Interview
Dr. Jean Bricmont : « Les Gilets jaunes
posent des questions tellement
fondamentales qu’aucun gouvernement
européen ne pourrait y répondre »
Mohsen Abdelmoumen
Dr. Jean Bricmont. DR.
Samedi 2 mars 2019
English version here Mohsen
Abdelmoumen : Comment expliquez-vous
la soumission des gouvernements
occidentaux ainsi que de leurs médias à
Israël ?
Dr. Jean
Bricmont : La pression des lobbys,
toute l’insistance qui a été faite sur
l’holocauste, etc. font que d’une
certaine façon, les intellectuels
sionistes ne peuvent jamais être
critiqués sous peine que l’on soit
traité de fasciste ou de nazi. Ils sont
très efficaces et les gens se taisent
parce qu’ils sont lâches.
Pourquoi,
d’après vous, tous ceux qui condamnent
la politique criminelle d’Israël
sont-ils qualifiés d’antisémites?
Tous les gens qui
critiquent la politique d’Israël ne sont
pas traités d’antisémites, il ne faut
pas exagérer. Mais il faut toujours que
les critiques soient faites dans un
cadre relativement restreint, on peut
faire des critiques au nom des droits de
l’homme, mais par exemple, on ne peut
pas parler du droit au retour des
Palestiniens ou des choses qui
toucheraient à la légitimité d’Israël ou
de ce qu’on appelle le droit à
l’existence d’Israël. Pourtant le droit
à l’existence est un concept vide pour
les États ; ainsi je ne pense pas que si
l’on puisse dire que la Belgique a le
droit d’exister, vu qu’elle va peut-être
disparaître demain à cause de la
scission du pays. Un pays peut choisir
de s’unir ou de se séparer, le régime
peut changer, mais en ce qui concerne
Israël, vous n’avez pas le droit d’aller
trop loin dans la critique, il ne faut
pas appeler au boycott, etc. On vous
dira que vous singularisez Israël dans
vos critiques, que vous critiquez Israël
plus que d’autres États, donc c’est
antisémite.
Récemment, un
dirigeant israélien a avoué qu’Israël a
armé et soutenu des groupes terroristes
en Syrie, et on n’a vu aucun commentaire
ni traitement de cette grave
information. Pourquoi d’après vous ? Et
pourquoi, à votre avis, l’entité
sioniste voyou d’Israël jouit-il d’une
totale impunité ?
En ce qui concerne
la Syrie, beaucoup de mouvements
sionistes de gauche ou crypto-sionistes
se sont alignés avec d’autres mouvements
de gauche pour soutenir le renversement
d’Assad, et ils n’aiment pas beaucoup
que l’on mette en avant le fait
qu’Israël soutient aussi des rebelles ou
des terroristes qui veulent renverser
Assad. Psychologiquement, les gens
n’aiment pas apparaître comme étant du
côté d’Israël. Israël n’est pas
populaire. Nous sommes dans une
situation où les choses changent et, en
fait, Israël n’est plus populaire du
tout, contrairement aux années 1950-60.
L’expression publique de la critique
d’Israël est encore extrêmement limitée,
mais en privé, les gens ne se privent
pas de le critiquer. Avant, Israël était
considéré comme le poste avancé de
l’Occident, et ce n’est plus le cas
aujourd’hui. Mais renverser Assad,
c’était bien un objectif israélien entre
autres, et qui était aussi largement
partagé par des « démocrates et
progressistes » ici, mais qui n’aiment
pas beaucoup que l’on montre qu’en fait,
c’était également un agenda israélien.
Quel est le
poids réel du lobby israélien en Europe
?
Il est moins fort
qu’aux États-Unis mais cela varie aussi
d’un pays à l’autre. Par exemple, en
Norvège ou en Irlande, ce sont des pays
où le lobby n’a aucun poids et ces pays
font plus ou moins ce qu’ils veulent,
mais ils ne sont pas influents. Mais il
est très fort en France et en
Grande-Bretagne. On a attaqué le parti
travailliste de Jeremy Corbyn, on est
allé rechercher la moindre phrase qui
pouvait être utilisée pour le démolir,
on l’a fait avec Ken Loach, on l’a fait
avec Ken Livingstone, l’ancien maire de
Londres, chaque phrase est épinglée pour
détruire ces gens, alors qu’ils n’ont
rien d’antisémite. En France, vous avez
des gens comme Bernard-Henri Lévy qui
prétend que les Gilets Jaunes sont
antisémites alors qu’il n’y a pas
d’antisémitisme fondamental dans ce
mouvement.
Les médias en
Occident ne sont-ils pas devenus des
outils de propagande pour
l’establishment ?
Je n’utiliserais
pas le mot « propagande » parce que je
préfère me référer au livre de Herman et
Chomsky « La fabrique du consentement ».
Ce n’est pas de la propagande au sens
soviétique du terme, ce n’est pas de la
propagande naïve, on a l’impression que
les journalistes sont libres et ils sont
effectivement libres mais ceux qui
travaillent pour les médias du système
acceptent implicitement certaines
contraintes mentales auxquelles ils ne
pensent même pas. Évidemment, une fois
qu’ils acceptent ces contraintes et
qu’ils pensent à l’intérieur de ces
contraintes, ils sont libres.
Pourquoi,
d’après vous, le mouvement des Gilets
jaunes dérange-t-il l’establishment ?
Ils dérangent parce
qu’il n’y a pas de revendications
particulières qui pourraient être plus
ou moins satisfaites et donc il y a une
espèce de contestation globale du
système qui va dans tous les sens. Ce
pourrait être moins d’impôts, d’autres
impôts, des impôts plus justes, c’est
une contestation tellement globale que
le système ne sait pas comment la gérer.
Quand il y a des manifestations
syndicales, on concède un petit quelque
chose et puis les syndicats s’en
satisfont. C’est une situation assez
contrôlable, mais ici le pouvoir ne sait
pas ce qu’il doit faire pour satisfaire
les Gilets jaunes. Si Macron s’en
allait, ça ne changerait pas
grand-chose.
Selon vous,
l’émergence des Gilets jaunes n’est elle
pas historique ? Ce mouvement n’est-il
pas très important par sa volonté de
restituer le pouvoir au peuple ?
Oui, je le pense
mais la forme que devrait prendre la
reprise de pouvoir par le peuple est
très compliquée. Ils parlent du RIC
(Référendum d’initiative citoyenne) et
de l’Europe mais ils ne sont pas très
clairs sur cette dernière question. Le
problème, c’est que c’est un mouvement
spontané et inorganisé, donc il n’y a
pas de cadre dirigeant, pas de réflexion
collective. C’est une réflexion qui est
élaborée par des gens qui discutent sur
les ronds-points et qui pensent à des
alternatives mais le mouvement n’est pas
encore assez structuré pour que l’on
sache où il va aboutir. J’ai tendance à
penser effectivement qu’il faut attendre
pour savoir ce que cela va donner. Pour
l’instant, ils résistent, ce qui est
déjà remarquable, mais ce que cela va
donner, je n’en sais rien. Ils ne
doivent pas, par exemple, créer une
liste pour les élections européennes, je
pense que ce serait une erreur. La
plupart des Gilets jaunes sont d’accord
en disant que c’est une erreur, mais il
y a toutes sortes de tentatives. Il y a
des tentatives de répression très dures
envers les gens les plus radicaux et en
même temps des tentatives de
récupération envers les gens les moins
radicaux qui veulent entrer dans le
dialogue avec Macron et dans la logique
électorale, etc.
Le mouvement des
Gilets jaunes n’a-t-il pas le mérite de
nous montrer l’affolement de
l’oligarchie qui dirige la France et le
monde?
(Rires) Je n’aime
pas trop le terme « oligarchie », je
dirai donc la classe dirigeante. Il n’y
a pas que les capitalistes, il y a aussi
toute la petite bourgeoisie, il y a les
médias, etc. et je n’appellerais pas
cela l’oligarchie. On voit bien
que dans tous ces milieux-là, il y a une
sorte de vent de panique. En France, les
artistes, les intellectuels sont très
timides. Il y a une très légère
mobilisation en faveur des Gilets jaunes
et ils ne savent pas vraiment quoi
faire. Comme le mouvement est
intensément patriote – ils chantent la
Marseillaise, brandissent le drapeau
français, etc. – c’est une
attitude qui dérange profondément la
gauche parce que le peuple montre qu’il
est attaché à son pays, comme les
Algériens sont attachés à l’Algérie, les
Français sont attachés à la France,
ce qui n’implique aucune hostilité
vis-à-vis de l’étranger, mais cela
implique une certaine idée de communauté
nationale et c’est quelque chose que la
gauche déteste depuis des décennies.
C’est le grand problème de la gauche qui
est coupée du peuple parce qu’elle
rejette cette idée de communauté
nationale et revendique son appartenance
à l’Europe, à la mondialisation, etc. De
ce point de vue-là, elle est
complètement coupée du peuple.
Comment
expliquez-vous ce déchaînement de
violence policière, comme on l’a vu
notamment avec Jérôme Rodriguez éborgné
par un tir de flashball ?
À mon avis, ils ne
savent pas quoi faire d’autre. Je ne
pense pas que la violence policière soit
uniquement une réponse à la violence des
Gilets jaunes parce que les casseurs,
les Black Blocks, etc. sont partout.
C’est curieux parce que si on voulait
arrêter ces derniers, on le ferait, or
on ne les arrête pas. Ils sont violents
mais n’ont rien à voir avec les Gilets
jaunes et ils viennent dans toutes les
manifestations pour semer le chaos. Il
semble que l’on pourrait les infiltrer,
les arrêter, mais rien n’est fait. J’ai
déjà participé à des manifestations de
Gilets jaunes et les policiers sont très
violents avec les Gilets jaunes et c’est
volontaire. Les tirs de flashballs, les
grenades lacrymogènes, sont volontaires.
Les policiers ne sont pas tout le temps
dans des situations de danger. Souvent
ils provoquent les manifestants. C’est
volontaire et je suppose que les ordres
viennent d’en haut, du ministre Castaner
ou du préfet, je ne sais pas. Il y a des
tactiques multiples pour décrédibiliser
les Gilets jaunes dans les médias, pour
les réprimer au maximum en disant qu’il
y a des violences sans préciser d’où
elles viennent, et pour essayer de les
diviser avec des listes européennes et
des dialogues avec Macron, etc. Donc,
toutes les tactiques sont utilisées par
le pouvoir pour décrédibiliser ce
mouvement populaire.
Vous pensez que
le régime de Macron est incapable de
donner une réponse politique à la crise
des Gilets jaunes et n’a qu’une seule
offre qui est la violence ?
Oui. Quelle réponse
politique pourrait-il donner ? D’une
certaine façon, les Gilets jaunes posent
des questions tellement fondamentales
qu’aucun gouvernement européen ne
pourrait y répondre. De plus, Macron est
prisonnier de la logique européenne ; il
jette de l’huile sur le feu avec ses
provocations mais la crise est le
résultat de décennies de politique
néolibérale, de désindustrialisation, de
destruction des services publics, etc.
Et donc, nous sommes dans une situation
assez catastrophique qui n’est pas
uniquement de sa responsabilité, mais
qui remonte aux années Mitterrand.
Comment
expliquez-vous le fait que les
gouvernements européens, tout en
prétendant être contre l’extrême-droite,
soutiennent le fasciste Jaïr Bolsonaro,
et l’extrême-droite au Venezuela et en
Ukraine ? Les gouvernements occidentaux
qui ont créé Gladio et stay behind
peuvent-ils dire qu’ils n’ont rien à
voir avec l’extrême-droite ?
Oui, ils
soutiennent l’extrême-droite en Ukraine
d’un côté et condamnent Dieudonné en
disant qu’il est d’extrême-droite. C’est
complètement ridicule mais cela a
toujours été comme cela. Pendant la
Guerre froide, ils disaient qu’il
fallait combattre l’autoritarisme tout
en soutenant la dictature en Grèce, au
Chili, etc. et bombardaient le Vietnam.
Ils ont toujours eu cette politique. Ils
peuvent se permettre des choses à
l’extérieur qu’ils prétendent combattre
à l’intérieur. Mais ils ne les
combattent pas vraiment à l’intérieur.
Le mouvement des
Gilets jaunes n’est pas d’extrême-droite
mais même Marine Le Pen n’est pas
fasciste au sens historique du terme. Le
pouvoir l’utilise comme épouvantail.
Pendant la Guerre froide, ils ont
utilisé l’extrême-gauche comme
épouvantail. Ils ont toujours besoin
d’un épouvantail. Et curieusement, ils
mettent la Russie dans le sac de
l’extrême-droite, ainsi ils peuvent
aussi faire de l’agitation anti-russe.
Tous les pouvoirs ont besoin d’un
ennemi, donc il faut un épouvantail qui
soit plus ou moins accepté comme tel par
la population.
L’extrême-droite
n’est-elle pas l’idiot utile du système
capitaliste européen comme les
terroristes et djihadistes sont les
idiots utiles de l’impérialisme?
Oui, on peut faire
cette comparaison. Sauf qu’il y a
différentes extrême-droites. Dans le
temps, il y avait une extrême-droite qui
était, jusqu’à un certain point,
patriote et antisioniste. Il y avait des
branches d’extrême-droite qui étaient
pro-palestiniennes. Aujourd’hui, tout
cela a disparu. Ils ont tous décidé que
face à la pression des lobbies
pro-israéliens, la seule façon de s’en
tirer était d’être encore plus
pro-israélien que les autres, de vouloir
mettre l’ambassade à Jérusalem comme
Trump, Bolsonaro, etc. et de dire « si
nous sommes à ce point sionistes, alors
peut-être qu’on nous fichera la paix sur
l’immigration et autres sujets » ; les
sionistes ayant été en général pour les
frontières ouvertes.
Comment
expliquez-vous que des partis
d’extrême-droite se disent contre
l’Europe alors qu’ils ont toujours
participé aux élections européennes ?
Participer aux
élections européennes n’est pas
contradictoire avec le fait d’être
contre l’Europe. On peut y participer
comme l’a fait Nigel Farage pour
dénoncer la construction européenne au
Parlement européen.
Il n’y a pas
d’incohérence ?
Non, ce n’est pas
incohérent. Il y a des tas de partis
communistes qui ont participé aux
élections en dénonçant les parlements.
Je ne dirais pas que c’est incohérent.
Le problème de l’extrême-droite, ce
n’est pas qu’elle critique l’Union
européenne mais, en fait, qu’elle n’est
pas pour la sortie de l’Union
européenne. Cela dépend de quelle
extrême-droite, mais en tous cas, Marine
Le Pen, en France, n’est pas pour sortir
de l’Union européenne. Je pense aussi à
l’Europe de l’Est, ils critiquent mais
ils veulent continuer à recevoir
l’argent de l’Union européenne, en
Italie, ils ont accepté les conditions
de l’Union européenne. Donc il s’agit
plutôt d’agitations. Souvent
l’extrême-droite fait de la démagogie en
faisant du bruit sur un sujet ou un
autre comme l’immigration par exemple.
Tout cela pour arriver au pouvoir, mais
si elle est au pouvoir, elle ne fait pas
grand-chose, à part effectivement taper
sur l’immigration et les musulmans.
Selon vous,
vit-on en démocratie en Occident ou
est-ce plutôt une ploutocratie? Les
gouvernements occidentaux sont-ils
libres et démocratiques ou obéissent-ils
à une oligarchie ?
Je ne suis pas
d’accord avec le fait qu’ils obéissent à
une oligarchie. C’est un peu comme les
journalistes, pour entrer dans le
processus politique et y être accepté,
il faut avoir une certaine idéologie.
Et ceux qui sont au pouvoir, de tous les
partis, ont une certaine idéologie qui
est pour la construction européenne,
pour la mondialisation, pour le
soi-disant libre-échange, pour le
soi-disant marché libre, c’est
l’idéologie qui est instaurée depuis les
années 1980 et qui domine toute la
pensée de tous les gens soi-disant
responsables en Occident. Tous ces
gens-là ont la même idéologie. Si l’on
dit qu’ils prennent des ordres et qu’on
leur pose la question, ils répondront
« non, il n’y a personne qui me donne
des ordres ». C’est vrai que personne ne
leur donne des ordres. Les journalistes
et les hommes politiques sont libres
mais les contraintes du système font que
ceux qui réussissent, ceux qui percent
et continuent à exister dans le système
ont une certaine façon de voir le monde
et de penser qui font qu’ils sont
acceptables par le système, mais ils ne
reçoivent pas d’ordres.
Vous avez
entendu parler du dernier rapport
d’Oxfam qui parle de 26 personnes qui
possèdent la moitié de la richesse
mondiale. Ce système capitaliste ne
mène-t-il pas droit vers l’extinction de
la race humaine ?
Je pense que c’est
exagéré parce que je ne vois pas
pourquoi la race humaine disparaîtrait.
Il ne faut pas exagérer non plus parce
que le niveau de vie a augmenté au cours
du temps dans beaucoup de pays du Tiers
Monde, comme en Chine ou en Afrique.
Le système
capitaliste nous mène droit au mur.
Ce n’est pas
sûr. Je suis d’accord qu’il y a des
inégalités astronomiques, mais ce
rapport est critiquable parce que
concernant ces 26 personnes, il faut
voir ce qu’on estime comme leurs
possessions et comment on estime les
possessions du reste de l’humanité. Les
chiffres sont discutables. Qu’il y ait
des inégalités croissantes, il n’y a pas
de doute à ce sujet, mais d’un autre
côté il y a aussi la hausse du niveau de
vie à cause de la technologie et de la
science. Je ne dis pas que je suis pour
les inégalités, mais je suis surtout
contre les rapports de pouvoir que ces
inégalités autorisent. Mais ce n’est pas
parce que ces inégalités croissent que
l’humanité va nécessairement
disparaître. Je ne le crois pas parce
que la productivité agricole a très fort
augmenté.
C’est l’avis du
scientifique que vous êtes.
Je suis physicien.
Les scientifiques, à part ceux qui se
consacrent au climat, ne sont pas
catastrophistes.
Vous avez écrit
plusieurs livres en partenariat avec
Noam Chomsky. Ne pensez vous pas que son
livre coécrit avec Edward S. Herman
« La fabrique du consentement » est
très important pour comprendre le rôle
des médias et leur propagande au service
de l’empire ?
Oui, mais
justement, ce qu’ils montrent, c’est un
modèle de propagande mais il est
important aussi de montrer que pour eux
il n’y a pas de lavage de cerveau au
sens usuel du terme. Les gens sont
libres dans les médias. Je pense que
même dans les systèmes dits
totalitaires, ils sont parfois libres,
du moins ceux qui rentrent dans le
système et se conforment à son
idéologie. Bien sûr, il y a des cas où
ils ne sont pas libres. Mais on voit
qu’il y a des gens comme Chris Hedges,
Glenn Greenwald, Seymour Hersh et bien
d’autres journalistes assez connus qui
étaient dans le système et qui en sont
sortis parce qu’ils étaient dégoûtés du
système ou que le système ne leur
permettait plus de fonctionner à
l’intérieur de celui-ci. Et donc des
gens sont de facto mis à la porte pour
des raisons idéologiques.
Comment se fait-il
que ces médias de propagande au service
de l’oligarchie se targuent de parler de
fake news alors qu’ils n’ont pas
cessé de désinformer le public lors de
toutes les interventions impérialistes
en Irak, en Libye, en Syrie, etc. ?
Les médias de l’empire ont-ils encore
une quelconque crédibilité ou moralité ?
Non, je pense
qu’ils n’en ont aucune, évidemment, mais
tous les discours sur les fake news
visent au renforcement de
l’idéologie parce qu’ils prétendent que
les fake news ce sont les réseaux
sociaux, les Russes, etc. Il y a
beaucoup de fake news dans les
réseaux sociaux, je ne le conteste pas,
mais ils utilisent cela comme une arme
pour défendre les médias dominants. Ils
veulent décrédibiliser toutes les
critiques des médias et toutes les
informations alternatives. Dans les
informations alternatives, il faut bien
sûr faire attention et trouver les
bonnes sources.
Que pensez-vous
du silence assourdissant qui entoure la
guerre criminelle que mène l’Arabie
saoudite au peuple du Yémen ?
C’est en effet
horrible. Nous vendons des armes à
l’Arabie saoudite. Et l’Arabie saoudite
est le plus proche d’Israël parmi les
pays arabes. Ils ne peuvent pas dire
qu’ils sont ouvertement alliés avec
Israël parce que c’est un pays musulman,
mais ils sont aussi proches d’Israël
qu’on peut l’être quand on est une
théocratie musulmane. Et en plus, ils
ont encouragé le djihadisme un peu
partout dans le monde arabe. Et nous,
nous sommes alliés de ce régime, pour
trois raisons : les armes, le pétrole et
Israël. Au moment de l’affaire Khashoggi,
Trump a eu des paroles assez critiques
envers l’Arabie saoudite mais ça été
vite oublié. Ils veulent renverser
Maduro en le traitant de dictateur mais
ils ne toucheront pas à l’Arabie
saoudite.
Qu’est-ce que
l’homme engagé que vous êtes peut dire à
tous les résistants du monde qui
résistent face à l’impérialisme et au
sionisme ?
Je pense qu’ils
sont dans une meilleure situation que
dans le passé, parce qu’à la fois la
Russie et la Chine offrent une
résistance aux États-Unis, la Russie
plus ouvertement que la Chine mais c’est
une résistance réelle. Le problème pour
l’Europe, c’est qu’elle reste
prisonnière de l’idéologie des
États-Unis. Pour le reste du monde, je
pense que les choses vont plutôt mieux,
il y a une tendance historique à
l’affaiblissement des Américains – pour
l’Amérique Latine, cela dépend des pays
– et d’une certaine façon du sionisme.
Il y avait une époque où les gens
aimaient Israël, aujourd’hui ce n’est
plus le cas.
L’extrême-droite
est revenue dans certains pays
d’Amérique Latine, en Argentine, au
Brésil, etc.
C’est compliqué.
L’extrême-droite a profité des
difficultés des régimes de gauche. Les
États-Unis sont à l’offensive en
Amérique Latine, mais dans le temps, ils
dominaient tout en Amérique Latine, en
Europe, au Moyen-Orient, etc. La guerre
en Irak a été une catastrophe pour eux,
bien sûr avant tout pour les Irakiens,
mais aussi pour eux. En
Afghanistan, ils sont bloqués. Israël,
plus personne ne les aime, même aux
États-Unis. Les Américains contrôlaient
la Russie à l’époque d‘Eltsine,
maintenant ils ne la contrôlent plus. La
Chine, on peut dire qu’elle devient plus
indépendante. Je pense que la situation
des États-Unis dans le monde est
plutôt mauvaise. Trump a une politique
plus impérialiste que ce qu’il avait
promis, c’est certain, mais d’un autre
côté, à cause de sa personnalité, il est
aussi détesté.
Vous pensez que
nous avons un monde multipolaire en ce
moment ?
C’est difficile à
dire. Il faudrait en tous cas que les
Européens soient plus indépendants mais
cela n’a pas l’air de se faire.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est le Dr.
Jean Bricmont ?
Jean Bricmont est
un physicien belge. Il enseigne la
physique théorique à l’Université
catholique de Louvain (Belgique) et est
membre de l’Académie Royale de Belgique.
Il a obtenu son Doctorat en 1976 à
l’Université catholique de Louvain. Il a
travaillé en tant que chercheur à
l’Université Rutgers et a ensuite
enseigné à l’Université de Princeton,
aux États-Unis. Ses recherches lui ont
valu deux distinctions : le prix J.
Deruyts de l’Académie Royale de Belgique
en 1996 et le prix quinquennal FNRS (A.
Leeuw-Damry-Bourlart) en 2005.
Jean Bricmont est
aussi connu comme étant un activiste
rationaliste qui s’associe aux
intellectuels américains tels que Noam
Chomsky, Alan Sokal, etc. Il est
l’auteur de plusieurs ouvrages dont : « Impostures
intellectuelles » (2003) avec Alan
Sokal ; Impérialisme
humanitaire : Droits de l’homme, droit
d’ingérence, droit du plus fort ? avec
François Houtart (2005) ; Making
Sense of Quantum Mechanics (2016)
; Chomsky
Notebook (2010) avec Julie
Franck et Noam Chomsky ; Hidden
Worlds in Quantum Physics avec
le Dr. Gérard Gouesbet (2013) ; Occupy avec
Noam Chomsky (2013 ); Raison
contre pouvoir : Le pari de Pascal avec
Noam Chomsky (2009) ; Le
monde qui pourrait être : Socialisme,
anarchisme et anarcho-syndicalisme avec
Bertrand Russel (2014) ; A
l’ombre des Lumières : Débat entre un
philosophe et un scientifique avec
Régis Debray (2003), etc.
Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour
publication
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
Le
dossier politique
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