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« La révolution est notre seul espoir de salut »

Dr. Garry Potter


Dr. Garry Potter. DR.

Mardi 9 mai 2017

English version here

Mohsen Abdelmoumen : Vous avez écrit After Postmodernism: An introduction to Critical Realism, et The Bet, the: Truth in Science, Literature and Everyday Knowledges. Ces deux livres mènent vers votre concept de réalisme critique. Pouvez-vous expliquer ce concept à notre lectorat ?

Dr. Garry Potter : Le réalisme critique a émergé à travers le travail de Roy Bhaskar plus ou moins à l’époque de l’émergence du postmodernisme. Le postmodernisme, peut-être plus que tout autre cadre théorique, incarnait une partie de l’incohérence de l’un des anciens pôles de pensée concernant les sciences sociales : le constructivisme social. L’autre pôle était/est, bien sûr, le positivisme.

La science, les sciences naturelles, la compréhension de soi de nombreux scientifiques naturels, est souvent positiviste. De nombreux spécialistes des sciences sociales pensaient donc qu’ils pouvaient être plus scientifiques en imitant l’identité et la méthodologie des sciences naturelles. Il y avait donc une certaine fétichisation des mathématiques, des exigences inappropriées pour la « rigueur » et une mauvaise compréhension de l’objectivité commune en théorisant les sciences sociales quantitatives. Cela s’est accompagné d’une opposition peu judicieuse : recherche quantitative contre recherche qualitative. La tradition interprétative en sociologie met l’accent sur le sens des actions sociales. Parallèlement, cela a souvent été une opposition au positivisme, une croyance non seulement que les sciences sociales ne pouvaient être scientifiques de la même manière que les sciences naturelles, mais qu’elles ne devraient même pas essayer de l’être, que de telles tentatives étaient intrinsèquement pernicieuses. Le postmodernisme étant une forme assez extrême du  constructivisme social, ajoutait à la confusion théorique commune à l’époque. Le réalisme critique faisait tout le contraire. Il a ajouté une clarté de perspective et une manière de transcender théoriquement les limites préexistantes du débat.

Nous avions, d’une part, une notion naïve de faits étant simplement quelque chose à découvrir ; le positivisme semblait aller de pair avec cette vue. D’autre part, les faits, les perceptions, les savoirs étaient tous considérés comme socialement construits. Le point de vue critique réaliste a reconnu l’existence d’une réalité indépendamment existante tout en étant conscient que nécessairement nous voyons toujours cette réalité à travers une lentille socialement construite. La production de connaissances est socialement, culturellement et surtout historiquement située. Nous ne « découvrons » pas simplement des faits, mais nous ne les créons pas non plus ni ne les construisons ex nihilo à partir de nos propres perceptions. Il y a un élément de découverte et un élément de construction impliqué. Le terme que j’aime utiliser est « production » ; nous produisons des connaissances.

Le réalisme critique, je crois, fournit un fondement philosophique solide à la fois pour les sciences naturelles et sociales. Il apporte de la clarté face à la confusion et une transcendance aux fausses dichotomies.

En étudiant vos travaux, on remarque que l’une des idées centrales est le concept du réalisme critique. Est-ce une clé majeure pour comprendre votre recherche et faire une analyse adéquate des équilibres qui régissent le monde ?

Eh bien, comme je l’ai dit en réponse à votre question précédente, je crois que le réalisme critique fournit une base philosophique solide pour les sciences naturelles et sociales. Il permet d’encadrer les problèmes théoriques d’une manière correctement équilibrée. Il y a un journal consacré à cela, The Journal of Critical Realism (le Journal du Réalisme Critique), et des conférences régulières qui l’appliquent dans de nombreuses disciplines. J’avais l’habitude d’être un participant régulier de celles-ci et j’en ai même organisé une dans les années ‘90. Mais il y a très longtemps maintenant que je n’y suis plus allé. Mon attention aujourd’hui s’est tournée ailleurs, et je me concentre plus sur la politique que sur la philosophie.

N’a-t-on pas besoin, plus que jamais dans ces moments troubles de l’histoire, de la dialectique marxiste ?

Il y a eu beaucoup de débats au début du réalisme critique quant à sa relation avec le marxisme. Beaucoup, peut-être même la plupart des réalistes critiques, se seraient aussi appelés des marxistes. Beaucoup ont estimé, y compris moi, que le réalisme critique assurait un fondement philosophique pour le marxisme qui avait été jusqu’ici sous-théorisé par les marxistes, en commençant par Marx lui-même. Quoi qu’il en soit, le réalisme critique mené par son fondateur, Roy Bhaskar, a dévié vers une direction spirituelle différente, que je n’ai pas suivie. Bhaskar a développé sa propre compréhension typique de la dialectique, que je ne partage pas.

Mais je crois qu’une notion de contradiction dialectique est cruciale pour comprendre l’histoire et la politique. Cependant, ma compréhension de la dialectique ressemble peu à celle de Bhaskar et est beaucoup plus simple. La logique dialectique ne porte pas atteinte à la logique classique : elle conserve le principe du tiers exclu et ainsi de suite. Cependant, cela facilite la compréhension et la transcendance de ce qui serait autrement des impasses logiques. En analysant de nombreux phénomènes sociaux, nous rencontrons de nombreuses contradictions logiques apparentes. Je dis apparentes parce qu’elles ne sont pas des contradictions logiques réelles. Et je le dis parce que je suis matérialiste. Sur le plan des idées pures, ces contradictions semblent être des contradictions logiques parce que c’est le moyen le plus simple de les décrire ; mais à un niveau matériel, ce sont en fait des forces ou des tendances opposées. Maintenant, mon explication précédente plutôt condensée n’est certainement pas du tout hégélienne et beaucoup de marxistes soutiendront que la dialectique marxiste n’est qu’une branche de la dialectique hégélienne. Je ne suis pas d’accord. L’inversion de Hegel par Marx est cruciale. Nous devons appliquer une analyse dialectique à un monde matériel.

Je crois qu’il est important de garder à l’esprit que ces temps troublés sont aussi des moments d’opportunité. Je ne suis pas un maoïste, mais je pense que cette citation de Mao, en particulier à l’époque de Trump, est très utile : « Tout ici bas est dans un chaos absolu ; la situation est excellente ».

Marx a survécu au temps, le capitalisme quant à lui gagne du temps. Les réformateurs et autres théoriciens du capitalisme ont échoué à le réformer. Ne sont-ils pas en train de donner de l’aspirine à un cancéreux ?

C’est une très bonne façon de présenter les choses. Slavoj Zizek a affirmé qu’ »aujourd’hui, l’horizon le plus radical de notre imagination est le capitalisme global avec un visage humain… nous le rendons un peu plus humain, un peu plus tolérant, un peu plus bienveillant, etc. » Je pense qu’il a raison dans la mesure où c’est le mieux que ce qu’un très grand nombre de personnes peut imaginer ; et aussi que cette limitation de la conscience politique est une force puissante qui doit être surmontée parce que votre analogie avec l’aspirine donnée au patient atteint du cancer est fondamentalement exacte. Mais Zizek se trompe également. Un nombre croissant de personnes se rendent compte de cela. Le défi sera de diriger une résistance massive vers Trump aux États-Unis, par exemple, loin de l’éventuel leadership du Parti démocrate.

Ce n’est pas que les réformateurs aient complètement échoué, l’État-providence, maintenant partout sous attaque, était une réforme importante du système. Mais la logique temporelle du capitalisme garantit que nos problèmes cruciaux d’écologie, de justice sociale et de prévention du désastre ne peuvent être résolus en son sein. Les sociétés doivent d’abord soumettre toutes les décisions à la maximisation potentielle du profit ; et deuxièmement, elles doivent le faire dans un délai relativement court, disons endéans les dix ans. Tout ce qui dépasse cela diminue considérablement en priorité puisqu’il s’étend dans l’avenir ; les problèmes tels que le changement climatique ne peuvent être abordés correctement, et ceci malgré une connaissance généralisée de la gravité de la situation.

C’est un vieux dicton révolutionnaire: le choix est soit le socialisme, soit la barbarie. La barbarie peut prendre de nombreuses formes, de la destruction de l’espèce par l’anéantissement nucléaire, la torture, l’incarcération et le totalitarisme mondial, ou elle pourrait créer une planète inhabitable atteinte par la dégradation de l’environnement et les changements climatiques mondiaux… Les possibilités sont absolument trop nombreuses à énumérer. Mais la révolution est notre seul espoir de salut.

Avant d’être un documentaire percutant, Dystopia est un livre puissant et clairvoyant comme la majorité de vos travaux. Ce livre phare décrit le chaos capitaliste dans une dialectique purement marxiste tout en proposant des alternatives. Comment en sommes-nous arrivés à ce constat lucide qui est le vôtre ? Ce chaos que vous décrivez ne sera-t-il pas fatal à l’humanité ?

Ma « thèse de dystopie » soutient que, dans un sens au moins, nous sommes condamnés. Les problèmes rencontrés par l’humanité sont tellement multiples et sérieux qu’ils mènent jusqu’à l’extinction de l’espèce humaine. Les caractéristiques intrinsèques du capitalisme sont telles qu’elles ne permettent pas des solutions efficaces. La seule possibilité de salut est, ce qui semble actuellement être quelque peu improbable en dépit de certains signes d’espoir : une révolution socialiste. Donc, il y a une contradiction intéressante dans mon travail. D’un côté, j’avance le mythe de la « malédiction de Cassandre ». Le bienfait de Cassandre était qu’elle pouvait prédire avec précision l’avenir, mais sa malédiction était qu’elle ne serait jamais crue. Maintenant, mon travail n’est pas exactement ça. Il y a un grand nombre de personnes qui souscriraient aux principaux arguments de ma thèse de dystopie. Beaucoup d’entre eux sont des gens qui, en fait, n’ont jamais entendu parler de cela, mais en sont venus à des conclusions identiques d’eux-mêmes de manière tout à fait indépendante. C’est plutôt que cette partie de la thèse de la dystopie affirme que, en raison des caractéristiques du capitalisme à l’égard de la connaissance et de l’idéologie, un nombre suffisant de personnes ne parviendront pas à y croire et agiront pour faire une différence en ce qui concerne les autres sombres prédictions. Par conséquent, je prévois un destin tragique. Cependant, si j’étais absolument certain de cela, je ne me serais pas  embarrassé à écrire un livre à ce sujet. Rien n’est inévitable. L’histoire n’est pas toujours faite  dans notre dos ; potentiellement, les humains peuvent de toute façon  changer le monde. La seule inévitabilité est en fait un choix. C’est parce que c’est la limite purement logique du domaine des possibilités : le socialisme ou la barbarie.

Il y a un calendrier en ce qui concerne mes prédictions. Je dis à mes étudiants qu’en raison de mon âge, je ne vivrai probablement pas ou ne me mourrai pas dans la dystopie. Mais notre avenir dystopique est déjà en train d’émerger. Beaucoup, des millions de personnes, vivent déjà dans une variété de scénarios de l’enfer sur terre : leur enfant est mort parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’acheter le médicament qui l’aurait sauvé ; Ils sont incarcérés dans l’une des nombreuses horribles prisons du monde ; ils sont sans abri dans les rues d’une grande ville ; leur travail est insupportable ; et, comme Zizek le dirait, etc., etc. Mais pas pour moi. Ma vie est bonne. Le monde dans lequel je vis pourrait finir demain par l’holocauste nucléaire ou la pandémie mondiale… Mais ce ne sera probablement pas le cas. Je pense qu’il est probable que je vivrai ma vie dans un monde manifestement similaire à celui-ci. Mais je dis à mes étudiants que je ne pense pas que cela soit vrai pour eux. La plupart d’entre eux sont au début de la vingtaine. Je leur dis que, à moins qu’il n’y ait un changement spectaculaire bientôt, ils vivront dans un monde très différent dans leur quarantaine ; ils vivront en dystopie.

Dans votre méthodologie qui est moderniste, vous avez opté pour le support cinématographique, en l’occurrence les documentaires, en plus de l’écriture. Pensez-vous que l’image est un outil performant dans notre ère technologique ? L’impact est-il plus important que l’écriture ?

Je considère la plupart de mes films comme « éducatifs ». C’est-à-dire que je présente les idées de Gramsci ou de Bourdieu ou de Weber ou d’autres sous forme de film, en utilisant des images cinématographiques et de la musique pour compléter et enrichir la narration explicative. Les films sont autonomes, mais ils ont été faits avec une idée sur la façon dont ils seraient utilisés. Dans un cadre de classe où, par exemple, La théorie de l’aliénation et des espèces de Marx serait présentée avec une discussion et peut-être une conférence à ce sujet. Et, plus généralement, c’est la façon dont je vois les choses en ce qui concerne l’image et le mot. L’un n’est pas plus important que l’autre, au contraire ils peuvent et devraient se renforcer mutuellement. Le film est, je crois, un moyen très puissant, mais il ne remplace pas les conférences, les séminaires, les livres, les articles… ou des rassemblements politiques, il les complète seulement.

Vous avez étudié divers mouvements tels Anonymus, Occupy, Idle No More, etc. Peut-on dire que nous sommes dans une période prérévolutionnaire ?

Nous sommes dans « le meilleur et le pire des temps ». Les choses sont terribles et s’aggravent. L’administration Trump fait ressortir l‘ancien aspect d’une manière plus évidente que l’administration Obama ;  bien que l’on puisse également affirmer avec précision que le «Trumpism» est né de l’establishment libéral américain dont Obama faisait partie. Ainsi, les choses sont encore pires sur de nombreux points, mais l’évidence même des problèmes donne des ouvertures de résistance qui n’étaient pas là avant.

Occupy, Anonymous, etc. ont des choses en commun avec le populisme qui a alimenté la victoire de Trump dans la mesure où ils sont tous des réactions contre l’establishment économique politique. Black Lives Matter, The Fight for Fifteen, Standing Rock, ces mouvements plus récents sont similaires à cet égard. Et bien que j’aie utilisé Trump et l’Amérique ici comme exemples, c’est également vrai dans beaucoup d’autres pays.

Que nous soyons dans une «période prérévolutionnaire» ou non, dépendrait vraiment de la façon dont cela a été défini. Peut-être un terme meilleur, mais plus encombrant, serait de dire que nous sommes dans une «période pré-prérévolutionnaire». Nous ne sommes certainement pas au bord de la révolution. Une grève générale politiquement informée par la main-d’œuvre syndiquée avec un soutien important et la participation de la main-d’œuvre non syndiquée pourrait être l’avant-dernière étape avant la révolution. Mais nous sommes très loin de cela dans la plupart des pays… bien que la Grèce et quelques autres puissent être des exceptions à cette affirmation. Mais partout, il existe une résistance généralisée et croissante au statu quo actuel. Cependant, une telle résistance est très significativement incomplète et confuse. Par exemple, Anonymous est certainement une résistance au statu quo des relations de pouvoir sous de nombreuses formes et a également des flux significatifs de pensée socialiste révolutionnaire en son sein ; mais le libertarisme est en fait une philosophie beaucoup plus influente.

Cela se résume au fait qu’il y a une prise de conscience croissante de l’injustice, des problèmes environnementaux, etc., ainsi qu’un engagement croissant à essayer de faire quelque chose à leur sujet. Le plus porteur d’espoir est le fait que des liens sont établis et compris entre Ferguson et la Palestine, entre le système d’injustice criminel et Walmart. Il y a un merveilleux mème qui exprime cela parfaitement : un manifestant à l’extérieur de Walmart avec un panneau indiquant « mains en l’air, ne magasinez pas ! »

Ainsi, il y a une compréhension croissante, une colère contre l’injustice et la destruction de l’environnement, et un engagement approfondi et plus vaste en faveur d’un changement politique radical. Cependant, le problème de l’organisation politique reste non résolu par la Gauche. Les échecs du centralisme démocratique et des partis sociaux-démocrates sont devenus simultanément plus évidents, ainsi que l’impossibilité de travailler dans la « (dés)organisation horizontale ». Il me semble qu’un nouveau modèle d’organisation est nécessaire… mais ce serait commencer une autre question.

Dans une de vos publications, vous évoquez le concept de mystification structurelle. Pouvez-vous éclairer notre lectorat à propos de ce concept ?

La mystification structurelle est un concept destiné à faire le travail effectué par diverses notions d’idéologie, fausse conscience, etc. Elle affirme qu’il existe une contradiction dialectique dans toutes les grandes institutions qui produisent et diffusent les connaissances dans un système capitaliste. Ce que l’on entend par là, c’est que l’essence de ces institutions, par exemple, l’université, est de produire et de diffuser des connaissances ; mais que c’est aussi une caractéristique centrale de l’institution de faire tout le contraire : pour mystifier, obscurcir, confondre et restreindre la production et la diffusion des connaissances. L’idée du terme « essence » par rapport à la notion de contradiction dialectique ici est tout simplement que la recherche et l’enseignement, la production et la diffusion des connaissances, sont fondamentales pour la notion même de ce qu’est une université… d’une manière, par exemple, que n’est pas le fait d’avoir une équipe de football. Bien sûr, à l’égard de nombreuses universités américaines où l’entraîneur de football est payé plusieurs fois plus que n’importe quel professeur, on pourrait être pardonné de penser tout le contraire. L’affirmation associée à la notion de mystification structurelle est que les entraves à la production et à la diffusion des connaissances ne sont pas seulement une partie de la structure de l’institution mais sont fondamentales pour l’institution.

Le concept de mystification structurale est crucial pour ma thèse de dystopie. La mystification structurelle est l’une des principales raisons pour lesquelles les nombreux problèmes douloureux et dangereux auxquels est confrontée l’humanité ne peuvent être résolus. Les connaissances, connaissances très sophistiquées et détaillées à faire avec de tels problèmes, peuvent être et sont en cours de production. Elles sont diffusées à divers degrés dans différents groupes et auprès du grand public. Cependant, la mystification structurelle garantit que ces connaissances ne seront pas consolidées politiquement. Je veux dire qu’un groupe de personnes suffisamment grand et influent ne connaîtra pas suffisamment les problèmes pour réunir la volonté politique nécessaire pour les résoudre.

Comment expliquez-vous qu’au moment où le grand capital traverse des crises structurelles multiples, on observe l’absence totale d’un grand mouvement du type révolutionnaire qui encadrera les protestations contre le système capitaliste, voire les révolutions à venir ?

Eh bien, nous n’avons pas un seul mouvement, nous avons de multiples sources de résistance, et nous avons des liens importants à faire. Mais nous avons également des questions fondamentales non résolues. Il y a la question de l’organisation. Ni la spontanéité horizontale ni le centralisme démocratique ne semblent adéquats. Le socialisme démocratique contre la social-démocratie est aussi un vieux problème qui a été résolu par des marxistes pendant un certain temps, mais il y a un nouveau problème similaire. Le nouveau problème est tellement similaire qu’il se confond avec l’ancien. Lorsque les marxistes américains ont examiné la campagne de Bernie Sanders, ils ont vu, correctement, qu’il n’était pas un socialiste mais un social-démocrate. Et ils ont également observé, à juste titre, que le Parti démocratique était le cimetière des mouvements sociaux. Alors, cela signifie-t-il simplement que le choix de soutenir ou non Sanders était clair et facile? Pas du tout. Il devait être soutenu malgré ses limites et les limites structurelles de la situation. La campagne Sanders était le point focal du mécontentement et de la résistance. La lutte devait être soutenue même avec ses limites. Les militants socialistes engagés doivent entrer en contact avec les mouvements de masse qui surgissent hors de leur contrôle. Nous faisons des choix, mais pas dans les conditions de notre propre choix. Le problème n’est plus le socialisme démocratique contre la social-démocratie, mais comment utiliser une résistance d’horizons théoriques limités, comment la déplacer, pour ainsi dire, au-delà d’elle-même.

J’ai beaucoup parlé dans cette interview de la situation américaine, à propos de Sanders et Trump ; mais en réalité, la situation au Royaume-Uni est réellement beaucoup plus prometteuse. Jeremy Corbyn est peut-être quelque chose de moins qu’un socialiste révolutionnaire, mais il en est de loin plus proche que Bernie Sanders. Il existe le même mécontentement répandu et inacceptable au Royaume-Uni tel qu’on le trouve aux États-Unis. Cependant, ce n’est pas tout, ou même surtout, ce qui alimente le corbynisme. Même si le plus grand nombre de personnes derrière la campagne Sanders était politiquement naïves et idéalistes, ce n’est pas le cas avec le soutien principal de Corbyn. L’adhésion du Parti travailliste est maintenant significativement composée d’un assez grand nombre d’activistes politiquement avisés. Ainsi, bien que la plupart des députés du Travail et de tous les médias traditionnels soient des opposants extrêmement hostiles, la lutte pour le cœur et l’âme du Parti travailliste pourrait encore être gagnée par de vrais socialistes.

Donc, je pense que mon argument principal est que même s’il y a beaucoup à s’inquiéter, beaucoup de désespoir, il y a encore des raisons d’espérer.

D’après vous, l’ère Trump sera-t-elle caractérisée par d’autres guerres impérialistes menées par les USA ou allons-nous enfin voir l’émergence d’un monde multipolaire où les USA ne seront plus le gendarme du monde ?

Le mythe idéologique des États-Unis comme « policier du monde » est tout à fait révélateur si nous essayons de lui connecter une réalité. Les États-Unis ont été dans le monde ce que la force de police de Ferguson Missouri a été à sa communauté noire majoritaire – une force terroriste et meurtrière, dont les actions n’ont rien à voir avec la justice. Le mythe que beaucoup d’Américains croient, selon lequel leur pays agit en tant que gardien de la paix dans le monde en soutenant les luttes naissantes pour la démocratie, ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité. Bien plutôt, ses actions ont toujours été entreprises pour soutenir ses intérêts économiques – au détriment direct de toute notion de justice – et pour écraser les luttes embryonnaires pour la démocratie. Depuis la Seconde Guerre mondiale, s’il y a conflit armé n’importe où dans le monde, les États-Unis s’engagent presque invariablement et soutiennent le mauvais côté. Le terme « impérialisme » est tout à fait approprié. Trump a donné quelques signes incohérents d’un désir d’une politique étrangère américaine plus isolationniste. Toutefois, l’inconsistance est capitale à cet égard. L’augmentation significative des dépenses militaires avancées est beaucoup plus représentative de ce qui devrait arriver. Les États-Unis conservent ce qui est de loin la force militaire la plus puissante du monde et continueront à l’utiliser pour atteindre des objectifs imprévoyants et intéressés. Bien entendu, il y aura beaucoup de forces en compétition. Les actions chinoises, par exemple, peuvent avoir un poids accru dans les affaires mondiales, mais je pense que l’utilisation du terme « multipolaire » consiste à amplifier l’équilibre des pouvoirs. En termes militaires en tout cas, le monde est le plus significativement unipolaire.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

 

Qui est Garry Potter ?

Garry Potter est professeur de sociologie. Il a reçu son doctorat à l’Université d’Essex (Royaume-Uni) en 1990 et y a également enseigné pendant de nombreuses années. Il est entré à l’Université Wilfrid Laurier au Canada en 2000 et y enseigne depuis, principalement des cours de théorie sociale. Il est actuellement Directeur des études supérieures au Département de sociologie.

Le Dr. Garry Potter est également cinéaste et a réalisé 11 films documentaires. Neuf films traitent de la théorie sociale et sont distribués via Insight Media. Whispers of Revolution (Les chuchotements de la révolution) et Dystopia: What is to be done? (la dystopie: que faut-il faire?) sont des documentaires de longue durée qui sont disponibles gratuitement. Le Dr. Potter est aussi l’auteur des livres suivants : After Postmodernism: An Introduction to Critical Realism avec Jose Lopez; Dystopia: What is to be done? ; The Philosophy of Social Science: New Perspectives ; The Bet, the: Truth in Science, Literature and Everyday Knowledges (Avebury Series in Philosophy) ainsi que de nombreux articles scolaires.

Published in English in American Herald Tribune, May 8, 2017: http://ahtribune.com/in-depth/1654-garry-potter.html

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Mohsen Abdelmoumen
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