Opinion
« La corde du
mensonge
est toujours trop courte » [1]
Marie-Ange Patrizio
Mardi 23 décembre 2014
Un article du
journaliste Jacques-Marie Bourget : « Interroger
Bachar Al Assad est-il un crime de
guerre ? » a été publié (peu de
temps) par les sites Afrique Asie
puis Le Grand Soir [2].
D’après le directeur d’un de ces sites,
à qui je me suis adressée, cet article
avait pour but de « dénoncer les
réactions véhémentes des médias
mainstream qui s'étaient offusqués
que Paris-Match [3]
ait donné la parole au Président Bachar
al-Assad ». Vérification faite, les
réactions véhémentes contre
l’interviewer, Régis Le Sommier, sont
rares et moins véhémentes que l’article
qui veut les incriminer. D’autres
réactions, non véhémentes [4],
à cette interview n’ont pas été publiées
par les sites accueillant J-M Bourget.
Qui, lui, a saisi l’occasion de
l’interview de Paris-Match pour nous
raconter comment il lui est « arrivé
de devoir donner la parole à des
monstres au nom du droit à ceux-ci de
s’exprimer ». Sans nommer ses
monstres. Ni d’ailleurs le confrère
journaliste qui a fait l’interview pour
Paris-Match. Ni rapporter le moindre mot
de l’interviewé qui « a le droit de
s’exprimer ». Mais non sans nous dire,
par contre, combien cet interviewé
serait un « criminel », un « bourreau »
et un « dictateur », et qu’il n’a pour
lui et pour « son aimable dynastie »
« ni faiblesse ni penchant » etc.
Cet
article est choquant pour plusieurs
raisons et j’ai adressé par courriel à
Mr. J-M Bourget, le 14 décembre, une
série de remarques et questions sur ses
propos [5] :
« Monsieur Bourget,
« Quand les sbires de Bachar
balancent sur les rebelles des tonneaux
de poudre » les « sbires de
Bachar » sont les soldats,
conscrits, de l’Armée arabe syrienne,
qui défendent leur pays et leurs
familles ; les « tonneaux de poudre »
qu’ils « balancent » permettent
justement de cibler au plus près, au
moins large, les repères des
terroristes : l’Armée arabe syrienne a
ainsi délivré le pays rue par rue,
parfois maison par maison, sans
bombarder massivement –comme son
aviation serait en mesure de le faire-
des quartiers où étaient et sont encore
présents des civils, tenus en otage par
les mercenaires terroristes (
djihadistes ou pas). C’est notamment ce
qui explique la progression assez lente
mais sûre de la libération des zones qui
étaient aux mains de ceux que vous
appelez rebelles en utilisant le
vocabulaire des agresseurs de la Syrie
qui se font passer pour ses « amis ».
« Interdit de séjour à Damas, et
depuis trente ans, je n’ai ni faiblesse
ni penchant pour l’aimable dynastie des
Assad. Je connais leurs prisons, leurs
tortures et leurs crimes et celles
[ceux] commises [commis] dans
leur colonie, le Liban ».
Monsieur Bourget, qu’est-ce qui vous
« interdit de séjour à Damas » ?
Avez-vous, depuis trente ans, demandé un
visa pour aller faire votre métier en
Syrie ? Vous l’a-t-on refusé ? Doit-on
en déduire que vous parlez d’un pays où
vous n’avez pas mis les pieds « depuis
trente ans » ? Pensez-vous que ce
pays n’a pas changé « depuis trente
ans » et, en particulier, depuis les
–bientôt- quatre dernières années où il
se bat contre une agression redoutable ?
Avez-vous lu la nouvelle Constitution de
la Syrie ?
Savez-vous que le Président al-Assad
(« Bachar » comme vous dites à la suite
de Fabius) a été réélu avec des scores
de participation électorale à faire
pâlir d’envie François, Barack, Angela
et tous nos députés, et candidats aux
primaires si peu corrompus d’ailleurs ?
« Bachar Al-Assad n’est pas Hitler
mais un bourreau comme les autres »,
Comme qui par
exemple ? Et en quoi précisément, lui,
depuis qu’il est à la présidence de la
République arabe syrienne, est-il un
bourreau ? Avez-vous, par exemple, lu
son discours d’investiture[6] ?
Avez-vous, par exemple, puisque vous
parlez de ceux qui sont allés
l’interviewer, vu la vidéo « les
coulisses de l’interview »
[7]
où le reporter de Paris-Match donne
quelques précisions sur la façon et les
conditions dans lesquelles il a été
accueilli et reçu par « le bourreau » ?
Monsieur Bourget, pour rester
dans le journalisme d’investigation et
ne pas tomber dans l’allégation, vous
devriez être précis dans vos écrits, et
si vous voulez parler de la Syrie,
commencez par demander un visa pour
aller mettre à jour vos catégories et
jugements. Il y a de larges zones
maintenant en Syrie où vous ne serez pas
« sous les bombes » ni sous les barils
de TNT, à moins que vous ne passiez la
frontière clandestinement pour aller
travailler aux côtés des « rebelles ».
Salutations. »
Monsieur Bourget ne
m’a pas répondu mais a posté ce
commentaire sur le site LGS :
« La seule chose qui soit interdite,
c’est d’interdire. Libre à tous ceux qui
trouvent que la dynastie des Al-Assad
est vraiment ce qu’il y a de mieux pour
un peuple, et il est vrai
qu’aujourd’hui, Bachar Al-Assad est
devenu un dictateur du moindre mal.
Mais, si vous aviez été à Nhar El Bared
en octobre 1983 vous auriez vu les
soldats d’Assad bombarder les camps
palestiniens. Avant cela, vous auriez vu
à Beyrouth ces merveilleuses troupes
venir au secours des néo fascistes
libanais des "Phalanges" fondées par
Gemayel sur le modèle des SA.. Tout cela
contre les combattants de gauche, les
marxistes et les palestiniens,
énumération où les trois tendances
peuvent se rejoindre. J’oublie le
massacre de Hama, et ce n’est pas parce
que les activistes d’alors, les
massacrés, étaient Frères Musulmans
qu’il ne faut pas s’indigner. J’oublie
l’assassinat de Kamal Jou[m]blat
et les dizaines d’autres au Liban et en
Syrie.
Il se trouve
que tous mes amis syriens, parce que
communistes ou
[sic]
marxistes, depuis quarante ans, ont été
contraints de quitter leur pays, la
Syrie, après prison et torture. Des gens
que, pourtant, vous ne retrouverez
jamais dans le camp des "rebelles" et
autres stipendiés de Washington.
Quand
on pose les Al-Assad en modèle, sauf à
se confondre à un bourreau, c’est savoir
que ce pouvoir est totalitaire, policier
et destructeur. Parlons d’idéologie,
même celle du Baas a disparu et avant
que ce dernier ne l’étrangle, le maître
de Bachar était l’émir du Qata. [Suite
plus bas]».
Un
journaliste pose des questions,
éventuellement se pose des questions
mais –lacanien ou pas- ne répond pas
forcément à celles qu’on lui pose ;
ici,
le journaliste préfère raconter,
d’abord, quelques souvenirs d’ancien
reporter envoyé il y a une trentaine
d’années sur certains théâtres
d’opération (aucun n’est en Syrie) par
les journaux pour lesquels il a
travaillé ; puis ce qu’il a entendu sur
d’autres « massacres » qu’il n’a pas
oubliés.
On n’est pas obligé
de confondre ces souvenirs (et oublis)
avec la réalité historique ; de même que
l’auteur n’est pas obligé d’opérer une
mise à jour de ses récits en intégrant
des informations qui ont été diffusées
entre-temps sur ces événements,
confirmant ou infirmant les fragments de
mémoire de tout un chacun.
Néanmoins, pour avoir une idée de la fiabilité des éléments apportés en
guise d’arguments, on peut prendre, dans
sa liste de « si vous aviez été à
», l’exemple le plus précis donc le plus
facile à vérifier : « l’assassinat de
Kamal Jou[m]blat », dont même wikipedia,
peu suspect de sympathie à l’égard de la
« dynastie des Al Assad », indique que
« la piste Syrienne privilégiée par les
enquêteurs au début de l'enquête a
cependant été discréditée. Il semblerait
que l'enquête ait fait l'objet d'une
instrumentalisation politique, plusieurs
témoins s'étant désistés en avouant
avoir été achetés».
Sur ce qui
se passe aujourd’hui dans les camps
palestiniens non pas au Liban mais dans
la Syrie de « ce pouvoir totalitaire,
policier et destructeur », on trouvera
d’autres informations, plus récentes
[8].
On peut
regretter que Mr. Bourget ne nous
indique pas quelques témoignages de
« tous [ses] amis syriens (…)
communistes ou marxistes » en
complément, au moins, du sien. On notera
d’ailleurs qu’il est difficile de
trouver -sur nos médias français,
« communistes ou marxistes » ou pas- des
témoignages sur la « dynastie
Assad » ou sur l’actuel « dictateur »
(rétrogradé en moins de 24h « dictateur
du moindre mal ») émanant de
« communistes ou marxistes » syriens
réfugiés non pas en France ou en Europe
ou au Canada, pays assez peu
« communistes ou marxistes », mais dans
des pays comme, par exemple, Cuba, ou le
Venezuela. Est-ce qu’aucun des
communistes syriens n’est allé se
réfugier là-bas, ou bien est-ce que ceux
qui y sont allés ne font pas la même
analyse que J-M Bourget de « la dynastie
des Al Assad » etc. ? Peut-être ces
autres camarades de la diaspora syrienne
ne trouvent-ils ni prioritaire, ni
utile, ni nécessaire, ni même fondé et
juste, aujourd’hui (et de là où ils sont
depuis quelques années ou dizaines
d’années), de faire ce genre
d’interventions sur la « dynastie » et
son actuel « dictateur du moindre mal »,
pendant que, en pleine agression contre
leur pays, leurs camarades restés en
Syrie se battent aux côtés du
gouvernement, de l’Armée arabe syrienne
et des Comités populaires qui montent la
garde dans les villages et les
quartiers.
Mais les amis syriens « communistes ou
marxistes » auront entendu parler du
soutien très clair qu’a apporté le
président Chavez à la Syrie agressée et
à celui qu’il appelle son frère
[9].
Et ils ont dû lire la déclaration faite
par le Comité central du Parti
communiste syrien dès décembre 2012[9].
J-M Bourget a
malgré tout tiré une petite leçon des
critiques reçues : dans sa réaction aux
commentaires, il met des guillemets au
mot rebelle.
Je complète
l’intégralité de cette réaction en en
rapportant ici la dernière phrase ; elle
permet d’apprécier la logique elliptique
et la disponibilité au débat de celui
qui défend le droit de chacun à
s’exprimer et qui « continue à militer
pour le droit d’écouter même le ridicule
et le pire » : « vos leçons de
journalisme vous les gardez pour vous et
je vous laisse à votre modèle dont le
meilleur allié et défenseur en France,
est le Front National ».
C’est Noël.
Petit Jésus, je vous l’offre.
m-a
patrizio
psychologue (retraitée) et traductrice
Copie, pour droit de
réponse, aux sites qui ont publié le
texte de J-M Bourget.
[4]
Postée
ensuite en commentaire sur le
site LGS ; adressée
aussi au directeur de la Revue
Afrique-Asie.
Le
dossier Syrie
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