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Interview

Dr. Saliha Boussedra : «la lutte des femmes des classes dominées ne peut-être dissociée de la lutte des classes»

Mohsen Abdelmoumen


Dr. Saliha Boussedra DR

Lundi 7 mai 2018

English version here

Mohsen Abdelmoumen : D’après vous, doit-on considérer la lutte féministe comme ne question sociétale ou bien comme une question fondamentale dans le cadre d’une stratégie révolutionnaire ?

Dr. Saliha Boussedra : Tout dépend comment le problème est envisagé. Tout d’abord précisons ce que nous entendons par les termes de « sociétal » et de « social ». Par « sociétal » est envisagé tout ce qui relève des mœurs, des valeurs morales et il a finalement rapport avec les questions de droit. Par « social » nous pouvons entendre ce qui engage les conditions matérielles de vie, en ce sens les questions sociales ne relèvent pas uniquement de problèmes moraux mais de problèmes tout à fait pratiques, ce sont les conditions matérielles de vie qu’il s’agit de changer et non pas seulement les « valeurs ». Dans le féminisme de ce qu’on appelle la « troisième vague », les revendications semblent beaucoup porter sur les questions de représentation (combien de femmes dans les médias, à l’assemblée nationale, etc.) ou bien il porte plus spécialement sur les questions des violences faites aux femmes ou alors sur les questions relatives au corps. Envisagée sous cet angle, sous l’angle de la représentation ou bien des mœurs, la lutte féministe peut apparaître en effet comme une question purement sociétale qui dépendrait alors de l’évolution des mœurs. Mais c’est une fenêtre qui me paraît bien trop étroite pour envisager dans sa globalité la lutte féministe. Cette perspective problématique des luttes féministes tient, me semble-t-il, son origine également dans des problèmes conceptuels de nature « idéalistes ».

En effet, un des problèmes qui se posent dans la façon dont les femmes sont envisagées, repose sur le fait que la catégorie abstraite de « femme » est complètement coupée du domaine empirique sur lequel elle est pourtant prélevée, comme le souligne la philosophe belge Françoise Collin. Autrement dit elle est coupée des femmes réelles. L’autre problème qui se pose en France est au contraire de ne s’appuyer que sur le domaine empirique en prenant les témoignages de femmes pour valeur de vérité sans soumettre ces discours à la critique, comme c’est le cas dans certaines enquêtes sociologiques portant sur la prostitution par exemple.

Il me semble  qu’un retour aux femmes « réelles » serait souhaitable. Comme le disait Marx au sujet des êtres humains ou des « hommes réels », les femmes réelles sont des êtres de besoins tels que manger, se vêtir, se loger, élever les enfants, etc. Cette réalité massive de par le monde des femmes constitue leur réalité la plus prégnante. Les femmes tout comme les hommes de par le monde doivent d’abord entretenir leur vie et, s’il y a lieu, la vie de leur famille.  Un discours ou une lutte en faveur des femmes qui ne part pas de ce constat matériel massif me semble rester dans la seule critique du ciel alors qu’il conviendrait de reprendre pied sur la terre ferme : autrement dit, une critique qui ne s’appuie pas sur les besoins matériels qui constituent la réalité massive des femmes et se contente d’imaginer l’Ève du futur d’un point de vue exclusivement catégoriel c’est-à-dire abstrait, abstrait de toute réalité concrète, est tout à fait problématique.

De plus, la réduction de la lutte féministe à une lutte sociétale tient également son origine dans des problèmes conceptuels ou, pourrions-nous dire, « idéologiques ». D’une part les féministes matérialistes françaises se sont attachées à montrer que les fameuses « tâches domestiques » relèvent bien de ce que Marx appelle une « activité productive » autrement dit un « travail ». D’autre part, les femmes de par le monde sont de plus en plus engagées dans des activités salariées, ce sont des travailleuses. Or, le problème idéologique qui se pose à la lutte féministe repose sur la fixation d’une « séparation » entre les problèmes qui relèvent du foyer domestique et les problèmes qui relèvent du monde salarié.  Si l’on considère, avec Marx, que la question des femmes et de leur émancipation doit englober leur vie au foyer tout comme leur vie de salariée, alors nous pouvons comprendre que les questions susceptibles d’être soulevées par la lutte féministe sont loin d’être réductibles à des questions purement « sociétales » mais qu’elles sont bien des questions sociales. Laissez-moi vous donner un exemple de l’interdépendance de ces deux sphères que sont la famille et le monde du travail à travers un cas concret : prenons le cas des violences conjugales. Si nous avons une femme ayant un travail à temps plein, bien payé avec une sécurité de l’emploi et qu’un beau matin elle commence à s’inquiéter du comportement de son conjoint, si elle a l’argent et que son inquiétude lui paraît fondée, il lui suffit presque de contacter une agence immobilière, de faire un chèque et elle peut très rapidement se sortir de ce type de situation (je caricature volontairement, la réalité des violences conjugales est plus complexe). En revanche, si une femme est contrainte à un temps partiel, avec un petit salaire, une absence de sécurité concernant son emploi et qu’elle dépend financièrement de son conjoint, comme c’est le cas pour nombre de femmes, si cette même femme commence à se poser des questions par rapport au comportement inquiétant de son mari, elle n’aura pas les mêmes réactions. Se sachant dépendante de lui, elle trouvera toutes les raisons susceptibles de minimiser la portée du comportement de son conjoint qu’elle a pourtant bien perçu. Tout cela pour dire que la situation des femmes et les problématiques dont elles relèvent comme les questions relatives à la sexualité, à la maternité, à l’élevage des enfants, etc. , ne sont pas complètement détachables de la place qui leur est faite dans le monde social du travail.

D’après vous, peut-on dissocier féminisme et lutte des classes ?

Là encore, tout dépend comment on envisage les choses. La lutte féministe en Europe s’est d’abord concentrée sur la conquête des droits fondamentaux, autrement dit cette lutte a d’abord visé une émancipation « politique » à travers des revendications portant sur le droit de vote d’abord, puis sur le droit à l’avortement, sur le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur conjoint, sur l’autorité parentale (contre la « puissance paternelle »), etc. Dans ces conditions, l’ensemble des femmes restaient concernées par ces questions et la mobilisation féministe pouvait se faire en transcendant l’appartenance de classe des différentes catégories de femmes.  Une fois l’émancipation politique obtenue en Europe notamment, l’on découvre que l’émancipation politique n’est pas en elle-même synonyme d’émancipation « sociale ». Alors non seulement les femmes se rendent compte que l’émancipation politique ne leur a pas apporté l’égalité au travail (notamment celle des salaires avec les salariés masculins) ni n’a permis une remise en cause de la division sexuelle du travail telle qu’elle existe dans le  foyer domestique (autrement dit la charge du travail domestique de même que l’élevage des enfants continuent de peser sur elles).

Dans ces conditions apparaissent des réalités de classe entre les différentes catégories de femmes. Pour les femmes des classes bourgeoises, une fois obtenue l’émancipation politique, la lutte féministe n’a plus lieu d’être ou bien elle doit seulement se concentrer sur le nombre de femmes dans les médias ou bien dans l’espace politique ou bien encore dans les postes de pouvoir. Mais pour les femmes des classes dominées, la question de l’émancipation sociale reste entière (elles n’ont pas de domestiques pour assurer la charge du travail domestique, elles n’ont pas l’argent pour payer la garde des enfants lorsqu’elles travaillent, elles n’ont pas un bon accès aux soins, etc.). Si l’on tient compte de cette distinction entre émancipation politique et émancipation sociale, alors la lutte des femmes des classes dominées ne peut-être dissociée de la lutte des classes.

Cependant un des principaux obstacles à l’association du féminisme et de la lutte des classes a été de considérer que les organisations ouvrières étaient incapables de prendre en compte les questions propres aux femmes. Ce n’est pas complètement faux historiquement. Mais nous avons un exemple historique extraordinaire qui s’est produit durant les années qui ont bouleversé la Russie révolutionnaire des années 1917. Des femmes telles que Alexandra Kollontai, qui n’était pas la moindre des féministes, ont compris que le sort des femmes ouvrières était irrémédiablement lié aux conquêtes et aux victoires de la classe ouvrière. Et elles n’ont pas eu tort. Les conquêtes dont ont été capables les féministes bolchéviks étaient, pour l’époque, proprement extraordinaires et se situaient sur tous les plans : sur le plan du travail domestique avec création de crèches, de cantines, etc., sur le plan du travail salarié avec égalité des salaires, congés maternels, diminution du temps de travail, etc. Enfin, sur le plan des droits fondamentaux avec dépénalisation de l’homosexualité, droit à l’avortement, égalité des sexes, autorité parentale, etc. Cela pour dire que les féministes en Europe (et sans doute aussi aux États-Unis) ont intérêt à rejoindre les organisations politiques et syndicales qui défendent l’intérêt du salariat. Si la lutte féministe ne nous paraît plus détachable de la lutte des classes, c’est au nom, d’une part, de ce que les femmes sont de plus en plus pleinement engagées dans le travail salarié et, d’autre part, parce que la place qui est la leur dans le monde du travail affecte leurs conditions de vie et de travail dans l’espace domestique et réciproquement.

Que pensez-vous des mouvements qui sont venus suite au scandale Weinstein tels que « Balancetonporc » et « MeToo » ?

Il est assez difficile pour ce qui me concerne de me prononcer sur ce scandale en ce que mon propos ici ne s’appuiera pas sur une recherche scientifique, il relèvera donc davantage de l’opinion. Ce que je trouve extraordinaire dans ce qui s’est passé, c’est son caractère totalement inattendu, en ce sens il y a eu avec ce scandale quelque chose qui est de l’ordre de l’événement. Pour moi, qui suis une communiste, je suis interloquée par deux choses : d’une part le caractère spontané de tous ces témoignages de femmes, d’autre part par les effets sur le réel que ces témoignages de masse ont produit. Le seul mot qui me vienne à l’esprit pour qualifier cet événement est celui d’ « insurrection ». Ces femmes qui se sont soulevées notamment contre Weinstein (qui n’est que le nom de tous ces hommes qui n’ont toujours pas compris que les femmes sont un sujet de droit) ont quelque chose des « insurgées ». L’insurgé est celui qui s’oppose, qui se soulève contre un ordre établi, une autorité, sans nécessairement recourir à la violence. Comme si une vague, une vague insurrectionnelle, s’était emparée de toutes ces femmes. À cela il faut ajouter que cette insurrection est passée principalement par les réseaux sociaux. Elle n’est pas une insurrection qui se serait déroulée dans la rue par exemple. Et pourtant, bien que spontanée et se déroulant à travers les réseaux sociaux, ce soulèvement a produit des effets sur le réel : il y aura désormais un avant et un après Weinstein. Pour la première fois, sans doute, la « honte », dont ont été porteuses les femmes ayant subi des violences sexuelles, a changé de camp. Cet ordre que des générations de féministes ont cherché à renverser, voilà qu’une vague insurrectionnelle y parvient, cela pour moi est proprement extraordinaire. La question qui, selon moi, reste en suspend est celle de la poursuite de cette vague sur le plan politique. Le féminisme institutionnel et organisé tente de poursuivre sur le plan juridique et politique la lutte lancée par les femmes de la vague contre Weinstein. Mais sans l’appui concret et sur le terrain de toutes ces femmes qui ont témoigné, le féminisme institutionnel ou les partis politiques qui ont soutenu et pris parti en faveur de ces femmes ne pourront que difficilement poursuivre cette lutte. En France, par exemple, une proposition de loi dite contre l’« outrage sexiste » s’annonce déjà inapplicable dans les faits et les féministes institutionnelles tout comme les partis politiques qui cherchent à faire avancer les droits des femmes, ne pourront le faire sans le soutien pratique et concret des femmes ayant témoigné (qui nécessite leur présence sur le terrain de la lutte) dès lors qu’ils seront confrontés au gouvernement.

En se soulevant contre Weinstein et ses camarades, les femmes insurrectionnelles ont affirmé haut et fort qu’elles doivent être traitées comme des sujets de droit, que le respect dû à leur personne doit se vérifier dans l’espace public tout comme dans les lieux de travail ou l’espace domestique. Mais l’existence massive du harcèlement et des violences sexuelles atteste de ce que les femmes, malgré leur existence en tant que sujet de droit, continuent d’être perçues comme la propriété de l’espace domestique. Dans la mesure où les conquêtes des femmes ont relevé d’une émancipation politique et non pas sociale, la conquête juridique ne suffit pas à les protéger de la logique de la propriété privée telle qu’elle a encore cours dans l’espace familial. Dans la réalité matérielle de l’espace domestique qui constitue une base économique, les femmes continuent d’être envisagées comme une propriété privée et cette réalité se retrouve dans le domaine public ou dans les lieux de travail. C’est pourquoi un féminisme révolutionnaire, en tant qu’il vise l’émancipation sociale, combat pour l’abolition de la division du travail et de la propriété privée (que cette propriété soit celle de la famille ou qu’elle soit celle des capitalistes). Mais dire que les femmes (principalement les femmes des classes dominées) continuent d’être perçues comme une propriété privée dans le champ de la famille ne revient pas à dire que les femmes constituent une classe sociale. La division sexuelle du travail dans la famille est une forme de division du travail qui ne connaît pas un développement suffisant pour faire des femmes une classe sociale, c’est pourquoi leurs intérêts de classe continue d’être celui du salariat. En revanche en tant qu’elles relèvent de catégories spécifiques du salariat, elles peuvent être porteuses de revendications communes à leurs catégories salariales et peuvent également se faire reconnaître, au-delà de leurs catégories, par le salariat dans son ensemble. Du côté des organisations syndicales et politiques, ces dernières ont tout intérêt à prendre en compte les revendications de ces catégories du salariat non seulement parce qu’elles constituent en général la moitié de la population dans les différentes sociétés mais également parce qu’elles constituent de plus en plus  une part non négligeable du salariat lui-même. C’est pourquoi une lutte révolutionnaire qui ne tiendrait pas compte dans sa stratégie de l’importance politique et sociale des femmes, notamment des femmes salariées, nous paraîtrait une absurdité.

Vous avez écrit un article très intéressant sur Marx et la question de la prostitution, comment expliquez-vous que le capitalisme ait banalisé la prostitution jusqu’à l’appeler le travail du sexe ?

Pour ce qui est de la position de Marx vis-à-vis de la prostitution, position que nous pouvons qualifier d’ « abolitionniste », je l’explique en partie en effet dans cet article que vous avez la gentillesse de citer. Pour Marx la prostitution relève de ce qu’il appelle le Lumpenproletariat. Les individus du Lumpenproletariat ne relèvent d’aucune classe sociale en particulier, leur intérêt se présente de façon strictement individuelle. C’est pourquoi il n’est pas possible, à partir de Marx, de comparer la situation de l’ouvrier à celle de la prostituée. La première relève d’une classe sociale, ce n’est pas le cas pour la seconde. Pour Marx, la prostitution ne constitue pas, à proprement parler, un « travail » car elle n’est pas une activité porteuse d’émancipation. Elle relève plutôt de ce que les féministes révolutionnaires appellent une « violence » faite aux femmes.

Pour répondre plus particulièrement à votre question notamment par rapport au phénomène de « banalisation » que vous soulevez, je dirai que si certains courants du féminisme parlent de « travail du sexe »  c’est qu’elles perçoivent cette activité avec les yeux du capitaliste. Pour elles, dès lors qu’une activité peut rapporter de l’argent et qu’elle peut s’inscrire dans le cadre d’un « contrat », alors elle doit pouvoir relever d’un travail, peu importe les conditions des femmes qui se prostituent ou sont amenées à le faire, peu importe les conséquences sur ces femmes mais également sur la société, elles tiennent seulement compte de l’argent que cela peut rapporter et du contrat dans lequel cette activité peut s’inscrire.

D’un point de vue marxiste, le phénomène de « banalisation » peut s’expliquer par, d’une part, la force de la révolution bourgeoise en ce que cette dernière est parvenue, comme le dit Marx dans « Le manifeste du parti communiste », a lever le voile qui entourait jusque-là les relations sociales pour en faire apparaître ce qui les tient, à savoir des rapports de propriété privée. D’autre part, le mode production capitaliste est le seul mode de production qui ait réussi à bouleverser, dans une certaine mesure seulement, cette base économique qu’est la famille. Par ce bouleversement, il a fait apparaître que les relations intrafamiliales étaient également des relations que l’on peut comprendre à l’aune de la propriété privée. Que la prostitution soit « banalisée » dans ce contexte, je dirai presque qu’il n’y rien de plus normal. Mais cette « banalisation » est elle-même le produit d’une longue histoire car le capitalisme n’a pas pu d’« un coup » lever tous les obstacles, notamment moraux, à la « banalisation » de la prostitution pour imposer une morale « purement » économique. La dislocation des liens familiaux induite par l’enrôlement des femmes sur le marché du travail a de nombreuses conséquences, notamment sur la division sexuelle du travail dans la famille. Dans ce cadre, les institutions qui avaient jusque-là la charge des relations matrimoniales, comme les familles elles-mêmes ou les institutions religieuses, perdent de leur puissance sur les individus qui composent la sphère familiale.

Dans ces conditions, le féminisme libéral ou capitaliste pense que les relations entre les sexes, ou mieux, les relations sexuelles pourraient alors être prises en charge par le marché lui-même et régulées par ce dernier. C’est cette logique d’une prise en charge et d’une régulation des relations sexuelles par le marché qui sous-tend le discours de ce féminisme libéral qui travaille, d’après moi, contre l’intérêt des femmes et ne sert que les intérêts de la classe bourgeoise.

Vous êtes à la fois philosophe et artiste, et vous avez écrit une pièce dans laquelle vous vous produisez : « Une bière à la menthe ». Pensez-vous que les messages politiques appelant à un changement passent mieux par l’expression artistique ? Que pouvez-vous nous dire sur votre expérience théâtrale ?

Au moment où j’ai écrit cette pièce de théâtre, je sortais d’une période où je militais beaucoup, principalement dans des collectifs féministes ou bien dans les luttes autour des quartiers populaires. J’étais un peu désespérée de voir que ce que je pouvais tenter d’expliquer relativement aux phénomènes du sexisme tout comme ceux du racisme, je ne parvenais pas à me faire entendre malgré la teneur quelques fois théorique de mon propos. J’ai alors éprouvé, en effet, une certaine impuissance du discours exclusivement « militant » et je me suis alors tournée vers le théâtre dans l’espoir de trouver un moyen d’expression susceptible de toucher le public auquel je cherchais à m’adresser. À travers cette écriture de textes, mon but premier était de parvenir à mêler ce que j’appelle  « la chair et le sang » à l’os du discours. Le discours militant peut avoir quelque chose de rugueux, de sec,  parce qu’il se déploie dans le cadre d’un rapport de forces. Mais ce faisant il peut perdre de vue le sens même de ce qu’il cherche à défendre. Il me semblait qu’il fallait revenir à ce sens-là, à travers des mots et valeurs simples mais qui sont en mesure de toucher les publics dans ce qu’ils ont de plus cher comme le sens de leur vie, leurs rapports à la famille, le rapport au bonheur, le rapport à la société. Mon but était de montrer comment les personnages de la pièce, au-delà de ce qui peut les séparer d’un certain public, sont porteurs de dimensions et de questionnements universels, autrement dit il s’agissait de montrer, par-delà les différences, ce qui est susceptible de nous être commun à tous et toutes.

Il m’est difficile, en réalité, de répondre tout à fait à votre question. Au moment où j’ai écrit « Une bière à la menthe », je me sentais impuissante politiquement et théoriquement ; seul le passage par l’expression artistique et la part d’émotion qui l’accompagne me paraissaient à même d’exprimer ce que j’éprouvais comme une vérité. Mais depuis, beaucoup de choses ont changé sur le plan théorique comme sur le plan politique. Je dirais pour finir qu’il me semble que, oui, l’expression artistique possède le pouvoir de faire passer par le moyen de l’émotion une compréhension du monde dont d’autres types de discours auraient peut-être plus de difficultés à rendre compte. Néanmoins je ne crois pas,  et je n’ai, du reste, jamais cru, qu’à elle seule l’expression artistique puisse suffire à bouleverser le monde. Pour cela, le travail théorique et la lutte politique me semblent absolument nécessaires.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

 

Qui est Saliha Boussedra ?

Saliha Boussedra est doctorante en philosophie à l’Université de Strasbourg, membre de l’l’EA2326 du CEPHAC (Centre de Recherche En Philosophie Allemande et  Contemporaine). Ses recherches portent sur la place des femmes dans l’œuvre de Marx et la question de la prostitution. Elle est membre du comité de rédaction de la revue Cause Commune et est co-auteur d’une pièce de théâtre intitulée « Une bière à la menthe ».

 

 

   

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Source : Mohsen Abdelmoumen
https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/...

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