Théopolitique
Le pape François et
l'avenir spirituel du christianisme
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 31 octobre 2014
" On ne peut
apprendre la philosophie, on ne peut
qu'apprendre à philosopher."
E Kant
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Eclaircissements
1 - Un mystique au timon de
l'Eglise
2 - Une métaphore existentielle
3 - Qu'est-ce que " l'esprit " ?
4 - La vie rêveuse des demi-cérébralisés
5 - La guerre entre la Lettre et
l'esprit
6 - Le polythéisme larvé de M.
Barack Obama
7 - La dérobade des
intellectuels de la foi
Post sriptum
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Eclaircissements
Avec la mise en
scène politique d'un personnage
imaginaire - un revenant qui aurait
changé de tête (
Discours de campagne d'un revenant
qui aurait changé de tête , 4
octobre 2014) - je n'ai pas troqué un
acteur en chair et en os de l'histoire
contre un fantôme, mais j'ai tenté, bien
au contraire, de faire débarquer dans
l'arène les protagonistes réels d'une
espèce onirique par nature et par
définition. Comment les évadés partiels
de la zoologie qui, depuis le
paléolithique supérieur se déplacent à
mi-hauteur entre la terre et leurs
soleils intérieurs se rendent-ils
observables tantôt dans les airs, tantôt
à ras du sol?
Les protagonistes
en chair et en os de l'histoire des
peuples et des nations se répartissent
entre les rêveurs ascensionnels et les
voletants dans leur poussière. Ce
phénomène introduit une hiérarchie des
âmes et des cervelles dans le récit de
tous les évènements. On l'a bien vu avec
une Académie des sciences morales et
politiques qui, depuis 1832, s'est
révélée une invention de la Monarchie de
Juillet et qui, à ce titre, se réclame
d'une objectivation illusoire du monde
dont l'anthropologie critique
radiographie les instruments pseudo
explicatifs.
Dès 1802,
Chateaubriand proclame - quelle audace -
qu'il ne s'occupe que de "théologie
poétique". C'était dire, avec
plus de deux siècles d'avance, que
l'homme est à lui-même une poétique
ambulante et que toute théologie n'est
qu'un art poétique déguisé en cosmologie
fantastique. L'ascensionnel humain se
manifeste dans les religions, la
littérature, la peinture, la musique,
l'architecture, la science. Les sentiers
descendants sont ceux de
l'auto-rabougrissement académique ou
sacerdotal. Dans les deux textes qui
suivent, je ferai se parler à lui-même
un acteur central de l'ascensionnel
humain, le pape François.
Car le débarquement
effectif de ce poète de l'histoire dans
l'arène de la géopolitique contemporaine
se poursuit à la faveur même de l'échec
de façade d'un Synode chargé, en
principe, de réformer le statut des
divorcés et de soumettre la morale de
l'Eglise non plus aux décrets d'une
dogmatique inébranlable, mais aux
observations de l'évolution mondiale des
mœurs, dont la vocation scientifique
s'inscrit dans la postérité sociologique
de la Renaissance. Du reste, ce tournant
doctrinal semble avoir été expressément
programmé par le Saint Siège lui-même:
il lui fallait accéder à la
communication de masse. Sinon, comment
expliquer non seulement que la Curie
ignorerait l'état d'esprit de la
majorité des deux tiers du clergé, mais
que personne n'aurait informé le pape
que son Eglise n'est pas près de
légitimer l'homosexualité et de
relativiser une morale inscrite dans les
chromosomes de la bisexualité de notre
espèce?
Raison de plus,
pour une anthropologie de l'histoire
branchée sur une interprétation
métazoologique de la géopolitique, de
proposer au lecteur une réflexion de
fond sur l'encéphale des chefs d'Etat
élus au suffrage universel. Car ceux-ci
se révèlent tragiquement sous-informés
de l'état des sciences humaines
d'aujourd'hui: ils ont pris un retard
non moindre que celui de l'Académie des
sciences morales et politiques dans la
connaissance nouvelle que notre espèce a
acquise d'elle-même au début de ce
troisième millénaire. Observons donc les
embarras d'un Saint Siège d'avant-garde.
Comment s'adapter au monde sans renier
le vide de la pensée théologique, qui ne
pense jamais par elle-même, mais qui
charge un tiers mythique de penser à sa
place afin de donner à sa réflexion une
caution censée irréfutable et de rendre
son autorité publique inébranlable.
1 - Un mystique
au timon de l'Eglise
L'année où j'ai
publié - c'était en 1965 - mon
Essai sur l'avenir poétique de Dieu,
j'étais loin de me douter que, quarante
huit ans seulement plus tard, un acteur
de la spiritualité chrétienne tenterait
de débarquer subitement sur une scène
politique rendue muette à l'école de la
médiocrité de ses élites : le pape
François. A l'époque, le débat
philosophique concernant le statut des
religions faisait encore écho aux fracas
du siècle des Lumières en ce qu'il
portait, d'un côté, sur le rang
intellectuel et psychique du sacré, de
l'autre, sur la nature et le statut des
sciences du calculable.
Constatant Il y a
un demi-sièclen que le Dieu polymorphe
des chrétiens de mon temps n'était plus
celui de Voltaire, et encore moins celui
du siècle ecclésiocratique précédent, je
me demandais seulement pourquoi Bossuet,
Pascal, Chateaubriand et Claudel
s'étaient obstinés à feindre de mettre
en scène une divinité artificiellement
centralisée alors qu'en fait, ils
évoquaient déjà quatre géniteurs
défocalisés du monde, lesquels
n'accordaient ni la même voix au mythe,
ni ne le laissaient afficher la même
démarche, ni ne pratiquaient la même
politique, ni n'usaient d'un art unanime
d'orchestrer le cosmos. L'humanisme
occidental avait-il donc si peu
progressé depuis le Moyen-Age que tout
le monde brandissait maintenant une
effigie diversifiée, mais sur laquelle
personne ne s'accordait plus? Que faire
d'un scénario flottant et d'une divinité
irréfléchie, mais encore
artificiellement centralisée à Rome?
Certes, me
disais-je il y a cinbq décennies, le
Saint Siège n'est ni un apprenti de
l'histoire et de la politique, ni un
néophyte du pilotage concerté de notre
encéphale parmi les récifs du temporel.
Longtemps, le destin bruyant ou
tranquille de la cervelle du monde d'ici
bas et de là-haut était passé par le
creuset de la schizoïdie catholique. Les
croisades, la querelle des investitures,
les guerres de religion du XVIe siècle,
l'anti cléricalisme de la Révolution
française, la séparation progressive de
l'Eglise et de l'Etat à la suite de la
loi de 1905 sur le statut d'une
République laicisée, tout cela avait
forgé le destin dichotomisé d'une espèce
scindée de naissance entre le surréel et
le terrestre, donc d'un animal bifide et
rendu d'avance aussi impuissant à
confondre qu'à séparer clairement ces
deux coulées du temps tumultueux ou
sommeilleux - mais toujours biphasé -
des peuples et des nations.
Mais, depuis
longtemps, les guerres bipolaires de la
théologie ne se lovaient plus au cœur de
l'aventure cérébrale et politique des
fuyards de leurs ancêtres toisonnés: le
quadrumane à fourrure que vous savez
semblait avoir achevé la course
aventureuse de ses schizoïdies
cérébrales. Du coup, le Zeus d'hier
s'était endormi dans les ultimes
marmonnements de sa créature ; mais
celle-ci est néanmoins demeurée plus
bicéphale que jamais, puisque le sceptre
du prix Nobel de la foi est tombé des
mains du Créateur dédoublé de la bible
dans celles du grand Pontife américain
qui, depuis 1945, officie à la tête
d'une Eglise plus impériale que la
précédente , celle des Saintes Ecritures
apocryphesde la Liberté démocratique
mondiale.
Nous n'avons rien
gagné à ce basculement du goupillon du
ciel des modernes dans les caisses d'un
suffrage universel plus scindé que
jamais. Le pape François a pesé les
poids respectifs de la tiare du Dieu
romain et de celle de son rival
triomphant, le Jupiter de la Justice et
du Droit auquel les rois de la finance
internationale présentent désormais
leurs offrandes.
Le Saint Siège a
donc observé avec attention les erreurs
de parcours et de jugement de l'une et
de l'autre de ces divinités
administratives; et il a remarqué que la
balance de la première s'est rouillée
entre les mains d'un sacerdoce de
célibataires et celle de la seconde dans
les ateliers de la bureaucratie de la
Liberté. Et il s'est dit qu'il était
temps de changer le fléau, les plateaux,
les poids et les mesures des deux
Curies. Si la boîte osseuse de la bête
se trouve encore encombrée de la
ferraille d'une cosmologie mythique,
comment y rallumer les flambeaux de la
vie ascensionnelle de l'humanité? Mais
si cet animal trébuche maintenant parmi
les auréoles de la sainteté des
démocraties verbifiques, à quoi bon
troquer l'Olympe ancien pour les
lampadaires de la sainteté des droits de
l'homme?
2 - Une métaphore
existentielle
Dès le séminaire,
le pape François s'est fait remarquer
parmi ses condisciples par la propension
naturelle de son esprit à observer les
taupinières de l'endroit réfléchies dans
un ciel local et un ciel local dans les
coutumes et les mœurs des populations.
En 2014, la paléo-anthropologie des
hérésies en dit aussi long qu'autrefois
sur la diversité des aventures à la fois
cérébrales et géographiques des premiers
évadés de la zoologie. Et pourtant,
depuis les origines du christianisme,
les scissions doctrinales et neuronales
confondues du simianthrope se laissent
toutes recueillir dans un seul filet des
songes sacrés, celui de l'arianisme: à
toutes les époques et en tous lieux, il
s'agit toujours et principalement de
savoir si le Dieu incarné braillait dans
son berceau ou s'il lui avait fallu
attendre patiemment l'âge adulte pour
égaler en esprit son Père domicilié dans
le ciel.
Afin de ne pas
dichotomiser trop brutalement la
personnalité d'un Dieu encore vagissant
dans les langes, la question avait été
tranchée avec simplesse dans le sens de
l'unité évidente et censée facile à
comprendre de la personnalité dédoublée
du Sauveur. Mais à cette résolution
décidément trop rudimentaire du Concile
de Nicée en 325; avait succédé celle,
plus affinée, du Concile d'Ephèse de 431
et celle, embarrassée, du Concile de
Chalcédoine de 451: le pape Léon 1er
avait décidé que Jésus n'était Dieu qu'à
l'heure où il marchait sur les eaux,
changeait Lazare un sursitaire de sa
mort, guérissait un aveugle ou un
paralytique, mais nullement quand il se
mettait en colère, maniait le fouet
parmi les changeurs du temple ou tombait
de fatigue.
Mais, puisque
l'Eglise ne pouvait s'offrir le luxe de
renoncer d'un seul coup à l'ambiguïté
politique de substantifier les
métaphores de la vie spirituelle de
l'humanité - elle y aurait perdu le
contact pastoral indispensable avec les
masses illettrées de l'époque - où
fallait-il faire passer la clôture
intérieure entre l'homme ascensionnel et
le Dieu extériorisé et banalisé de tout
le monde? Impossible d'en décider au gré
des circonstances et des vœux changeants
de l'auditoire. Aussi, la doctrine
autorisée en est-elle venue à théoriser
une psychophysiologie de l'abaissement
du mythe de l'incarnation du ciel: le
prophète s'est vu doté de "deux natures"
aussi artificielles l'une que l'autre.
De nos jours encore, le catéchisme
officiel de la religion romaine
enseigne que Jésus aurait retrouvé la
rate, le foie et les organes de Zeus ou
d'Athéna (Voir Catéchisme romain,
1992, p.104, n°468).
Aussi le pape
François ne peut-il faire un pas dans
l'ambiguïté de la politique et dans la
géhenne de l'histoire sauvage du monde
sans se demander comment l'Eglise et
lui-même marchent dans une mixture et
une décoction du ciel et de la terre. Le
Vatican va-t-il se dépêtrer d'une
métaphore entêtée à se colloquer des
deux côtés de l'humain? S'il s'avisait
d'envoyer à la casse le vieux Lucifer et
l'armée entière des exorcistes
assermentés que Rome a placés bien en
vue ou seulement en images auprès de
tous les évêques de la chrétienté, s'il
livrait au feu des tonnes de cierges et
d'encensoirs patentés, s'il disait sans
attendre, avec le Bérenger du XIe
siècle, que les chrétiens sont devenus
une "troupe de sots" de
s'imaginer que le vin de leurs messes se
changerait subitement en sang humain et
métaphorique confondus et le pain de
leur sacrifice en chair de composition
cellulaire et figurée bien emmêlées,
s'il livrait aux flammes d'un incendie
planétaire les cargaisons d'ex-votos,
de prie-Dieu et de statuettes de bois,
de pierre ou de plâtre façonnées par des
magiciens de leur foi, il dresserait
contre lui des régiments de sorciers, de
devins et de scribes - et ses jours
seraient comptés à la tête de l'Eglise;
mais s'il laissait le genre humain à ses
prosternations en chaîne et sous la
grêle de ses sortilèges , comment
construirait-il la balance de Dieu que
le siècle attend? Car, pour fabriquer la
balance à peser les têtes et les cœurs,
c'était le roi des âmes en personne
qu'il fallait livrer là-haut aux
fondeurs et aux forgerons du Dieu de
demain. Or, les Eglises sont des musées
du rêve d'éternité qui taraude le genre
humain. On y expose des lanternes
immortelles et des flambeaux éteints.
Comment empêcher l'Eglise des torches
vives de s'éteindre dans l'Eglise des
âmes mortes?
3 - Qu'est-ce que
" l'esprit " ?
Et puis, François
est un mystique attisé, d'un côté, par
l'ordre des Jésuites, qui le compte dans
ses rangs et, de l'autre, par le
Poverello, fondateur de l'ordre des
Franciscains. Or, les divers ordres
religieux se réclament en tout premier
lieu des témoins du ciel qui répondent à
leur vocation spirituelle spécifique.
Parmi les saints, les uns se veulent des
protagonistes de l'histoire en sang, les
autres, des méditants. Ceux-là tournent
le dos aux acteurs tombant dru du ciel
de la politique.
Ignace de Loyola
était un guerrier-né. Il avait été rendu
infirme des deux jambes au siège de
Pampelune. Du coup, le rescapé boiteux
avait fondé un ordre para militaire et
avait pris la tête des héros d'un ciel
marchant au pas sur la terre. La
Compagnie de Jésus est rangée en ordre
de bataille sous les ordres de son
général. La théologie du chef du chef
des paradis de la foi porte les galons
du code qui font la force des armées. La
discipline militaire endosse la casaque
d'un catéchisme. Les cohortes de la
piété défilent au pas de charge - les
pécheurs descendent à l'abîme en rangées
bien ordonnées. Toute sa vie, Ignace a
jugé que le centre de commandement de la
Trinité manquait d'un képi. Peu de temps
avant sa mort, il avait assisté en rêve
à une délibération de l'état-major,
composé du Père, du Fils et du Saint
Esprit, qui avait décidé d'adjoindre à
son quartier général un expert de la
guerre, ce qui élevait le triumvirat
théologique officiel à une quaternité
aguerrie.
Le Poverello, lui,
était un convertisseur enflammé - mais
on ne sanctifie pas la pauvreté sans
obéir à une vocation érémitique. Comment
François accorde-t-il le génie politique
de l'homme d'épée avec l'appel de la
Thébaïde? Un pape attiré à la fois par
le désert et par les arènes du monde
voit notre temps prendre rendez-vous
avec Israël à Gaza. Bien plus, le
christianisme est condamné, deux mille
ans après l'épreuve à la fois réelle et
métaphorique que le chrétien appelle le
Golgotha, à en découdre à nouveaux frais
avec Israël et, cette fois-ci, à
l'échelle de l'histoire et de la
politique de la planète tout entière,
parce que le peuple de Jahvé tente,
depuis soixante-dix ans et les armes à
la main, de retrouver la Jérusalem
terrestre et toute la Judée des
géographes.
Comment, dans ces
conditions, le monde moderne ne
poserait-il pas à la fois au peuple de
la Bible et au peuple chrétien la
question: "Qui es-tu? Qu'appelles-tu
l'esprit?"
4 - La vie
rêveuse des demi-cérébralisés
Dès lors que le
pape est redevenu un acteur de poids de
la géopolitique, mais sans que la
science historique ait comblé son retard
épistémologique et conquis les méthodes
d'interprétation rationnelles des mythes
religieux qu'attend notre siècle -
depuis plus d'une génération, les
philosophes reprochent à Clio de se
montrer petitement "événementielle" - le
retour spectaculaire de la diplomatie
vaticane sur la scène internationale
contraindra inévitablement la narration
chronologique, donc irrémédiablement
superficielle, de mettre une canon sur
la tempe du héros qu'on appelait l'objectivité.
Cet oracle est-il un muet de naissance?
Son verbe conquerra-t-il un recul
révolutionnaire à l'égard du sens caché
des mythes de type théologique? Il y
faudra rien moins que le déchiffrage du
cerveau onirique de l'humanité, donc un
décodage anthropologique des orthodoxies
et des hérésies.
Du coup, le
territoire de la métazoologie s'étendra
à l'analyse du dialogue secret entre les
bouches à feu d'Ignace de Loyola et le
feu intérieur de François d'Assise - ce
qui enrichira la science du passé sur
plusieurs points décisifs, tellement la
science historique devra s'armer d'une
connaissance simiantropologique de la
vie rêveuse d'un animal demi-cérébralisé.
Car la notion même d'objectivité est
tombée en quenouille au sein de la
politologie mondiale.
Pour tenter de
comprendre le sens de cette aporie,
commençons par constater que le pape
François n'entretient nullement des
relations catéchétiques banales et
ridiculement scolaires avec Ignace de
Loyola. Un demi-millénaire après la
fondation de l'ordre des Jésuites, il
n'est pas homme à contempler les rangs
serrés des malheureux censés marcher en
ordre de bataille vers l'Hadès. En
revanche, les mythes vivants sont des
fenêtres grandes ouvertes sur les
secrets les mieux cachés du genre
humain. On y contemple une espèce encore
enveloppée dans les langes d'une
théologie puérile. A ce titre, un pape
humaniste sait que les cosmologies
fabuleuses et ensanglantées présentent
aux hommes d'Etat et aux historiens
pensants le spectacle d'un monde de de
blessé à mort et que les affabulations
sacrées sont à la fois les creusets et
les décalques de la politique mondiale.
Alors que la
Compagnie de Jésus connaît de
l'intérieur les fauves qu'on appelle des
Etats et des empires, le saint d'Assise
illustre l'autre face de la religion du
Golgotha. Et puisque le christianisme du
XXIe siècle s'accommodera mal d'une
divinité aux yeux fermés et aux oreilles
bouchées, le rendez-vous spirituel de
l'Eglise romaine avec le sens caché de
son propre récitatif apostrophera en
retour le Vatican de la tradition
sacerdotale. La Curie reniera-t-elle le
vrai message de la Croix? Ponce Pilate,
le Sanhédrin, Judas et la sueur de sang
du prophète au jardin d'agonie de
Gethsémani, tous les protagonistes semi
mythologiques que la narration
fondatrice du christianisme a portés à
une cosmologie symbolique et réaliste
confondues trouveront-ils place dans une
orthodoxie plus houspillée que jamais
entre ses deux figures emblématiques,
Ignace de Loyola et François d'Assise?
5 - La guerre
entre la Lettre et l'esprit
Mais il y a plus :
il existe un lien profond entre les
croyances religieuses et les "exercices"
du soldat bien entraîné. Même aux yeux
d' Erasme, qui a publié en 1503 un
Poignard du soldat chrétien (Enchiridion
militis christiani), c'est le
poignard de Dieu à la main et sur les
champs de bataille du ciel que le
royaume de Dieu se conquiert. Les
célèbres Exercices spirituels
de saint Ignace renvoient aux
exercices guerriers du seul fait que
le verbe exercere renvoie à l'exercitus,
l'armée - donc à l'entraînement continu,
à la souffrance physique et à
l'exténuation du fantassin dans la
quotidienneté de la vie militaire dont
Alfred de Vigny évoquait la grandeur et
la servitude confondues. Mais, en grec,
exercice se dit askèsis
, qui a donné ascèse en français.
L'ascèse monastique est copiée sur la
vie réglée et épuisante des camps, parce
que l'empire des cieux se travaille
comme une terre à féconder. Le moine qui
se lève à deux heures du matin pour
prier sait que seul un travail acharné
et aride fait exister Dieu.
Si la citadelle
entourée de la muraille de ses
métaphores - on l'appelle le Saint Siège
- tentait de passer au large de ses
retrouvailles avec son labourage
bi-millénaire de l'histoire universelle,
la science historique y perdrait son
champ de manœuvre et le christianisme
doctrinal ferait naufrage dans l'oubli
de son rêve de justice. Ignace rappelle
à ce pape que la politique est la sueur
de l'histoire en marche et que l'homme
d'Etat ignorant des rouages et des
ressorts langagiers du sacré est un
idiot qui se raconte une histoire de
fou, comme dit l'anthropologue William
Shakespeare , tandis que François
d'Assise raconte aux serviteurs
ritualisés d'un culte vieilli que
l'homme est un animal désespérément
ascensionnel et assermenté à titre
seulement subalterne en ce bas monde.
Mais comment se
colleter avec le temps de l'histoire en
ce début du IIIe millénaire, comment
conduire à bon port la barque de saint
Pierre si le rêve d'une alliance de la
foi avec la justice gît dans les
décombres de Gaza où, une fois de plus,
Israël donne rendez-vous à la guerre
multimillénaire de l'humanité entre la
Lettre et l'Esprit?
6 - Le
polythéisme larvé de M. Barack Obama
Le pape François
est descendu résolument et sans attendre
dans l'arène instable de la politique
mondiale, mais nullement aux côtés d'un
Dieu des chrétiens redevenu explosif et
dont la dynamite reste entièrement à
faire débarquer sur la terre. Ce pape
s'est présenté aux côtés des légions
traditionnelles de ses Jésuites au
garde-à-vous et de quatre-vingts de ses
ambassadeurs de choc; et il s'est bien
gardé d'invoquer la voix irénique de la
religion du Golgotha, mais exclusivement
celle de la raison politique en armes et
de la sagesse diplomatique la plus
aguerrie.
Pourquoi a-t-il
néanmoins appelé les nations civilisées
à demeurer dans leurs casernes au lieu
de se ruer l'arme au poing sur la Syrie?
Pourquoi les revues bien affûtées de la
Compagnie de Jésus ont-elles diffusé sur
les cinq continents un message
exclusivement ancré dans la logique de
la civilisation du droit international?
Certes, le pape François a rudement
admonesté la France des Lettres, des
arts et de la pensée rationnelle, donc
de la santé mentale d'ici-bas. Mais où
avait-il caché le Dieu en gésine qui
alimentera la planète du feu et de la
fournaise de la vie spirituelle de
demain?
Décidément, se
disait le Saint Père, notre pauvre
espèce ne saurait demeurer plus
longtemps l'otage de son double
orphelinat, celui de ses sciences
exactes, d'un côté, dont les fiers
travaux ne l'ont conduite à aucun éclat
des âmes et à aucun resplendissement des
intelligences contemplatives et, de
l'autre, au veuvage des Eglises, dont le
dessèchement dans les routines du culte
et dans l'exténuation des catéchèses
étalent la ruine spirituelle de tous les
sacerdoces.
Et puis, le
rendez-vous du siècle avec les lois
sauvages du temporel se révèlent plus
universelles et plus féroces que jamais:
il a fallu réhabiliter en toute hâte une
théologie squelettique de la sauvagerie
de la "guerre juste", mais au détriment
des oriflammes des "guerres justes"
d'autrefois, qui se trouvaient si
effrontément qualifiées de "saintes",
parce que le ciel du bon sens rendrait
burlesque, hélas, une religion dont le
pacifisme oratoire proclamerait
hérétique d'arrêter la marche des
coupeurs de têtes en Irak. Mais si,
quelques siècles auparavant, les
Vandales, les Burgondes, les Wisigoths,
avaient envahi l'Europe, c'était, selon
saint Augustin, parce que le Zeus de Job
et celui des chrétiens voulaient
démontrer d'un commun accord à leurs
frêles créatures qu'ils n'avaient en
rien à se préoccuper des sanglantes
broutilles du temporel. Mais alors,
comment garder intacte parmi les
barbares la barque de la théologie
biphasée des chrétiens?
7 - La dérobade
des intellectuels de la foi
Décidément, si
saint Ignace et saint François d'Assise
se révèlent les génies tutélaires de
l'Eglise romaine, leurs théologies
respectives donnent bien du fil à
retordre au Saint Père. Et pourtant, il
y avait urgence à brandir le glaive de
la foi parmi les infidèles, les
ignorants et les sots, parce que la vie
théologique d'une humanité titubante
avait été confiée à un président des
croyants d'outre-Atlantique tellement
ignorant des affaires de là-haut - donc
également de celles d'ici-bas - qu'il
s'était exclamé: "Aucun Dieu ne
demande l'assassinat des femmes et des
enfants, aucun Dieu ne demande la
décapitation publique des hérétiques",
alors que, dans le même temps, il
appelait le monde entier à suivre le
panache blanc de sa propre sainteté
contre la Russie de Dostoïevski et de
Tolstoï et que son ministre de la
guerre, M. Hagel, proclamait que les
légions en armes de la patrie des Tsars
étaient "aux portes de l'OTAN"!
Washington se rappelait peut-être que,
depuis le Déluge, les trois Dieux
uniques actuellement en exercice
pratiquent jour et nuit l'assassinat de
masse et torturent sans relâche leurs
offenseurs aux enfers. Mais qu'allait
faire la Russie avec ce Dieu-là sur les
bras?
Et puis, le guide
de la démocratie réputée la plus sainte
du monde pouvait-il confesser que les
théologies monothéistes sont à la fois
génocidaires, et fondées sur la sainteté
d'une seule et même justice?
L'incohérence théologique, donc
cérébrale, de la Maison Blanche posait
aux disciples des trois monothéismes des
questions anthropologiques aussi
insolubles que celle-ci: quelle est
l'identité mentale des démiurges
bibliques les plus unifiés et de leurs
créatures les plus pieuses, quelle est
la cohérence cérébrale de l'arianisme de
type démocratique, puisque ce
manichéisme se veut aussi dogmatique et
séraphique que les précédents? Seul
l'absurde serait-il vrai, comme le
soutiennent tant de mystiques et depuis
tant de siècles?
Dans ce cas,
comment s'y retrouver dans le chaos des
démiurgies? Un pape ne peut ni s'en
tenir au credo quia absurdum,
(Je crois, parce que c'est absurde)
ni refuser l'absurde sans rejeter le
mystère et réhabiliter le Démon censé se
cacher dans les recoins de la pensée
logique. Mais alors, Ignace ne cesse de
rappeler au Saint Siège les droits
imprescriptibles qu'exerce un réalisme
politique indispensable, hélas, à la
conduite d'une Eglise installée sur la
terre - et l'absurde devient la godille
des dérobades intellectuelles
multiséculaires de la foi.
*
Le souverain
Pontife reprendra le cours de sa
réflexion la semaine prochaine. Il se
demandera notamment si le Dieu du
simianthrope actuel se trouve placé à la
hauteur des questions métazoologiques
que la démocratie mondiale pose à la
théologie chrétienne. Faut-il changer de
divinité ou retrouver le vrai Dieu sous
les loques du Dieu de Washington?
Post Scriptum
J'écrivais le 25
juillet:
"A partir de cette date, et
compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la
langue française que si le Président de
la République et le Premier Ministre se
voient nommément mis en cause, je
relèverai quelques-unes de leurs fautes."
- 1 - M. Valls dit:
La France a procédé à des économies
conséquentes. On dit: La France a
procédé à des économies importantes.
- 2 - M. Hollande
confond cesser et arrêter:
on arrête une force matérielle, on cesse
de se livrer à telle ou telle activité.
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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