Ecologie
Notre-Dame des Landes :
vers un conflit de légitimité
démocratique !
Maxime Combes
© Maxime
Combes
Lundi 27 juin 2016
Pour Manuel Valls
« la démocratie a parlé ». Les élus
locaux appellent à ce que les travaux
commencent à l'automne. « Consultation
illégitime, résultat biaisé » répondent
les opposants qui prévoient de maintenir
l'occupation du site pour « habiter,
cultiver et protéger le bocage ». Si le
Oui l'a emporté, la consultation sur le
transfert de l'aéroport n'a
manifestement pas réglé le conflit.
Le principe
« des plus concernés » mis à mal
Sur la base d'un
périmètre et d'une question choisis par
un gouvernement pro-aéroport, 51%
d'électeurs de Loire-Atlantique se sont
rendus aux urnes, soit 480 000 habitants
qui ne se sont pas déplacés (résultats
complets
ici). La victoire du Oui est
nette : 55% des votants, soit 268 000
personnes, se sont montrés « favorables
au projet de transfert de l’aéroport de
Nantes-Atlantique sur la commune de
Notre-Dame-des-Landes ». Plus de 218 000
personnes ont voté Non. De fortes
disparités selon les communes peuvent
être obervées. Les « plus concernés »
par le transfert, à savoir les habitants
des communes qui seraient touchées par
la construction du nouvel aéroport, ont
voté majoritairement contre. Tandis que
celles qui imaginent en tirer profit sur
le plan économique, comme les communes
relativement peuplées d'Orvault et
Saint-Herblain, ont voté largement pour.
Les communes rurales, et les cantons
historiquement de droite (La Baule,
Guérande) ont également appuyé le
transfert. Plus surprenant, Nantes sort
du scrutin coupé en deux parts égales
puisque le Oui l'emporte d'à peine 100
voix sur 84730 votants et le vote est
disparate dans les communes à proximité
de l'aéroport actuel (Bouguenais, Rezé,
etc).
François Hollande
et Manuel Valls avaient justifié la
restriction du périmètre de la
consultation aux habitant.e.s de
Loire-Atlantique au nom du principe de
ne consulter que « les plus concernés ».
Les habitant.e.s des autres départements
des Pays-de-la-Loire et de Bretagne ont
ainsi été écartés alors que les deux
régions sont supposées financer la
construction d'un l'aéroport dénommé
« aéroport du Grand-Ouest ». Si ce
principe avait été pris dans un sens
plus restrictif (les seules communes
touchées par la construction de
l'aéroport) ou dans un sens plus étendu
(tous les habitants supposés contribuer
au financement de l'aéroport), le
résultat de la consultation aurait été
totalement opposé. C'est d'ailleurs ce
que les sondages montraient, tel
celui-ci de l'IFOP en date du 29 mars,
sur la base desquels le gouvernement a
décidé de restreindre le périmètre au
seul département de Loire-Atlantique.
Conclusion :
la consultation a permis deux choses :
1) savoir ce que pensent les habitants
de Loire-Atlantique ; 2) obtenir le
résultat voulu par le gouvernement. Mais
il n'a pas permis de connaître l'avis de
« tous les concernés » par la
construction de l'aéroport.
Un conflit loin
d'être résolu
Les pro-aéroport
ont toujours affirmé que les opposants
étaient « ultra-minoritaires ». Force
est de constater que le résultat de
cette consultation est loin d'être un
raz-de-marée pro-Oui. Le Non à
l'aéroport, bien que minoritaire,
ratisse plus large que les seuls
opposants historiques présents dans les
rassemblements et sur les
manifestations. Et ce malgré la
formulation de la question de la
consultation qui parlait de
« transfert » alors qu'il s'agit de
construire un nouvel aéroport sans
démanteler la piste de l'existant.
Difficile de savoir si la base de la
contestation active à l'aéroport s'est
élargie et va se renforcer dans les mois
à venir. Par contre, il apparaît
clairement que le département de
Loire-Atlantique n'a jamais été si
divisé : le projet d'aéroport de
Notre-Dame des Landes est très loin de
faire l'unanimité. Au lendemain de cette
consultation difficile de prétendre
qu'un pas a été fait sur le chemin du
règlement du conflit et de l'apaisement.
Bien au contraire.
Ce n'est guère
étonnant. Pour qu'une consultation
puisse résoudre un conflit, aussi dur
soit-il, il est nécessaire que les
différentes partie prenantes s'accordent
sur les modalités de son organisation et
en acceptent, par avance, la légitimité,
tant de son processus que du résultat.
C'est le b.a-ba de tout processus de
résolution des conflits, qu'il s'agisse
d'une situation post-apartheid comme en
Afrique du Sud, ou d'un conflit social
classique. En instrumentalisant le
périmètre et la question de la
consultation pour obtenir le résultat
désiré – sans mettre en œuvre les moyens
nécessaires pour une campagne
d'information impartiale et
irréprochable – le gouvernement a foulé
aux pieds ces principes de base. Il aura
tout au plus réussi à renforcer la
détermination des pro-aéroports d'un
côté, et celle des opposants de
l'autre : les premiers vont se parer de
la légitimité de la consultation pour
exiger l'évacuation de la ZAD et le
début des travaux, les seconds pointer
le caractère biaisé et illégitime de la
consultation pour poursuivre leurs
mobilisations (voir
CP des opposants).
Conclusion :
avec sa consultation, le gouvernement a
réussi à : 1) fracturer un peu plus le
département au nom de la construction
d'un nouvel aéroport ; 2) attiser
l'animosité, l'agressivité et le
ressentiment des pro et anti aéroports
les uns envers les autres.
Conflit de
légitimité démocratique
A la légitimité –
contestée – de la consultation et de son
résultat va être opposée la légitimité –
également contestée – des recours
déposés, de la parole électorale du
président de la République. Tous les
recours contre le projet de nouvel
aéroport ne sont en effet pas épuisés.
Notamment deux d'entre eux. Le premier
porte sur la consultation elle-même : si
le Conseil d'Etat a rejeté trois
premiers recours – dont deux en référé –
il en reste un, sans doute le plus
important, qui porte sur le fond de
l'ordonnance du 21 avril 2016, relative
à la consultation locale sur les projets
susceptibles d'avoir une incidence sur
l'environnement. Ordonnance qui a fait
l'objet d'un avis défavorable du Conseil
d'évaluation des normes et du Conseil
national de la transition écologique.
D'autre part, la Commission européenne a
engagé une procédure d'infraction contre
les conditions d'évaluation
environnementale qui ont permis de
justifier le projet d'aéroport et de
minimiser l'impact sur l'eau, la
biodiversité et l'environnement.
Au printemps 2012,
François Hollande s'était d'ailleurs
engagé à ce qu'il n'y ait aucune
expulsion avant que tous les recours
contre le projet d'aéroport ne soient
épuisés. Comme ces recours ne sont pas
épuisés, les déclarations de Manuel
Valls selon lesquelles « les occupants
de la Zad devront partir avant le début
des travaux en octobre » vont être
perçues comme une provocation
supplémentaire et une remise en cause
des engagements présidentiels. D'autre
part, l'utilité de l'aéroport, ainsi que
sa pertinence au regard de l'urgence
climatique ou de la nécessité de
préserver des terres agricoles et des
zones humides, reste en discussion. Le
manque de clarté sur la question posée
l'illustre parfaitement : personne ne
sait dire si le projet soumis à la
consultation porte sur un aéroport à une
ou deux pistes, s'il est plus grand que
l'aéroport actuel et s'il implique la
fermeture complète de l'aéroport actuel
de Nantes-Atlantique comme le laisse
entendre le terme de transfert.
Conclusion :
Les appels au respect de la démocratie
pour évoquer la légitimité du résultat
de la consultation, ne doivent pas faire
oublier que la démocratie ne se résume
pas aux consultations électorales.
De la nécessité
de désobéir, au nom de l'impératif
climatique.
A la légitimité de
la consultation et de son résultat va
également être opposée la légitimité de
la mobilisation citoyenne au nom
d'intérêts jugés supérieurs tels que la
protection des terres agricoles et des
zones humides, ou de la lutte contre les
dérèglements climatiques. Les terres
agricoles au nom de la capacité à
nourrir les populations et à renforcer
la très faible résilience alimentaire
des centres urbains. Les zones humides
au nom de la protection de la
biodiversité et de la lutte contre les
inondations (voir
cette excellente video), deux
objectifs majeurs consignés dans des
accords internationaux et des lois en
vigueur ou en cours de vote. Enfin, au
lendemain de la COP21, de la signature
et de la ratification, par la France, de
l'accord de Paris, les arguments visant
à s'opposer à l'aéroport de Notre-Dame
des Landes au nom du climat prennent une
signification plus forte et justifient
des formes de désobéissance civile.
Explications :
l'Accord de Paris, dans son article 2,
fixe comme objectif de contenir le
réchauffement climatique en deçà des
2°C, et idéalement en deçà de 1,5°C
(objectifs désormais ratifiés par la
France). Alors que la température
moyenne mondiale du mois de février a
été enregistrée supérieure de 1,35°C à
celle observée sur la période 1951-1980,
nous sommes clairement entrés en période
d'Etat d'urgence climatique. Au nom de
cette urgence, il devient possible de
revendiquer une forme d'état de
nécessité "climatique", justifiant
d'intervenir à chaque fois que des
mesures et des projets sont contraires à
la stabilisation du climat. Cet état de
nécessité se nourrit de plusieurs
siècles d'expériences de désobéissance
civile, mais également d'une
jurisprudence : dans un arrêt de la Cour
d'appel de Colmar de 1957, cet état de
nécessité est défini comme « la
situation dans laquelle se trouve une
personne qui, pour sauvegarder un
intérêt supérieur, n'a d'autre ressource
que d'accomplir un acte défendu ».
Un juge peut faire la distinction entre
le mobile et l’acte : entre deux
impératifs contradictoires inscrits dans
la loi, la justice peut reconnaître
qu’il est légitime d'enfreindre la loi
au nom d'un impératif jugé supérieur.
Cela n'a jamais été le cas, en France,
au nom de l'impératif climatique : après
la ratification de l'Accord de Paris et
de son article 2, rien ne dit que cela
ne puisse pas être le cas dans les
années prochaines.
Aussi bien Johanna
Rolland, maire de Nantes, que Bruno
Retailleau, président de la région Pays
de la Loire, se sont félicités du
résultat au nom du « développement
économique et de l'emploi » sans ne
jamais évoquer l'environnement ou le
climat. Outre que ce soit très
discutable, notamment sur le plan de
l'emploi, que restent-ils à ceux qui
souhaitent que ce ne soit pas une
défaite pour le climat et
l'environnement ? Disposent-t-ils
d'autres solutions que de bloquer la
construction d'un projet d'aéroport qui
bafoue manifestement – tant du point de
vue de sa construction que des objectifs
d'augmentation du trafic – les objectifs
fixés par l'accord de Paris ? Que
peuvent-ils faire si ce n'est désobéir
aux éventuels ordres d'évacuation et
maintenir l'occupation de la Zad pour
empêcher la construction de l'aéroport
de Notre-Dame des Landes ?
Conclusion :
la consultation organisée par le
gouvernement va générer un conflit de
légitimité démocratique entre une
consultation – contestée – et le fait de
désobéir au nom de la sauvegarde
d'intérêts supérieurs – difficilement
contestables.
Les opposants
donnent déjà
rendez-vous les 9 et 10 juillet,
sur place, pour un nouveau rassemblement
contre le projet d'aéroport de
Notre-Dame des Landes.
Maxime Combes,
économiste et membre d'Attac France.
Auteur de
Sortons de l'âge des fossiles !
Manifeste pour la transition, Seuil,
coll. Anthropocène. Octobre 2015
@MaximCombes sur
twitter
Reçu de Maxime Combes
pour publication
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