Les défis de
l'Europe
Courage, M.
Juncker ! 2
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 19 juillet 2014
|
1 - Londres
2 - L'exemple de la Suisse
3 - Comment attaquer un empire
sur le déclin ?
4 - Aux sources de
l'anthropologie politique
5 - Les croisés du mythe de la
Liberté
6 - La fin des civilisations
messianiques
7 - Psychanalyse de l'euthanasie
8 - Psychanalyse anthropologique
d'une gestuelle
9 - L'euthanasie de l'Europe
10 - M. Juncker et l'euthanasie
de l'Europe
11 - Courage, M. le Président
Post-scriptum
|
1 - Londres
Depuis 1973, date à
laquelle les Iles Britanniques ont
réussi à forcer la porte de l'Europe -
il y a fallu quatre ans d'une offensive
diplomatique obstinée - la politique
anglaise s'est révélée aussi nocive qu'à
l'heure où le Général de Gaulle les
maintenait au dehors à la force du
poignet.
Mais supposons un
instant qu'une révolution copernicienne
de la politique actuelle et de sa
scolastique se produisent subitement en
Europe et que la méta-zoologie
perce quelques secrets
psycho-biologiques du messianisme pseudo
laïc dont le mythe de la liberté
professe la sotériologie; supposons un
instant que la pensée politique
soudainement ressuscitée au sein des
Républiques parvienne à propulser un
Continent vieilli sur les chemins de la
simianthropologie dont j'ai
évoqué les principes la semaine
dernière.
voir : -
Courage, M. Juncker ! (1) ,
12 juillet 2014
Comment, dans cette
hypothèse, enseigneriez-vous à une
classe dirigeante au petit pied
l'évidence la plus criante de toutes, à
savoir que l'expulsion manu militari de
l'Angleterre hors d'une Europe empêtrée
dans sa sophistique ne résoudra en rien
les difficultés pratiques et de méthode
que vous allez rencontrer à la tête de
la commission de Bruxelles? Car, hier
comme aujourd'hui, ce sera un jeu
d'enfants, pour l'Angleterre et pour les
Etats-Unis, de débaucher de l'extérieur
une armée de Pygmées agglutinés à leurs
cadastres.
On se demande, du
reste, pourquoi, il y a quarante et un
ans, Londres a subitement jugé non
seulement réalisable, mais
miraculeusement rentable de paraître
sacrifier la fierté insulaire et les
gènes qui pilotent sa psychobiologie
depuis des millénaires pour multiplier
tout à coup les déclarations les plus
solennelles censées convaincre illico le
monde entier de la mutation d'un peuple
de marins à l'éloquence d'une politique
d'indépendance propre aux terriens.
M. Heath, alors
Premier Ministre de sa très gracieuse
Majesté, s'était échiné, avec des
trémolos dans la voix, à renier les
racines du monde des navigateurs, alors
que, depuis lors, la politique de
municipalisation des esprits sur l'autel
de la Liberté a coûté dix fois plus cher
aux finances publiques de l'Angleterre
que celle en provenance de l'extérieur.
Je dirai plus: si les Iles britanniques
revivifiaient leur alliance de 1945 à
1973 avec les Etats-Unis d'Amérique,
elles se trouveraient mieux armées sur
le long terme que sous le revêtement
fallacieux et fatalement tout provisoire
d'un Etat censé être devenu intra
européen par un prodige chromosomique.
Il vaut mieux se briser sur le monde
réel que de périr empêtré dans les
artifices d'un jumelage fallacieux.
2 - L'exemple de
la Suisse
Pis que cela, M. le
Président: Tocqueville le visionnaire
avait cent fois raison de soutenir
mordicus que jamais la Suisse ne
deviendrait un véritable Etat - et cela,
disait-il, à cause de la scission de
cette contrée entre deux théologies
irrémédiablement incompatibles entre
elles, trois langues de culture, donc
trois psycho-physiologies, et un idiome,
le romanche, qui n'accouchera jamais
d'un Cervantès ou d'un Shakespeare. De
plus la disproportion entre l'étendue
territoriale de Berne et de Glaris, de
Zürich et d'Uri, de Vaud et d'Appenzell
empêchera toujours l'Helvétie de devenir
un Etat mentalement unifiable - seules
sa neutralité, déclarée perpétuelle en
1814 et sa minusculité ont pu lui donner
une illusion aussi trompeuse.
C'est dire qu'une
Europe dirigée, à l'instar de la Suisse,
par un conseil d'administration ne
pourrait se donner une vocation et une
volonté politiques plus unifiées que
celle des retraités de Marignan, qui
fêtent le cinquième centenaire de leur
prospérité d'actionnaires d'une société
anonyme aux ramifications planétaires.
3 - Comment
attaquer un empire sur le déclin ?
Mais supposons,
amiral, que vous entendiez relever le
défi superficiel que les éducations
publiques pseudo-laicisées lanceront aux
théoriciens du statut viscéralement
insulaire de l'Angleterre. Dans ce cas,
demandez-vous d'abord comment vous
donneriez à des populations cancérisées
depuis trois quarts de siècle par un
atlantisme acéphale la connaissance
psychobiologique de l'idéalisme
politique que requerrait une Europe
susceptible de devenir - aux côtés de la
Chine, de la Russie, de l'Amérique du
Sud et demain de l'Afrique - la flotte
de guerre d'une civilisation de
pionniers de la pesée
simianthropologique du genre humain. Les
opinions publiques gangrenées
d'aujourd'hui ne sont pas davantage
informées des questions métazoologiques
posées à l'humanité un siècle et demi
après Darwin, que la population
chrétienne du Moyen-âge ne se posait la
question de la validation théologique
des religions placées sous le sceptre de
la multiplication des monothéismes.
De quoi MM.
Hollande et Renzi se sont-ils
exclusivement entretenus - et de toute
urgence - en prévision de votre élection
du 27 juin à la présidence de la
Commission? De l'enracinement à
perpétuité des bases américaines en
Europe? De la dictature du dollar? De la
comparution de la France à la barre d'un
tribunal américain? Nullement : il
s'agissait seulement de savoir si une
Europe dont l'échine s'est amollie avec
l'âge échouera à s'imposer l'ascèse
sévère des Germains de Tacite ou si elle
échouera sur le modèle de la République
de Weimar. Alors que l'Europe n'aura pas
de politique aussi longtemps que cinq
cents forteresses étrangères n'auront
pas quitté ses arpents, vous ne lirez
dans aucun journal et au sein d'aucun
gouvernement une seule ligne qui
contesterait, même timidement, la
légitimité du campement éternel des
troupes de l'étranger sur les terres du
Vieux Monde.
Or, pour traiter de
cette question, il faut savoir que la
politique n'est jamais qu'un acteur
intermittent de l'histoire. Quand M. Del
Cano, un économiste de renom, se
trouvait à la tête de la République de
Weimar, il s'est dit que la France
exploitait évidemment les mines de la
Ruhr pour des raisons exclusivement
économiques et qu'elle quitterait les
lieux sur l'heure si seulement des
grèves allemandes cessaient de rendre
rentables les entrailles de la terre.
Quand les démocraties mettent des
tenanciers à la tête des Etats, elles
ignorent que les tenanciers ne sont pas
davantage des hommes politiques que les
cordonniers ne sont des dentistes. La
même méprise s'est produite quand le
Parlement allemand a porté le Dr Erhardt,
le père du "miracle allemand" à
la succession de M. Konrad Adenaueur. Si
M. Giscard d'Estaing avait eu la tête
d'un homme d'Etat jamais il n'aurait
marché à la rencontre de M. Jimmy Carter
sur les plages de Normandie le 6 juin
1974. Le cerveau humain n'est plus
polyvalent sitôt qu'il devient sommital
dans telle ou telle discipline.
4 - Aux sources
de l'anthropologie politique
L'anthropologie
politique enseigne qu'au XIe siècle,
l'humanité a changé l'assise de la
légitimation simianthropologique de
l'expansion des Etats. Alors que les
Romains décidaient d'entrer en guerre,
puis demandaient à leurs dieux de les
aider à remporter la victoire sur le
champ de bataille, le christianisme a
découvert que les Etats se rendent plus
puissants à combattre sous le sceptre
d'un souverain omnipotent du cosmos;
car, en nommant les évêques et les
prêtres au sein de tous les Etats, le
Saint Siège coiffait les rois du monde
de la gloire du sceptre et de la tiare
de Jésus-Christ et leur montrait à tous
que le pouvoir terrestre ne devient
absolu qu'à trouver sa source dans un
ciel despotique.
Quand Henry IV
d'Allemagne eut pris sa revanche sur
Grégoire VII, qui l'avait humilié à
Canossa, il se mit à son tour à la tête
d'une croisade, tellement la victoire
politique passait maintenant par le
pilotage des cervelles. Si vous ne savez
pas que M. Obama est le continuateur de
cette mutation de la psychobiologie de
la politique et que la Liberté est le
nouveau Dieu de l'hégémonie politique
sur les cinq continents, vous n'avez pas
la connaissance de la psychogénétique du
genre simiohumain qui vous mettrait en
main les clés de l'Europe.
Car en 2003, les
troupes américaines se sont ruées sur
l'Irak à partir du camp de Ramstein en
Allemagne et ces théologiens du Saint
Siège de la Liberté ont traversé
l'Italie du Piémont à la Sicile. Treize
ans plus tard, sachez qu'il ne faudra
pas confier à des historiens, mais à des
caricaturistes de la cervelle de
l'humanité le récit hallucinant d'une
petite Allemande furieuse qu'on ait
espionné son téléphone portable, mais
nullement incommodée par la présence,
soixante-dix ans après la capitulation
de son pays, de deux cents forteresses
américaines sur le territoire de sa
patrie.
5 - Les croisés
du mythe de la Liberté
Une seule voie vous
demeure ouverte au sein d'une Europe
tombée au pouvoir des magiciens et des
sorciers de ses idéalités, celle de vous
initier à une méta-zoologie politique
qui enseignerait à votre Commission en
état d'hypnose l'art de peser et de
calibrer les fautes stratégiques dans
lesquelles s'enferre à son tour un
empire américain tétanisé, lui aussi et
qui n'en revient pas de se trouver
subitement attaqué de tous côtés dans sa
mythologie de sauveur du monde.
Quelle est la plus
titanesque erreur théologique de
Washington? Celle de s'imaginer que,
près d'un quart de siècle, depuis la
chute du mur de Berlin, le Vieux Monde
ne changera pas d'inconscient religieux
et que, pendant des générations encore,
la masse des esprits municipaux que
sécrètent les bas empires se laissera
facilement convaincre de poursuivre le
combat du messianisme démocratique
américain jusque dans leurs jardins et
leurs potagers. Il sera impossible à
Londres et à Washington de convaincre
les villages de la Providence
républicaine de ce que Moscou et Pékin
auraient pris la relève des ambitions
guerrières du IIIe Reich et que ces deux
mastodontes prépareraient en douce la
troisième guerre mondiale contre la
démocratie des bivouacs américains.
L'Europe attend le Charles Martel qui
arrêtera les croisés du mythe de la
Liberté à Poitiers.
6 - La fin des
civilisations messianiques
Voyez comme
l'Amérique ne se doute de rien; c'est le
nez au vent et les coudées franches
qu'elle tente de forcer la transition
impossible qui conduirait la démocratie
messianisée sur le modèle des idéalités
rédemptrices aux victoires brutales
d'une démocratie convertie à la loi du
glaive. Le Pégase des abstractions
éloquentes a fait son temps.
Le mythe américain
a passé du grotesque au burlesque et de
l'ubuesque au funambulesque quand il
prétend habiller d'éloquence un mythe du
salut en haillons. Certes, au premier
siècle de notre ère, la chute
inexorable, mais lente, de l'empire
romain ne faisait pas l'objet de toutes
les conversations, bien au contraire.
Tacite lui-même n'est pas un catéchète
sommital: il vous peint une agonie
colossale, mais il ne la contemple ni de
haut, ni de loin et ne tente en rien de
la comprendre en anthropologue avant la
lettre, mais seulement de la raconter
pas à pas. Son ambition est celle des
grands solitaires de l'écriture, qui ne
songent jamais qu'à laisser une œuvre
aere perennius - plus durable que
l'airain. Or, l'immortalité d'une
écriture n'est pas celle de la pensée.
On attend un
tableau de la paralysie au ras du sol
dont souffre une civilisation européenne
étêtée. De 1917 à 1989, il était jugé
sacrilège de laisser, même timidement
entendre aux paroissiens du rêve
marxiste qu'un Etat évangélisateur et
dévot, mais construit sur une utopie
pétrifiée, serait une variété de la
cécité des empires ecclésiaux: une
sotériologie est posthume ou n'est pas.
Puis, seul Hitler fut censé avoir nourri
les ambitions propres aux empires
cuirassés, comme si Athènes, Rome,
l'Angleterre et la France n'avaient pas
porté de cuirasse. Mais il n'existait
pas d'empires de type eschatologique,
messianique et rédempteur, croyait-on,
alors que le christianisme avait nourri
ce composé pendant deux mille ans. Mais
si le marxisme ne peut plus donner à
l'animal démocratisé un ennemi à
combattre sur toute la terre messianisée
par le mythe de la Liberté, comment
l'empire américain ne deviendrait-il pas
le premier roi nu de la tête aux pieds
qu'un conte d'Andersen ferait voir à
tout le monde?
7 - Psychanalyse
de l'euthanasie
Esquissons les
traits de la mutation future des
méthodes de l'anthropologie balbutiante
d'aujourd'hui. Votre fonction vous
permettra d'observer de près les
fondements de cette révolution et de
préciser les progrès d'une discipline
encore embryonnaire. Son échiquier
illustrera la cohérence interne d'une
nouvelle politologie. Quelle
problématique enseignera-t-elle
l'histoire réelle de l'Europe aux
sophistes de la démocratie ? Que la
feinte idéalisante et la ruse verbifique
sont les premiers masques du sacré.
Elles ont permis à la bête de s'auréoler
à l'école de sa vocalisation et de se
planétariser à l'écoute de ses
défaussements sotériologiques sur des
abstractions glorifiées.
Les formes
auto-sanctifiantes de l'euthanasie
hospitalière en présentent un récit
universalisé. Quand les malades reconnus
incurables par le corps médical et dont
une thérapeutique dévotement prolongée
ne ferait que retarder la mort au profit
d'une piété affichée, quand ce type de
patients, dis-je, met soudainement
Hippocrate dans l'impossibilité de se
cacher plus longtemps l'évidence qu'il
dispose de moyens expéditifs et
rationnels d'abréger au grand jour
l'agonie des moribonds, jamais ce vivant
ne s'autorisera à achever ses congénères
de sang froid: il appellera le tiers
mythique et gigantesque du haut
Moyen-Age à lui apporter le secours de
son ubiquité; et le ciel les aidera, de
son côté, à cesser brutalement de
soigner et d'alimenter les mourants. Il
y aura collaboration et complicité
dévotes entre le praticien et le sacré:
on laissera au double colossal la tâche
de prêter au médecin l'aide de sa
théologie de la vie posthume. Mais la
science médicale du trépas se cachera
soigneusement sa propre décision de
demander assistance au ciel de l'endroit
- elle cachera également sa décision au
créateur imaginaire du cosmos lui-même,
sur lequel elle se défaussera pourtant
angéliquement - le secouriste de là-haut
achèvera le malade de sa main en lieu et
place du médecin délivré, lequel
poussera un soupir de soulagement: le
ciel aura pris saintement la relève de
sa trousse.
8 - Psychanalyse
anthropologique d'une gestuelle
Observez à la loupe
la signification anthropologique de la
gestuelle qui commandera la dérobade de
la bête réfugiée dans un fabuleux
secourable. Pourquoi ce défaussement
réconfortant s'est-il inscrit depuis des
millénaires dans les gènes du primate au
cerveau biphasé? Les dichotomisés à
titre héréditaire, les scindés de
naissance, les spécularisés par la
projection de leur panique d'entrailles
dans le céleste soumettront le mourant
aux souffrances de la faim et de la
soif. Il y faut la salle d'attente de la
mort qu'on appelle une Eglise. La piété
montrera quelque impatience à
enregistrer la décision d'un Créateur du
cosmos bipolarisé à son tour et qui sera
censé achever le malheureux à l'école de
son euthanasie à lui, celle qui fera
bénéficier la bete des masques sacrés de
son dédoublement rédempteur dans
l'éternité.
Un raisonneur
intrépide et qui aurait pris une avance
audacieuse sur l'évolution du cerveau
paresseux hâterait le travail plus ou
moins rapide de l'exécuteur absolu dont
cet animal a transporté les seringues
dans un ciel mortifère. Mais, dans ce
cas, il serait poursuivi et châtié pour
assassinat pur et simple - à moins que
notre Hippocrate n'ait rassemblé en
toute hâte un second cénacle d'empressés
charitables et d'exorcistes d'un code
pénal forgé en épée de Damoclès. Mais
ces secouristes de Dieu se voileront la
face à leur tour et non moins
collectivement que les précédents, donc
avec le même masque collé sur le visage
- et pourtant, ils avaient bel et bien
commencé tou seuls d'exécuter le mourant
sous deux tortures cruellement
accélératrices de la mort, la faim et la
soif.
9 - L'euthanasie
de l'Europe
Il en est ainsi de
l'Europe mi-religieuse, mi-laïque: ce
malade se trouve placé sous perfusion
depuis des décennies; mais on le voit
désormais dépourvu aussi bien d'une
thérapie énergiquement célestiforme -
parce que la médication théologique est
reconnue pour vaine par la majorité du
corps médical moderne - que privé de
toute nourriture de retardement
artificiel du décès. Mais si le moribond
se trouve expressément condamné au
trépas par un corps médical à bout de
ressources, la question demeure ouverte
de savoir à quel rythme le sursitaire
sera mis en terre, et dans quel
corbillard il sera transporté, et qui
orchestrera les funérailles, et quels
seront les rites d'un ensevelissement
cérémonieux.
Depuis le
paléolithique, la bête sépulcrale se
cérébralise à substituer un Zeus et sa
prêtrise à l' épouvante originelle qui
la tenaille. C'est prosternée qu'elle
refuse jusqu'au bout de paraître prêter
la main à la fatalité répressive dont
elle a pourtant vivement précipité le
cours. Pourquoi ces agenouillements?
Parce qu'elle ne sait pas encore et
pourtant elle sait déjà qu'elle se
trouve privée de témoin dans le vide et
le silence de l'éternité - et elle s'en
trouve tétanisée. Ce flottement de la
conscience de soi est le chronomètre de
l'évolution cérébrale du simianthrope.
Une anthropologie
armée d'un regard de l'extérieur sur son
objet ne pourra fabriquer et régler
cette montre de précision qu'à partir de
l'observation du cerveau de la bête
scindée entre le réel et le fabuleux.
Or, l'Europe, livrée à l'euthanasie
passive fait d'ores et déjà débarquer
l'horloge de la thanatologie dans la
politique et dans la science historique.
10 - M. Juncker
et l'euthanasie de l'Europe
Telle est votre
situation, M. Juncker: il vous est
interdit aussi bien d'achever un malade
reconnu incurable que de prolonger son
agonie à seule fin de permettre à tout
le monde de se voiler plus commodément
la face sous le dernier des masques
sacrés du genre humain, celui qu'arbore
une démocratie mondiale auto-sanctifiée
par le mythe de la Liberté. Certes, vous
pourriez remettre sur pied un mourant
artificiellement couché sur son lit
d'agonie patriotique et républicain. Il
existe une thérapie de choc bien connue
des Anciens et qui a fait cent fois ses
preuves dans le passé. Mais chacun feint
de s'affairer autour d'un malade que
Monsieur-tout- le- monde a conduit pas à
pas au tombeau.
M. Juncker,
abrègerez-vous les souffrances du
sursitaire au chevet duquel vous êtes
appelé ou bien ferez-vous boire in
extremis une potion résurrectionnelle au
moribond? Mais prenez connaissance du
regard que l'anthropologie de demain
portera sur la bête semi cérébralisée à
l'école de ses dieux, donc de ses
masques divinisés; observez la classe
dirigeante accroupie autour du lit de
mort de la civilisation du "connais-toi"
et initiez-la à la méta-zoologie de la
politique.
Quinte-Curce
raconte qu'Alexandre avait été retiré
mourant d'une rivière glacée dans
laquelle, au sortir d'une bataille, il
s'était précipité tout transpirant et
couvert de poussière. Son médecin
disposait d'un traitement de cheval,
comme on dit, mais une lettre anonyme
avait averti avec force détails le fils
de Philippe de ce que son médecin -
pourtant un ami d'enfance - avait été
corrompu par Darius et entendait lui
faire boire un poison mortel déguisé en
remède . La crédibilité de ce complot
reposait principalement sur l'empereur
perse, qui avait eu l'imprudence de
faire proclamer à son de trompe qu'il
donnerait mille talens à l'assassin
d'Alexandre. "Aussi personne
n'osait-il prendre le risque d'essayer
un médicament que sa nouveauté rendait
suspect." (Quinte-Curce,
Histoires, L.3, chap.6)
Or, la tisane
miraculeuse que proposait le médecin,
dont la célébrité est attestée par
Arrien, n'avait pas "un effet
immédiat" et ne pouvait être prise
que quelques jours plus tard. Quand, à
la date convenue, "le médecin se
présenta, tenant à la main la coupe où
il avait dissous le médicament,
Alexandre se soulève sur son lit et,
tenant à la main la lettre de
dénonciation, la tend à l'Hippocrate.
Puis, tout en observant du coin de l'œil
le médecin plongé dans la lecture de la
lettre, il prend la coupe et la vide
sans effroi apparent (interritus)."
M. Juncker si vous
faites boire la coupe de la vie à
l'Europe, sachez que vous semblerez
d'abord donner raison à votre
dénonciateur. "Le médicament agit si
vigoureusement que les résultats
immédiats confirmèrent l'accusation :le
malade haletait, le souffle court (…)
Mais aussitôt que le médicament se fut
répandu dans les veines du patient et
qu'il eut pénétré insensiblement le
corps tout entier, l'esprit d'Alexandre
retrouva sa vigueur, puis son corps; et
cela plus rapidement qu'on ne le
croyait, car trois jours seulement après
s'être vu réduit à la dernière
extrémité, il se montra aux soldats."
11 - M. le
Président, montrez-vous aux soldats
M. le Président, si
vous parvenez à ouvrir les yeux de cinq
cent quarante millions d'ensorcelés et
si vous les convainquez de porter leur
regard sur le nouveau centre de gravité
de la planète que l'empire américain
déclinant entend occuper - à savoir,
l'espace qui s'étend de Brest au Caucase
- vous aurez quelques chances de faire
gagner la bataille au mourant. Car le
continent européen est devenu un
rassemblement de petits cantons suisses.
Mais s'il devenait conscient de son
helvétisation larvée, il aurait des
chances, ou bien de se redonner un globe
oculaire à l'échelle de la planète, ou
bien de prendre définitivement le chemin
de son rabougrissement, ce qui lui
permettrait de quitter la scène
internationale sur la pointe des pieds.
Courage, M. le
Président de l'Europe d'Uri, de Schwytz
et d'Appenzell, le Darius américain se
cherche désespérément un empire de
substitution à celui de 1945. Aussi,
votre siècle vous divise-t-il entre
votre tâche d'instituteur d'une Europe à
ressusciter et celle de votre vocation
d'avocat, qui vous appelle à plaider à
la barre de l'histoire la cause d'une
civilisation sur le point d'accoucher
d'une méta-zoologie de la politique
mondiale. Dans votre rôle d'instituteur,
c'est l'alphabet de la géopolitique du
simianthrope que vous devrez enseigner
aux vassalisés en culottes courtes. Si
vous ne donnez pas aux générations de
demain un regard de l'extérieur sur
l'animalité spécifique du cerveau
simiohumain actuel, qui est vocalisé et
logicisé, si vous n'entrez pas dans la
postérité vivante de Darwin et de Freud,
si vous n'enseignez pas les rudiments de
la simianthropologie aux démocraties
endoctrinées par le mythe de la Liberté,
vous n'enfanterez pas les pionniers du
"connais-toi" qui attendent de vous
l'accomplissement d'une mission
socratique, celle de donner son élan à
l'humanisme abyssal de demain.
Mais, dans votre
rôle d' avocat, le remède dont vous
portez la coupe à la main ne sera pas
moins difficile à faire boire au
tribunal de l'humanisme moribond des
croisés d'aujourd'hui et de demain que
celui du "connais-toi" révolutionnaire
que vous enseignerez aux enfants retirés
de la rivière; car il vous faudra
initier les juges à la lecture d'un
codex civil qu'ils n'ont jamais ouvert
et qu'ils ne sont pas près de consulter.
Vous aurez grand peine à seulement faire
feuilleter aux magistrats un code de la
Présence et de l'Absence des peuples et
des nations sur la scène internationale.
Dites aux soldats d'Alexandre que les
absents de l'histoire du monde ne se
trouvent pas rayés de la carte pour si
peu. Sparte est un gentil village blotti
au bord de l'Eurotas et elle y campera
longtemps encore. En revanche, les
trépassés de Clio s'installent désormais
dans des hôtels de grand luxe. Les
salons du palais des Absents, sont
remplis de fantômes chamarrés. Que de
dépenses somptuaires, que d'effigies
dispendieuses, que de solennités
rutilantes!
L'hôtel des Absents
est un palace dont les joyaux illustrent
l'amnésie. Faites boire à l'Europe la
coupe de la mémoire du monde; le malade
halètera, le souffle court et une nuée
d'accusateurs vous traiteront
d'empoisonneur de l'Europe.
Courage, M. le
Président, vous avez la chance de
diriger un musée de l'Europe. Il vous
appartiendra soit d'y épousseter les
spectres des nations, soit de leur
redonner la vie. Victor Hugo a inventé
le terme de "résurrecteur". C'est
un grand privilège, pour un homme
politique entouré d'orfèvres de la mort
de se choisir un destin de résurrecteur.
Post Scriptum
La pause
estivale prendra fin le 23 août.
A partir de cette
date, et compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la
langue française que si le Président de
la République et le Premier Ministre se
voient directement mis en cause, je
relèverai quelques-unes de leurs fautes.
Exemple: M. Manuel
Valls confond il y va avec
il en va.
Il en va
s'emploie dans un sens comparatif:
il en va de la France comme il
en va de sa grammaire.
Il y va
renvoie à un enjeu: il y va
de la survie de la France.
M. Hollande ignore
le sens du verbe initier,
qui signifie enseigner les secrets
d'une religion, d'une doctrine, d'une
discipline scientifique.
Le 18 juillet 2014
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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