il apporte de la
clarté face à la confusion et une
transcendance aux fausses dichotomies.
En étudiant vos travaux, on
remarque que l’une des idées centrales
est le concept du réalisme critique.
Est-ce une clé majeure pour comprendre
votre recherche et faire une analyse
adéquate des équilibres qui régissent le
monde ?
Eh bien, comme je l’ai dit en réponse
à votre question précédente, je crois
que le réalisme critique fournit une
base philosophique solide pour les
sciences naturelles et sociales. Il
permet d’encadrer les problèmes
théoriques d’une manière correctement
équilibrée. Il y a un journal consacré à
cela, The Journal of Critical
Realism (le Journal du Réalisme
Critique), et des conférences régulières
qui l’appliquent dans de nombreuses
disciplines. J’avais l’habitude d’être
un participant régulier de celles-ci et
j’en ai même organisé une dans les
années ‘90. Mais il y a très longtemps
maintenant que je n’y suis plus allé.
Mon attention aujourd’hui s’est tournée
ailleurs, et je me concentre plus sur la
politique que sur la philosophie.
N’a-t-on pas besoin, plus que
jamais dans ces moments troubles de
l’histoire, de la dialectique marxiste ?
Il y a eu beaucoup de débats au début
du réalisme critique quant à sa relation
avec le marxisme. Beaucoup, peut-être
même la plupart des réalistes critiques,
se seraient aussi appelés des marxistes.
Beaucoup ont estimé, y compris moi, que
le réalisme critique assurait un
fondement philosophique pour le marxisme
qui avait été jusqu’ici sous-théorisé
par les marxistes, en commençant par
Marx lui-même. Quoi qu’il en soit, le
réalisme critique mené par son
fondateur, Roy Bhaskar, a dévié vers une
direction spirituelle différente, que je
n’ai pas suivie. Bhaskar a développé sa
propre compréhension typique de la
dialectique, que je ne partage pas.
Mais je crois qu’une notion de
contradiction dialectique est cruciale
pour comprendre l’histoire et la
politique. Cependant, ma compréhension
de la dialectique ressemble peu à celle
de Bhaskar et est beaucoup plus simple.
La logique dialectique ne porte pas
atteinte à la logique classique : elle
conserve le principe du tiers exclu et
ainsi de suite. Cependant, cela facilite
la compréhension et la transcendance de
ce qui serait autrement des impasses
logiques. En analysant de nombreux
phénomènes sociaux, nous rencontrons de
nombreuses contradictions logiques
apparentes. Je dis apparentes parce
qu’elles ne sont pas des contradictions
logiques réelles. Et je le dis parce que
je suis matérialiste. Sur le plan des
idées pures, ces contradictions semblent
être des contradictions logiques parce
que c’est le moyen le plus simple de les
décrire ; mais à un niveau matériel, ce
sont en fait des forces ou des tendances
opposées. Maintenant, mon explication
précédente plutôt condensée n’est
certainement pas du tout hégélienne et
beaucoup de marxistes soutiendront que
la dialectique marxiste n’est qu’une
branche de la dialectique hégélienne. Je
ne suis pas d’accord. L’inversion de
Hegel par Marx est cruciale. Nous devons
appliquer une analyse dialectique à un
monde matériel.
Je crois qu’il est important de
garder à l’esprit que ces temps troublés
sont aussi des moments d’opportunité. Je
ne suis pas un maoïste, mais je pense
que cette citation de Mao, en
particulier à l’époque de Trump, est
très utile : « Tout ici bas est dans un
chaos absolu ; la situation est
excellente ».
Marx a survécu au temps, le
capitalisme quant à lui gagne du temps.
Les réformateurs et autres théoriciens
du capitalisme ont échoué à le réformer.
Ne sont-ils pas en train de donner de
l’aspirine à un cancéreux ?
C’est une très bonne façon de
présenter les choses. Slavoj Zizek a
affirmé qu’ »aujourd’hui, l’horizon le
plus radical de notre imagination est le
capitalisme global avec un visage
humain… nous le rendons un peu plus
humain, un peu plus tolérant, un peu
plus bienveillant, etc. » Je pense qu’il
a raison dans la mesure où c’est le
mieux que ce qu’un très grand nombre de
personnes peut imaginer ; et aussi que
cette limitation de la conscience
politique est une force puissante qui
doit être surmontée parce que votre
analogie avec l’aspirine donnée au
patient atteint du cancer est
fondamentalement exacte. Mais Zizek se
trompe également. Un nombre croissant de
personnes se rendent compte de cela. Le
défi sera de diriger une résistance
massive vers Trump aux États-Unis, par
exemple, loin de l’éventuel leadership
du Parti démocrate.
Ce n’est pas que les réformateurs
aient complètement échoué,
l’État-providence, maintenant partout
sous attaque, était une réforme
importante du système. Mais la logique
temporelle du capitalisme garantit que
nos problèmes cruciaux d’écologie, de
justice sociale et de prévention du
désastre ne peuvent être résolus en son
sein. Les sociétés doivent d’abord
soumettre toutes les décisions à la
maximisation potentielle du profit ; et
deuxièmement, elles doivent le faire
dans un délai relativement court, disons
endéans les dix ans. Tout ce qui dépasse
cela diminue considérablement en
priorité puisqu’il s’étend dans
l’avenir ; les problèmes tels que le
changement climatique ne peuvent être
abordés correctement, et ceci malgré une
connaissance généralisée de la gravité
de la situation.
C’est un vieux dicton
révolutionnaire: le choix est soit le
socialisme, soit la barbarie. La
barbarie peut prendre de nombreuses
formes, de la destruction de l’espèce
par l’anéantissement nucléaire, la
torture, l’incarcération et le
totalitarisme mondial, ou elle pourrait
créer une planète inhabitable atteinte
par la dégradation de l’environnement et
les changements climatiques mondiaux…
Les possibilités sont absolument trop
nombreuses à énumérer. Mais la
révolution est notre seul espoir de
salut.
Avant d’être un documentaire
percutant, Dystopia est un
livre puissant et clairvoyant comme la
majorité de vos travaux. Ce livre phare
décrit le chaos capitaliste dans une
dialectique purement marxiste tout en
proposant des alternatives. Comment en
sommes-nous arrivés à ce constat lucide
qui est le vôtre ? Ce chaos que vous
décrivez ne sera-t-il pas fatal à
l’humanité ?
Ma « thèse de dystopie » soutient
que, dans un sens au moins, nous sommes
condamnés. Les problèmes rencontrés par
l’humanité sont tellement multiples et
sérieux qu’ils mènent jusqu’à
l’extinction de l’espèce humaine. Les
caractéristiques intrinsèques du
capitalisme sont telles qu’elles ne
permettent pas des solutions efficaces.
La seule possibilité de salut est, ce
qui semble actuellement être quelque peu
improbable en dépit de certains signes
d’espoir : une révolution socialiste.
Donc, il y a une contradiction
intéressante dans mon travail. D’un
côté, j’avance le mythe de la
« malédiction de Cassandre ». Le
bienfait de Cassandre était qu’elle
pouvait prédire avec précision l’avenir,
mais sa malédiction était qu’elle ne
serait jamais crue. Maintenant, mon
travail n’est pas exactement ça. Il y a
un grand nombre de personnes qui
souscriraient aux principaux arguments
de ma thèse de dystopie. Beaucoup
d’entre eux sont des gens qui, en fait,
n’ont jamais entendu parler de cela,
mais en sont venus à des conclusions
identiques d’eux-mêmes de manière tout à
fait indépendante. C’est plutôt que
cette partie de la thèse de la dystopie
affirme que, en raison des
caractéristiques du capitalisme à
l’égard de la connaissance et de
l’idéologie, un nombre suffisant de
personnes ne parviendront pas à y croire
et agiront pour faire une différence en
ce qui concerne les autres sombres
prédictions. Par conséquent, je prévois
un destin tragique. Cependant, si
j’étais absolument certain de cela, je
ne me serais pas embarrassé à écrire un
livre à ce sujet. Rien n’est inévitable.
L’histoire n’est pas toujours faite
dans notre dos ; potentiellement, les
humains peuvent de toute façon
changer le monde. La seule
inévitabilité est en fait un choix.
C’est parce que c’est la limite purement
logique du domaine des possibilités : le
socialisme ou la barbarie.
Il y a un calendrier en ce qui
concerne mes prédictions. Je dis à mes
étudiants qu’en raison de mon âge, je ne
vivrai probablement pas ou ne me mourrai
pas dans la dystopie. Mais notre avenir
dystopique est déjà en train d’émerger.
Beaucoup, des millions de personnes,
vivent déjà dans une variété de
scénarios de l’enfer sur terre : leur
enfant est mort parce qu’ils ne
pouvaient pas se permettre d’acheter le
médicament qui l’aurait sauvé ; Ils sont
incarcérés dans l’une des nombreuses
horribles prisons du monde ; ils sont
sans abri dans les rues d’une grande
ville ; leur travail est insupportable ;
et, comme Zizek le dirait, etc., etc.
Mais pas pour moi. Ma vie est bonne. Le
monde dans lequel je vis pourrait finir
demain par l’holocauste nucléaire ou la
pandémie mondiale… Mais ce ne sera
probablement pas le cas. Je pense qu’il
est probable que je vivrai ma vie dans
un monde manifestement similaire à
celui-ci. Mais je dis à mes étudiants
que je ne pense pas que cela soit vrai
pour eux. La plupart d’entre eux sont au
début de la vingtaine. Je leur dis que,
à moins qu’il n’y ait un changement
spectaculaire bientôt, ils vivront dans
un monde très différent dans leur
quarantaine ; ils vivront en dystopie.
Dans votre méthodologie qui
est moderniste, vous avez opté pour le
support cinématographique, en
l’occurrence les documentaires, en plus
de l’écriture. Pensez-vous que l’image
est un outil performant dans notre ère
technologique ? L’impact est-il plus
important que l’écriture ?
Je considère la plupart de mes films
comme « éducatifs ». C’est-à-dire que je
présente les idées de Gramsci ou de
Bourdieu ou de Weber ou d’autres sous
forme de film, en utilisant des images
cinématographiques et de la musique pour
compléter et enrichir la narration
explicative. Les films sont autonomes,
mais ils ont été faits avec une idée sur
la façon dont ils seraient utilisés.
Dans un cadre de classe où, par exemple,
La théorie de l’aliénation et des
espèces de Marx serait présentée
avec une discussion et peut-être une
conférence à ce sujet. Et, plus
généralement, c’est la façon dont je
vois les choses en ce qui concerne
l’image et le mot. L’un n’est pas plus
important que l’autre, au contraire ils
peuvent et devraient se renforcer
mutuellement. Le film est, je crois, un
moyen très puissant, mais il ne remplace
pas les conférences, les séminaires, les
livres, les articles… ou des
rassemblements politiques, il les
complète seulement.
Vous avez étudié divers
mouvements tels Anonymus, Occupy, Idle
No More, etc. Peut-on dire que nous
sommes dans une période
prérévolutionnaire ?
Nous sommes dans « le meilleur et le
pire des temps ». Les choses sont
terribles et s’aggravent.
L’administration Trump fait ressortir
l‘ancien aspect d’une manière plus
évidente que l’administration Obama ;
bien que l’on puisse également affirmer
avec précision que le «Trumpism» est né
de l’establishment libéral américain
dont Obama faisait partie. Ainsi, les
choses sont encore pires sur de nombreux
points, mais l’évidence même des
problèmes donne des ouvertures de
résistance qui n’étaient pas là avant.
Occupy, Anonymous, etc. ont des
choses en commun avec le populisme qui a
alimenté la victoire de Trump dans la
mesure où ils sont tous des réactions
contre l’establishment économique
politique. Black Lives Matter, The Fight
for Fifteen, Standing Rock, ces
mouvements plus récents sont similaires
à cet égard. Et bien que j’aie utilisé
Trump et l’Amérique ici comme exemples,
c’est également vrai dans beaucoup
d’autres pays.
Que nous soyons dans une «période
prérévolutionnaire» ou non, dépendrait
vraiment de la façon dont cela a été
défini. Peut-être un terme meilleur,
mais plus encombrant, serait de dire que
nous sommes dans une «période
pré-prérévolutionnaire». Nous ne sommes
certainement pas au bord de la
révolution. Une grève générale
politiquement informée par la
main-d’œuvre syndiquée avec un soutien
important et la participation de la
main-d’œuvre non syndiquée pourrait être
l’avant-dernière étape avant la
révolution. Mais nous sommes très loin
de cela dans la plupart des pays… bien
que la Grèce et quelques autres puissent
être des exceptions à cette affirmation.
Mais partout, il existe une résistance
généralisée et croissante au statu quo
actuel. Cependant, une telle résistance
est très significativement incomplète et
confuse. Par exemple, Anonymous est
certainement une résistance au statu quo
des relations de pouvoir sous de
nombreuses formes et a également des
flux significatifs de pensée socialiste
révolutionnaire en son sein ; mais le
libertarisme est en fait une philosophie
beaucoup plus influente.
Cela se résume au fait qu’il y a une
prise de conscience croissante de
l’injustice, des problèmes
environnementaux, etc., ainsi qu’un
engagement croissant à essayer de faire
quelque chose à leur sujet. Le plus
porteur d’espoir est le fait que des
liens sont établis et compris entre
Ferguson et la Palestine, entre le
système d’injustice criminel et Walmart.
Il y a un merveilleux mème qui exprime
cela parfaitement : un manifestant à
l’extérieur de Walmart avec un panneau
indiquant « mains en l’air, ne magasinez
pas ! »
Ainsi, il y a une compréhension
croissante, une colère contre
l’injustice et la destruction de
l’environnement, et un engagement
approfondi et plus vaste en faveur d’un
changement politique radical. Cependant,
le problème de l’organisation politique
reste non résolu par la Gauche. Les
échecs du centralisme démocratique et
des partis sociaux-démocrates sont
devenus simultanément plus évidents,
ainsi que l’impossibilité de travailler
dans la « (dés)organisation
horizontale ». Il me semble qu’un
nouveau modèle d’organisation est
nécessaire… mais ce serait commencer une
autre question.
Dans une de vos publications,
vous évoquez le concept de mystification
structurelle. Pouvez-vous éclairer notre
lectorat à propos de ce concept ?
La mystification structurelle est un
concept destiné à faire le travail
effectué par diverses notions
d’idéologie, fausse conscience, etc.
Elle affirme qu’il existe une
contradiction dialectique dans toutes
les grandes institutions qui produisent
et diffusent les connaissances dans un
système capitaliste. Ce que l’on entend
par là, c’est que l’essence de
ces institutions, par exemple,
l’université, est de produire et de
diffuser des connaissances ; mais que
c’est aussi une caractéristique centrale
de l’institution de faire tout le
contraire : pour mystifier, obscurcir,
confondre et restreindre la production
et la diffusion des connaissances.
L’idée du terme « essence » par rapport
à la notion de contradiction dialectique
ici est tout simplement que la recherche
et l’enseignement, la production et la
diffusion des connaissances, sont
fondamentales pour la notion même de ce
qu’est une université… d’une manière,
par exemple, que n’est pas le fait
d’avoir une équipe de football. Bien
sûr, à l’égard de nombreuses universités
américaines où l’entraîneur de football
est payé plusieurs fois plus que
n’importe quel professeur, on pourrait
être pardonné de penser tout le
contraire. L’affirmation associée à la
notion de mystification structurelle est
que les entraves à la production et à la
diffusion des connaissances ne sont pas
seulement une partie de la structure de
l’institution mais sont fondamentales
pour l’institution.
Le concept de mystification
structurale est crucial pour ma thèse de
dystopie. La mystification structurelle
est l’une des principales raisons pour
lesquelles les nombreux problèmes
douloureux et dangereux auxquels est
confrontée l’humanité ne peuvent être
résolus. Les connaissances,
connaissances très sophistiquées et
détaillées à faire avec de tels
problèmes, peuvent être et sont en cours
de production. Elles sont diffusées à
divers degrés dans différents groupes et
auprès du grand public. Cependant, la
mystification structurelle garantit que
ces connaissances ne seront pas
consolidées politiquement. Je veux
dire qu’un groupe de personnes
suffisamment grand et influent ne
connaîtra pas suffisamment les problèmes
pour réunir la volonté politique
nécessaire pour les résoudre.
Comment expliquez-vous qu’au
moment où le grand capital traverse des
crises structurelles multiples, on
observe l’absence totale d’un grand
mouvement du type révolutionnaire qui
encadrera les protestations contre le
système capitaliste, voire les
révolutions à venir ?
Eh bien, nous n’avons pas un seul
mouvement, nous avons de multiples
sources de résistance, et nous avons des
liens importants à faire. Mais nous
avons également des questions
fondamentales non résolues. Il y a la
question de l’organisation. Ni la
spontanéité horizontale ni le
centralisme démocratique ne semblent
adéquats. Le socialisme démocratique
contre la social-démocratie est aussi un
vieux problème qui a été résolu par des
marxistes pendant un certain temps, mais
il y a un nouveau problème similaire. Le
nouveau problème est tellement similaire
qu’il se confond avec l’ancien. Lorsque
les marxistes américains ont examiné la
campagne de Bernie Sanders, ils ont vu,
correctement, qu’il n’était pas un
socialiste mais un social-démocrate. Et
ils ont également observé, à juste
titre, que le Parti démocratique était
le cimetière des mouvements sociaux.
Alors, cela signifie-t-il simplement que
le choix de soutenir ou non Sanders
était clair et facile? Pas du tout. Il
devait être soutenu malgré ses limites
et les limites structurelles de la
situation. La campagne Sanders était le
point focal du mécontentement et de la
résistance. La lutte devait être
soutenue même avec ses limites. Les
militants socialistes engagés doivent
entrer en contact avec les mouvements de
masse qui surgissent hors de leur
contrôle. Nous faisons des choix, mais
pas dans les conditions de notre propre
choix. Le problème n’est plus le
socialisme démocratique contre la
social-démocratie, mais comment utiliser
une résistance d’horizons théoriques
limités, comment la déplacer, pour ainsi
dire, au-delà d’elle-même.
J’ai beaucoup parlé dans cette
interview de la situation américaine, à
propos de Sanders et Trump ; mais en
réalité, la situation au Royaume-Uni est
réellement beaucoup plus prometteuse.
Jeremy Corbyn est peut-être quelque
chose de moins qu’un socialiste
révolutionnaire, mais il en est de loin
plus proche que Bernie Sanders. Il
existe le même mécontentement répandu et
inacceptable au Royaume-Uni tel qu’on le
trouve aux États-Unis. Cependant, ce
n’est pas tout, ou même surtout, ce qui
alimente le corbynisme. Même si le plus
grand nombre de personnes derrière la
campagne Sanders était politiquement
naïves et idéalistes, ce n’est pas le
cas avec le soutien principal de Corbyn.
L’adhésion du Parti travailliste est
maintenant significativement composée
d’un assez grand nombre d’activistes
politiquement avisés. Ainsi, bien que la
plupart des députés du Travail et de
tous les médias traditionnels soient des
opposants extrêmement hostiles, la lutte
pour le cœur et l’âme du Parti
travailliste pourrait encore être gagnée
par de vrais socialistes.
Donc, je pense que mon argument
principal est que même s’il y a beaucoup
à s’inquiéter, beaucoup de désespoir, il
y a encore des raisons d’espérer.
D’après vous, l’ère Trump
sera-t-elle caractérisée par d’autres
guerres impérialistes menées par les USA
ou allons-nous enfin voir l’émergence
d’un monde multipolaire où les USA ne
seront plus le gendarme du monde ?
Le mythe idéologique des États-Unis
comme « policier du monde » est tout à
fait révélateur si nous essayons de lui
connecter une réalité. Les États-Unis
ont été dans le monde ce que la force de
police de Ferguson Missouri a été à sa
communauté noire majoritaire – une force
terroriste et meurtrière, dont les
actions n’ont rien à voir avec la
justice. Le mythe que beaucoup
d’Américains croient, selon lequel leur
pays agit en tant que gardien de la paix
dans le monde en soutenant les luttes
naissantes pour la démocratie, ne
pourrait pas être plus éloigné de la
vérité. Bien plutôt, ses actions ont
toujours été entreprises pour soutenir
ses intérêts économiques – au détriment
direct de toute notion de justice – et
pour écraser les luttes embryonnaires
pour la démocratie. Depuis la Seconde
Guerre mondiale, s’il y a conflit armé
n’importe où dans le monde, les
États-Unis s’engagent presque
invariablement et soutiennent le mauvais
côté. Le terme « impérialisme » est tout
à fait approprié. Trump a donné quelques
signes incohérents d’un désir d’une
politique étrangère américaine plus
isolationniste. Toutefois,
l’inconsistance est capitale à cet
égard. L’augmentation significative des
dépenses militaires avancées est
beaucoup plus représentative de ce qui
devrait arriver. Les États-Unis
conservent ce qui est de loin la force
militaire la plus puissante du monde et
continueront à l’utiliser pour atteindre
des objectifs imprévoyants et
intéressés. Bien entendu, il y aura
beaucoup de forces en compétition. Les
actions chinoises, par exemple, peuvent
avoir un poids accru dans les affaires
mondiales, mais je pense que
l’utilisation du terme « multipolaire »
consiste à amplifier l’équilibre des
pouvoirs. En termes militaires en tout
cas, le monde est le plus
significativement unipolaire.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est Garry Potter ?
Garry Potter est professeur de
sociologie. Il a reçu son doctorat à
l’Université d’Essex (Royaume-Uni) en
1990 et y a également enseigné pendant
de nombreuses années. Il est entré à
l’Université Wilfrid Laurier au Canada
en 2000 et y enseigne depuis,
principalement des cours de théorie
sociale. Il est actuellement Directeur
des études supérieures au Département de
sociologie.
Le Dr. Garry Potter est également
cinéaste et a réalisé 11 films
documentaires. Neuf films traitent de la
théorie sociale et sont distribués via
Insight Media. Whispers of
Revolution (Les chuchotements de la
révolution) et Dystopia: What is to
be done? (la dystopie: que faut-il
faire?) sont des documentaires de longue
durée qui sont disponibles gratuitement.
Le Dr. Potter est aussi l’auteur des
livres suivants :
After Postmodernism: An Introduction to
Critical Realism avec Jose
Lopez;
Dystopia: What is to be done? ;
The Philosophy of Social Science: New
Perspectives ;
The Bet, the: Truth in Science,
Literature and Everyday Knowledges (Avebury
Series in Philosophy) ainsi que
de nombreux articles scolaires.
Published in English in American
Herald Tribune, May 8, 2017: http://ahtribune.com/in-depth/1654-garry-potter.html
Reçu de l'auteur pour
publication
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
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