Actualité
La vérité sur la relation spéciale
du
Royaume-Uni avec Israël
Mark Curtis
Mardi 14 août 2018
Londres considère
Israël comme un allié stratégique contre
la Syrie et l’Iran – ses deux principaux
ennemis dans la région – et n’hésite
pas, au passage, à sacrifier les
Palestiniens
La Grande-Bretagne
a une relation spéciale avec Israël dont
font peu état les médias traditionnels
mais qui est incontournable à la lumière
des récents massacres à Gaza. Bien que
plus de 110 manifestants aient été tués
depuis le début de Grande marche du
retour, la Grande-Bretagne a défendu les
actions israéliennes. À ma connaissance,
le gouvernement britannique n’a pas
condamné Israël pour ces tueries. À la
place,
il s’est contenté d’« exhorter
Israël à faire preuve de retenue », tout
en
reconnaissant son « droit à se
protéger » et en tenant le Hamas pour
responsable de la violence.
Lorsque la Première
ministre britannique Theresa May a
téléphoné à son homologue israélien
Benyamin Netanyahu le 10 mai, date à
laquelle 40 manifestants palestiniens
avaient déjà été abattus par les forces
israéliennes à Gaza, il semblerait
qu’elle n’ait même pas soulevé la
question. En revanche, la
Grande-Bretagne a
décidé qu’elle ne reverrait pas ses
exportations d’armes à Israël après les
massacres de Gaza, lesquels n’ont été
discutés qu’une seule fois par le
gouvernement.
En prenant le parti
d’Israël lors des tueries de Gaza, la
Grande-Bretagne est apparue comme fidèle
à ses habitudes. La relation du
Royaume-Uni avec Israël est en effet
spéciale dans au moins neuf domaines,
notamment les ventes d’armes, la force
aérienne, le déploiement nucléaire, la
marine, le renseignement et le commerce,
pour n’en citer que quelques-uns.
Un soutien
continu
Theresa May a
déclaré qu’Israël était « l’une des
grandes réussites du monde » et un
« phare
de la tolérance », tandis que son
secrétaire d’État à la Défense Gavin
Williamson a affirmé qu’Israël était une
« lumière
pour les nations » dont les
relations avec le Royaume-Uni « reposent
sur un sens partagé des valeurs de
justice, de compassion et de
tolérance ».
Cette exubérance
traduit un soutien britannique continu à
Israël sur la scène internationale, un
soutien qui l’aide à protéger cet état
voyou de l’ostracisme. Ainsi, la
Grande-Bretagne s’est abstenue lors du
vote de l’ONU sur l’autorisation d’une
enquête sur les tueries de Gaza, sous le
prétexte que celle-ci n’incluait pas
d’investigations sur le Hamas ; à la
place, le Royaume-Uni
soutient Israël dans sa volonté de
mener sa propre enquête.
L’année dernière,
le ministère des Affaires étrangères
britannique a
refusé de signer une déclaration
commune lors de la conférence de paix de
Paris sur la Palestine, l’accusant de
« se dérouler contre la volonté des
Israéliens ».
« [La relation
entre le Royaume-Uni et Israël est] la
pierre angulaire de beaucoup de ce que
nous faisons au Moyen-Orient »
- Gavin
Williamson, secrétaire d’État à la
Défense
La Grande-Bretagne
a approuvé des
ventes d’armes à Israël pour une
valeur de 445 millions de dollars depuis
la guerre de Gaza en 2014, et il ne fait
quasiment aucun doute que certains de
ces équipements ont été utilisés contre
des Palestiniens dans les territoires
occupés.
Le Royaume-Uni
exporte des
composants de drones britanniques
alors qu’Israël utilise des drones pour
ses opérations de surveillance et ses
attaques armées. Le Royaume-Uni exporte
des
composants pour avions de combat
alors que les forces aériennes
israéliennes effectuent des frappes
aériennes à Gaza, causant la mort de
civils et la destruction des
infrastructures. Le gouvernement
britannique
admet qu’il n’a pas évalué l’impact
sur les Palestiniens de ses exportations
d’armes vers Israël.
Cette politique
fait pourtant suite à un
rapport de 2015 du Home Office
indiquant qu’Israël promeut un « modèle
croissant » consistant à tirer
délibérément sur les enfants
palestiniens et que les Palestiniens
sont généralement « de plus en plus tués
[…] en toute impunité » par les forces
israéliennes. Depuis 2000, Israël a
tué près de 5 000 Palestiniens non
impliqués dans les hostilités, dont
environ un tiers âgés de moins de 18
ans.
Deux poids, deux
mesures
En mai 2018, Israël
est devenu le
premier pays à lancer une attaque
aérienne au moyen de l’avion de combat
furtif de nouvelle génération F-35,
atteignant des cibles en Syrie. Alors
que la production de F-35 est gérée par
la société d’armement américaine
Lockheed Martin, l’industrie britannique
construit
15 % de chaque F-35, impliquant des
sociétés telles que BAE Systems et
Rolls-Royce.
La vente
d’armes constitue un pilier majeur des
relations entre la Grande-Bretagne et
Israël (AFP)
Rien n’est autorisé
à interrompre la «
coopération très étroite en matière
de défense et de sécurité » entre la
Grande-Bretagne et Israël. Des pilotes
de l’armée britanniques sont même
entraînés par une compagnie
appartenant à la société israélienne
d’armements Elbit Systems.
Selon les estimations, Israël
possèderait 80 à 100 ogives nucléaires,
dont certaines sont
déployées sur ses sous-marins. Le
Royaume-Uni aide efficacement ce
déploiement nucléaire en fournissant des
composants de sous-marins à Israël.
D’après le général David Salamah,
commandant de la base navale israélienne
de Haïfa, les sous-marins israéliens
opèrent régulièrement « au plus
profond du territoire ennemi ».
La Grande-Bretagne
aide depuis longtemps Israël à
développer des armes nucléaires. Dans
les années 1950 et 1960, les
gouvernements conservateurs et
travaillistes ont conclu des
centaines de ventes à Israël de
matières nucléaires, dont du plutonium
et de l’uranium.
Le contraste avec
la politique britannique vis-à-vis de
l’Iran est frappant, comme en attestent
les
propos de l’ancien ministre des
Affaires étrangères Boris Johnson, qui a
déclaré que le Royaume-Uni était
« catégorique sur le fait qu’un Iran
doté de l’arme nucléaire ne serait
jamais acceptable » et a maintenu des
sanctions contre l’Iran. En revanche la
Grande-Bretagne refuse d’adopter des
sanctions contre Israël, qui est
pourtant un véritable État nucléaire.
En 1995, le
Royaume-Uni et d’autres pays ont accepté
une
résolution de l’ONU visant à établir
une zone exempte d’armes nucléaires au
Moyen-Orient. On ignore si Londres a
déjà exercé des pressions sérieuses sur
Israël à ce sujet.
« Un partenariat
solide »
Fin mai, des
navires de guerre britannique et
espagnol faisant partie des forces de
l’OTAN ont
accosté dans le port israélien de
Haïfa pour mener un exercice naval
conjoint OTAN-Israël. Des exercices
similaires ont eu lieu en
novembre 2016 et en
décembre 2017.
Cette même marine
israélienne restreint les droits de
pêche des Palestiniens sous blocus,
tirant même sur les pêcheurs gazaouis.
Le blocus de Gaza est largement
considéré comme illégal, y compris
par de hauts
responsables onusiens, un groupe
d’experts indépendants de l’ONU et
Amnesty International, en partie
parce qu’il inflige une « punition
collective » à toute une population. La
Grande-Bretagne ne respecte donc pas son
obligation « d’assurer le respect
par Israël du droit international
humanitaire ».
On sait peu de la
relation entre le Royaume-Uni
et Israël
en matière de renseignement
On sait peu de la
relation entre le Royaume-Uni et Israël
en matière de renseignement. Il y a eu
des divergences, comme en 1986, lorsque
la première ministre de l’époque,
Margaret Thatcher, avait ordonné un
gel des relations avec le Mossad
après qu’une agente israélienne eût
attiré par la ruse le technicien
atomiste israélien Mordechai Vanunu, qui
tentait de révéler les secrets
nucléaires d’Israël, à Rome, où il fut
kidnappé.
L’ancien directeur
du MI6, Sir Richard Dearlove, a
récemment
déclaré que les services secrets
britanniques ne partageaient pas
toujours leurs informations avec Israël
« parce que nous ne pourrions jamais
garantir la façon dont les
renseignements pourraient être ou
seraient utilisés ». Mais le
Telegraph
rapporte que la relation entre le
MI6 et le Mossad est devenue plus
étroite ces dernières années, les deux
organismes étant préoccupés par la
prolifération nucléaire en Iran.
Le directeur du
centre d’espionnage britannique GCHQ
affirme que ce dernier a un
« partenariat solide avec [ses]
homologues israéliens en matière de
renseignement électromagnétique » et
qu’« [ils] construis[ent] une excellente
cyberrelation avec une série
d’organismes israéliens ».
Un jeune
Palestinien d’Israël brandit une
pancarte lors d’une manifestation près
de
l’église catholique de l’Annonciation
dans la ville arabe de Nazareth en mars
2006 (Reuters)
Des
documents de 2009 divulgués par le
lanceur d’alertes Edward Snowden
montrent que le GCHQ a espionné l’armée,
les entreprises de défense et les
missions diplomatiques israéliennes –
mais aussi les communications
palestiniennes, y compris les appels
téléphoniques du président Mahmoud Abbas
et de ses deux fils.
Les interceptions
ont eu lieu seulement trois semaines
avant l’offensive israélienne sur Gaza
de janvier 2009, suggérant qu’elles ont
peut-être aidé Israël à préparer son
attaque.
Violation des
résolutions de l’ONU
Le Royaume-Uni
approfondit le commerce avec Israël
« au moment où nous quittons l’UE » et a
mis en place un groupe de travail
conjoint sur le commerce. La
Grande-Bretagne s’oppose totalement à la
campagne de Boycott, Désinvestissement
et Sanctions (BDS) et
refuse d’imposer les sanctions les
plus élémentaires à Israël, telles que
des interdictions de voyager pour les
personnes impliquées dans l’expansion
des colonies illégales.
En fait, le
gouvernement semble aider Israël à
contrer le mouvement BDS. En septembre
2017, le secrétaire d’État aux
Communautés, Sajid Javid, a rencontré
Gilad Erdan, le ministre israélien des
« Affaires stratégiques » chargé de la
lutte contre le mouvement BDS, afin de
discuter des « mesures visant à
contrer la délégitimation
anti-israélienne et le BDS ».
Le Royaume-Uni veut
que les relations commerciales « se
renforcent
de plus en plus » afin de consolider
sa position de première
destination des investissements
israéliens en Europe.
À LIRE ► L’opération secrète menée par
la Grande-Bretagne pour renverser Assad
Le Royaume-Uni
n’ignore pas qu’il y a plus de
570 000 colons israéliens dans les
territoires palestiniens occupés et
considère officiellement les colonies
comme illégales. Mais cela est
insignifiant à la lumière de la
politique actuelle du pays, qui n’a
jamais été connu pour exercer de fortes
pressions sur Israël afin de mettre un
terme à la construction de colonies ou à
l’occupation.
Le Royaume-Uni
appelle simplement Israël à
« assouplir » les restrictions sur Gaza,
et plutôt que d’exiger un retrait
israélien du plateau du Golan occupé,
Londres
se contente d’appeler Israël à
« respecter ses obligations en vertu du
droit international ».
La politique
israélienne dans les territoires occupés
a été décrite par l’ONG de défense des
droits de l’homme israélienne B’Tselem
comme un « vol
effréné ». Les biens produits dans
ces colonies, notamment les oranges, les
dattes et l’eau de source, sont exportés
chaque année à hauteur de centaines de
millions de dollars.
De
Palestiniens souhaitant jouer au
football dans la colonie de Maale Adumim,
en Cisjordanie occupée
(vue en arrière-plan), sont bloqués par
les forces de sécurité israéliennes en
octobre 2016 (AFP)
Or, la
Grande-Bretagne rend ce commerce
possible et ne tient même pas de
registre des importations en
provenance des colonies. Boris Johnson a
explicitement dit que commercer avec
les colonies illégales était la «
politique du Royaume-Uni » et que cela
continuerait. Cette politique viole les
résolutions du Conseil de sécurité de
l’ONU, qui « demande
à tous les États de faire une
distinction, dans leurs échanges en la
matière, entre le territoire de l’État
d’Israël et les territoires occupés
depuis 1967 ».
Qu’est-ce qui
explique la politique britannique ?
La Grande-Bretagne
a une longue histoire de soutien à
l’agression israélienne. En tant que
puissance mandataire en Palestine de
1920 à 1948, la Grande-Bretagne a permis
la prise de contrôle progressive de la
Palestine par le mouvement sioniste.
En tant que
puissance mandataire en Palestine de
1920 à 1948,
la Grande-Bretagne a permis
la prise de contrôle progressive
de la
Palestine par le mouvement sioniste
Lorsque la révolte
arabe contre la Grande-Bretagne et ses
protégés sionistes a éclaté à la fin des
années 1930, l’armée britannique l’a
brutalement écrasée. Le Royaume-Uni a
soutenu la
conquête brutale de la Palestine par
Israël en 1948 et a également
secondé Israël durant la guerre de
1967, lui fournissant des centaines de
chars britanniques.
Deux raisons
expliquent clairement la politique
britannique actuelle. L’une est
commerciale : les exportations d’armes
et le commerce sont de plus en plus
rentables pour les entreprises
britanniques. L’autre est que la
politique britannique vis-à-vis d’Israël
est largement déterminée à
Washington et par le fait que
Londres veut s’attirer les bonnes grâces
des États-Unis et ne pas offenser son
plus proche allié.
Mais la politique
britannique va au-delà de cela. Le
secrétaire d’État à la Défense Gavin
Williamson a
déclaré que la relation entre le
Royaume-Uni et Israël était la « pierre
angulaire de beaucoup de ce que nous
faisons au Moyen-Orient », tandis que
l’ancienne secrétaire au Développement
international, la néoconservatrice Priti
Patel, a
affirmé : « Israël est un partenaire
stratégique important pour le
Royaume-Uni ».
À LIRE ► La Déclaration Balfour : étude
de la duplicité britannique
Patel a été
contrainte de démissionner l’année
dernière suite à la
révélation des réunions secrètes
qu’elle avait tenues en Israël avec des
responsables clés, dont Netanyahou. Plus
important encore : sa visite des
hôpitaux militaires israéliens situés
sur le plateau du Golan, où Israël
traite des combattants
antigouvernementaux impliqués dans la
guerre syrienne, y compris des membres
d’al-Nosra, milice affiliée à al-Qaïda,
dont Israël est vu comme un soutien
efficace. Priti Patel a même voulu
apporter une aide britannique à l’armée
israélienne.
La Grande-Bretagne
soutient efficacement la politique
militaire israélienne au Moyen-Orient
alors qu’Israël a mené plus de
100 frappes aériennes clandestines
en Syrie contre des cibles
gouvernementales, iraniennes et du
Hezbollah. Israël est considéré comme un
allié contre la Syrie et l’Iran – les
deux principaux ennemis de la
Grande-Bretagne dans la région.
Londres considère
de plus en plus Israël comme un atout
stratégique, surtout maintenant que le
vieux conflit arabo-israélien a
largement disparu, ce qui signifie que
la Grande-Bretagne peut soutenir plus
facilement Israël et ses alliés arabes
despotiques. Et dans cette relation
spéciale qui s’approfondit de jour en
jour, elle n’hésite pas à sacrifier les
Palestiniens et leur cause.
- Mark Curtis est
un historien et analyste spécialiste de
la politique étrangère et du
développement international du
Royaume-Uni. Il est l’auteur de six
livres, dont le dernier en date est une
édition mise à jour de Secret
Affairs: Britain’s Collusion with
Radical Islam.
Les opinions
exprimées dans cet article n’engagent
que leur auteur et ne reflètent pas
nécessairement la politique éditoriale
de Middle East Eye.
Photo : la
Première ministre britannique Theresa
May accueille son homologue israélien
Benyamin Netanyahou devant le 10 Downing
Street à Londres en novembre 2017
(Reuters).
Traduit de
l’anglais (original).
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