L'avenir
anthropologique de la psychanalyse
Les rêves
sacrés et
la paralysie des sciences humaines
actuelles
La
postérité politique et philosophique de
Freud
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 27 septembre 2014
"Interroger
les grands philosophes, c'est
transformer les questions qu'on leur
pose en instruments d'approfondissement
de la connaissance du genre humain."
Jaspers
|
1 - M. Jean-Claude Juncker et la
postérité politique de Freud
2 - La dichotomie cérébrale de
Dieu
3 - Les étapes de la postérité
scientifique de Freud
4 - La psychanalyse et ses
magiciens
5 - Freud dans l'histoire de la
philosophie
6 - L'inconscient théologique de
l'atlantisme
7 - Un parallélisme entre deux
orthodoxies
8 - Où le " réel " se cache-t-il
?
9 - La pesée de "Dieu"
10 - Un conte russe
Post scriptum
|
1 - M.
Jean-Claude Juncker et la postérité
politique de Freud
Profitant de la
pause estivale, j'ai laissé en ligne un
mois durant les deux articles que j'ai
intitulés Courage, M. Juncker,
de sorte que ces textes sont également
demeurés intégralement présents sur les
divers portails qui me font l'honneur de
diffuser chaque semaine ma modeste
réflexion d'anthropologue et de
psychanalyse de la géopolitique. Il
semble qu'en raison de sa durée , cette
propagation soit venue aux oreilles de
la rédaction du Monde,
puisque, le 11 septembre, l'éditorial du
journal titrait: De l'audace, M.
Juncker, ce qui me donne une
occasion d'autant plus opportune de
soulever la question de la place
décisive que la vraie postérité de Freud
occupera dans la pensée politique de
demain que, de son côté, René Pommier
vient de publier un Freud et
Léonard de Vinci audacieux et
qui fait table rase du pan-sexualisme
freudien (Ed. Kimé, août 2014).
Dans mon appel du
mois de juillet au courage politique de
M. Jean-Claude Juncker, je soulignais la
vaillance avec laquelle le nouveau
Président de la Commission de Bruxelles,
nommé le 27 juin 2014, reconnaît depuis
des années que les îles sont
viscéralement allogènes à leur
absorption dans un Continent même tout
proche de leurs rivages et ne laissent
jamais aliéner leur identité collective
à l'écoute des Sirènes d'une politique
arrimée à la terre ferme. Cette trahison
dissoudrait, pensent-elles, l'autonomie
d'une conscience de soi ancrée dans le
dialogue de leurs gènes et de leurs
neurones avec l'espace marin. Le
Monde ne fait aucune allusion à
cette argumentation psychobiologique -
le quotidien se contente d'adjurer M.
Juncker d' insérer la personnalité
spécifique de l'Angleterre dans
l'Europe, sinon on se verrait contraint,
hélas, de reconnaître l'échec définitif
de l'Union européenne.
Or, ce comportement
n'est compréhensible que dans la
postérité politique et anthropologique
de L'Avenir d'une illusion
de Freud: chacun sait que la théologie
se situe avec persévérance dans la
continuité de Pascal, qui disait que si
Dieu n'existait pas, l'humanité serait
non seulement bien malheureuse, mais
misérable. Comme un tel malheur doit se
trouver exclu a priori, il en
résulte que Dieu existe par nature et
par définition. Le simianthrope abstrait
juge que la nécessité onirique de
là-haut fait la loi ici-bas. Comme
l'escargot porte sa coquille, l'homme
porte sur son dos la cosmologie mythique
qui répond à ses besoins.
Ce type de postulat
permet à la politologie contemporaine de
soutenir que si le concept d'Angleterre
et l'ombre vocale que l'Europe a
déléguée à ses côtés ne demeuraient pas
l'arme au pied, fleur au fusil et
baïonnette au canon dans une Europe qui
n'existe pourtant que cérébralement,
c'en serait fait du Vieux Continent en
chair et en os. On ne se pose nullement
la question de fait. Mais quand bien
même il serait irréfutablement démontré
par la logique d'Euclide et celle
d'Aristote confondues qu'une île ne
saurait conformer ni sa charpente, ni sa
cervelle aux vues d'une Commission
administrative, la difficulté ne sera
pas examinée davantage que celle de
l'existence de Dieu. En revanche, les
hommes politiques de Londres qui se sont
précipités à Edimbourg afin de retenir
l'Ecosse par ses basques savaient fort
bien que l'unité est la clé de
l'identité des nations et que le
morcellement de l'Europe est le rempart
derrière lequel l'insularité anglaise
trouve protection.
2 - La dichotomie
cérébrale de Dieu
René Pommier est un
éminent psychanalyste de la déraison
politique dans laquelle l'Occident s'est
égaré; et, à ce titre, il se situe à
l'avant-garde de la postérité de Freud,
celle qui éclairera toute l'histoire du
cerveau schizoïde du genre simiohumain.
Exemple: notre célèbre essayiste signale
qu'au terme de sa psychanalyse de
Léonard de Vinci, le grand Viennois juge
que son essai est le plus beau de ses
écrits, mais il souligne qu'il n'est
nullement convaincu d'avoir raison.
Freud écrit en effet: "Si mes
déductions devaient faire naître, même
chez des amis et connaisseurs de la
psychanalyse, l'opinion que je n'ai
écrit ici qu'un roman psychanalytique,
je répondrai que moi-même je ne
m'exagère pas la certitude de mes
résultats." (p.104)
Autrement dit,
observe M. Pommier, tout cela est fort
beau, mais il est bien dommage que ce ne
soit pas ressemblant. On retrouve le
même raisonnement para-religieux que
plus haut: l'anthropologie critique, que
j'appelle une méta-zoologie, soutient
que ce type de jugement se reproduit au
cœur de la dichotomie cérébrale de
"Dieu": le souverain biphasé du cosmos
est parfait en ce sens qu' il vous
comble des faveurs imaginaires de la vie
éternelle, mais, en réalité, sa
politique bipolaire fait rôtir
éternellement ses offenseurs dans le
camp de concentration souterrain où il
les précipite par pleines panerées. On
voit, à ce seul exemple du lexique qui
régit un monde bifide, que la politique
de la planète se situe tout entière dans
la fécondité anthropologique de la
postérité politique de Freud, dont le
génie permet désormais de placer toute
la géopolitique sous le regard d'une
science du singe parlant, donc d'une
pesée de l'évolution cérébrale des
évadés partiels de la zoologie.
3 - Les étapes de
la postérité scientifique de Freud
La postérité
philosophique et anthropologique de
Freud en est à la quatrième étape de la
démonstration de la rigueur de sa
logique interne. Elle a débuté en 1939,
quand les néophytes de l'eschatologie et
de la sotériologie marxistes sont
demeurés fidèles à Staline, parce qu'ils
ne voyaient pas l'empire soviétique sous
les traits d'un empire temporel en
expansion, mais comme l'avènement du
royaume de Dieu sur la terre - prophétie
rédemptrice alors enseignée par de
grands spécialistes du salut définitif
du genre humain, tel M. Joliot-Curie,
l'un des pères de la bombe atomique
française, qui en a témoigné à la barre
au cours du procès Kravchenko-Wurmser en
1949.
La deuxième étape
de la béatification marxiste a duré de
1945 à l'invasion de la Hongrie par
l'armée soviétique; mais, en 1953, cette
mythologie rassemblait encore dans les
rues de Paris des dizaines de milliers
de fidèles en larmes à la suite du décès
du "petit père des peuples".
La troisième étape
a été brève: on a vu toute
l'intelligentsia de gauche se ruer à
Pékin où Mao se présentait en sauveur
d'une révolution dite des "cent fleurs".
La quatrième étape
est celle qui salue la nouvelle
révolution des cent fleurs, celle de la
théologie mondiale du mythe de la
Liberté capitaliste, qui permet
désormais à Washington de transporter le
monde entier au royaume des cieux -
celui qui accouche, sous nos yeux
éblouis, du nouveau centre de gravité de
la géopolitique et qui contraint
l'Ukraine de l'Ouest à construire en
toute hâte et avec les milliards qu'elle
n'a pas, une nouvelle ligne Maginot
d'une longueur de deux mille kilomètres
entre l'Ukraine et une Russie censée
présidée par un nouvel Hitler.
De même que Maurice
Thorez et les esprits religieux qui, en
1939, dirigeaient le parti communiste
français en pleine "drôle de guerre"
passaient leurs vacances dans les
somptueuses datchas que Staline mettait
à leur disposition, on voit nos
sotériologues de la démocratie
s'agenouiller devant le veau d'or de la
Liberté dont la statue se dresse
désormais dans le temple de Wall Street.
C'est à l'occasion du basculement de la
psychanalyse scientifique dans une
anthropologie exploratrice de
l'inconscient religieux qui sous-tend
les idéalités de la démocratie mondiale
que la postérité sépulcrale et
ressuscitative de Freud donne à l'auteur
de L'Avenir d'une illusion
une place centrale dans le décryptage de
l'histoire subrepticement évangélisée de
la planète actuelle.
4 - La
psychanalyse et ses magiciens
René Pommier
s'attache - et s'attarde quelque peu - à
faire table rase du pansexualisme
obsessionnel de Freud, alors qu'il ne
subsiste qu'une poignée de freudiens de
la première cuvée. Aujourd'hui, tout le
monde s'amuse des lapsus dans lesquels
trébuche la classe dirigeante mondiale
des démocraties - mais je n'ai jamais
rencontré un quidam qui s'aviserait de
les interpréter à la lumière du complexe
d'Œdipe. On rit à gorge déployée de ce
que les hommes politiques au service du
mythe de la Liberté tombent dans des
contradictions révélatrices de leurs
embarras cérébraux. Mais ces apories
hilarantes brisent sans cesse et
spectaculairement la digue des
conventions et des tabous officiels sur
lesquels repose la Démocratie "en
personne", si je puis ainsi m'exprimer.
Il ne subsiste du
freudisme originel que quelques
diagnostics sûrs et précis dans leur
ordre - mais cette thérapeutique en
lambeaux concerne quelques névroses
obsessionnelles et compulsionnelles
placées depuis belle lurette dans les
herbiers de la nosologie obsolète du
début du XXe siècle. On trouvera, sur
les étagères du même musée des
antiquités freudiennes la croyance en la
nature exclusivement psychologique de
l'homosexualité et du saphisme. René
Pommier a raison de trouver cela plus
que suspect, non point parce que Freud
aurait pu lire Mort à Venise
ou, La Confusion des sentiments
de Stefan Zweig, ou Quinte-Curce, Tacite
et Suétone, mais parce que sa propre
fille était lesbienne et qu'il aurait
été bien embarrassé de la soumettre à sa
psychanalyse.
Mais la postérité
anthropologique et politique de la
psychanalyse de Freud est ailleurs:
l'inventeur du pansexualisme serait
effaré, s'il revenait parmi nous, au
spectacle des filous de la psychanalyse,
devenus des magiciens de l'inconscient
et qui roulent par centaines en Mercedes
ou en Ferrari. Non seulement l'ancien
élève d'un Charcot qui pratiquait
l'hypnose à l'hôpital de la Salpétrière
exigeait qu'on fût médecin pour
pratiquer la psychanalyse, mais il
refusait de soigner les psychoses - Jung
fut le premier à découvrir la source
psychique de quelques psychoses
compulsionnelles. Freud ne soignait une
névrose que si la médecine classique
avait définitivement échoué à guérir les
dérangements cérébraux bénins.
Pour observer le
caractère universel de la postérité
anthropologique, donc politique de la
psychanalyse freudienne, il suffit de
constater que le vent de la rédemption
eschatologique et sotériologique a
soufflé de l'est vers l'ouest jusqu'à la
révolution dite des cent fleurs et,
depuis le triomphe du mythe démocratique
américain, de l'ouest vers l'est. Mais
quelle que soit la direction de la
névrose du sacré, elle répond à une
schizoïdie cérébrale universelle - cette
bête naît scindée par sa propre voix
entre un réel voué à la platitude et un
surréel ensorcelé et livré à des escrocs
du sublime que Freud appelle la
sublimation ou les champignons du
surmoi, Stendhal la cristallisation
amoureuse, Lacan la vie spéculaire de la
conscience narcissique, Breton le
surréalisme, la théologie, la vie
mystique, la République, la
transcendance des droits de l'homme,
Bergson le temps intérieur, etc.
5 - Freud dans
l'histoire de la philosophie
Aussi l'Europe
vassalisée sous le joug de son surmoi
atlantiste, l'Europe dont quelques
anthropologues du narcissisme politique
et du culte des idéalités de type
démocratique commencent de scruter la
psychobiologie religieuse, l'Europe
fière de sa décadence dans la
cristallisation idéologique et de sa
chute dans le rêve politique américain,
cette Europe-là est-elle sur le point de
s'éveiller à la lumière du génie
politique de Freud, et cela dans une
optique enfin devenue prospective. C'est
précisément à une pesée des cerveaux
sublimés dans le spéculaire que René
Pommier s'intéresse en passionné de la
littérature et de la musique. "Le
mystère de Léonard de Vinci, écrit-il,
est celui de tous les génies: il est né
avec un cerveau doté de possibilités
très exceptionnelles." (p.106)
Car l'œuvre de
l'homme de génie peut paraître ne pas
laisser pierre sur pierre aux yeux de
ses contemporains, et cela précisément
parce que la vocation de visionnaires et
de vigies dont s'alimentent les cerveaux
sommitaux les conduit à féconder
l'avenir de l'intelligence de la bête.
Il ne reste rien de la physique
d'Aristote, qui porte le fardeau ou le
bât du mythe platonicien de l'être. On
sait que cette mythologie du langage a
longtemps permis à la métaphysique
chrétienne de se donner un substitut de
Dieu emprunté à Platon et à la grammaire
du grec classique et que cette vapeur a
été reprise par Plotin pour ressurgir
chez Heidegger après un transit par
Husserl: le grec substantifie des
concepts et chosifie des abstractions.
Cette langue dit "le géométrique", "le
géographique", "l'économique",
"l'existentiel", "le philosophique",
etc.
Mais Aristote a
fondé la physique en tant que discipline
autonome - et sa postérité véritable n'a
ressurgi que par le relais de l'islam,
puis de la Renaissance; mais Thomas
d'Aquin tentait déjà de concilier le
mythe de la transsubtantiation
eucharistique avec la physique
d'Aristote. De même, il ne restera rien
du pansexualisme freudien, mais son
génie a rouvert la voie à la
psychanalyse de la politique et de
l'histoire, dont le germe se trouve chez
Platon - on sait que l'auteur de
La République s'est demandé
pourquoi il n'existera jamais de science
du singulier et pourquoi le discours
conceptualisé n'enfante que des spectres
et des fantômes du langage - cette
découverte nourrira toute la philosophie
du Moyen-Age, puis, à partir d'Abélard,
tous les existentialismes tant religieux
que laïcs.
Car, de nos jours
encore, la philosophie de la
connaissance rationnelle n'a pas résolu
l'aporie qui a scindé la théologie entre
les nominalistes et les "réalistes" qui
se disaient tels parce que le concept
d'homme, pensaient-ils, présentait plus
de réalité physique que l'individu
Socrate à leurs yeux d'enfants. Mais
Freud fut le premier philosophe de
l'inconscient infantile à comprendre que
le simianthrope crypté mythifie les
verdicts du vocabulaire abstrait et
algébrique par nature que sécrète sa
parole, ce qui suffit à brancher la
postérité scientifique et philosophique
du grand Viennois sur l'avenir de la
pesée moderne de l'évolution cérébrale
de l'espèce parlante.
6 - L'inconscient
théologique de l'atlantisme
Pour comprendre le
branchement de la raison semi-animale
sur les oracles du concept, donc sur une
sacralisation du langage universalisant,
vous remarquerez que l'atlantisme se
fonde sur les mêmes naïvetés
philosophiques que celles des reales
du Moyen-Age et sur des perversions
messianiques de l'abstrait fondées sur
une scolastique des idéalités proclamées
rédemptrices, donc copiée sur la
sophistique des sorbonagres de Rabelais:
le collabo atlantiste commence par
rétrécir fallacieusement la plateforme
de la raison sur laquelle la vraie
question se trouve posée à la
politologie mondiale, à savoir,
l'hégémonie planétaire de l'empire
américain, dont l'étalage devrait lui
crever les yeux. Puis il affecte de
peser le pour et le contre
à partir du rétrécissement préalable du
dossier auquel il vient de procéder. Il
lui faut recourir à une assise
préfaussée et artificiellement rabougrie
pour donner son élan à sa paroisse -
celle de la démocratie spécularisée par
le mythe américain du salut politique et
fétichisée dans un imaginaire politique
pré-vassalisé par son propre narcissisme
langagier.
C'est ainsi que la
logique amputée et scolarisée dont
témoigne la problématique sous-jacente à
l'article du Monde cité
plus haut se garde rien d'évoquer la
question réelle de l'occupation censée
surréelle de l'Europe par cinq
cents bases militaires américaines - et
trois quarts de siècle après la seconde
guerre mondiale. Car le quotidien réduit
sa propre audace politique à
demander à M. Jean-Claude Juncker de se
livrer à des arbitrages de théologien de
Sorbonne concernant le dosage calculable
entre l'austérité budgétaire et les
investissements industriels européens.
L'inconscient politique mis au service
de cette gesticulation verbale permet au
surmoi politique ratatiné des modernes
et à leur rhétorique d'école d'éliminer
la question posée à la conscience claire
pour lui en substituer une sorbonicole -
donc greffée sur une théologie
spéculaire. Il faudra résoudre
"objectivement" la difficulté, dit
Le Monde - mais on ne saurait
comprendre la postérité politique
mondiale de Freud si l'on se garde bien
d'observer au préalable le fondement
narcissique d'une fausse "objectivité",
chargée d'escamoter subrepticement une
dérobade politique - celle qui précède
l'argumentation dans l'inconscient et
qui donne son assiette de substitution à
une mythologie de la démocratie.
Car toute apparence
de réalisme politique place son panier
de fleurs à des hauteurs diverses: une
nation qui n'a plus de vocation
planétaire n'a plus de destin en
altitude et un peuple qui n'a plus de
destin élévatoire n'a plus d'identité
ascensionnelle. Du coup, il se replie
sur une identité collective de village
et il se balkanise. L'homme d'Etat qui
n'a pas de philosophie de la
personnalité respirante des nations n'a
ni envol, ni hiérarchie des valeurs - la
politique et l'histoire ne sont plus ses
interlocuteurs réels. C'est cela, se
tromper de réalité.
7 - Un
parallélisme entre deux orthodoxies
Tout cela nous
ramène au défaussement théologique le
plus originel: en amont, la
cristallisation idéaliste de type
démocratique n'expose pas davantage la
question de l'existence "objective" ou
de l'inexistence d'un Dieu censé
localisable quelque part hors de la
conscience du sujet que les sorbonicoles
de l'atlantisme ne soulèvent en aval
celle de l'existence spatialisée
du souverain américain dont ils dressent
la statue dans leur tête. De même que la
dérobade religieuse s'interroge
seulement sur les droits civiques
étriqués et les devoirs considérables de
la créature à l'égard de son créateur,
mais nullement sur la nature de
l'identité politique de ce dernier dans
leur esprit, Le Monde ne
s'interroge que sur la pertinence de ses
tâches confessionnelles à l'égard d'un
Washington, dont l'existence va de soi,
puisqu'elle ressortit aux promesses
théologiques du mythe de la Liberté - ce
qui suffira à fonder sa légitimité dans
les esprits sur celle du nouveau royaume
des grâces qu'on appelle la démocratie -
et cela de manière aussi évidente et
incontournable que la théologie
présuppose l'existence en soi d'un
créateur généreux du cosmos.
On remarquera le
parallélisme entre le réseau d'interdits
qu'enserre la théologie et le tissu des
censures qu'impose l'atlantisme. Les
deux encagements refusent tout débat sur
les questions de fond - cent tabous
soustraits d'autorité à tout examen
cernent le territoire du permis et du
défendu au sein des deux orthodoxies -
ici la pesée du contenu psychique du
mythe de la naissance virginale, là
toute pesée de l'inconscient qui
sous-tend le vocabulaire doctrinal de la
Liberté américaine. Silence sur
l'appareil pénitentiaire de la divinité,
silence sur les châtiments censés punir
les "péchés" de la Russie, silence sur
les apanages et les prérogatives d'un
sacerdoce bimillénaire, silence sur les
privilèges des clergés du langage
démocratique, silence sur le poids du
discours ritualisé et centralisé du
Saint Siège, silence sur la fonction
ecclésiale du pontificat américain de la
Liberté, etc., etc.
8 - Où le " réel
" se cache-t-il ?
Le général Marmont
raconte dans ses Mémoires
comment le peuple espagnol n'a pas cru
un instant que Napoléon occupait
l'Espagne réelle, donc idéale, comme le
Général de Gaulle n'a pas imaginé une
seconde que l'armée allemande occupait
la France véritable et que le
gouvernement de Vichy existait sur les
planches d'un droit international qui
aurait légitimé un théâtre de
marionnettes. La question de la
définition des acteurs tantôt réels et
tantôt irréels qu'on voit figurer sur la
scène du monde pose donc la question du
statut de l'imaginaire en politique:
l'atlantiste ne se demande pas davantage
quelle France se déplace sous ses yeux
et quel sera le poids de notre nation
dans le monde physique de demain si les
Etats-Unis devaient triompher
mécaniquement de la Russie que Pierre
Laval ne s'interrogeait sur le sort de
l'hexagone après une victoire définitive
de l'Allemagne militaire sur la IIIe
République. Mais Socrate ne riait-il pas
du Criton éploré, qui s'imaginait, le
pauvre, que c'était le vrai Socrate
qu'on allait porter en terre et sous ses
yeux, alors que c'était une métaphore
qui seule donnait au philosophe son
identité véritable - l'abeille,
disait-il, emportait son miel.
L'homme politique
digne de ce nom est une abeille. A ce
titre, il ne se préoccupe que du sort de
son pays réel et il qualifie de
réel un pays transcendantal et
indestructible. Quand Freud fonde la
psychanalyse politique sur l'individu
réel, il le fait en nominaliste,
parce que la psychanalyse réelle est
porteuse de l'avenir " socratique " de
l'intelligence et de la conscience.
Le débarquement de
la postérité vivante de Freud dans la
psychanalyse respirante des XXe et XXIe
siècles se cache dans la connaissance
anthropologique de la vassalisation
parareligieuse - donc idéaliste - de
type démocratique; et ce
débarquement-là, relève de la postérité
planétaire de L'Avenir d'une
illusion, publié en allemand en
de 1926 et traduit en français par la
princesse Marie Bonaparte en 1932. A ce
titre, Freud est le visionnaire d'un
continent de la connaissance
scientifique, celui de l'inconscient en
tant que tel, le Christophe Colomb qui a
fait débarquer le surréel et le
souterrain de la politique et de
l'histoire dans la postérité de Socrate.
Mais on voit
également qu' aux yeux de ses biographes
"réalistes", l'existence spécifique de
l'homme de génie n'a pas d'avantage de
réalité que celle de Socrate qui se
promenait en chair et en os dans les
rues de sa ville. Quant à Aristote, on
sait qu'il quitta Athènes pour se
réfugier auprès de Philippe de
Macédoine, l'ennemi de sa patrie, dont
il éduqua le fils, un certain Alexandre,
afin de ne pas subir, disait-il, le même
sort que Socrate. Les hommes de génie
sont de la trempe qui permet à leur
postérité de les rendre germinatifs. Le
Jésus réel est le fruit de vingt siècles
de réflexion philosophique, morale et
théologique sur l'homme ascensionnel,
mais le prophète des chrétiens ne
pouvait comprendre le sens que la lettre
de ses dires prendrait aux yeux de sa
postérité sommitale. La vraie
philosophie est celle qui inspire la
vraie postérité de Socrate, comme la
psychanalyse vivante est la postérité
respirante de Freud. Il n'y a que les
Criton pour croire à la réalité des
cadavres, il n'y a que les atlantistes
pour s'imaginer que l'Europe réelle
serait la dépouille mortuaire qu'ils
s'attachent à embaumer et à couvrir du
linceul d'une scolastique de la
démocratie.
9 - La pesée de "
Dieu "
C'est également
dans cette optique "socratique" que le
continent de l'inconscient s'ouvre à la
pesée de la sauvagerie et de la férocité
des dieux à rotissoires: la postérité de
Freud introduit au scannage du
génocidaire du déluge et à la
radiographie politique du tortionnaire
enragé des enfers. Freud branche
l'éthique de la connaissance
scientifique des religions sur une
anthropologie de la putréfaction du Dieu
des animaux. De même qu'Aristote se
situe à l'origine de la physique
moderne, Freud se plante à la croisée
des chemins entre l'humanisme
qu'habitait une divinité punitive et
celui d'une psychanalyse "spirituelle"
du monothéisme primitif. La connaissance
anthropologique du sauvage divinisé est
en vue - la psychanalyse de Freud ouvre
le "connais-toi" à la connaissance du
Dieu sauvage que l'homme est à lui-même.
A ce titre, René
Pommier l'ascensionnel est un précurseur
de la connaissance rationnelle et en
devenir, tant des potentialités des
hommes de génie que de leurs relations
avec la logique interne qui commande
leur destin posthume, celui auquel la
transcendance innée de leur intelligence
est promise. Certes, il s'embarrasse
quelquefois dans les apories de la
critique universitaire de l'agrégé de
Lettres classiques. On sait que cette
méthode observe ce qui est écrit noir
sur blanc, puis en soumet la lettre aux
verdicts d'une raison placée sous
l'autorité exclusive et censée
infaillible du tribunal du sens commun.
Les cervelles qui,
comme dit Jaspers n'ont pas rédigé une
seule ligne, mais ont "donné la
mesure de l'humain" - Jésus,
Socrate, le Bouddha, Confucius - ne se
promènent pas sur ce chemin. Mais
Descartes raconte le rêve qui a
déclenché le Discours de la
méthode dans sa tête et qui a
conduit sa postérité en direction de la
vraie question, celle qui se cachait
sous le vêtement trompeur du "Je pense,
donc je suis". De siècle en siècle la
face cachée du songe apparaît aux yeux
de la philosophie de l'inconscient: car
la véritable interrogation était
celle-ci: "Qu'est-ce que penser? Qui
es-tu quand tu penses?" Autrement dit,
qu'en est-il de la bête prématurée dont
la semi-animalité s'imagine réflexive
avant l'heure? Un siècle et demi plus
tard, Kant se demandera: "Comment se
fait-il que ma cervelle fonctionne sur
des catégories a priori de mon
entendement? Qu'en est-il de la machine
cérébrale qui ne produit que des pièces
empaquetées d'avance dans une logique
des phénomènes? Comment le "sens
rationnel" du monde est-il préconstruit
dans ma tête?"
Voilà la postérité
que Descartes et Freud se partagent,
celle qui raconte l'histoire cachée du
cogito européen. Car, depuis lors, le
sens commun a fait naufrage dans la
relativité générale d'Einstein, l'espace
et le temps ont conclu une alliance
incompréhensible et instable, les
clepsydres d'Aristote ont cessé de
mesurer le mouvement dans le cosmos - et
le Dieu de Copernic ou de Galilée est
devenu un personnage onirique égaré dans
le vide de l'éternité. Comment faire
rêver demain la bête à laquelle Freud a
enseigné à déconstruire ses songes
sacrés et qui s'est donné dans le cosmos
un tueur à son image? Qui suis-je dans
ce miroir? Comment se fait-il que je me
sois construit ce Dieu-là et non un
autre?
10 - Un conte
russe
Décidément, la
postérité des hommes de génie se met à
l'écoute d'une histoire russe qui
raconte: "Si tu vas à droite, tu
survis, mais tu perds ton cheval et si
tu vas à gauche tu meurs, mais tu gardes
ton coursier". Autrement dit, si tu
conserves ton fer de lance le grain que
tu auras semé lèvera et ta postérité
engrangera tes moissons. Mais sache que
la monture de ton temps n'est pas celle
de ta postérité.
Servi par une
rigueur intellectuelle hors du commun,
René Pommier sait que depuis Platon,
penser est un sport de combat et que si
la métaphore, la parabole ou l'allégorie
ne venaient pas au rendez-vous de la
guerre du sens, il n'y aurait pas
d'humanité en devenir. Voyez comme le
symbolique se place à la racine du
décryptage anthropologique du sens
commun: la bête découvre que le
répétitif est prévisible et que le
prophétisable se révèle profitable -
elle proclame donc intelligible en soi
ce qui lui réussit. Mais cette
logique-là est animale: Montaigne l'a
observée chez le renard et Rabelais
l'appelle Messire Gaster.
Le conte russe
raconte que l'homme de génie meurt
plutôt que de perdre sa cavalerie. En ce
sens, la psychanalyse de la politique
simiohumaine démasque l'erreur qui fait
trébucher la raison de la bête: elle
croit que le profitable dit le vrai,
alors qu'il est suicidaire sur le long
terme. C'est précisément à ce titre que
la postérité de René Pommier va au
fondement de l'erreur abyssale, celle
qui conduit à la connaissance
anthropologique du tartuffisme
simiohumain. Lisez Etudes sur le
Tartuffe (Sedes, 1994 réédition
Eurodif 2005): René Pommier y étudie le
héros de Molière en
psychanalyste-anthropologue du
tartuffisme politique et religieux
étroitement confondus. Quel décodeur que
l'auteur de Assez décodé!
Mais ce décodeur-là nous dit que le
monde est plein de petits serruriers qui
introduisent leur clé microscopique dans
la gigantesque serrure qu'on appelle
l'histoire, puis qui vous disent que le
cosmos n'a pas de serrure.
René Pommier se
veut le Descartes qui a jeté à la
ferraille tout le fatras de la
métaphysique verbifique du Moyen-Age
pour nous demander: " Et maintenant, qui
es-tu?"
Post Scriptum
J'écrivais le 25
juillet:
"A partir de cette date, et
compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la
langue française que si le Président de
la République et le Premier Ministre se
voient nommément mis en cause, je
relèverai quelques-unes de leurs fautes."
- 1 - M. Valls
ignore qu'on ne dit pas ceci dit,
mais cela dit.
- 2 - M. Hollande
ignore qu'on ne dit pas il faut mieux,
mais il vaut mieux.
Reçu de l'auteur pour publication
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