Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
Du tartuffisme sacerdotal au tartuffisme
judiciaire
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 31 mars 2017
De tous temps, en
tous lieux et sous tous les régimes,
l'appareil judiciaire s'est mis au
service de l'Etat du moment. Monarchique
sous la monarchie, louis-philippard sous
la Restauration, anti-dreyfusard du
temps de l'affaire Dreyfus, ennemi de la
Commune à l'heure des "Communards",
unanime dans son sermon d'obéissance à
Vichy. La spécificité du tartuffisme
judiciaire d'aujourd'hui tient au fait
qu'il intervient directement dans la
volonté de porter à l'Elysée un jeune
homme de trente-huit ans, introduit par
Jacques Attali dans le groupe
Rothschild, où il a exercé la fonction
centrale de banquier d'investissement,
autrement dit, de banquier d'affaires.
La fortune totale
du groupe Rothschild est estimée à
quelque cent cinquante millions de
milliards de dollars. J'ai bien dit cent
cinquante millions de milliards de
dollars, c'est-à-dire quinze suivi de
seize zéros. C'est rappeler que ce
groupe est le vrai maître du marché
français, européen et même mondial. A ce
titre, il est devenu l'actionnaire
majoritaire de quatre-vingt dix pour
cent des banques centrales de toutes les
nations du globe terrestre.
Si l'on se souvient
que Georges Pompidou, ex-banquier
d'affaires lui aussi du même groupe
Rothschild, avait imposé à la France
l'interdiction d'emprunter à sa banque
centrale et l'avait contrainte à se
donner le "marché" pour créancier
exclusif, on comprend que le paiement
des seuls intérêts de la dette de la
France auprès des banques privées soit
rapidement devenu le tribut ou le bât du
déficit budgétaire annuel de la nation.
Depuis le 3 janvier
1973, date de la loi "Pompidou-
Rothschild" la France a payé plus de
mille cinq cents milliards d'euros
d'intérêts aux banques privées. Le
service de la dette est devenu le budget
le plus considérable du pays: il dépasse
celui de l'éducation nationale et de
tous les autres ministères réunis. Il
représente plus de quarante cinq
milliards d'euros par an pour le seul
paiement des intérêts. Michel Rocard
déclarait en décembre 2012 sur Europe1
que sans cette loi notre dette se
situerait à un niveau "bénin", de
"16 ou 17 % du PIB".
Actuellement, la dette de la France
frôle les cent pour cent de la
production totale de l'année.
Quelle était, en
1973, l'argumentation, sinon conjointe,
du moins parallèle, du groupe Rothschild
et de l'Elysée? Il serait absurde de
soupçonner Georges Pompidou d'avoir fait
passer les seuls intérêts des banques
avant ceux de la France. Georges
Pompidou était un vrai gaulliste et un
érudit. Passionné de grec, quel aurait
été son destin s'il était entré à
l'école normale supérieure dont les
portes lui étaient grandes ouvertes?
Mais il n'a pas renoncé à sa vocation
littéraire: au cours de son mandat il a
publié une anthologie de la poésie
française d'une sûreté de goût
exceptionnelle. Mais, à l'instar des
banquiers du groupe Rothschild, il
savait que tous les Etats sont tentés de
dépenser davantage qu'ils ne gagnent.
Depuis que l'art de
frapper monnaie s'est confondu avec
celui de fabriquer de la monnaie
fiduciaire, la prodigalité des Etats n'a
plus connu de bornes. Du coup, leur
tentation est devenue irrésistible de
vaporiser leurs dettes par l'inflation
afin de rembourser leurs créanciers en
monnaie de singe. Sous l'occupation, le
franc français était demeuré
relativement stable. Mais, sitôt la
guerre terminée, on a vu notre monnaie
se dévaluer sur le modèle des assignats
de la Révolution et ruiner les
épargnants.
En 1958, à l'heure
du retour au pouvoir du Général de
Gaulle, la monnaie française avait perdu
quatre-vingt dix-neuf pour cent de sa
valeur face au franc suisse. En
rétablissant la parité entre le franc
français et le franc suisse et en créant
ce qu'on appelait le franc fort, le
Général de Gaulle était si peu parvenu à
rétablir durablement la parité entre les
deux monnaies sur le marché des changes,
qu'il avait suffi de quelques années
pour retrouver la tradition de la chute
du franc gaulois dans l'abîme. Du temps
où le Premier Ministre de M. Giscard
d'Estaing s'appelait Raymond Barre,
l'inflation française s'élevait à
quatorze pour cent par an.
Aussi Georges
Pompidou croyait-il sincèrement qu'à
contraindre l'Etat à emprunter sur le
marché, il porterait un coup décisif aux
Etats dépensiers. Il se souvenait
surtout de ce qu'entre 1945 et 1958,
plusieurs centaines de milliers de
petits épargnants français avaient été
ruinés par la fonte de la monnaie
nationale et pour avoir souscrit des
emprunts d'Etat qu'on leur disait gagés
par l'or de la banque de France. Et
c'était cette blessure profonde qu'il
fallait tenter, disait-il, de
cicatriser.
Or aujourd'hui, la
banque centrale européenne se trouve
dirigée par M. Draghi, ancien banquier
d'investissement de la banque américaine
Goldman Sachs. Que signifie l'envoi
récent et en avant-garde d'un José
Barroso, ancien Président de la
Commission européenne de Bruxelles, à
titre de caution du caractère soi-disant
européen de la banque, alors que Barroso
n'a jamais été qu'un agent déguisé du
Pentagone et un fidèle exécutant des
volontés de l'empire militaire mondial
qu'on appelle les Etats-Unis?
M. Draghi jette sur
le marché dix-sept milliards d'euros
papier par semaine, sous le prétexte
d'une politique d'investissement, dont
personne n'a vu la couleur.
En réalité, grâce
au fruit de la planche à billets
électronique, le but de l'opération
était, à l'image de ce que font la
Banque d'Angleterre et la Réserve
fédérale américaine, de racheter des
titres obligataires, c'est-à-dire des
bons du Trésor et divers titres
d'entreprises irrécupérables appelés "titres
pourris". M. Draghi espérait par
cette opération à destination des
banques privées, "débloquer les
circuits du crédit", c'est-à-dire
les inciter à se montrer plus dynamiques
dans la distribution de crédits aux
entreprises.
Mais l'objectif des
banques privées est autre. Trop
heureuses de se débarrasser de leurs
titres toxiques, elles se montrent
encore plus frileuses dans l'attribution
de crédits, si bien que le marasme
économique perdure. Les banques, une
fois de plus, sont les seules
bénéficiaires de la politique dite de
quantitave easing (QE), ce que la
langue de Molière traduit par "laxisme
monétaire". Les banques ne sont
intéressées que par leurs propres
bénéfices.
La Suisse, à
laquelle on ne fera pas prendre des
vessies pour des lanternes, a aussitôt
compris que l'histoire de la République
de Weimar allait reprendre son cours, a
décidé sur l'heure de renoncer au taux
de change fixe qu'elle avait accepté
d'établir avec l'euro. Sa monnaie s'est
immédiatement trouvé revalorisée de plus
de vingt pour cent.
On voit quel péril
la banque centrale européenne actuelle
fait courir à l'euro en renforçant
momentanément par contre coup le pouvoir
du dollar sur le plan international:
aussi l'Allemagne est-elle allée jusqu'à
menacer M. Draghi de lui intenter un
procès. Naturellement, cette menace
s'est tout de suite ensablée, parce que
Mme Merkel ne saurait à la fois se
présenter en apôtre de l'américanisation
de l'Europe et en défenderesse de la
solidité de l'euro comme monnaie de
réserve.
L'euro dévalué
rejoint la catastrophe financière
prévisible contre laquelle la loi
Pompidou- Rothschild de 1973 était
censée lutter. Car à l'heure où l'euro
sera devenu une monnaie aussi fictive
que le deutschemark sous la République
de Weimar, à l'heure où l'euro papier
rivalisera, si je puis dire, avec un
dollar papier, tout le monde comprendra
que l'euro se trouvera réduit au rang
des assignats. L'euro aura seulement
permis à tous les grands et petits
commerçants de France et de Navarre de
confondre dans les esprits un euro avec
un franc, ce qui a conduit, par exemple
à augmenter le prix des pommes de terre
de mille trois cents pour cent.
Le mythe d'un euro
fort était censé créer une identité
européenne. Grâce à l'euro surgirait par
miracle une identité commune, donc un
patriotisme européen. Or, déjà l'extrême
gauche allemande descend dans la rue
afin de défendre l'alliance future du
parti avec les identités nationales
renaissantes partout en Europe.
A l'origine, la
double nationalité franco-suisse se
trouvait pratiquement seule en lice,
tellement elle demeurait inoffensive
pour tout le monde. Mais même les petits
pays d'Amérique centrale refusaient
farouchement toute bi-nationalité de
leurs ressortissants. On comprend qu'à
l'heure où des millions d'Algériens et
de Marocains en France et des millions
de Turcs en Allemagne considèrent
seulement la France ou l'Allemagne comme
un ajout secondaire à leur nationalité
originelle, comme l'a rappelé récemment
l'actuelle Ministre de l'éducation
nationale, Mme Vallaud Belkacem, l'unité
psychologique des nations se trouve
pratiquement anéantie. Ainsi, Mme
Vallaud Belkacem a déclaré qu'elle se
sentait marocaine, mais qu'elle était en
France pour faire carrière.
Du reste, M.
Erdogan a déjà appelé les Turcs d'Europe
à porter à cinq enfants au minimum la
fécondité des femmes turques sur le
continent européen afin de modifier la
définition même des identités
nationales.
Le Président Donald
Trump avait rappelé avant son élection,
que l'Europe ne sera jamais une nation,
mais seulement une société anonyme
présidée par un conseil
d'administration, donc livrée à
l'anonymat et à l'irresponsabilité d'une
bureaucratie dépourvue de toute
autonomie politique réelle.
C'est dans ce
contexte que la gigantesque
hallucination collective et la
bénédiction judiciaire de la candidature
à l'élection présidentielle d'un
Emmanuel Macron, ancien élève des
Jésuites, armé d'un slogan digne d'un
gentil scoutisme - "En marche" -
prennent tout leur sens. Car aussi
longtemps que le principe de la présence
militaire éternelle des Etats-Unis en
Europe ira de soi, tout ce théâtre de
pseudo "marcheurs" nous
rappellera l'opéra Aida de
Verdi, dans lequel une troupe piétinante
chante en chœur et à tue-tête: "Marchons,
marchons".
Le 31 mars 2017
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