Qu'est-ce que
philosopher
La déraison du monde
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 25 avril 2014
|
1 - Le
niveau culturel de l'élite
politique des démocraties
2 - Comment Athènes pensait-elle
de travers ?
3 - De quelle raison
l'expérience apporte-t-elle la
preuve ?
4 - La cécité de la raison
moderne
5 - Qu'est-ce qu'un philosophe ?
6 - Le naufrage de la raison
laïque
7 - La régression de la raison
démocratique
8 - La scolastique de la
vassalité
9 - L'inconscient théologique de
la géopolitique moderne
10 - Un trou de serrure
11 - Les Prodicos de la
démocratie
12 - Le bûcheron d'Isaïe
|
1 - Le niveau
culturel de l'élite politique des
démocraties
La conque osseuse
qui couronne les classes dirigeantes de
la civilisation des droits de l'homme
est-elle devenue dramatiquement infirme?
Soulever la question de la qualité de la
tiare cérébrale des élites en des termes
aussi irrespectueux semble renvoyer à
une polémique superficielle, donc vaine,
alors que la question de la pesée du
crâne des démocraties occidentales se
trouve vigoureusement posée au monde
entier depuis le 16 janvier 1872, date
de la première des six conférences qu'un
professeur de grec nommé à l'Université
de Bâle en 1869, un certain Frédéric
Nietzsche, tint à ses "honorables
auditeurs" de la "Société
académique" de la ville. Car ces
conférences iconoclastes, intitulées
Sur l'avenir de nos institutions
culturelles ne concernaient que
par malentendu toute l'éducation
nationale allemande. Il s'agissait
seulement de l'essentiel, à savoir de
l'initiation de la jeunesse
universitaire à l'esprit des grands
fécondateurs de la raison du monde.
Depuis lors, nous
avons appris que l'apprentissage des
rudiments de la pensée rationnelle est
une entreprise périlleuse aux yeux de
tous les Etats d'hier et d'aujourd'hui
et qu'au XXIe siècle encore, les écoles
anglo-saxonnes n'enseignent la
philosophie que dans les Universités -
les bacheliers anglais de notre temps
n'ont jamais seulement entendu prononcer
les noms de Platon, de Descartes ou de
Kant.
Quant à la France,
elle n'a pas tardé à réduire les
ambitions de la philosophie sommitale à
l'exercice de la disputatio
d'usage dans les facultés de théologie
du Moyen-âge - les Socrate salariés de
la République ont été rendus aussi
respectueux à l'égard du pouvoir
temporel qu'autrefois à l'égard de la
monarchie de droit divin. Ecoutez-les
vous exposer du bout des lèvres le pour
et le contre de thèses rabâchées depuis
des générations: le service public
invite ses serviteurs à sa table. Il
leur demande de formuler une synthèse
toujours optimisante et censée couronner
un débat roboratif, ce qui exclut
d'avance l'analyse des englobants
anthropologiques qui enchâssent les
savoirs officiels. Les présupposés sont
systématiquement soustraits à l'examen.
Comme dans la théologie, il serait
sacrilège d'étaler à tous les regards
les prémisses de la connaissance
scientifique.
2 - Comment
Athènes pensait-elle de travers ?
Et pourtant,
Socrate observait qu'Athènes et les
Athéniens pensaient de travers; et
Nietzsche nous enseigne que tout le XXIe
siècle illustrera la distanciation
nouvelle de la raison que le monde
attend de la philosophie moderne. Car,
pour la première fois depuis la chute du
monde antique, la mise en doute de la
valeur de l'éducation officielle de la
jeunesse au sein des Etats censés être
devenus rationnels ne concerne plus la
critique, réputée obsolète, de la
formation religieuse des populations,
mais la critique de la pensée
insuffisamment scientifique, ce qui
exige l'initiation de la jeunesse
studieuse à une rationalité du savoir
plus profonde que la précédente.
Mais quelle est la
nature du recul nouveau de
l'intelligence? Nietzsche nous rappelle
que les faits ne sont nullement rendus
rationnels par le constat de leur
existence et par la vérification qu'ils
sont bien là, parce que le rationnel est
un signifiant. Comment rendre
signifiant un monde muet par nature
et par définition, comment faire tenir
un discours de l'intelligence à la
nature si tous les signifiants du monde
renvoient à l'humain? Comment la nature
va-t-elle nous adresser une parole qui
serait la sienne? Est-il possible de
spectrographier à son tour la
distanciation supérieure qui caractérise
la philosophie si, en tant que tels, les
signifiants ne sauraient s'incarner?
3 - De quelle
raison l'expérience apporte-t-elle la
preuve ?
La pédagogie
religieuse se voulait et se savait de
type précautionneusement dogmatique et
doctrinal. Mais maintenant, seule la
pesée d'un échiquier mental encore à
conquérir conduira l'humanité à
soumettre la notion toujours provisoire
de raison à l'examen. Car, depuis des
siècles, les sots évadés de la zoologie
se sont naïvement ahanés à se construire
une balance capable de peser leur
embryon de pensée - mais celle-ci est
demeurée obstinément semi-animale.
Du coup, la vraie
difficulté philosophique sera de
conquérir les instruments de la
réflexion critique transscolaire qui
autorisera la pensée socratique, donc
suspensive, à déposer l'entendement
simiohumain d'hier et d'aujourd'hui sur
les plateaux d'un appareil de pesée des
signifiants aussi insultant à l'égard de
l'université laïque actuelle qu'à
l'égard de la Sorbonne de Rabelais. Car,
votre éducation nationale se trouve
fatalement ligotée à l'Etat démocratique
par des liens étroitement calqués sur
ceux des théocraties.
Mais si les Etats
mal émancipés des présupposés de la
logique interne qui pilotait les "cités
de Dieu", si les Etats républicains,
dis-je, rencontrent des obstacles
infiniment plus difficiles à franchir
que ceux dont les tâtonnements des
cosmologies mythiques des peuples
sous-développés illustraient les
apories, quels vices inconnus
faudra-t-il apprendre à détecter? Ceux
qui infectaient l'encéphale des siècles
écoulés rongeraient-ils désormais
l'enseignement officialisé d'une "reine
des sciences" tombée derechef dans une
scolastique cancérigène? Car, pour la
première fois dans l'histoire du monde,
ce n'est plus une théologie gangrenée,
mais la science expérimentale elle-même
qu'il faudra soumettre à la critique,
tellement les faux triomphes de la
raison classique souffrent des carences
épistémologiques d'un second Moyen-Age.
L'expérience prononcerait-elle des
signifiants tout autres que ceux que les
savants prétendent leur faire énoncer?
4 - La cécité de
la raison moderne
Observez de plus
près les comportements prétendument
rationnels qu'affichent les élites
cérébrales censées gouverner les
démocraties "avancées". Elles souffrent
visiblement des maux désormais sécrétés
par une pensée laïque truffée des mêmes
présupposés qui cancérisaient la
théologie essoufflée du Moyen-Age, ce
que Nietzsche proclamait par la bouche
de son prophète, un certain
Zarathoustra. On sait que ce héros de la
pensée vivante dénonçait, il y a près
d'un siècle et demi, une maladie de
l'esprit liée à la chute des théologies
dans une scolastique pourrissante. Or
cette nosologie se révèle précisément de
nature à nous renvoyer aux enseignements
de l'anthropologie abyssale dont
s'inspirait la médecine des grands
mystiques. Car, dit Zarathoustra, les
prophètes parlent "pour tous et pour
personne". Comment allons-nous
tenter de décrypter le type de
pathologie dont souffrent les
descendants actuels d'un quadrumane à
fourrure?
On sait que la
nature ne les a détoisonnés que depuis
quelque cent mille ans et que nos
psychanalystes des putréfactions, à
commencer Karl Gustav Jung, ont échoué à
descendre dans l'abîme de la mystique du
Zarathoustra de Nietzsche. Car une
universalité de type laïc a remplacé
l'universalité de type théologique.
Toutes deux seraient-elles de pacotille?
Quand le Président Hollande universalise
des abstractions pseudo séraphiques,
quand Ségolène Royal croit que les
Suédois ou les Iraniens sont des
Français vocalisés à l'école d'une autre
langue que la nôtre, quand les Tziganes
passent pour des pauvres sur lesquels
étendre le manteau d'un évangélisme de
confection, c'est toujours et partout le
regard d'une raison auréolée par des
concepts décorporés qui se porte sur les
évadés partiels de la zoologie et qui
rend quadriplégique la pensée soi-disant
rationnelle des démocraties modernes -
et cela précisément à l'image de
l'entendement infirme d'un mythe de la
Liberté étranger au génie prospectif des
grands mystiques.
5 - Qu'est-ce
qu'un philosophe ?
Nietzsche demandait
froidement à la jeunesse allemande de
1872 si les professeurs de philosophie
de son pays méritaient le titre de
philosophes, alors qu'ils l'ont reçu des
mains des Etats qui les paient ou si la
tournure d'esprit des fonctionnaires de
la pensée est incompatible avec l'audace
à couper le souffle de la haute
discipline trans-confessionnelle qu'on
appelle la philosophie. J'ai déjà
dit que, depuis Nietzsche, cette
discipline se montre ambitieuse de peser
la valeur non plus seulement d'une
vulgate chrétienne périmée, mais de la
pauvreté d'une raison tremblante de peur
et péniblement élaborée au cours des
millénaires par un animal en évolution,
donc inachevé par définition et qui ne
découvre ses carences cérébrales qu'avec
une grande lenteur.
Du coup, une
question digne de la théologie mystique
se réintroduit dans le débat; car si
l'on sait, depuis le Théétète de Platon,
que Socrate renvoyait au sophiste
Prodicos les jeunes gens dont l'âme
n'était "grosse de rien", la
question de l'élévation ou de la
putréfaction des âmes retrouve toute sa
place dans une philosophie digne de ce
nom; et il faut se demander en quoi les
grands mystiques détenaient, sans s'en
douter, les secrets d'un enseignement
ascensionnel. Quel était-il et comment
le dispensera-t-on aux philosophes de la
raison laïque?
Car enfin, comment
Nietzsche a-t-il ridiculisé David
Strauss, un théologien protestant dont
la Vie de Jésus, publiée
en 1835 avait partiellement inspiré son
Jésus à Renan et qui avait
donc pris près de trois décennies
d'avance sur son temps? Et pourtant, le
Nietzsche des Considérations
inactuelles de 1873 ne saluait
le Nazaréen ni au nom de la mythologie
ecclésiale des catholiques, ni au nom de
la philosophie hégélienne de David
Strauss, mais déjà à l'école de son
futur Zarathoustra,
c'est-à-dire au nom de la transcendance
dont seuls bénéficient les vrais "sujets
de conscience". On les appelle des
prophètes. Ceux-là parlent "pour
personne", avec des mots que le
monde entier croit comprendre.
Mais si les
mystiques réfutent d'une seule voix la "théologie
administrative" des Etats et des
Eglises, comment se fait-il que Husserl
pourfendait la "philosophie
constructiviste"? Qui sont les "constructivistes"
de la raison dont usaient les physiciens
classiques? On sait que ces animaux
miraculés ou ces aveugles-nés
s'imaginaient que la nature serait
rendue rationnelle de seulement se
répéter sans relâche, donc de se rendre
prévisible, c'est-à-dire profitable.
Quelle était la psychophysiologie de la
bête qui sous-tendait une physique
tridimensionnelle et qui rendait
éloquents les calculs que cette
discipline déposait sur ses autels?
Le premier,
Nietzsche a déplacé l'échiquier
inconsciemment oraculaire de la pensée
interrogative mondiale. Sa postérité en
fait l'inaugurateur d'une raison dont le
"feu spirituel" jugera ridicule de
réfuter les miracles et les prodiges que
le polythéisme et le christianisme
ecclésial se partageaient, mais
également la sorcellerie qui fait donner
un "sens rationnel" en soi aux redites
du cosmos.
6 - Le naufrage
de la raison laïque
Mais si la raison
des Prodicos de la philosophie se change
en une arme de la platitude d'esprit au
sein des universités et de leur
sophistique, comment, encore une fois,
initier la jeunesse étudiante aux
ascensions qui transcenderont les
théologies truffées d'images enfantines?
Cent quatorze ans après la mort de
Nietzsche, la question se pose à toute
la classe dirigeante de la planète des
magiciens de la démocratie, tellement le
XXIe siècle souffre des mêmes maux
cérébraux que les théologies
pourrissantes: un rationalisme au petit
pied et qui ignore ses propres
composantes psychiques a seulement
quitté les amphithéâtres des Facultés de
théologie pour débarquer tambour battant
dans une société civile délivrée à trop
peu de frais des missels et des
prie-Dieu. Quels sont les cierges,
l'encens, les ciboires et les goupillons
de l'Eglise de la Liberté?
Car si les plaies
saignantes dont souffrent les deux
enseignements mythiques, celles des
croyances magiques des religions d'une
part et d'autre part, celles qui
affectent les droits attribués à une
raison infirme, si ces plaies ouvertes,
dis-je, sont communes aux deux
pathologies, les démocraties
rationnelles n'étaient-elles pas, de
leur côté, censées, étendre bien
davantage le regard de la pensée sur
tout le genre humain que les théologies
dogmatiques et gestionnaires
d'autrefois? Les oracles que le suffrage
universel allait proférer ne se
promettaient-ils pas de scruter les
secrets de l'animal rationale
avec une hauteur et une pénétration
d'esprit à clouer le bec aux catéchismes
empoussiérés? On s'imaginait que
l'intelligence panoramique et rieuse du
XVIIIe siècle éduquerait des peuples
tout subitement élevés au rang de
souverains dans l'ordre d'une raison
enfin libérée de la superstition ; et
l'infaillibilité du jugement des foules
inspirées pour le ciel de la Liberté
permettrait non seulement aux Etats
éduqués de rivaliser avec la boîte
osseuse autrefois attribuée à un
créateur mythique du cosmos, mais de
surpasser les exploits de la cervelle du
regardant suprême que consultaient les
ancêtres.
7 - La régression
de la raison démocratique
Mais Rousseau avait
aussitôt habillé l'écologie
évangélisante de son temps du bucolisme
théologique d'un vicaire savoyard; et
seul le Voltaire de Candide s'était
révélé un théologien de la finitude
simiohumaine plus abyssal que le
jardinier sommital qui traquait un
pécheur blotti tout tremblant sous les
bosquets de l'Eden et dont Erasme se
moquait déjà dans sa Ratio verae
theologiae (1518).
Puis, peu à peu,
l'intelligentsia des démocraties a
régressé. Dès le milieu du XIXe siècle,
elle est devenue aussi superficielle
qu'une théologie dont la bêche et le
rateau s'appelaient la scolastique. Le
ratatinement du regard de l'intelligence
sur le pommier maléfique de là-haut est
d'autant plus saisissant que l'arbre n'a
pas tardé à étendre ses ramures
feuillues au sein des hautes écoles de
la République.
Prenez l'exemple de
la géopolitique pseudo rationnelle
actuellement enseignée au CNRS, prenez
le repoussoir des sciences politiques
superficielles, donc aveugles qu'on
enseigne de nos jours rue saint
Guillaume. S'il est une discipline qui,
à l'instar de la plus haute théologie
mystique, devrait traiter du parfum de
la liberté et de la puanteur de la
servitude de l'humanité à une profondeur
abyssale, s'il est une science des
odeurs qui devrait plonger son pif dans
l'abîme de la vassalisation actuelle des
nations européennes pourrissantes sous
la poigne de fer d'un maître malodorant
- celui de la pseudo démocratie mondiale
- c'est bel et bien une géopolitique des
hauteurs et des bassesses des évadés de
la zoologie.
8 - La
scolastique de la vassalité
Ce n'est pas
l'appendice nasal d'un diocèse qui
détectera les pestilences de la
politique démocratique de la planète. Et
pourtant, le 17 avril 2014, France-Inter
a demandé à l'organe olfactif d'une
"chercheuse" au CNRS de commenter la
crise ukrainienne. Et qu'a-t-on entendu?
A l'instar de l'enseignement
catéchétique du XVIe siècle, la
prétendue "chercheuse" ignorait, la
pauvresse, que la géopolitique n'est pas
une discipline paroissiale - du moins si
l'on en croit l'étymologie du terme.
Personne ne lui avait appris que cette
science requiert le plus logiquement du
monde la conquête d'un regard plongeant,
donc trans-ecclésial sur l'humanité en
tant que telle.
Notre "chercheuse"
pré-cléricalisée par le mythe de la
Liberté ne traçait que les sentiers qui
lui permettaient de ne pas traiter du
sujet. De plus, elle confondait
allègrement la géopolitique en tant que
science avec la pratique médicale, dont
j'ai déjà souligné dans un texte
précédent (-
Les poulets sacrés de la démocratie,
12 avril 2014 ) qu'elle ressortit
nécessairement à une discipline
panoramique et englobante, mais qu'elle
trouve de grands avantages, et à bon
droit, à tronçonner son cadastre - car
il n'est pas nécessaire, écrivais-je, au
spécialiste du nez et des oreilles de
rivaliser avec le spécialiste du tube
digestif, des poumons ou du cœur.
En revanche,
pourquoi personne n'enseigne-t-il au
CNRS ou rue saint Guillaume que la
géopolitique ne saurait se prétendre une
science de la vassalité ou de la Liberté
des peuples et, dans le même temps,
passer outre au fait qu'il existe deux
cents bases militaires américaines
stationnées en Allemagne - et cela
soixante-dix ans après la paix de 1945 -
et cent trente sept dont les bivouacs
s'éternisent en Italie, puis cinq cents
en Europe, dont le quartier général
américain est campé à Mons? Si la
géopolitique scientifique n'était en
rien concernée par l'offensive
américaine sur l'Ukraine de l'Ouest,
alors il faut que notre système
d'enseignement, comme disait Nietzsche,
commence par définir la notion de
science applicable à telle ou telle
discipline de la connaissance. Ne
faut-il pas exclure par décret de
l'enseignement public les "chercheurs"
et les "chercheuses" dont la fausse
science répand seulement de vaines
fioritures dans le jardinet d'une
idéologie?
9 - L'inconscient
théologique de la géopolitique moderne
Pis encore: comme
il se trouve que les bases militaires
américaines sont censées protéger la
civilisation de la raison contre un
adversaire redoutable, mais tout
imaginaire, il est impossible d'élever
la géopolitique au rang d'une science,
donc d'une connaissance des têtes et des
âmes si vous ne disposez d'aucune
connaissance anthropologique des poumons
et de la respiration du genre humain.
Car cette espèce volète dans la moyenne
ou la basse région de l'atmosphère; et
la politique des idéalités dont elle se
grise entretient des relations étroites
avec la vie religieuse de la bête.
Quelle est la psychobiologie de la piété
qu'illustrent les concepts dévots de la
démocratie? Les voyez-vous traverser à
tire d'ailes le ciel des abstractions
dont le mythe de la Liberté s'auréole?
Nul ne doutait
autrefois de l'existence de Dieu et de
la sagesse de son programme
d'administration et de sauvetage de
l'univers: les Etats et les Eglises ne
peinaient côte à côte que pour aménager
les modalités de la gestion d'un
créateur du cosmos aussi omniscient
qu'omnipotent. Aujourd'hui, nul ne doute
de la droiture d'esprit du nouveau
souverain du monde - il s'agit seulement
de savoir comment son éthique ahane au
gré des temps et des lieux. Pour
l'apprendre, observez que le nouveau
détenteur du sceptre de la délivrance a
expédié en Ukraine trois de ses apôtres,
son ministre des affaires étrangères en
personne, M. John Kerry, puis son
vice-roi, M. Joseph Biden et enfin, sous
un nom d'emprunt, le missionnaire le
plus symbolique de son ciel et de sa
justice, qu'il a placé en sandwich entre
les deux précédents - le chef de sa
Central Intelligence Agency, M. John
Brennan.
On voit que les
infirmités dont souffre l'esprit
simiohumain passent de la chute des
théologies dans la superstition et la
magie à la chute des civilisations
décadentes dans les mêmes maux que les
religions d'école - ceux du
rabougrissement et du ratatinement des
intelligences. Mais les miroirs aux
illusions sont diversement construits.
Comment se fait-il que la science
politique officialisée par
l'enseignement superficiel que
dispensent les Etats laïcs reproduise le
même rétrécissement de l'entendement que
les mythologies sacrées, sinon parce que
les mêmes causes sont à l'œuvre dans les
deux sorcelleries mentales? Partout le "sujet
de conscience" se cache dans une
spécularité de la connaissance qui le
protège du regard que la pensée
philosophique porte sur le tragique et
la solitude de la bête.
10 - Un trou de
serrure
Quand un Président
de la République française dûment élu
par le peuple souverain se permet de
rabrouer la Russie sur le ton d'un
instituteur qui admonesterait un
garçonnet sur le préau de l'école du
village; et quand, deux jours plus tard,
le même porte-parole du peuple de la
raison républicaine s'adressant à des
ouvriers leur confie, sur un ton
bonasse: "L'idée de ce déplacement,
elle est venue d'une visite que j'avais
faite avec le ministre du Redressement
productif au Salon de l'auto. Le
président Senard (PDG de Michelin, NDLR)
m'avait pris… enfin, tout à fait
correctement et avec beaucoup d'égards…
", faut-il se coller l'œil œil au
trou d'une serrure pour rapporter cette
anecdote, à l'exemple du duc de
Saint-Simon, qui racontait les
maitresses du roi Soleil dans ses
Mémoires, ou bien faut-il
déclarer incurable tout citoyen qui ne
jugera pas malade une République dont le
Président élève publiquement une
plaisanterie graveleuse au comique de la
sodomie?
C'est de l'histoire
véritable de la planète de ce siècle que
vous vous êtes offert le spectacle,
tellement la question de fond, celle qui
se pose au même instant, et sur la
planète tout entière, n'est autre que
celle de savoir si le simianthrope
actuel appartient à une espèce
ascensionnelle, stationnaire ou
régressive ou si cet animal en est
réduit à osciller sans relâche entre des
progrès toujours locaux de sa raison et
de longues périodes de dissolution de
ses civilisations.
Si vous doutez
d'assister au déroulement d'un drame
titanesque et visible en tous lieux,
sachez que le même Président a découvert
que le scribe enflammé qui lui avait
rédigé un discours de grand patriote
possède une galerie de chaussures de
luxe qu'il fait cirer et reluire dans
les murs du palais. Mais si votre
penchant naturel vous fait pratiquer le
doute cartésien et si, à l'instar de
l'auteur du Discours de la méthode,
vous vous demandez sérieusement si vous
existez en chair et en os ou si vous
vous trompez sur ce point, soumettez au
banc de l'expérience scientifique les
preuves les plus irréfutables que vous
ne vous réduisez pas à une ombre.
Pour cela, mettez
deux faits avérés sur les plateaux de la
balance à peser la raison du monde.
Avez-vous vu de vos yeux une Ukrainienne
arrêter de la main un char d'assaut
couvert de guerriers en armes, avez-vous
entendu de vos oreilles le chef du "gouvernement"
de Kiev, issu d'un coup d'Etat, déclarer
le lendemain à un peuple de cinquante
millions d'habitants que les soldats
coupables de n'avoir pas écrasé
l'héroïne "passeraient en jugement"
et seraient "sévèrement châtiés"?
Avez-vous vu tout cela par le trou de la
serrure des petits historiographes
d'autrefois ou bien êtes-vous convaincus
que l'histoire réelle de notre astéroïde
se déroule maintenant sous la lentille
du microscope qu'on appelle la raison
démocratique et que cette raison-là
n'est pas celle de Zarathoustra?
11 - Les Prodicos
de la démocratie
Et maintenant, les
quadrumanes détoisonnés que vous savez
se voient assis jour et nuit au balcon
de l'histoire du mythe de la Liberté; et
maintenant la question posée à leur
cervelle est celle de découvrir s'ils
appartiennent à une espèce en ascension
ou en cours de dissolution cérébrale; et
maintenant, les civilisations savent
qu'elles peuvent pourrir des pieds à la
tête en quelques années, mais qu'il leur
est impossible de se transporter plus
loin sur un astéroïde devenu trop petit.
Du coup, le trou de serrure logé dans
les demeures sert de lanterne magique à
tous les simianthropes de la planète; et
cette espèce s'est si bien enfermée dans
l'universalité de son mythe de la
Liberté qu'elle doit se demander quel
est l'avenir d'un animal divisé entre
l'héroïsme de quelques-uns et la
débandade générale. Les évadés de la
zoologie sont-ils à eux-mêmes leur mont
Carmel ou leur pourrissoir?
Décidément, la
laïcité se montre aussi "théologisée" en
sous main que les Prodicos du
christianisme. Mais alors qu'en est-il
du "totalitarisme de l'universel"
qu'évoquait Pierre Bourdieu? Si vous ne
savez pas que l'universel dont il est
question est celui des mots mythifiés à
l'école des broderies de la démocratie
mondiale, si vous ne savez pas comment
le "sujet de conscience"
s'enrubanne d'un langage auréolé, si
vous n'avez pas la rétine sur laquelle
se réfléchit une bête hissée sur le
piédestal de son langage faussement
ascensionnel, si vous n'avez pas l'œil
de Zarathoustra pour apercevoir l'animal
à la recherche de ses dentelles, si vous
ne disposez pas du globe oculaire
nécessaire pour regarder les Etats et
les empires droit dans les yeux, si vous
ne voyez pas le mythe de la Liberté sous
les traits d'un carnassier évadé de la
zoologie et dont les mâchoires se font
une proie de l' "animal rationale",
alors il ne sert de rien que Pierre
Bourdieu vous dise que le monde moderne
est celui du "totalitarisme de
l'universel". Initiez-vous à la parole
des prophètes qui connaissent l'animal
réfléchi dans le miroir qui le flatte.
12 - Le bûcheron
d'Isaïe
Il faut, disait
Nietzsche, initier la jeunesse allemande
à une psychobiologie abyssale, donc
articulée avec une connaissance
anthropologique de la finitude
simiohumaine. Mais, la vraie théologie
n'est-elle pas une spéléologie en avance
sur la cécité des petits philosophes? Le
regard d'Isaïe sur l'idolâtre laisse
encore sur place nos premiers
psychanalystes prospectifs, qui
commencent seulement d'observer la
double vie de la bête oscillante entre
le rêve et le fantastique.
Voyons comment, au
XXe siècle, la classe dirigeante des
"démocraties" dites rationnelles a
sécrété une intelligentsia frappée d'une
cécité hallucinante. Le mythe marxiste
ne reproduisait-il pas fidèlement le
christianisme des utopies voraces du
premier siècle de notre ère? On ne
trouvait plus un seul " intellectuel "
occidental qui ne fût un théologien ivre
de la nouvelle abolition du péché, celle
du capitalisme et de la suppression de
l'instinct satanique de propriété. Puis
l'effondrement de la rédemption
politique marxiste et du chapeautage de
l'univers par un messianisme de
l'abstrait a fait place aux idéalités
gloutonnes de l'atlantisme actuel, dont
vous connaissez la sotériologie et la
catéchèse à seulement écouter
France-Inter. Mais, cette fois-ci, la
cécité volontaire de la géopolitique des
aveugles qu'on enseigne au CNRS ou rue
saint Guillaume reconduit à la lecture
du Traité de la servitude volontaire
de La Boétie. Cette fois-ci, le
bandeau de la vassalité atlantiste est
tellement serré qu'il est impossible de
le retirer des Sorbonne d'aujourd'hui.
Pour comprendre ce
prodige de la servitude cérébrale de la
bête, observez que le mythe théologique
de la transsubstantiation eucharistique
n'était pas moins stupéfactoire que
celui de l'invisibilité béatifiante dont
bénéficie l'empire américain aux yeux
des nouveaux sorbonagres et sorbonicoles
de l'eucharistie démocratique. Mais,
depuis Platon, la philosophie est une
anthropologie critique dont la plongée
dans l'inconscient cérébral de la bête
conduit Socrate à une spéléologie de la
raison embryonnaire du détoisonné des
forêts. A ce titre, cette discipline
s'attache à féconder les relations que
la sottise de cet animal entretient avec
son ignorance - car la sottise enfante
l'ignorance comme le pommier ses pommes,
tandis que l'ignorance présente
l'avantage d'offrir le spectacle des
exercices que la bête dépose sur les
autels de son langage.
Mais, ici encore,
voyez sur quels chemins de la postérité
de Nietzsche la décadence de la raison
des modernes copie les déconfitures de
la théologie du Moyen-Age, voyez
comment, trois siècles après Voltaire,
ces deux disciplines se statufient
ensemble, se minusculisent ensemble,
perdent ensemble leur âme, leur souffle
et leur élan! Mais voyez aussi le regard
de Zarathoustra et celui d'Isaïe se
porter ensemble sur la cervelle du
bûcheron qui se chauffait avec la moitié
du bois qu'il avait ramassé le matin
dans le forêt et qui se taillait, dans
l'après-midi, une idole avec l'autre
moitié de sa récolte. Pourquoi se
prosternait-il devant un objet sorti de
ses propres mains? Si vous voulez
l'apprendre, observez nos agenouillement
devant la statuette que vous avez
taillée et qui est devenue votre maître,
observez vos génuflexions devant le bois
dans lequel vous avez taillé votre
empire de la liberté du monde!
Comment se fait-il
que la théologie agonisante et la raison
émiettée se barricadent ensemble dans le
même champ visuel resserré, celui de
l'esprit de servitude de la bête? Et
pourtant, votre planète d'idolâtres
disparaît tout subitement du champ de
votre regard si vous lisez Nietzsche ou
Isaïe. Comment se fait-il que l'empire
américain fasse place au bois du
bucheron?
Du coup, demandons
aux mystiques de l'abîme de nous
instruire de la généalogie et de la
psychobiologie qui président à la
sécrétion des idoles mentales propres
aux démocraties de bois sec. Nous sommes
tombés en panne d'une anthropologie des
idoles du langage qu'enfante le mythe
racorni de la Liberté? Demandons à Freud
et à Isaïe de nous instruire des
paniques d'entrailles de l'animal
prosterné devant le bois de ses idoles
et souvenons-nous que Socrate et Isaïe
se partagent la même vocation, celle des
guérisseurs de la bête malade de ses
idoles.
le 26 avril 2014
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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