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Les défis de l'Europe

Le regard de Machiavel sur
l'auto-vassalisation de l'Europe

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Vendredi 21 mars 2014

Présentation
1 - Où situer le regard sur la bête
2 - La balance à peser la conque cérébrale de l'huymanité
3 - Brève rétrospective
4 - L'Europe des coucous suisses
5 - Les tenants et les aboutissants de votre vassalité
6 - Les dindons de la farce
7 - La messe des démocraties
8 - Le naufrage du mythe de la maîtrise des mers

Présentation

Le 8 mars j'informais mes lecteurs de ce que je retardais mes commentaires anthropologiques sur les évènements de Crimée jusqu'au 28 mars, parce que je pensais que le déroulement de la pièce ne deviendrait intelligible qu'au troisième acte, à l'heure où un nouveau déséquilibre des forces dans le monde, donc une redistribution complète des cartes sur l'échiquier qu'on appelle l'histoire répondrait à l'exigence de compréhensibilité d'une politologie transzoologique.

Les circonstances me contraignent à accélérer mon programme d'explication et d'exposition, parce que la planète censée s'être convertie à une démocratie séraphique a tout de suite pris le tournant que je croyais plus tardif de quelque deux semaines: l'Europe est entrée plus tôt que prévu dans une étape de la vassalisation inexorable qui l'attendait depuis fort longtemps, celle qui permettra à la fois aux Etats-Unis de réaffirmer triomphalement le bien-fondé et l'efficacité de leur fausse catéchèse internationale du Beau, du Juste et du Bien et à un Vieux Continent plus piteux que jamais de feindre de jouer le rôle de partie prenante aux affaires du monde et de se vanter effrontément de décider en toute souveraineté de son propre destin.

Cette satellisation d'un type inédit ne saurait prospérer davantage que la précédente, parce que le gouvernement de Kiev échouera à se rendre crédible, donc respectable et à faire face à la catastrophe économique inscrite dans sa psychobiologie. La corruption n'est pas une plaie plus guérissable à Kiev qu'à Naples ou à Syracuse depuis Périclès. Mais tout le monde verra désormais que les Etats-Unis et l'Europe ont des intérêts incompatibles par nature et par définition. La compréhension, à la lecture du Prince de Machiavel, des ultimes efforts de l'empire américain d'étendre sa puissance à l'aide du mythe de la Liberté dont elle a fait son levier appelle un nouvel approfondissement des méthodes de l'anthropologie critique et de la connaissance scientifique de l'inconscient théologique de l'histoire.

1 - Où situer le regard sur la bête ?

La semaine dernière, je faisais dire à un pape devenu prospectif, donc tellement virtuel qu'il campe depuis plus d'un an hors des murs du Quirinal, que le Saint Siège ne saurait assister plus longtemps et bouche cousue à l'effondrement dans le temporel, primo, de l'Eglise catholique et, secundo, de l'esprit ascensionnel du christianisme des saints. Mais qu'en est-il des canonisés dont s'éclairait l'Eglise sommitale d'autrefois, qu'en est-il de l'alpinisme intérieur auquel cette religion conviait ses adeptes si, au sein même de sa catéchèse, des théologies rivales s'en disputent le nectar et l'ambroisie à des altitudes diverses? La vérité se graduerait-elle sur les pentes de l'Olympe? Car ce pape puise dans la fontaine de jouvence des mythes orientaux - celle des saint Grégoire de Nysse et des saint Jean Chrysostome - une eau de l' "esprit divin", comme on disait, qui ne jaillit plus dans l'enceinte du Vatican.

C'est pourquoi le pape François a sollicité M. Vladimir Poutine de l'aider à tuer dans l'œuf la guerre de Syrie. Mais au nom de quelle théologie? Sur quelle balance François pèse-t-il la nature et les droits de l'ascensionnel, sur quels plateaux dépose-t-il les "feux de l'esprit" si nous ne savons pas encore calculer la pesanteur du joug sous lequel nos libérateurs nous ont placés? Jouvet disait qu'au théâtre, le naturel est un naturel de théâtre. C'était rappeler aux niveleurs du monde entier que la sincérité du puceron n'est pas celle de l'éléphant. La sincérité des grands éveilleurs est celle de la lumière dont ils portent la torche vive et dont le flambeau les consume. Or, depuis la semaine dernière, l'histoire du monde a donné à la géopolitique transcendantale du Saint Siège un coup de pouce miraculeux, semble-t-il, puisque l'histoire de la planète illustre désormais une pièce de théâtre rédigée d'acte en acte à l'école d'une "anthropologie de la sainteté" appelée à mettre en pleine lumière l'animalité spécifique du genre simiohumain.

A partir de quelle hauteur les sciences humaines actuellement demeurées semi-animales dans leurs méthodes de recherche et leur problématique observent-elles une bête en tant que telle? Si nous ignorons quelle frontière il nous faut tracer pour nous distinguer des autres espèces et pourquoi cette séparation est flottante? Que dira le "Saint Esprit " de l'animal en escalade sur les pentes de ses montagnes sacrées?

Car on disait seulement que la raison du plus fort demeure "toujours la meilleure", mais on ignorait les mécanismes psychobiologiques qui permettent toujours et nécessairement à la plus musclée des charpentes de cet animal d'imposer à ses subordonnés sa propre hiérarchie des valeurs, celle qui s'attache à sa colossale ossature, et de convaincre à coup sûr les faibles ou les souffreteux de placer les évènements sur une échelle des jugements dûment préfabriquée par les Hercule du moment. Comment se fait-il que la soumission des moutons à leur maître soit entière et que les secrets en soient cérébraux et ventraux tout ensemble? Si, d'un millénaire au suivant, les verdicts du corps sont à la fois éternels et périssables, comment dictent-ils leur loi à une espèce détoisonnée depuis peu?

2 - La balance à peser la conque cérébrale de l'humanité

Pour la première fois dans l'histoire, on aura vu le globe terrestre offrir à des milliards de rétines le spectacle des ressorts et des rouages d'un mammifère asservi de naissance à ses maîtres.

D'un côté, le lion a localisé ses crocs et sa crinière du Japon à la Norvège, de l'Afrique du sud au Kosovo, du Venezuela au Caire et de Washington à Tel-Aviv. Et voici qu'un referendum microscopique organisé parmi les russophones majoritaires de la Crimée est soudainement censé menacer les fondements universels de l'éthique du cosmos et troubler le saint équilibre de la paix mondiale. Que le griffu emblématique qui se proclame la vigie internationale et le gardien exclusif du Paradis depuis soixante ans persévère à brandir ses rameaux d'olivier barbouillés de poudre à canon, rien de nouveau à cela: nous en sommes encore à la lecture classique d'une fable fort connue de La Fontaine. Mais qui peut croire que Mme Arioviste, reine des Germains d'aujourd'hui, aurait lu Molière dans la nuit et qu'elle ferait tout soudainement preuve d'un tartuffisme tellement lucide et appris en cachette qu'elle proclamerait, mais sans en croire un traître mot, que "la force des armes fait reculer la force du droit en Crimée"?

Ce que le fabuliste aux sûrs ajustages n'a pas su isoler parmi les apprentis d'une vraie science des animaux parlants - mais qu'un pape évadé des forêts permet aux anthropologues d'avant-garde de placer dans la lumière la plus crue - c'est l'origine mécanique et psychobiologique, donc viscérale, qui fait, de l'humanité actuelle, un animal demeuré inconscient de la spécificité de l'encéphale universellement dédoublé dont son évolution a fini par le doter. Car cet organe scindé dès le berceau entre le réel et le songe se convainc spontanément qu'il a bien raison de suivre le droit chemin, celui de la vérité qu'énonce toujours le plus fort et dont il montre l'écriteau d'un doigt impérieux.

C'est ainsi que Mme Angela Arioviste a changé trois fois de cervelle en trois jours; il fallait respecter la Russie, puis suivre l'ordre contraire de Washington d'exclure le Kremlin du G8, puis, sur un coup de téléphone sans doute furieux de Vladimir Poutine, elle dénonçait de nouveau les évènements tronqués et placés sur la balance d'une Justice et d'un Droit fabriqués à Washington et censés régenter l'univers. Puis M. Steinmeier, Ministre des affaires étrangères d'Allemagne, qui avait eu de longues heures d'entretien à cœur ouvert avec MM. Poutine et Lavrov à Moscou, était bel et bien allé de ce pas dire ses quatre vérités à M. Barack Obama - il fallait que ce César de la démocratie mondiale apprît à "regarder le monde avec les yeux des autres". Comment se fait-il que, vingt-quatre heures seulement après ce premier déplacement de sa carcasse, ce Ministre condamnait de nouveau fermement "le pelé, le galeux d'où venait tout le mal"? La hotte des péchés du monde est lourde d'oracles à couteaux tirés entre eux.

Prenez le cas d'un commentateur tel que M. Bernard Guetta. Depuis des années il dénonçait la vassalisation de l'Europe consécutive au plan Marshall de 1948. Et voici que non seulement il se met subitement le bandeau de l'atlantisme sur les yeux, mais il le noue solidement derrière sa tête. Croyez-moi, il était sincère hier, il l'est aujourd'hui, parce que la sincérité politique est une substance chimique instable.

Il faut donc, soit nous demander quelles sont les relations que la conque cérébrale de la bête entretient avec la géographie soit renoncer à toute politologie scientifique. Comment se fait-il que les neurones du lion aient contraint d'une pichenette l'Angleterre, l'Allemagne, la France, l'Italie à se ranger résolument - et avec toutes les apparences de la réflexion - aux côtés des deux vassaux institutionnels du maître, le Canada et l'Australie? Comment la masse grise de la bête sécrète-t-elle la notion de sincérité ? Il est absurde de croire que ces animaux auraient été convertis à l'hypocrisie la plus consciente d'elle-même.

Le paradoxe est donc de comprendre comment il se fait qu'un cerveau de chimpanzé détoisonné se laisse non point tartuffiquement, mais de bonne foi, retourner sur le gril de l'histoire, et cela au point qu'il se trouve sincèrement convaincu conjointement par la géographie et par la musculature du plus fort - quitte à changer d'émulsion cérébrale dès le lendemain pour peu que le plus fort ait trouvé un successeur mieux armé qui aura aussitôt retourné la "bonne foi" de l'animal - de sorte qu'il courra à toute allure dans la direction opposée. Qu'en est-il du faux éclat de la vérité toujours éphémère que l'histoire se forge au jour le jour et en un tournemain sur l'enclume de la force?

3 - Brève rétrospective

Ce phénomène psychobiologique aurait pu être observé en laboratoire quarante ans pour le moins avant les plus récents évènements de Crimée. On se souvient qu'en 1990 M. Vaclav Havel, n'écoutant, le pauvre, que son bon cœur, était allé à fond de train remercier les Etats-Unis. Le Nouveau Monde n'avait-il pas apporté son secours gratuit, généreux et charitable à la Tchécoslovaquie pendant toute la durée de la guerre qualifiée de froide par opposition aux guerres chaudes et bruyantes? Avec quel ahurissement ce bedeau de la démocratie mondiale avait découvert que les troupes américaines n'avaient jamais eu la sainte intention de quitter un jour le territoire de sa patrie, même si l'occupation soviétique s'effondrait. Mais la stupéfaction de saint Vaclav Havel n'a pas duré plus de trois jours: à peine de retour à Prague, ce néophyte de l'Eden politique qu'on appelle la démocratie s'était convaincu de la légitimité du nouveau pouvoir politique dont les dirigeants tenaient maintenant le sceptre du monde entre leurs mains.

Mais comment les dompteurs cérébraux de leurs sots congénères s'y prennent-ils pour sanctifier la vassalisation des peuples qu'ils sont censés avoir délivrés des occupants de leur territoire? Voyons comment le regard d'un pape anthropologue enregistrerait les preuves de l'animalité cérébrale de type simiohumain et diocésain confondus - donc d'une animalité propre seulement à une espèce biphasée par son langage de serpent tentateur. Ce type de Grand Pontife remarquerait que le regard des sciences dites humaines de cet animal ne fait que parer de sainteté le baudrier rutilant de Porthos. Car la caméra de ces apprentis d'eux-mêmes est semi-animale à son tour, donc pré-construite par les instruments dédoublés de la bête: il faudrait donc disposer d'un observatoire de cette dichotomie originelle, donc d'une science méta-zoologique de l'évolution cérébrale du bipède schizoïde.

Mais aussi longtemps qu'aucune institution scientifique, tant publique que privée ne servira de laboratoire dûment habilité à conquérir une connaissance rationnelle de l'humanité sur le fondement d'une problématique de ce genre, donc transcendante aux auto-évangélisations des sciences humaines actuelles, il n'y aura pas de tête de pont légitime pour une politologie mondiale capable d'autopsier les ecclésiocraties décédées et de radiographier celles qu'on voit encore en état de fonctionnement. La bête cautionnée à titre psychogénétique par une autosacralisation subreptice et faussée d'elle-même ne disposera jamais d'une assise authentiquement légitimante de son savoir "rationnel", mais truqué.

C'est cette spontanéité à se tromper lui-même de l'animal semi intellectualisé par les muscles de son dompteur que le pape François a comprise en décodeur post-lacanien, donc en décrypteur et méta-zoologue des trois monothéismes. Car "une vérité politique" nécessairement fondée d'avance et dans les coulisses sur une auto-légitimation peinte aux couleurs de la spécularité scientifique du moment se proclamera toujours validée a priori et en amont par une force déguisée en sainteté politique. C'est cela qu'Ignace de Loyola a enseigné à un François "hors les murs".

4 - L'Europe des coucous suisses

Les rendez-vous que l'histoire simiohumaine prend fatalement avec la mort des civilisations biphasées qu'elle enfante, ces rendez-vous, dis-je, sont d'une lenteur insidieuse, mais toujours enrubannés, galonnés, brodés et couverts à profusion des dentelles que sécrètent les servitudes dorées. Aussi la France dont le Vichy planétaire des modernes porte les pierreries ne saurait-elle dire crûment à une Europe livrée à l'orfèvrerie de l'occupation américaine:

" Ouvrez donc vos yeux et vos oreilles sur le destin véritable du monde imaginaire qui glisse de vos mains serties de diamants, observez le fer en fusion des évènements monochromes dont la coulée passe au large de vos nations asservies. N'avez-vous pas entendu de vos propres esgourdes dressées dans le matin frais les strophes et les cantates d'une certaine Mme Nuland, qui expliquait mot à mot à Jeannot lapin courant dans le thym et la rosée qu'elle avait déjà déboursé cinq milliards de dollars à salarier en masse les pseudos révolutionnaires de l'Ukraine de l'Ouest?

"Vos rétines n'avaient-elles pas enregistré les traces des rabatteurs dépités et leurs va-et-vient embarrassés? Il leur a fallu payer rubis sur l'ongle des fusils bien astiqués et de fabrication étrangère, afin de tirer du haut des toits et sans risques de réplique sur une police et une population impuissantes. N'avez-vous pas assisté à un Pearl Harbour préparé dans l'ombre, enragé et coûteux, mais tout local, afin de tirer de leurs cabanes des Européens endormis et mauvais payeurs? Ne vous êtes-vous pas informés du recrutement intensif des mercenaires qui seuls permettent aux empires de susciter, d'un claquement des doigts des mouvements de foule irréfléchis, précipités et dispendieux, n'êtes-vous pas sortis depuis tellement longtemps de la forêt primitive que vous ne sauriez vous montrer dupes de ce genre de mise en scène du salut provisoire de type démocratique?

"Je parie qu'il ne vous a pas non plus échappé que vous vous êtes aussitôt pelotonnés et avec davantage d'empressement encore qu'autrefois sous la poigne de fer d'une puissance étrangère dont vous savez tous que le quartier général se trouve installé à Mons en Belgique depuis 1967. Vous savez sûrement, n'est-il pas vrai, que le Nouveau Monde n'a pas d'intention plus claire et plus avouée que de placer sans tarder l'Ukraine censée souveraine du roi Midas sous l'autorité vassalisatrice d'un OTAN fermement dirigé par votre maître. C'est donc sous le sceptre solitaire du véritable propriétaire de votre carcasse et de votre tête asservies que vous vous livrez à une mascarade politique à l'échelle de la planète: vous savez que tout le reste n'est que gamineries, galimatias et jeu d'enfants dans une cour d'école.

5 - Les tenants et les aboutissants de votre vassalité

"Je suppose qu'il n'a pas échappé non plus à votre sagesse politique que les armes de guerre des Etats en expansion continue changent de calibre et de moyens de les fabriquer d'un siècle à l'autre. Vous avez largué vos arbalètes, vos flèches et vos javelots: vous n'ignorez donc pas que les cinq cents légions à pied d'œuvre d'Oslo à la Sicile ont des yeux et des oreilles inconnues de vos ancêtres - on les appelle maintenant des logiciels, des radars, des missiles à longue et à moyenne portée. Vous savez également que les nouvelles arquebuses se trouvent toutes installées aux frontières de la Russie.

"Vous savez enfin que ces flèches invisibles et ultra rapides sont appelées à percer les secrets électroniques de l'adversaire à de grandes distances. Vous savez donc sur quel vaisseau du temps et de la mort vous vous trouvez embarqués de force par votre maître d'au-delà des mers et vous ne pouvez ignorer que les automates guerriers rangés à la queue leu leu sur vos terres par l'étranger sont appelés à se perfectionner de génération en génération à l'école des alliances nouvelles de la foudre avec les secrets de la lumière.

"Vous n'êtes donc pas tout subitement devenus des sacristains de la démocratie, vous ne confondrez encore en rien les guerres suicidaires de votre temps avec celles des légions de César, de Germanicus ou de Varus. Et pourtant, non seulement vous n'avez pas compris goutte à ce qui se passe à quelques coudées de vos arpents, mais vous faites encore semblant d'obéir gentiment aux ordres de vos propres chefferies et de vous mouvoir sous le commandement de vos casaques souillées par votre servitude.

"Ne montez pas sur vos grands chevaux, ne prenez pas des allures d'indépendance, ne feignez pas de partager des fureurs profitables seulement à vos maîtres. Qu'avez-vous à faire cause commune avec une Crimée imaginaire, pourquoi la comparez-vous, avec un zèle emprunté aux Sudètes de 1939? C'est pitié de vous voir incarner le destin des moutons de Panurge ou de ceux que Cervantès rencontra dans les plaines de l'Estrémadure. La France est hors jeu dans la guerre planétaire des moutons. Raison de plus de faire scintiller votre nation des derniers feux d'une Europe asservie. Commencez donc par vous demander si vous connaissez bien clairement les causes véritables de votre expulsion de l'histoire réelle du monde.

"Peut-être avez-vous égaré jumelles et longues vues sur le chemin de la Crimée. Dans ce cas, voici le nouvel angle de vue que je conseille à votre astronomie politique d'ouvrir, toutes affaires cessantes. Figurez-vous que si deux cents garnisons américaines bivouaquent jour et nuit sur le sol des Germains, figurez-vous que si cent trente sept légions armées jusqu'aux dents quadrillent l'Italie, figurez-vous que si vous avez perdu la Méditerranée de Gibraltar au Caire vous ne sauriez croire que vous seriez demeurés libres de vos mouvements sous les saintes auréoles de vos démocraties verbifiques; vous savez donc pertinemment que les dieux de l'étranger vous ont enfoncé depuis longtemps sur la tête les cuirasses vocalisées de leur langage messianisé et que votre vassalité est donc inscrite dans votre apostolat.

6 - Les dindons de la farce

"Croyez-vous faire un seul pas de votre plein gré sous la toque géante de la syntaxe et du vocabulaire confessionnels dont vos maîtres ont ficelé les blasons sur vos poitrines, croyez-vous vraiment que vous demeurez les propriétaires réels de vos boîtes osseuses et de vos échines avec le crâne d'un autre vissé sur vos épaules? En vérité, vous vous égosillez à chanter en coucous mécaniques. Sachez que la Crimée n'est pas une hostie à protéger des griffes d'un fauve aux aguets de ses proies. Ne savez-vous pas encore que, depuis la nuit des temps, tous les grands Etats verrouillent leurs frontières? Que font d'autre l'Angleterre à Gibraltar ou aux Malouines, la France à Mayotte, la Chine à Hong-Kong? Pourquoi l'Espagne dispute-t-elle Ceuta et Mellila au Maroc, pourquoi les Etats-Unis règnent-ils sur la Grenade, sur le Japon et sur un canal de Panama dont ils ont repris en sous-main le contrôle, et pourquoi occupent-ils Guantanamo? Il est habile de faire flotter l'écusson d'un autre sur une chasse gardée qu'on n'entend pas laisser s'échapper.

" Sachez donc que l'Amérique est en guerre contre la Russie depuis la chute du mur de Berlin; sachez que depuis 1945 la science politique mondiale s'est mythologisée et qu'elle est présentement devenue la victime d'une tragique régression mentale; sachez que si je racontais à un sénateur romain du IIIe siècle avant notre ère que tout l'or de l'Ukraine est allé à Washington et qu'en échange, le chef des Ukrainiens de Kiev a été reçu en grande pompe par M. Barack Obama dans le bureau ovale, ce sénateur verrait tout de suite qui tient le couteau par le manche et qui ramassera la mise.

"Sachez donc qu'on amuse le tapis à vous faire dire que, de votre côté, vous auriez décidé de ceci ou de cela sur la scène du monde et les Américains de ceci ou de cela de leur côté: vous ne faites rien, belles marionnettes que sur l'ordre exprès des maîtres qui tirent les ficelles de votre théâtre. Votre complicité à la mise en place de cette gigantesque mise en scène de l'histoire du monde, n'est qu'une étape de transition bien préparée, celle qui achèvera votre noyade dans une vaste zone de libre-échange avec l'Amérique. Vous êtes à un tournant de l'histoire du monde, celui de votre auto-vassalisation définitive.

Si Machiavel ressuscitait, il ne manquerait pas d'enrichir la géopolitique contemporaine de quelques addenda concernant les modes d'expansion propres aux empires de type démocratique: "Un empire, écrivait-il, dont le sceptre brandira un mythe politique nouveau, celui d'une promesse de salut du cosmos par l'intercession miraculeuse d'une liberté universelle, un tel empire de la rédemption, dis-je, fomentera des troubles chez ses rivaux et disloquera leur territoire par les canaux souterrains d'une croyance de type biblique. Quand l'empire d'en face répliquera par l'extension résolue de son territoire et par son habileté à laisser les provinces perdues pourrir entre les mains de leurs pseudo délivreurs, l'attaquant tentera de mobiliser la planète entière sous les auréoles de sa sotériologie verbale. Mais la démocratie universelle échouera à substituer le rêve d'une vie onirique de l'humanité de type idéologique à l'omnipotence religieuse autrefois placée entre les mains du Dieu des chrétiens."

7 - La messe des démocraties

La France dit à votre Europe des coucous à ressorts que l'heure de la découverte des vrais rouages et engrenages du monde a sonné.

" Ou bien ce continent des clochettes et des sonnettes de la démocratie de bergerie mettra un terme au stationnement à la fois insultant et ridicule des troupes étrangères lovées sur ses arpents depuis trois-quarts de siècle, ou bien vous ne disposerez jamais plus du pouvoir de vous déplacer à votre gré, ni de l'indépendance d'esprit dont les peuples souverains, donc solitaires, se réclament, puisque les clauses de vos traités prévoient votre asservissement pour l'éternité.

" Les forces étrangères qui se sont massivement ruées sur l'Irak en 2003 ne sont-elles pas parties de Ramstein en Allemagne et n'ont-elles pas traversé toute l'Italie de Milan et Bologne et de Naples à la Sicile - et cela sous la protection de votre propre police? Mais si vos peuples se heurtent à mains nues à l'occupant, quelles formes nouvelles avez-vous donné au régime de Vichy? Quand ferez-vous passer devant votre haute cour de justice vos gouvernements vendus à une puissance étrangère?

" Mais, intus, intus equus Troyanus s'écriait Cicéron au Sénat. Il est en vous, il est dans vos têtes, le cheval de Troie. L'Europe s'est résignée à légitimer solennellement l'existence de l'empire américain dans sa tête; et rien n'est plus réel et concret, hélas, que les fictions gigantesque que le droit public met en place et cimente par l'usage. Vous savez que la géométrie tridimensionnelle reconnaît et vérifie l'axiomatique d'Euclide à la fois sur le terrain expérimental et sur celui de la théorie. Mais la problématique du jus gentium, elle, ne ressortit en rien à la simple vérification sur le terrain de l'action: qui peut croire un seul instant que la génération qui vous suit et qui vous pousse d'ores et déjà l'épée dans les reins se trouvera validée par l'expérience du cours réel de l'histoire du monde, alors que les légions de l'occupant d'outre-Atlantique vous enserrent dans le réseau aux mailles d'acier des bases militaires débarquées d'au-delà des mers ?

"Que vous étiez pitoyables à Bruxelles, où le monde entier vous a vus brandir à vos dépens des sabres dsont vous ne saviez pas qu'ils étaient de bois! Si vous entendez jouer les boy-scouts de Clio, savez-vous que la Russie vendra ses bons du trésor, suspendra le remboursement des prêts que vos capitalistes ont consentis à ses chefs d'entreprise, confisquera vos actifs, achètera des devises asiatiques en remplacement des vôtres, renoncera au dollar pour ses échanges commerciaux.

"L'Amérique vous met le marché en mains. Elle vous satellise autour de votre OTAN, dont les agents vous susurrent déjà à l'oreille qu'il s'agirait d'un gentil pacte d'association naturelle entre des brebis et les souverains de leur bergerie, elle ruine la spécificité de votre culture et se fait applaudir de la "troupe de sots" que Bérenger montrait du doigt au XIe siècle, à l'heure où les chrétiens croyaient dur comme fer qu'ils mangeaient réellement la chair d'un Dieu à la messe. Allez-vous vous convertir à la cervelle de la "troupe de sots" de la démocratie mondiale sous la tutelle de Washington. Croyez-vous, la tête sur le billot, que vos autels de la Liberté et de la Justice transformeront en hosties consommables les paroles liturgiques des messes d'une démocratie tombée entre les mains miraculées de Washington?

8 - Le naufrage du mythe de la maîtrise des mers

"Et puis, vous vous trompez également de stratégie tant sur mer que sur terre. Depuis la victoire de Pisandre sur la flotte athénienne à Aegos Potamos en 450 avant notre ère jusqu'à la guerre de 1940 à 1945, nous n'étions pas sortis de la logique inaugurée et démontrée par la guerre du Péloponnèse - la maîtrise des mers passait pour la clé des empires. Aussi, en 1946, le Président Truman avait-il compris que, pour la première fois sur cette planète, une seule nation victorieuse pouvait s'armer pour longtemps d'une puissance maritime immense, puisqu'elle serait à l'échelle du globe terrestre.

"Si la flotte de guerre des Anglais n'avait pas coulé les deux seuls cuirassés du IIIe Reich, le Scharnhorst et le Gneisenau, Montgomery n'aurait pas mis en déroute les tanks du Général Rommel en Afrique du Nord, parce que le transport suicidaire du carburant embarqué sur de simples pétroliers entre Chypre et Tripoli n'aurait pas été voué à un échec inévitable. Mais des missiles tirés à la vitesse de six dixièmes de secondes au kilomètre - et téléguidés par des horloges électroniques à partir des rivages les plus tranquilles, parce qu'enfouis à quarante mètres sous la terre - se font un jeu d'enfant de détecter et d'envoyer par quatre mille mètres de fond des mastodontes dont les carcasses de fer et d'acier auront été rendues vulnérables. La flotte de guerre de l'Amérique est devenue aussi imaginaire que l'excommunication majeure du Moyen-âge - une arme de surface ne symbolise plus que les sillages et les trajectoires d'une théologie de l'apocalypse en retard sur notre temps.

"Mais la candeur stratégique de la France d'aujourd'hui ne saurait aller longtemps jusqu'à ignorer que l'inconscient militaire de l'humanité demeure de type théologique et mythique et que l'art de la guerre mime encore le récit d'un Déluge et de l'arche de Noé. Quant à la France actuellement à l'avant-garde de la science stratégique mondiale, elle accorde l'absolution pleine de commisération de Descartes, de Montaigne et de Montesquieu aux cerveaux d'hier et d'avant-hier, parce que la civilisation des Celtes d'aujourd'hui a trouvé son berceau au XVIIIe siècle.

"Elle n'est donc pas près de revenir aux narrateurs d'un monde en images; mais si votre entendement vous apprend que l'histoire de la planète ne s'arrêtera pas sur l'ordre du pédagogue biblique qu'on appelle l'OTAN, si votre saine capacité de jugement vous convainc que le Vieux Monde se réveillera avant la ruine du dollar ou l'épuisement financier du premier empire militaire mondial, alors, ne pensez-vous pas que l'Ukraine sera à la fois un révélateur et un levier géant de l'histoire de la planète et que cet accélérateur de particules vous contraint d'ores et déjà à changer le rythme et la cadence de votre auto-vassalisation?

Le 21 mars 2014

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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