Algérie Résistance
Adam Bartley : « La démocratie populaire
en Amérique est une illusion »
Mohsen Abdelmoumen
Adam
Bartley. DR.
Jeudi 5 mai 2016
English version here: https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2016/05/05/adam-bartley-popular-democracy-in-america-is-an-illusion/
Mohsen Abdelmoumen :
Comment expliquez-vous l’émergence du
phénomène Trump ?
Adam Bartley :
Donald Trump n’est malheureusement pas
un cas particulier dans les élections
présidentielles américaines et d’une
manière plus significative dans le Parti
républicain. Barry Goldwater est celui
qui vient à l’esprit lorsqu’il a
inévitablement remporté la primaire
républicaine en 1964, après un combat
acharné à la convention. D’autres, comme
Ross Perot et Wendell Willkie peuvent
également être comparés à Trump sous
certains aspects. Le fait est que tout
en le définissant comme un candidat
non-establishment, Trump est bien un
produit de l’establishment du Parti
Républicain.
Son émergence est pour ainsi dire à un
carrefour dans la composition du parti
républicain déchiré par l’obstruction du
Tea Party sur la droite et les
Républicains modérés du centre-droit.
Trump a été en mesure d’utiliser ce vidé
créé pour promouvoir une plateforme de
critique, non seulement sur l’inactivité
du Congrès, mais sur tout ce qui n’a pas
été fait. Qu’il y ait une certaine
déconnexion avec la politique
d’establishment est indéniable et ces
candidats marginaux, comme Trump et le
sénateur Bernie Sanders, ont vraiment
profité de cela. Trump en tant que tel
est à la fois un produit de la
dissonance au sein du parti et de la
polarisation de la politique au niveau
national.
Trump n’est-il pas un jouet
dans les mains du Parti Démocrate ?
Trump a certainement coupé le cordon
ombilical pour beaucoup de désabusés
politiquement associés aux républicains,
et même pour les démocrates dans une
certaine mesure. Avec beaucoup de
succès, il a pris le monopole sur ces
« animaux politiques » en marge des deux
partis en exploitant leurs peurs,
vraiment, avec des motifs indignes. Tout
en soutenant les grands objectifs de sa
présidence, le problème avec Trump est
tout simplement qu’il n’est pas un
politicien. Il ne sait pas comment
fonctionne le système, pour ainsi dire.
Qui plus est, il ne sait pas comment
former une politique cohérente, incluant
toutes ses parties, les processus et les
influences extérieures. Et cela est
visible dans son incapacité à parler
plus précisément des détails de la
politique.
Ce manque de nuances et d’expérience
politique va inévitablement entrer en
conflit avec la désapprobation et le
mépris largement répandus en Amérique
pour certaines des politiques de Trump,
celle qui vient à l’esprit est bien sûr
l’idée d’un mur pour stopper
l’immigration clandestine en provenance
du sud. Et cela se produira en effet
s’il remporte l’investiture du Parti
républicain et doit faire face à Sanders
ou à Clinton qui sont tous deux des
politiciens chevronnés. À cet égard, et
comme représentant du parti Républicain,
Trump a une responsabilité majeure. À
moins que Trump ne se transforme
miraculeusement en homme politique
plutôt qu’en démagogue dans les
prochaines semaines, son classement
national favorable est susceptible de
diminuer davantage dans les sondages, en
restant un jouet dans les mains des
démocrates.
En cas d’élection, Clinton
sera-t-elle la présidente de la
continuité ou de la rupture ?
Intéressante question et certainement
la campagne de Sanders signifierait
qu’ils sont une seule et même continuité
vers la rupture. Obama a été en mesure
d’obtenir certaines politiques
importantes via le Congrès au cours de
ses deux mandats et il y a certainement
beaucoup d’éléments de l’administration
Obama qui vaillent d’être maintenus et
développés. Mais en même temps,
l’opposition entre les Républicains et
les Démocrates a considérablement
augmenté sous l’administration Obama. À
un moment donné, quelque chose devra
sûrement se dégager. Sans le mécanisme
fédérateur d’une tragédie nationale tel
que le 11/9 ou la menace écrasante d’un
ennemi comme l’Union Soviétique pendant
la Guerre froide, je ne peux que penser
que le changement doit venir de
l’intérieur. Une autre crise financière
mondiale déclencherait certainement une
telle rupture.
Clinton aurait besoin de regagner le
contrôle du Sénat, à tout le moins pour
arracher certaines de ses politiques
plus modérées dans les cent premiers
jours. Et le concept des cent premiers
jours en dit long sur le système
lui-même. Mais au niveau actuel
d’hostilité et d’un Parti Républicain
déchiré au niveau des coutures par le
Tea Party de même que par les partisans
de Trump, il est difficile de voir
comment une continuation de
l’administration Obama, même avec
Hillary à la barre, va faire avancer le
pays.
Les Républicains, le soi-disant parti
du « non », ne sont pas seulement
divisés sur des lignes idéologiques,
mais sont également divisés par les
influences des intérêts particuliers.
C’est visible, par exemple, sur la
question du changement climatique. Mais
comme Obama, Clinton voit la marche à
suivre à l’intérieur des limites
structurées du système politique de
l’establishment. Penser en-dehors de la
boîte, qui est un changement radical à
la Bernie Sanders, est hérétique,
spécialement pour l’establishment. Le
système politique américain peut
effectivement avoir besoin d’une telle
« révolution » en politique pour briser
l’emprise des intérêts particuliers (le
lobby des armes, les groupe du pétrole
et du charbon, Wall Street, et bien sûr
le lobby israélien) de leur mainmise sur
le Congrès. Clinton, comme nous l’avons
vu, est bénéficiaire du système de
financement de campagne, et ne fera pas
grand-chose à ce sujet.
Si Clinton est élue, comment
voyez-vous sa relation avec la Chine et
la Russie ?
La vision du monde de Clinton sur les
relations internationales est calquée,
comme beaucoup d’initiés à Washington,
sur le disque rayé de la paix par la
force. L’exemple auquel je pense ici est
le pivot ou le rééquilibrage en
Asie-Pacifique, qui est devenu
réellement une forme de confinement
militaire de la Chine ; les éléments
diplomatiques et économiques du
rééquilibrage sont tombées du wagon et
sans miroirs, ils sont passés inaperçus.
Clinton continuera vraisemblablement à
voir la Chine et la Russie en termes de
concurrence, et certainement jamais
d’égal à égal. Mais la question
fondamentale de cette mentalité, qui est
une mentalité d’empire, est que cette
façon de voir le monde et des pays comme
la Russie et la Chine interdit au
spectateur de voir le monde comme
d’autres le voient. Pour cette raison,
Clinton ne saisira jamais pleinement les
intentions de Pékin et de Moscou. Elle
ne comprendra jamais leur sentiment
d’insécurité, qui, historiquement, si
l’on veut regarder en arrière, a en
partie pour origine les perceptions
erronées de la politique étrangère
américaine.
Clinton continuera à maintenir la
Russie et la Chine aux normes
américaines du libéralisme et de la
démocratie, sans égard pour les affaires
intérieures de chaque État. Alors qu’en
effet la poursuite de
l’autodétermination est un idéal, et
certainement une politique étrangère
méritant d’être encouragée, le style de
Clinton est surtout de gronder de
l’extérieur plutôt que de guider de
l’intérieur. C’est une position
politique très superficielle car une
fois que le commerce et l’économie
s’impliquent, le libéralisme et les
droits de l’homme, entre autres, sont
vite remis en cause. Cela s’est produit
à maintes reprises et la Chine, autant
que la Russie, le savent.
Va-t-elle revoir le dossier
du nucléaire iranien et l’accord entre
Cuba et les USA ?
Clinton s’est beaucoup impliquée
elle-même dans le dossier de la
politique étrangère d’Obama, parmi
beaucoup d’autres choses, et j’oserai
dire qu’elle poursuivra dans cette voie,
en fonction bien sûr des Iraniens. Alors
que Clinton cède aux exigences du lobby
d’Israël, comme tous les présidents
américains le doivent, une interruption
du traité entre les États-Unis et l’Iran
retarderait le traité sur la
non-prolifération nucléaire de manière
significative. En outre, les Européens
veulent que cet accord réussisse. La
même chose peut être dite concernant
Cuba. Il est temps de passer à autre
chose. Washington a des relations avec
de nombreux gouvernements autoritaires;
Cuba ne devrait pas être un cas
particulier.
Bernie Sanders constitue-t-il
une alternative sérieuse à l’élection de
Clinton ?
En termes de soutien populaire et de
sa politique, je pense que la réponse
est très certainement oui. En termes de
processus politique, pas tant que ça. Le
jeu est malheureusement truqué en faveur
d’Hillary. Les Démocrates ont rendue
très difficile la nomination d’un
outsider. Ceci revient au comptage des
super-délégués représentés en bout de
ligne par l’établissement. C’est pour
cette raison que Sanders a pu gagner le
Wyoming mais perdre le vote des délégués
au profit de Clinton. La démocratie
populaire en Amérique est une illusion.
Une intervention de l’OTAN en
Libye est souvent évoquée alors que
certains pays voisins, tels que
l’Algérie, privilégient une solution
politique. Si la France porte la
responsabilité du chaos libyen actuel,
les Etats-Unis peuvent-ils se permettre
une nouvelle intervention militaire en
Libye ?
La question est dans quelles
conditions. L’intervention militaire
sous Obama et George W. Bush s’est
avérée à la fois coûteuse et peu
satisfaisante. La réticence d’Obama à
s’impliquer davantage dans le bourbier
de la Syrie avec des troupes au sol est
très caractéristique des échecs passés
au Moyen-Orient et je dirais que la
poursuite d’une implication est
susceptible d’être considérée partout
avec scepticisme et doute. Ce que nous
avons vu cependant, notamment sous
Obama, c’est l’émergence de
l’utilisation de drones. L’intervention
militaire américaine est devenue très
sale et distante. Les « cibles » des
drones ont été déshumanisées, tandis que
les meurtres collatéraux ne sont pas
suffisamment signalés en Occident. Les
États-Unis pendant ce temps ont offert
de l’argent et du matériel militaire à
toute mafia prête à s’aligner avec les
intérêts de la politique étrangère
américaine.
Que pensez-vous des
déclarations de l’ancien maire de New
York, Rudolph Giuliani, qui considère
Hillary Clinton comme membre fondateur
de Daesh ?
Les remarques de Giuliani sont
évidemment irresponsables, ignorantes et
purement politiques. Il ne fait aucun
doute que la politique américaine au
Moyen-Orient est responsable de la
montée de Daech, mais singulariser
Clinton pour faute est à la fois
désespéré et inconvenant, sans tenir
compte du fait que c’est Bush qui a
décidé d’aller faire campagne en Irak.
Plus important cependant, toute cette
question autour des accusations ne
résout pas le problème initial de la
lutte contre Daech. La politique
intérieure a rendu le processus
d’élaboration des politiques sur cette
question très difficile.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est Adam Bartley ?
Adam Bartley est un Ph.D. candidat et
professeur assistant à l’Université RMIT
(Melbourne), où il enseigne l’histoire
mondiale, la sécurité et la politique
étrangère des États-Unis. Il est membre
associé au Centre de recherche mondial à
Melbourne. Ses intérêts de recherche,
entre autres, se concentrent sur la
politique étrangère américaine et sa
relation avec la Chine actuellement et
au niveau historique. En dehors de faire
des recherches pour son doctorat, Adam
est actuellement engagé dans un projet
concernant la stratégie chinoise en mer
de Chine du Sud et la réponse
américaine. Ses articles paraissent dans
Counterpunch et The
Diplomat. Adam parle couramment le
mandarin.
Published in English in American
Herald Tribune, May 4, 2016:http://ahtribune.com/us/2016-election/871-adam-bartley.html
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