Sputnik
Le fossé se creuse entre Ankara et
Washington
Mikhail Gamandiy-Egorov
CC BY 2.0
/
Jorge
Franganillo
/
Ankara
Vendredi 21 juillet 2017
Source:
Sputnik
La Turquie et les États-Unis font partie
d’un bloc militaire commun, mais dans
lequel les USA s’estiment être le chef
absolu. Aussi, quand Ankara assume de
plus en plus sa souveraineté, les
divergences se concrétisent rapidement:
Syrie, Qatar, sanctions antirusses, les
pommes de discorde s’accumulent.
Officiellement, les États-Unis et la
Turquie demeurent alliés dans le cadre
de l'OTAN. Pourtant, la Turquie confirme
une fois de plus qu'elle est à ce jour
probablement le seul pays membre de
l'alliance nord-atlantique à mener une
politique globalement indépendante. Du
moins certainement plus que tous les
pays Ouest et Est-européens.
Quelques rappels
s'imposent: tout d'abord, la Turquie a
été le seul pays membre de l'OTAN à ne
pas s'être joint aux sanctions contre la
Russie voulues par Washington et
largement suivies par les capitales de
l'Europe bruxelloise. Un manque de
«solidarité» clairement mal vu par le
bloc occidental. Et malgré une crise
majeure dans ses relations avec Moscou,
qui a duré de novembre 2015 à juin 2016,
Ankara a fait le premier pas vers la
réconciliation et un retour à son
partenariat stratégique avec la Russie.
Mais ce n'est pas tout. Parallèlement au
renforcement de ses liens avec la
Russie, la Turquie a connu une vive
détérioration de ses relations avec
plusieurs pays de l'UE, notamment
l'Allemagne.
Mieux encore, la
Russie et la Turquie, en coordination
avec l'Iran, ont joué un rôle clé dans
le cessez-le-feu observé en Syrie depuis
fin décembre 2016 et qui reste
globalement respecté à ce jour.
D'ailleurs, plusieurs groupes armés
soutenus par la Turquie continuent à se
joindre audit cessez-le-feu, ce qui
permet à l'armée gouvernementale
syrienne de poursuivre son offensive
dans le désert de Syrie en vue
d'anéantir une bonne fois pour toutes la
secte Daech sur le sol syrien.
Par ailleurs et
selon les informations toutes récentes
émanant de hauts responsables syriens,
plusieurs groupes dits de «l'opposition»
syrienne, soutenue par la Turquie, se
disent prêts à combattre l'autre secte
takfiriste —Al-Qaida- en coordination
avec Damas et Moscou. En d'autres
termes, ils ont compris qu'ils ne
pourront pas réaliser leur projet
initial, à savoir faire tomber Bachar
al-Assad et que la meilleure solution
pour eux est donc d'initier un réel
dialogue avec le pouvoir légitime syrien
afin de pouvoir prétendre à son
amnistie.
Revenons aux
tensions de plus en plus évidentes de la
Turquie avec les pays occidentaux. Elles
ne se limitent désormais plus aux seuls
pays ouest-européens et aux échanges de
critiques virulentes, entorses aux
droits de l'homme contre ingérence dans
la politique intérieure turque. C'est
désormais avec Washington que les
relations se dégradent franchement. En
effet, et depuis l'important soutien
annoncé par les États-Unis aux groupes
kurdes notamment les FDS opérant en
Syrie, Ankara ne cache pas son
inquiétude, voire son énervement. En
effet et tout récemment, l'agence
Anadolu —l'une des deux principales
agences de presses turques- a publié les
informations sur la localisation des
forces spéciales américaines et
françaises en Syrie. Washington s'est
dit inquiet sur ces fuites qui selon lui
«peuvent menacer les forces
américaines». Fait qui confirme les
désaccords de plus en plus évidents
entre les deux pays, membres-clés de
l'OTAN.
Sur le Qatar aussi,
les positions semblent diverger. Si
Washington semble privilégier son allié
saoudien, Ankara (et Téhéran…) a pris
fait et cause pour Doha dans la crise
qui oppose cette dernière à plusieurs
pays arabes, principalement l'Arabie
Saoudite. Au point d'augmenter
considérablement le contingent militaire
turc présent au Qatar, le faisant passer
de 150 à près de 3.000 soldats aux
toutes dernières nouvelles.
Cela ne signifie
pas pour autant que la Turquie quittera
le navire de l'OTAN du jour au
lendemain. Le pouvoir turc joue sur les
contradictions entre ses partenaires
pour servir ses intérêts nationaux. Une
chose est sûre: vu le nombre de projets
en cours et à venir avec la Russie, dans
le domaine économico-commercial et même
militaire, Ankara ne semble plus vouloir
de tensions avec Moscou. Si au départ de
la crise syrienne, la Turquie voulait
absolument la chute du gouvernement
syrien, depuis la normalisation des
relations russo-turques et le retour au
partenariat stratégique entre les deux
pays, Ankara a beaucoup modéré sa
position envers Damas, tout en
coordonnant de plus en plus ses intérêts
avec la Russie et l'Iran. Fait
d'ailleurs reconnu avec inquiétude par
plusieurs médias centraux.
Par ailleurs, la
Turquie ne se fait pratiquement plus
d'illusions quant à un éventuel avenir
au sein de l'Union européenne, dans
lequel d'ailleurs elle aurait
certainement plus à perdre qu'à gagner.
Enfin, ses relations avec «l'allié»
étasunien deviennent de plus en plus
compliquées. Reste évidemment la carte
eurasiatique, de plus en plus soutenue
par les citoyens de Turquie. Au pouvoir
turc de bien l'utiliser. Pour quel
résultat? Seul le temps nous le dira.
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Publié le 22 juillet 2017 avec l'aimable autorisation de l'auteur.
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