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Les intellectuels et internet

La numérisation et l'avenir du livre (1)

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Samedi 22 février 2014

1 - La numérisation du dépôt légal
2 - La République et la pénalisation des œuvres
3 - La mise sous tutelle des écrivains
4 - Le statut spirituel des œuvres
5 - Comment choisir entre l'art et le commerce ?
6 - Le public de la seconde Renaissance
7 - Le public naissant sur internet
8 - Les relations de la pensée avec ses relais

Post-scriptum

1 - La numérisation du dépôt légal

L'année dernière, la Bibliothèque Nationale a décidé de numériser les ouvrages publiés en France au XXe siècle. Il était grand temps: les éditeurs gaulois s'étaient déjà empressés de vendre aux Romains le monopole de la numérisation des ouvrages les plus dignes d'attention parus en Gaule au XIXe siècle, ce qui a amputé les descendants de Vercingétorix du droit de reproduire leur propre patrimoine littéraire. Quarante ans après les premières enjambées d'une régionalisation politique et administrative du pays chargée, dans la foulée, de délivrer la province du joug culturel parisien, les grandes métropoles de province n'ont pas encore pris conscience des enjeux tant nationaux qu'internationaux d'une politique de l'écrit; et l'on a vu Lyon, dont le maire est socialiste, vendre à l'Amérique contre espèces sonnantes et trébuchantes l'exclusivité du droit d'immortaliser le fonds ancien de la bibliothèque municipale, qui comporte cinq cent mille volumes des XVe et XVIe siècles. La décision de la Bibliothèque Nationale de numériser en toute hâte la production estimable du XXe siècle modifiera-t-elle la géographie intellectuelle et éditoriale de la République et notamment les relations traditionnelles que les gens de plume entretiennent avec un commerce du livre placé depuis François 1er sous le sceptre unificateur de la capitale de l'intelligence française?

2 - La République et la pénalisation des œuvres

Pour tenter de répondre à une question aussi vitale, il faut rappeler brièvement l'histoire multiséculaire des relations pénales que les éditeurs entretenaient avec la monarchie depuis le siècle des Lumières et dont la République de la Liberté a assuré la continuité. L'éditeur des Fleurs du mal ou de Madame Bovary s'est trouvé cité à comparaître à la barre d'un tribunal correctionnel chargé de juger excessifs les droits de l'écriture et de la pensée bourgeoises. C'est ainsi que le marchand inculte auquel Swift a jeté en passant le manuscrit des Voyages de Gulliver par un soupirail à ras du trottoir aurait été promu au rang de coupable si l'Angleterre avait poursuivi au pénal un moqueur de génie. La République de la fin du XIXe siècle - article 42 de la Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 - a confirmé et aggravé la culpabilité des commerçants et des marchands de chefs-d'œuvre : si un aveugle remet à un imprimeur un manuscrit à lancer vers son éternité, il partagera les dangers des conquérants de l'immortalité de leur plume. Qu'en est-il de la promotion nobiliaire des machines de presse depuis l'accession du Tiers état à la dignité artificielle d'une classe de vendeurs inaptes à percer les secrets de l'écriture? Il en est résulté un conflit insoluble entre les gens de Lettres et les utilisateurs des supports mécaniques des œuvres . Dans un premier temps, le prestige demeuré relativement intact du clergé post révolutionnaire a permis aux auteurs de conserver le rang d'une manière d'Eglise de l'alliance de l'imprimerie avec la nouvelle aristocratie - celle des princes de la pensée rationnelle. Mais, depuis un siècle et demi, l'effondrement des mythes sacrés dans les esprits de haut vol a contraint les terrassiers de la prose à se placer sous le joug d'une hégémonie du temporel laïc et du monde des affaires.

3 - La mise sous tutelle des écrivains

La suprématie sociale dont bénéficient les industriels du livre a déposé un fardeau tellement lourd sur les épaules des forçats de l'écriture qu'ils sont progressivement devenus non seulement des salariés respectueux de leurs employeurs, mais des déjantés sociaux. Ils se gardent bien, les pauvres, d'indisposer l'ignorance et la sottise du patron de leur atelier. Ce bouleversement de la hiérarchie sociale s'est subitement amplifié pour atteindre le point de non retour le jour où M. Valéry Giscard d'Estaing a fait déclarer par les soins exclusifs des éditeurs le revenu annuel de leurs nouveaux employés - les poètes et les philosophes français. Les auteurs y ont perdu d'un seul coup non seulement le prestige patrimonial et social dont jouit l'entrepreneur bourgeois, mais la dignité dont les professions libérales se réclament et qui laisse des individus reconnaissables face à l'Etat.

C'est dans le contexte d'une perte irréversible de la considération sociale attachée au statut des écrits que la numérisation réussie ou manquée du livre concernera le destin de la culture dans une civilisation vouée à l'abaissement progressif des droits de l'esprit: si les prérogatives sociales et administratives exorbitantes des éditeurs les autorisent à ne respecter en rien les clauses proprement intellectuelles des contrats léonins qu'ils contraignent leurs partenaires à signer, comment des interlocuteurs dépossédés de leurs prérogatives naturelles et asservis d'avance aux volontés conjuguées de l'Etat républicain et de la planète de Gutenberg réfuteront-ils des prédateurs associés et complices?

Certes, nombre d'esclaves ont eu, depuis belle lurette, l'intelligence et la prudence de recouvrer leur autarcie pleine et entière, donc leur droit exclusif d'accorder à qui bon leur semble un privilège contrôlable de l'exploitation commerciale de leurs écrits. Mais, de leur côté, les ouvriers du livre se sont accordé - par le biais de contrats-types et pré-imprimés - une mainmise totale sur les traductions ou les adaptations cinématographiques ou théâtrales des œuvres de leurs auteurs dans toutes les langues du monde, et cela jusqu'à la chute dans le domaine public des imprimés de toute nature, mesure qui intervient soixante-dix ans après la mort des auteurs. La loi qui règlemente l'entrée des écrits dans leur vie posthume permet aux marchands du monde entier de les publier à leur seul profit, mais, cette fois-ci, à juste titre: les descendants des auteurs se trouvent spoliés, mais, les éditeurs se voient mis en rivalité entre eux et cette compétition est dictée par le souci du bien public. On n'imagine pas de sots héritiers de Racine tirer un profit perpétuel de la postérité commerciale des Plaideurs de leur illustre ancêtre.

4 - Le statut spirituel des œuvres

Mais, naturellement, sitôt que la Bibliothèque de la rue Richelieu eut enfin décidé de procéder à une numérisation des livres appelée à mettre le trésor national des écrits de qualité à l'abri d'une captation d'héritage perpétuelle au profit d'une puissance étrangère, les éditeurs se sont rués sur cette proie inattendue; et ils ont demandé sur l'heure et d'un seul élan à leurs auteurs que les neuf dixièmes des bénéfices qui résulteront de la vente de leurs ouvrages sur le numérique fussent réservés à leur seule escarcelle et un dixième à celle des gens de lettres, comme il est d'usage dans les contrats d'édition ordinaires, qui entraînent du moins la contrepartie des frais d'impression d'un ouvrage.

Cette offensive brutale des industriels du livre rassemblés pour un ultime assaut a été confiée à Antoine Gallimard, non seulement parce qu'à l'exemple de son père et de son grand-père, cet éditeur fait signer des contrats à 2% à certains de ses auteurs, mais parce que les industriels du livre se sont subitement aperçus qu'ils n'avaient nullement prévu l'invention du numérique et que cette aubaine inattendue ne tombait pas d'avance dans leur gousset.

Aussi l'Etat laïc de 2012 a-t-il opportunément rappelé à tous les marchands de livres que, dans notre pays, le statut juridique et patrimonial des ouvrages de l'esprit porte, depuis 1957, l'empreinte du droit canon: de même que le sacré se trouve séparé de la giberne du temporel par une frontière infranchissable - parce que censée relever de la volonté de la divinité en personne - les droits de l'écrivain sur son œuvre sont proclamés " incorporels et inaliénables " par nature et par définition (art.1), ce qui signifie que l'éditeur n'est jamais qu'un sous-traitant chargé de gérer au mieux l'exploitation bassement commerciale d'un bien statutairement immatériel et mis à jamais sous scellés par la volonté d'un ciel de la littérature.

Il en est ainsi dans l'Eglise: la prêtrise est un bien inaliénable et incorporel, puisqu'elle est censée exprimer la volonté expresse du créateur de l'univers. Mais l'Eglise incarne le pouvoir exécutif: elle nomme Mgr Gaillot évêque de Parthenia et les éditeurs élèvent rituellement les écrivains à la dignité solennelle d'archevêques et même de papes de nulle part. Qu'en est-il du fermage provisoire de l'intemporel plongé dans le temporel, qu'en est-il de l'interdiction de briser le sceau d'une œuvre inaccessible dans son éternité, qu'en est-il du rang proprement spirituel qui rend sacrée une marchandise, ce qui signifie séparé en latin ?

5 - Comment choisir entre l'art et le commerce ?

C'est dans le contexte d'un conflit de souveraineté que se posera la question décisive des relations qu'internet entretiendra avec la création intellectuelle et littéraire du XXIe siècle. Car, depuis la fin du XVe siècle, la mécanisation de l'édition a permis aux Etats de pénaliser les utilisateurs d'une machine, ce qui n'était pas possible à l'époque des copistes d'Atticus. Néanmoins la multiplication automatique des exemplaires d'un ouvrage n'a jamais élevé les éditeurs mécanisés au rang de véritables interlocuteurs des créateurs qu'ils publient. Certes, au XVIe siècle, Froben savait le latin. Ce fut en interlocuteur respecté d'Erasme que ce chef d'atelier a convaincu le grand humaniste hollandais de réviser et de publier sur ses six presses les milliers de pages de l'œuvre de saint Augustin, dont l'immensité demeurait hors de portée des copistes. Mais le latin relativement tardif et souvent obscur de l'auteur de la Cité de Dieu ne faisait pas l'unanimité des puristes cicéroniens. Quant à Alde Manuce, il concédait savoir le latin un peu moins qu'Erasme, mais le grec bien mieux que lui. La confusion entre l'imprimeur et le savant n'allait pas se perpétuer.

Et pourtant, dès le début du XXe siècle, la déconsidération intellectuelle des éditeurs ridiculement promus par la bourgeoisie triomphante au rang social des hommes de génie qu'ils publient a contraint Gaston Gallimard à confier la responsabilité exclusive de la publication des auteurs de talent au jugement d'un cénacle d'écrivains chevronnés. Dans le même temps, les grands libraires cultivés ont accédé au rang de successeurs des savants éditeurs du XVIe siècle. C'est ainsi que le roman de Jonathan Littel, Les Bienveillantes, a été édité par Richard Millet chez Gallimard - c'est lui seul que l'auteur remercie dans l'exergue de son récit. Mais la vente de l'œuvre a été assurée par les derniers libraires de renom, qui en ont expliqué la portée à leur clientèle cultivée, ainsi que par la promotion littéraire des petits libraires en perdition. Et pourtant, dans le même temps, Gallimard confiait derechef la publication effective des œuvres à ses seuls agents commerciaux, qui décident en solitaires, donc souverainement et en dernier ressort du choix entre le rentable abaissant et le non rentable inaccessible. A ce compte, on n'éditera jamais plus un Mallarmé, un Nietzsche ou un Kafka; car c'est toujours par malentendu et seulement de surcroît qu'un chef-d'œuvre se révèle un succès de vente - on ne lit pas Lolita ou le Marquis de Sade parce qu'on s'enchante du génie de l'auteur, mais parce que le texte aguiche le sexe.

6 - Le public de la seconde Renaissance

Dans un premier temps, cette situation pourrait soumettre le livre numérisé aux mêmes apories économico-culturelles que l'édition traditionnelle sur papier. D'un côté, le public cultivé s'est raréfié pour avoir perdu sa cohérence culturelle et sociale. De l'autre, les comités de lecture n'ont pas conservé leur première fraîcheur. Il était difficile à Gide de comprendre Proust, à Queneau de goûter Montherlant, à Paulhan d'encenser Albert Camus, qu'il haïssait. De plus, à l'exception de Gide et de Camus, aucun écrivain immense n'a accepté de siéger au comité de la rue Sébastien Bottin. Même des auteurs moyens, mais solides, tels Jean Dutourd, ont refusé d'occuper un emploi pourtant fort bien rémunéré chez leur éditeur.

Puis la guerre inévitable entre la littérature et les lois du marché de masse n'a pas tardé à déchirer le comité de lecture à son tour. Queneau est mort de tristesse à la suite de sa semi-disgrâce et Michel Deguy a été remercié - ils avaient discrètement soutenu un philosophe que Claude Gallimard entendait vendre à un prix exorbitant, donc rendu inabordable au public à seule fin de punir le malheureux de son refus de réduire tout subitement son contrat à 5% de droits d'auteur jusqu'à l'extinction de la propriété littéraire, qui intervient, comme il est dit plus haut, soixante-dix ans après la mise en bière du coupable.

Les historiens du livre jugeront que, depuis 1974, la jurisprudence française est révélatrice jusqu'au cocasse non seulement du statut intellectuel ambigu des éditeurs, mais également du rapport des forces entre l'Etat, la culture, les marchands et la rue de Valois. Car, en première instance, la justice condamne un éditeur abusif ou vengeur à vendre un livre à un prix accessible au public cultive, tandis qu'en appel, la cour tranche en faveur du droit inaliénable de l'éditeur de fixer le prix de vente à sa guise et quels que soient ses motivations, même extra-commerciales. Qu'en dit la presse? Il y a quelques années, Le Monde a refusé de rendre compte d'un ouvrage vendu à un prix fabuleux à l'intention exclusive de quelques hauts fonctionnaires de l'enseignement universitaire par les Presses universitaires de France. Dans une démocratie, disait ce quotidien, les livres s'adressent au public et non à un peloton de privilégiés de la fortune ou de salariés de haut rang. Mais, dans le même temps, il était prudemment ajouté que le prix excessif de l'ouvrage était légitime, donc inattaquable - occultation du débat, bien révélatrice de la bancalité cérébrale d'une civilisation dans laquelle l'intelligentsia se trouve subordonnée aux lois du commerce: il est plus payant, pour un éditeur, de s'assurer le marché d'une poignée de lecteurs fortunés que de servir le public moyen.

Pourquoi informer les lecteurs d'internet des relations que le ministère de la culture entretient avec le livre ? Parce que la question est devenue publique, donc politique, depuis que Richard Millet a publié un essai indigné sur le statut social des membres du comité de lecture des éditions Gallimard: tout cacique exclu du cénacle y perd, écrit-il, jusqu'à son honorabilité sociale et devient un paria dans la République des Lettres, ce qui achève d'illustrer la bancalité fatalement inscrite dans une confusion, inacceptable à la longue, entre la docilité d'un employé et le statut intemporel de l'auteur, l'un et l'autre se trouvant malencontreusement dédoublés entre l'homme de plume et le salarié. (Richard Millet, Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 2013).

Une dernière anecdote: Jacob Burckhardt, l'illustre historien de la Renaissance, professeur à l'Université de Bâle aux côtés de Nietszche, a dû se retourner dans sa tombe quand l'un de ses descendants directs, élu bourgmestre de Bâle, écrivait non point à l'auteur, mais à Claude Gallimard pour le féliciter d'avoir publié tel ouvrage remarquable dans sa célèbre Bibliothèque des Idées. Ce n'étaient plus Raymond Aron, Sartre, Toynbee, Spengler ou Kantorowicz qui faisaient la gloire de la collection, mais la collection qui servait d'auréole aux auteurs. Un Nietzsche continuera donc de mettre trente ans à accéder à sa postérité sur la scène internationale et les Max Brod de demain conduiront seuls un Kafka à l'immortalité dans toutes les langues de la planète.

7 - Le public naissant sur internet

Mais la raréfaction du public cultivé a ensuite conduit les grands libraires au naufrage et les petites librairies de quartier ont disparu à leur tour. Du coup, comment vaincre deux géants, l'ignorance et l'argent? Il semble que l'abaissement du niveau culturel des élites dirigeantes soit en voie de trouver la même solution qu'à la fin du XVe siècle: une classe de lecteurs nouveaux et d'une grande curiosité d'esprit se trouve en cours d'enfantement accéléré sur le net.

On sait que Régis Debray a fondé une médiologie qui n'a que le tort - sans doute provisoire - de ne pas s'être engagée dans la pesée des mutations du qualitatif: certes, les routes de l'empire ont permis au grand voyageur que l'on sait de propager le modèle paulinien du christianisme. Mais qu'apportait de nouveau une religion fondée sur la glorification d'une potence proclamée salvifique, donc sur la sacralisation d'un meurtre rituel branché sur l'effondrement d'un empire? De même, l'imprimé n'a pas seulement permis de lire des restes de Tacite et de Tite-Live ensevelis sous des palimpsestes: il a provoqué un engouement immense pour l'apprentissage du latin et du grec, parce qu'on voulait s'instruire à la lecture des milliers d'Adages d'Erasme, qui renvoyaient tous à ces deux langues.

Qu'il me soit permis d'évoquer praeteriens et quasi in transitu ma modeste expérience de la naissance d'un public aiguisé et résolument d'avant-garde sur internet. Il se trouve que je suis demeuré le seul auteur coupable d'un vagabondage inguérissable: mon errance invétérée m'a conduit au Seuil, chez Gallimard, aux PUF, chez Fayard, chez Albin Michel et chez Plon, ce qui me permet de comprendre pourquoi les textes les plus difficiles que je publie sur internet depuis 2001 sont également les plus lus et les mieux compris. Ma spectrographie anthropologique et politique des relations que Balzac a entretenues avec Vidocq, le bagnard devenu le chef de la police parisienne sous la Restauration ou mon analyse de la construction cérébrale qui téléguidait la conception légalisante, donc psychologisante de l'intelligibilité scientifique - la physique classique l'avait théorisée sur le fondement d'un univers fossilisé par le tridimensionnel anté-einsteinien - ont été tout de suite plus largement compris qu'en librairie. Pourquoi cela? Parce que toute la géopolitique contemporaine se prête à une forme de l'esprit critique encore cachée et ignorée du siècle des Lumières: la réflexion de fond se nourrit désormais de la mort fatale de l'Europe politique. Il en résulte que les verbes comprendre et expliquer courent sur les routes et les chemins d'une histoire transévénementielle et planétarisée par la vassalisation d'une civilisation agglutinée à l'atlantisme.

L'exploration spéléologique des décadences en est rendue accessible à un vaste public d'apprentis d'une nouvelle profondeur du regard : une Europe résignée à sa subordination définitive se prête mieux aux progrès de l'esprit critique et à la lucidité politique que l'Europe triomphante et sûre d'elle d'avant-hier. Du coup, l'astéroïde de Gutenberg s'est mis à pivoter trop lentement sur son axe - le public de la seconde Renaissance s'est d'ores et déjà soumis à un rythme moins paresseux de l'histoire universelle, comme si les ultimes sursauts des civilisations favorisaient les agonisants.

8 - Les relations de la pensée avec ses relais

Mais les nouveaux grands "libraires" dont les portails et les sites diffusent chaque semaine mes textes in extenso sont également mes interlocuteurs intellectuels. C'est à titre personnel qu'ils participent à mes modestes combats cérébraux. Mes textes périlleux des 24 et 31 janvier, par exemple, ont conduit mes relais encéphaliques - à l'exception d'un seul - à se ranger à leurs risques et périls du côté des neurones des Jack Lang et des Pierre Tartakowsky, Président de la Ligue des droits de l'homme, qui n'ont pas hésité à courir des dangers dignes d'une élite d'avant-garde: c'est sur l'heure qu'ils ont rejeté une décision politico-judiciaire rendue par un seul juge du Conseil d'Etat, mais censée avoir exprimé la volonté in corpore de cette institution. Les intellectuels français sont désormais soumis à l'arbitraire d'un pouvoir exécutif porteur du masque de Thémis. Puisqu'il s'agit d'interdire à un auteur d'exercer les droits inaliénables attachés à la pensée critique et à la raison philosophique depuis la Révolution française, il sera bien impossible aux grands portails de se tenir à l'écart des périls d'une guerre de l'intelligence quand la nouvelle puissance terrorisante ne sera autre que celle des Etats démocratiques. Mais à quel prix?

Autrement dit, qu'en est-il des chances et des risques que court la pensée rationnelle dans un monde où la cotation en bourse et la conversion de la profession d'éditeur au culte du livre-marchandise condamnent la planète de Gutenberg à la mort de la vocation civilisatrice des grands éditeurs du XVIe siècle? Quels seront le champ d'action périlleux, les leviers intellectuels audacieux et le statut social dangereux de l'écrit à l'heure de l'alliance du numérique avec une philosophie déjà trans-scolaire et qui fait ses premières armes sur internet?

C'est ce que j'examinerai la semaine prochaine.

Post-scriptum

Cher Jean-Luc Pujo,

Vous avez publié sur votre site dix-sept pages d'un réquisitoire intéressant contre moi. Je retiens surtout votre brève récapitulation de l'histoire la plus récente du sionisme. Mais il existe une disproportion incompréhensible entre trois pluies: celle de vos éloges appuyés, celle de vos accusations inconsidérées d'antisémitisme et celle de vos fautes d'orthographe.

Ce n'est pas ma faute si l'adjectif "primaire" ne s'oppose à "secondaire", au sens où vous l'entendez, que dans l'éducation nationale. Comme toutes vos accusations reposent sur cette confusion de langage, je vous renvoie au sens de ces adjectifs dans le Larousse, le Robert et le Littré.

Vous ignorez également le sens juridique du verbe "surseoir", puisqu'une condamnation avec sursis n'est pas exécutoire, mais suspendue jusqu'à la chute du délinquant dans la récidive.

Mais je ne puis vous informer plus longuement sur le sens des mots de notre langue, parce que votre censure anticipée et universelle exclut a priori tout dialogue sérieux et qui approfondirait le débat. En décidant de "surseoir" à mon adhésion, que vous aviez sollicitée, à votre mouvement politique et de "surseoir" au préalable à "toute publication" de mes textes, vous prétendez incarner une instance judiciaire et morale. Vous me sommez de m'expliquer afin de me fournir l'occasion de me purifier de ma conduite pécheresse.

Il est stalinien de me demander de m'inscrire, toutes affaires cessantes, à votre séminaire des contritions et des repentances et de me faire jouer - à titre préalable et avant le lever de rideau - le rôle du condamné.

Je récuse le sceptre de votre catéchèse. Vous n'êtes pas légitimé à me citer à la barre d'une haute cour en délicatesse avec la grammaire, parce que mon combat contre le racisme et contre la torture en Algérie remonte à dix ans avant la proclamation de l'indépendance de ce territoire. Il y a donc soixante deux ans que j'ai analysé les mécanismes psychobiologiques et sociaux qui président au tour d'esprit des accusations doctrinales. Voir:

Réflexions sur la torture. Les aveux spontanés

1 - "C'est le tortionnaire qui donne mauvaise conscience à la société" , Combat, 2 octobre 1952

2 - "La société ne permet plus à l'accusé de contester la qualification juridique de son délit" , Combat, 3 octobre 1952

3 - "Pour l'accusé Boukharine il est des faits qui existent sans pour autant entrer dans la conscience d'un homme", Combat, 7 octobre 1952

4 - "Pour l'accusé moyen, il n'est pas d'existence morale hors de la communauté" , Combat, 8 octobre 1952

5 - La sauvagerie des verdicts résulte d'un automatisme jouant dans une atmosphère collective puissante", Combat, 9 octobre 1952

Si vous vous intéressiez à mon anthropologie critique, je vous renverrais à mon texte Laurent Fabius et la France, 30 novembre 2013, où l'on peut lire:

3 - Spinoza, Bergson, Freud et Einstein

Mais il y a plus: depuis le XVIIe siècle, la philosophie mondiale repose sur quatre cerveaux juifs: Spinoza (1632-1677), auteur du Tractatus theologico politicus - ma théopolitique - et d'une Ethique qui ont anéanti le mythe d'un Dieu personnel et identifiable. On doit à ce super logicien la noyade définitive du créateur du cosmos dans un panthéisme qui rend absurde toute théologie ambitieuse de mettre en scène un acteur reconnaissable à sa gestuelle, absurde un gestionnaire qui gouvernerait l'univers à la manière d'un chef d'Etat talentueux, absurde un créateur du monde capable d'écrire en prose et en vers, de s'exercer à l'éloquence et de se reposer après un dur labeur. Puis Bergson, le grand incompris de l'Evolution créatrice qui, en bon spinoziste, a transporté la vie spirituelle de l'humanité au sein d'un évolutionnisme où la distinction entre les "sociétés ouvertes" et les "sociétés fermées" est devenue plus actuelle que jamais. Puis Freud, le Christophe Colomb qui a ouvert la politique et l'histoire à l'exploration du continent caché de l'inconscient; et enfin Einstein, le navigateur du néant qui démontra que tout corps en mouvement dans le vide transporte son horloge avec lui et que le temps est une matière en cours de coagulation ou de liquéfaction à une vitesse inversement proportionnelle à la vélocité du mobile qui transporte sa propre pendule sur son dos.

En conséquence, c'est moi qui vous interdis de publier mes textes futurs, même quand leur pestifération native portera sur les dieux que vous cachez dans le gosier de vos oies du Capitole.

Un dernier mot sur l'incohérence de votre politique. A vouloir ménager la chèvre et le chou, c'est-à-dire la vérité et les faux-fuyants de la politique, vous vous êtes mis dans de beaux draps. Croyez-vous que vous avez des chances de vous assurer des bonnes grâces du CRIF et de la LICRA, alors que vous condamnez le jugement politico-judiciaire du Conseil d'Etat et que vous demandez, en outre, à cette haute juridiction à revenir sur sa jurisprudence, alors que vous condamnez les colonies et le sionisme, alors que vous légitimez un futur Etat palestinien résolument souverain?

Mais vous savez bien qu'Israël n'en voudra jamais, parce que sa motivation véritable n'est autre que le mythe de la "terre promise", qui résistera au soc et à la charrue de la démocratie et que les prétendues "négociations israélo-palestiniennes" ne se dérouleront sur leur véritable échiquier qu'à l'heure où une anthropologie devenue scientifique étudiera la dimension onirique et délirante de l'humanité.

Vous prétendez "penser la France" et vous commencez par lui couper la tête.

Je vous souhaite bien du plaisir avec vos oies du Capitole.

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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