Les défis de
l'Europe
La vassalisation américaine de l'Europe
est-elle réversible ?
V - Le cercueil de l'Europe
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 22 mai 2015
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1 - Le mythologique
se veut plus réel que le
terrestre
2 - Une civilisation prise en
étau
3 - Le carrosse des peuples
asservis
4 - L'Europe des prophètes : En
attendant Godot de Samuel
Beckett, Le Précis de
décomposition de E.M. Cioran,
Amédée ou comment s'en
débarrasser d'Eugène Ionesco,
etc.etc.
5 - Le cercueil de l'Europe
6 - La Russie et l'Europe de
demain
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1 - Le mythologique
se veut plus réel que le terrestre
La semaine dernière
nous avons constaté que si la victoire
du mythe de la Liberté sur le nazisme
s'est révélée foncièrement angélique,
donc dé-nationalisante, le peuple
allemand ne saurait chasser physiquement
un occupant abstrait du pays, bien que
cette abstraction s'obstine à perpétuer
sa présence physique, puisque la
violation de l'intégrité territoriale
d'une nation n'est plus ressentie comme
une occupation corporelle pure et
simple, mais comme celle, transcendante
au monde et abstraite, d'une sorte de
royaume des cieux. On appelait autrefois
patriotisme le moteur de
l'histoire qui liait l'identité physique
des peuples à leur géographie, tandis
que le patriotisme nouveau vaporise les
patries. Alors l'air raréfié des
plus hautes régions de l'atmosphère ne
tarde pas à asphyxier en retour des
Etats réduits à l'artifice d'une
idéalité.
En délocalisant la
Liberté et en le transportant dans une
surréalité toute verbale de la vie
politique, c'est l'enracinement des
nationalismes dans un patriotisme de ce
bas monde que la victoire américaine est
parvenue à vaporiser. Il n'y aura pas de
contre-force à cette vassalisation
eschatologique sans une résurrection des
nations. Mais comment ressusciter un
univers des charpentes si, deux siècles
après Saint-Just, nous savons que le
mythe de la Liberté ne se laisse pas
incarner?
Depuis 1945, le
terme de nation a été en quelque
sorte soustrait au regard de la science
historique classique. Du coup, le
taureau dont on traîne la carcasse hors
de l'arène ne cesse de grossir. Le
séraphisme démocratique et son compagnon
d'armes, l'angélisme politique,
charrient une dictature mentale - celle
d'une absentification progressive du
monde; et ce charroi illustre à quel
point une anthropologie expérimentale
dont la dissection des mythes sacrés
fera l'objet est devenue la science des
fondements charnels de l'histoire et de
la politique, tellement la dictature de
quelques diadèmes verbaux impose
l'évidence que l'homme est un animal
onirique à titre psychobiologique et
que, pour apprendre à connaître
l'enracinement de cette espèce dans des
magies vassalisatrices, il faut percer
les secrets de sa surexistence dans des
fantasmagories langagières.
Car ce bimane prend
le fantastique théologique bien plus au
sérieux que le réel. Lisez, dans les
Exercices d'Ignace de Loyola,
le récit de la descente de tout le genre
humain aux enfers: le saint y est bien
davantage immergé dans le mythe chrétien
de la damnation et du salut que dans le
temporel. De même, les bases américaines
sont plus réelles dans le logis
séraphique du mythe de la délivrance du
monde par le mot Liberté que sur
la terre.
2 - Une
civilisation prise en étau
Mais supposons
qu'une classe dirigeante plus instruite
que la précédente et armée d'une
connaissance des ressorts métazoologique
du genre humain apparaisse soudainement
sur la terre, supposons, dans la foulée,
qu'en raison de son avance sur les
ténèbres qui enveloppent la science
historique de notre temps, cette classe
dirigeante prenne soudainement la
parole, à la manière dont quelques
humanistes solitaires du XVIe siècle,
dont Rabelais, ont tout subitement
terrassé une scolastique du Moyen-âge
vieille de plus de trois siècles et
ridiculisé à jamais la sophistique des
chrétiens; ce miracle épistémologique
serait-il suffisant pour armer la
géopolitique aveugle des modernes d'une
connaissance anthropologique de la
cécité native des évadés partiels de la
zoologie?
Nullement: ni une
Italie qui aurait chassé manu
militari les cent trente sept
garnisons sacerdotales de l'occupant
incrustées dans le pays depuis 1943 , ni
une Allemagne qui aurait bouté hors du
territoire des Germains les deux cents
légions de fer et d'acier qui
quadrillent de leur orthodoxie son
territoire depuis 1945 ne seraient en
mesure de relever le défi idéologique,
donc théologique évoqué ci-dessus.
Comment la résurrection d'un patriotisme
et d'un nationalisme localisés
suffiraient-ils à enfanter une identité
européenne armée de la science
historique nouvelle qu'appelle notre
temps? Une laïcité timide et manchote a
tué l'élan prometteur d'une
anthropologie abyssale du sacré: puisque
la paix religieuse était censée avoir
tué l'onirisme religieux dans l'œuf,
nous étions condamnés à recevoir de
plein fouet le boomerang du messianisme
démocratique et de son mythe de la
délivrance, et cela du seul fait que
l'Europe n'est plus une forteresse
géographique en mesure de relever le
défi finaliste lové au cœur de
l'eschatologie démocratique.
3 - Le carrosse
des peuples asservis
Les mêmes
retrouvailles manquées qui auront du
moins libéré les arpents du Vieux Monde
de la présence corporelle d'un occupant
messianisé se retourneront bientôt
contre un supranationalisme non moins
désincarné, celui des séraphins et des
anges du mythe de la Liberté. Comment,
dans ces conditions, armer les
encéphales de demain d'un nouvel avenir
terrestre de la politique?
Quand nous disons
de X ou de Y qu'ils ont été élus
"députés européens", ces soi-disant
députés salvifiques n'occupent aucun
royaume réel, puisqu'ils siègent sur les
bancs d'une Europe apatride, celle d'une
universalité langagière qui ne les
installe jamais que dans l'empyrée de
confection des vassaux décérébrés de
l'Amérique. En baronne attentive à
défendre la solide identité insulaire de
sa patrie, Mme Ashton avait engagé d'un
seul coup huit mille fonctionnaires
voletants et appelés à défendre une
politique étrangère de type
bureaucratique - ce qui fournissait un
peloton compact de deux cent cinquante
huit ronds-de-cuir en moyenne à la
Lituanie comme à la France, à Chypre
comme à l'Allemagne, à Malte comme à
l'Italie.
Le carrosse doré
des peuples asservis à leur caste
administrative leur coûte les yeux de la
tête, mais les chevaux de trait de cet
équipage n'ont ni licol, ni selle, ni
harnais. Comment acquerraient-ils le
cuir et les courroies d'une patrie si
une souveraineté supra-nationale
n'accouchera jamais que d'un fantôme
politique - celui d'une fourmilière que
la résurrection d'un patriotisme étroit
et seulement local aura précisément
permis d'exorciser, mais non d'en
féconder les petits potagers. "Chacun
cuit sa petite soupe, à petit feu, dans
son petit coin." (Charles de Gaulle)
Les Suédois sont
trop satisfaits de se trouver blottis
dans leur enclos pour jeter le regard
d'une ambition et d'une vision au-delà
de leur abri, les Danois n'ont que faire
du destin d'un Continent autrefois
conquérant, les Hollandais se moquent
bien d'une Europe qui se serait libérée
du protecteur américain qu'ils ne
vénèrent que depuis soixante-dix ans et
qu'ils ont seulement jumelé avec celui
de l'Angleterre dans leur tête.
4 - L'Europe des
prophètes :
En attendant Godot
de
Samuel Beckett,
Le Précis de
décomposition
de E.M. Cioran,
Amédée ou comment
s'en débarrasser
d'Eugène Ionesco, etc.etc.
Qu'est-ce qui
permettrait de passer de l'occupation
militaire, donc physique du Vieux Monde
à la conquête d'un destin planétaire de
la souveraineté retrouvée du Vieux
Monde? Comment remettre en marche une
civilisation d'égarés dans l'abstrait?
Quand bien même une carrure se
présenterait aux suffrages de cinq cents
millions d'Européens divisés entre
vingt-quatre langues écrites, des
dizaines de dialectes et de patois et
cinq religions théologisées, comment les
acteurs-nains d'un nationalisme étriqué
et d'un patriotisme de village
conduiraient-ils les peuples et les
peuplades à se choisir un guide éminent?
Les prérogatives d'un nationalisme
petitement domicilié auront été
légitimées à nouveaux frais, mais sur
l'autre rive, la herse du mythe
égalisateur aura échoué à dresser dans
les cœurs l'autel et le piédestal d'un
ciel des abstractions. Votre Allemagne
n'affichera jamais que les harnais de la
démission atlantiste.
Vous voulez valider
une unification de pacotille du Vieux
Monde. Mais comment l'installerez-vous
entre le creux du oboso et le plein des
poulaillers de Sagayo? Sitôt qu'une
apparence de "capitaine courageux"
dessinera la silhouette de sa vaillance
entre l'abstrait et Maritorne, seul
l'adoubement américain de son effigie et
de son ossature lui donnera les dehors
trompeurs d'un commandement apparemment
charpenté; et votre Europe des songes et
des ombres endossera seulement une
hégémonie de carton.
CComment
sortirez-vous de l'étau qui, d'un côté,
étouffe un patriotisme privé de souffle
et, de l'autre, étrangle un
supranationalisme privé d'âme et de
cervelle? Les peuples domestiqués à
l'école de leur mythe de la Liberté s'
étranglent entre don Quichotte et Sancho
Pança. Ces candidats à leur asphyxie ne
se rassembleront et ne se montreront
solidaires que sous le fouet d'un cocher
de l'étranger. Confier à des serfs les
rênes d'une ambition et d'une volonté
politiques est un projet digne de la
"nef des fous" de Hiéronymus Bosch.
5 - Le cercueil de
l'Europe
Par bonheur,
l'histoire de la mort de l'Europe
demeure une tragédie; et seul le sang
donnera son carburant à ce théâtre. Le
trépas des Etats hier encore respirants
y prendra le relais des défis que les
peuples fatigués n'osent plus relever.
Alors, la géopolitique des effarouchés
et des agonisants leur impose les
chances de la fatalité. Sitôt décervelée
à souhait, l'Europe se trouvera grosse
de l'implacable dont elle accouchera. Un
Continent qui aura chassé l'occupant
aura du moins appris que l'humiliation
des nations domestiquées sera leur
râtelier et leur avoine pour longtemps
et que les peuples abaissés ne se
réveillent et ne se recentrent que
lorsque leur sépulcre a ouvert sa gueule
sous leurs picotins.
Mais peut-être
est-ce une chance, pour l'Europe des
ténèbres, de connaître la mâchoire de la
mort et de s'en être fait une compagne,
peut-être est-il salutaire, pour une
civilisation, de prendre rendez-vous
avec son trépas, peut-être l'histoire ne
renaît-elle et ne retrouve-t-elle son
souffle qu'à visiter son mausolée. Par
bonheur, les sépulcres ne se font pas
attendre. Il n'est jamais arrivé que
l'histoire échappe à ses rendez-vous
avec les funérailles qui la guettent.
L'espérance de l'Europe des corbillards
se nourrira de la tombe vers laquelle
elle se rue, tellement ce n'est jamais
le royaume des anges aux yeux fermés de
l'abstrait qui enfante les retrouvailles
des nations avec le fer et le feu de
l'histoire vivante, mais les cercueils
qui lui font un cortège de loques et de
haillons.
PPour l'instant,
quelle chance d'une résurrection de Clio
que le défi aux méthodes obsolètes de la
science historique classique de l'Europe
en déclin. La compréhension des
évènements actuels exigera une
révolution de la science
anthropologique, donc un bouleversement
des sciences humaines. On vérifiera pas
à pas que nos huissiers restent bouche
cousue devant le spectacle de la
déconfiture d'un continent qui avait
inventé l'éloquence, la géométrie, les
mathématiques, le théâtre, la
littérature, la peinture, la sculpture,
la galanterie, la lettre d'amour et qui,
sur l'ordre d'une jeune Amérique, veut
punir la Russie de la chute du mur de
Berlin dans les décombres d'une utopie.
On ne comprendra cette démence qu'à
observer de l'extérieur le cerveau de la
bête qui se vassalise au nom de la
Liberté dont elle brandit le totem.
6 - La Russie et
l'Europe de demain
L'empire des tsars
est devenu un géant de la science et de
la technique, mais, dans le même temps,
l'âme russe a renouvela l'alliance d'une
terre immortelle avec une religion de la
prééminence éternelle de l'esprit. Et si
le réservoir de l'ascensionnel de demain
était celui du génie russe? Où
l'alliance du prophétisme avec le
réalisme se cache-t-elle, sinon dans
Tchekhov, Tolstoï, Pouchkine,
Dostoïevski, Gogol? Peut-être l'Europe
tournée vers la Russie, la Chine et les
pays émergents allumera-t-elle l'âme
d'une résurrection.
Je renvoie mes
lecteurs à mon texte :
Séance extraordinaire de l'Académie
des sciences morales et politiques
Intervention remarquée d'un revenant qui
aurait changé de tête , 17
octobre 2014
Le 22 mai 2015
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