Thèmes d'actualité
Séance extraordinaire de l'Académie
des sciences morales et politiques
Intervention remarquée d'un revenant
qui aurait changé de tête
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 17 octobre 2014
"Interroger
les grands philosophes, c'est
transformer les questions qu'on leur
pose en instruments d'approfondissement
de la connaissance du genre humain."
Jaspers
|
Avertissement
1 - La laïcité, la science et la
foi
2 - La foi et le meurtre sacré
3 - Deux questions de fond
4 - Dieu est-il un tueur ?
5 - La laïcité française dans
l'histoire de l'évolution
6 - L'avenir de la vie
spirituelle et la géopolitique
7 - Les visionnaires et les
bâtisseurs
8 - L'avenir des nations
9 - Un petit serviteur …
Post scriptum
|
Avertissement
Que faut-il retenir
du troisième discours imaginaire d'un
revenant qui aurait changé de tête? Les
fatalistes des ténèbres disent qu'on ne
bâtira jamais des majorités de la raison
sur un régime politique faussé d'avance
par le principe irrationnel, selon
lequel les élites éclairées se
trouveront nécessairement marginalisées,
puisque leur mode de sélection les
mettra automatiquement en minorité.
D'autres ennemis des miracles
soutiennent, au contraire, que les
vraies élites dirigeantes sont toujours
nées des masses débêtifiées; et ils
demandent à la pensée de les aider à
percer le secret de ce prodige.
Exemple : un
journaliste allemand - Udo Ulfkotte
- vient de publier un ouvrage intitulé
Gekaüfte Journalisten,
Wie Geheimdienste und Hochfinanz
Deutschlands Massenmedien lenken,
Editions Kopp, dans lequel il raconte
comment la CIA achète systématiquement
la presse de son pays et notamment le
quotidien le plus célèbre d'Allemagne,
la Frankfurter Allgemeine Zeitung,
où il a travaillé dix-sept ans au titre
de rédacteur en chef.
Comment voulez-vous
qu'une Europe dans laquelle les éditeurs
n'hésitent pas à attaquer les journaux
dont ils ont grand besoin, qu'une telle
Europe, dis-je, résiste longtemps aux
ambitions des peuples alphabétisés et
désireux d'apprendre comment on tente de
les domestiquer? Impossible de renvoyer
à leur ignorance antérieure à 1789 des
populations auxquelles on a appris à
lire et à écrire! Bien plus, au XVIIIe
siècle, seul un peloton d'éditeurs
courageux demandaient à des imprimeurs
hollandais d'imprimer Voltaire. Un Vieux
Continent où l'on s'informe sur internet
du degré de vassalisation atlantiste de
l'Etat et de la presse officielle
enfante d'ores et déjà une élite
d'avant-garde, laquelle devient
rapidement majoritaire au sein des
instances qui pilotent et éclairent
l'opinion publique.
Et maintenant,
voici que la prestigieuse Académie des
sciences morales et politiques va
jusqu'à mettre sur le gril le cerveau
des futurs candidats à la présidence de
la République !
1 - La laïcité,
la science et la foi
Mesdames et
Messieurs,
Je remercie votre
haute assemblée d'avoir bien voulu me
faire connaître son souhait de
m'entendre discrètement dans cette
enceinte protégée, parce que
l'invitation de l'Académie des sciences
morales et politiques ne s'adresse pas
au candidat d'une élection, fût-elle
présidentielle, mais témoigne du vœu
révolutionnaire que votre illustre
autorité exprime publiquement et depuis
plusieurs années, celui de soumettre les
candidats à la Présidence de la
République à un double examen de sa
connaissance des secrets de l'espèce
humaine et d'une pesée sévère de son
expérience de la politique mondiale.
La preuve de ce que
votre Académie mérite le titre
d'examinatrice et de pédagogue de
l'encéphale de l'Etat, la preuve,
dis-je, de ce que le savoir guide le
pouvoir dans toutes les grandes
civilisations, vous me l'avez signifiée
en me fixant d'autorité l'objet de votre
pesée et le champ exact de votre haute
écoute.
Vous voulez que je
vous entretienne avec clarté et sans
ambiguïté non seulement de l'avenir
politique et culturel de la communauté
musulmane de France, qui compte plus de
cinq millions de fidèles du Coran, mais
de l'avenir planétaire des sciences
dites humaines, qui, dès la fin du
XVIIIe siècle, ont commencé de se
substituer à l'enseignement doctrinal et
confessionnel de la théologie
chrétienne.
Ce faisant, vous
tenez à me rappeler d'emblée que si le
siècle des Lumières a fait prendre à la
France trois siècles d'avance sur une
raison encore en attente de ses feux,
les héritiers de Voltaire ont rapidement
dilapidé leur crédit, puisqu'à l'heure
même de son triomphe, en 1905, la raison
logique a cessé de se présenter en
moteur universel du "connais-toi". Car
les législateurs intrépides qui ont
imaginé de séparer l'Eglise de l'Etat
d'un violent coup de hache se trouvaient
fatalement contraints, dans le même
temps, de valider, donc de pétrifier
toutes les croyances religieuses reçues
sur notre astéroïde, donc de cesser de
les hiérarchiser afin d'en approfondir
le décryptage anthropologique et d'en
analyser les ressorts psycho-politiques.
Un siècle plus
tard, nous constatons, hélas, qu'une
paralysie irrémédiable des sciences
humaines est d'ores et déjà résultée de
cette contradiction radicale, puisque la
connaissance expérimentale des secrets
de l'évolution cérébrale de notre espèce
ne saurait suivre un autre chemin de la
méthode scientifique que celui qui nous
fera connaître les causes véritables de
toutes les religions du monde. Pourquoi
l'accroissement tardif et relativement
modeste du poids de notre boîte osseuse
originelle nous a-t-elle seulement
précipités dans des cosmologies
mythiques, comme en témoigne, jusqu'à
nos jours, l'ambiguïté mi-irénique, ni
guerrière de nos diverses théologies du
monothéisme?
C'est donc un très
grand honneur pour moi que votre
Académie daigne m'interroger sur
l'avenir de la connaissance scientifique
du cerveau délirant ou contrôlé du genre
humain, parce qu'il serait absurde que
l'ignorance des chefs d'Etat modernes
sur un sujet aussi capital que celui des
sources semi-animales du sacré demeurât
la même, en ce début du IIIe millénaire,
qu'au plus profond des ténèbres
théologiques du Moyen-Age. En ce
temps-là, le savoir moral et politique
appartenait exclusivement à l'Eglise, et
les hommes d'Etat les plus puissants
demeuraient tout entiers les élèves du
prêtre de leur paroisse. Aujourd'hui,
nous avons perdu la gouvernance du
Saint-Siège omniscient qui faisait, de
nous tous, les disciples dociles de
l'enseignement de nos villages. Il est
temps, me dites-vous, de savoir si les
chefs d'Etat réduits à piocher la
rocaille du temporel ont remplacé
l'omnipotence dont abusaient les savoirs
mythologiques d'autrefois par les
pelletées de terre de l'ignorance pure
et simple que professe désormais une
laïcité résolument butée sur ses
coordonnées.
2 - La foi et le
meurtre sacré
Votre invitation
tombe d'autant plus à point nommé que
l'égorgement sacré de l'un de nos guides
de haute montagne les plus renommés a
posé à la France laïque et au monde
entier la question de la véritable
nature de Jahvé, d'Allah et du Dieu en
trois personnes. Ont-ils tous trois le
couteau de la piété de leurs fidèles
entre les dents? La réponse de la
communauté musulmane a été unanime,
éloquente et poignante: pas un seul
fidèle d'Allah n'a reproché ses
convictions religieuses à M. Hervé
Gourdel. Tous ont réaffirmé avec force
et avec une conviction entière que les
trois monothéismes reposent sur le culte
de la vie humaine et que les tueurs
armés de leurs saintes écritures sont
non seulement des hérétiques, mais des
négateurs de leur foi. Bien plus:
beaucoup d'orants des mosquées se sont
indignés de la méfiance qu'on leur
témoignait. Pourquoi osait-on leur
demander de se laver bruyamment d'un
soupçon insultant? Pourquoi, en raison
de leur approbation précipitée et
irréfléchie de cette lustration
publique, leurs propres imams ont-ils
paru légitimer sincèrement une
purification absurde et qui ridiculisait
la communauté musulmane tout entière?
Vous pensez bien
que la France politique et l'Etat
républicain saluent ce pas de géant de
la pensée rationnelle et démocratique,
vous pensez bien que le Président d'une
nation souillée par la saint Barthelemy
et l'affaire Calas ne peut que rappeler
solennellement à quel point le monde
moderne est l'héritier scientifique et
laïc du siècle de la raison universelle
qui a préparé notre Révolution de 1789
et qui faisait dire à Voltaire : "
Apprenez à penser par vous-mêmes ".
Fondée en 1795, dissoute dès 1803,
resurgie en 1832 seulement, votre
Académie ne cesse de rappeler aux
Français que leur pays se veut la source
mondiale de la pensée logique.
3 - Deux
questions de fond
C'est dans cet
esprit que deux questions de fond se
posent désormais avec insistance aux
croyants juifs, musulmans et chrétiens
de bonne foi. Scientifique d'abord:
comme vous le savez, après un voyage de
dix ans à la vitesse de mille kilomètres
à la minute, la sonde Rosetta vient de
se poser sur la comète 67P/Tchourioumov-Guerassimenko,
surnommée "Tchouri", qui
virevolte aux confins du système
solaire. Ce long voyage l'a conduite à
six milliards de kilomètres seulement de
notre habitat, c'est-à-dire à quarante
unités astronomiques de la terre. Si cet
engin poursuivait sa course jusqu'à
l'étoile la plus proche, située à cinq
années-lumière de Paris, il y mettrait
soixante-douze mille ans; et comme la
vitesse des rayons lumineux multiplie
par dix-huit mille celle de la sonde, il
faudrait deux cent cinquante mille
milliards d'années à cette mécanique
pour se rendre à la frontière de la
matière cosmique où l'infini
continuerait sans trêve ni repos
d'ouvrir sa béance devant elle.
C'est dire qu'il
vous faut brusquer la cadence des
travaux d'un Dieu engourdi, car s'il
existait - au sens biblique du terme -
il ne saurait s'être attelé six jours
durant à la fabrication paresseuse de
notre astéroïde, puisqu'en ce début du
troisième millénaire, ce bâtisseur
ensommeillé n'aurait pas encore achevé
de façonner un seul grain de sable dans
le cosmos.
Il faut donc nous
rendre à l'évidence: le calibre cérébral
des dieux endormis d'autrefois a
toujours répondu aux connaissances
astronomiques rudimentaires de leur
temps. Le cosmos traditionnel de
Ptolémée se trouvait piloté par un Zeus
dont Archimède et Euclide tenaient les
rênes. Le Dieu qu'appelle l'infini n'est
pas inscrit sur nos registres publics.
Allons-nous rendre impossible tout
progrès des sciences humaines sur les
cinq continents à seule fin de ne pas
offenser les fidèles d'un Olympe oublié?
4 - Dieu est-il
un tueur ?
La seconde
difficulté intellectuelle que rencontre
une laïcité tombée en léthargie, mais
dont l'étoile nous adresse des signes de
moins en moins équivoques de son
ambition de redevenir pensante, cette
seconde difficulté, dis-je, naît de la
définition nécessairement politique,
donc punitive du petit dieu stellaire
auquel notre époque a arraché des mains
le timon de l'univers microscopique de
nos ancêtres.
Vous savez que
l'idée grandiose d'abolir la peine de
mort n'est venue d'aucune de nos
Eglises, mais de la République de la
raison, donc des héritiers d'un siècle
des Lumières qui féconde encore de nos
jours l'éthique politique de tout le
genre humain. Vous savez également que
l'abolition de l'assassinat légalisé et
sacralisé par la voix des Etats est un
pari politique et civique tellement
audacieux que le Vatican ne s'y est
rallié que fort récemment et du bout des
lèvres. Comme il se trouve qu' à
l'instar de tout pouvoir de ce monde, le
Dieu de la géométrie d'Euclide se divise
entre des gâteries et des châtiments
censés dissuasifs; et comme, de
surcroît, le génocidaire du Déluge
torture éternellement ses offenseurs
sous la terre, ce qui dépasse mille fois
la cruauté de la peine de mort par
l'estrapade, la pendaison ou
l'écartèlement, la question se pose de
savoir comment les croyants actuels vont
se mettre à combattre massivement leur
ignorance des fondements pénaux et
anachroniques de leur propre théologie.
Qui leur enseignera à se procurer
pieusement un Dieu plus civilisé que
l'illuminé sanguinaire dont la
sauvagerie éternelle est censée piloter
le cosmos?
La République n'a
pas de philosophes et l'anthropologues
de l'histoire des théologies, aucune
Eglise ne sécrète une classe de clercs
suffisamment nombreuse pour servir de
fer de lance à la raison du monde et
l'Islam ne reprendra pas le chemin des
encyclopédistes français. Que va-t-il se
passer?
5 - La laïcité
française dans l'histoire de l'évolution
Cinq siècles après
la Renaissance largement manquée du XVIe
siècle, cette question se situe
désormais au cœur de la politique et de
la science anthropologique dont un chef
d'Etat moderne doit s'informer. Car
l'expérience de l'histoire a enseigné à
votre illustre Académie que le Dieu
unique a changé de tête d'un siècle à
l'autre et que la capacité de jugement
de ces sosies grandioses et terribles de
la créature a progressé par la voix des
prophètes, qui ne cessent d'annoncer le
Dieu civilisé de demain. Ou bien la Ve
République se veut plus réflexive que la
IVe et la IIIe, donc mieux connectée
avec la course des sciences humaines
depuis trois siècles et, dans ce cas,
"Dieu" progressera parallèlement à
l'évolution cérébrale de la civilisation
mondiale, ou bien la France retournera
tout droit au Moyen-Age; et elle
proclamera haut et fort que la
connaissance des arcanes du genre humain
doit s'arrêter à la porte des Eglises.
Dans ce cas, vous aussi, vous devriez
renoncer à gravir les marches du temple
de la connaissance, alors qu'à la suite
de la Révolution de 1830, vous avez
piétiné deux ans encore avant de
retrouver les pouvoirs attachés à
l'exercice des droits de la pensée
rationnelle.
Vous voyez,
Mesdames et Messieurs, que la politique
moderne ne saurait ni perpétuer
l'alliance des démocraties avec les
progrès de la morale internationale, ni
demeurer sur le chemin tracé par les
sciences humaines en vue du bien commun
si, par malheur, les hommes d'Etat de
notre temps ne se posaient pas la
question la plus décisive que soulève la
nature humaine, celle de savoir comment
une espèce supposée non seulement
pensante, mais appelée à donner
rendez-vous à sa propre cervelle,
comment une telle espèce, dis-je, qui
pilote en retour les chefs successifs du
cosmos qu'elle se donne en décalque?
Car, depuis près de trois millénaires,
Jahvé, Allah et le Dieu des chrétiens
demeurent des chefs de guerre
chevronnés; et l'on n'a jamais vu le
tranchant des glaives du ciel éviter de
couper le cou des combattants. Mais la
France se retrouve au carrefour de
l'histoire morale et politique de
l'Europe et du monde, tellement l'heure
a sonné, pour les chefs d'Etat actuels,
de conduire au naufrage scientifique la
civilisation de la connaissance
rationnelle du genre humain ou de
prendre, comme sous Périclès, une avance
intellectuelle de taille sur le cerveau
théologique de leur temps.
Car non seulement
les dieux primitifs sont nés du sang de
l'histoire et de la politique, mais ils
périssaient d'inanition si on ne les
nourrissait pas de sang humain. Vous
savez que les vrais personnages
historiques sont les personnages
mythologiques. Vous savez qu'un Abraham
mythologique a substitué le sang d'un
agneau immolé à celui d'Isaac. Vous
savez que la religion musulmane a repris
ce rituel à son compte. Vous savez que
le catholicisme, comment le précisent
les paroles de la messe, porte aux pieds
du Dieu des chrétiens l'offrande
sanglante du corps de son fils torturé à
mort. Vous savez que la religion de la
Croix est censée se fonder, comme les
deux autres monothéismes, sur
l'abolition des assassinats sacrés et
qu'elle est pourtant la seule des trois
qui ait réhabilité entièrement non
seulement le sacrifice de sang, mais le
sang d'un mort jugé rémunérateur,
puisque l'offrande métazoologique du
pain et du vin du sacrifice est réputée
se métamorphoser en viande saignante et
payante, afin de répondre aux exigences
immolatoires que le sacré simiohumain
réclame depuis le paléolithique.
Mais le Dieu
chrétien demeurerait-il politiquement
viable si on ne lui offrait plus
d'hémoglobine? Le Concile de Trente a
précisé le contraire. Il a répété que
tout "vrai et réel" sacrifice exige que
le sang coule à flots sur l'autel.
Croyez-vous que vous vous racontez
l'histoire réelle de l'humanité si vous
détournez vos regards de la biographie
des idoles que les semi-évadés du règne
animal se sont forgées à l'école de leur
propre atrocité, croyez-vous que l'homme
d'Etat moderne peut demeurer un
civilisateur et un vrai démocrate s'il
renonce à décrypter l'histoire des
sacrifices de sang dont s'abreuve
l'histoire de l'humanité?
6 - L'avenir de
la vie spirituelle et la géopolitique
L'étau
anthropologique qui enserre notre époque
exprime une aporie claire et évidente:
nous ne disposons ni d'anthropologues
capables de peser la vie ascensionnelle
de notre espèce, ni d'hommes de foi en
mesure de rendre compte des élévations
intérieures des prophètes sans réciter
les livres légalisés et psittacisés par
le sacré sanglant de l'endroit qui
ficelle officiellement la pensée
visionnaire à une orthodoxie meurtrière
et à des tueries rituelles héritées des
âges primitifs.
Or, cet étau du
traditionnel est celui qu'illustre toute
la géopolitique contemporaine de la
vertu, tellement la connaissance
scientifique des arcanes para-religieux
de l'atlantisme se révèlera la clé
anthropologique de notre résurrection
politique. Il nous faut donc tenter de
favoriser l'apparition de quelques
encéphales qui se mettront en mesure de
peser la boîte osseuse de l'Europe
vassalisée et de la France asservie au
nom même de la démocratie. Mais les plus
grands esprits de notre temps demeurent
paralysés par l'interdiction pure et
simple qui leur est discrètement imposée
de scanner les idoles verbales qui
campent sur l'Olympe du mythe pseudo
démocratique américain.
Et pourtant, nous
savons que nos anthropologues
d'avant-garde observeront bientôt les
neurones du simianthrope à la lumière du
génie de la Russie. Car il se trouve que
la domestication accélérée de notre
continent conduit notre politique
étrangère au grotesque, au burlesque et
au funambulesque. Savez-vous que le nain
suédois - censé neutre, mais atlantiste
des pieds à la tête - délègue à
Bruxelles une gentille citoyenne du pays
négocier en secret et au nom de l'Europe
entière, un traité intercontinental de
libre échange entre le loup et l'agneau?
Savez-vous que dans toutes les capitales
du Vieux Continent, des peuples aux yeux
encore lourds de sommeil commencent de
descendre dans les rues afin de rejeter
ce bât?
L'Académie sait
qu'un homme d'Etat incapable de
distinguer l'expérience aveugle des
citoyens, d'un côté, de la compétence
des anthropologues, de l'autre, ne
saurait comprendre le sens profond de
l'adage de Voltaire: "Les imbéciles
n'apprennent que par l'expérience".
Car la compétence se fonde sur la
connaissance des paramètres cérébraux
qui seuls permettent de donner à une
question sa véritable signification
politique - et vous savez tous que ce ne
sera jamais l'expérience, mais seulement
la réflexion éclairée qui fera
progresser la compétence. Pour
l'instant, l'Europe s'expérimente dans
l'enceinte de sa propre cécité, celle
d'une République de Weimar polyglotte -
et c'est précisément cette problématique
acéphale que vous avez voulu conjurer et
dénoncer à mes côtés. L'Europe de la
compétence politique ne se fera pas sans
le secours de votre Académie, tellement
votre vocation est de penser l'histoire,
non de l'expérimenter les yeux fermés et
à l'école de ses praticiens ou de ses
hommes de main.
7 - Les
visionnaires et les bâtisseurs
Le 11 février 2003,
M. Vladimir Poutine est venu dans cette
enceinte sur l'invitation du Président
Jacques Chirac. Il y a été reçu par M.
Jean-Claude Cluzel, Secrétaire perpétuel
de votre Académie. Aujourd'hui, malgré
son grand âge, M. Jean-Claude Cluzel a
tenu à nous honorer de sa présence.
Mais, en cette année 2014, M. Poutine a
mieux compris qu'en 2003 que le vrai
souffle de la civilisation russe passera
par le réveil cérébral de l'Europe,
parce que, depuis la Renaissance, la
civilisation mondiale se demande en vain
à quelle fontaine d'Aréthuse de la vie
spirituelle l'esprit humain puise la
vision qu'il est convenu d'appeler le
génie humain.
Comme M.
Jean-Claude Cluzel vous l'a rappelé dans
cette enceinte en 2003, l'histoire du
monde repose sur deux catégories
d'hommes de génie, les visionnaires et
les bâtisseurs. La Russie des âmes est
celle des grands visionnaires, les
Tolstoï, les Dostoïevski, les Pouchkine,
les Soljenitsyne, tandis que, depuis
plus d'un siècle, l'Europe des
bâtisseurs renvoie aux audacieux qui ont
construit la Tour Eiffel et donné un
réseau ferré pour entrailles à une
capitale de la pensée rationnelle,
tandis que l'Exposition universelle de
1890 faisait, de la France, l'
instrument pyramidal de son ubiquité.
Depuis lors, la
Russie est devenue un géant de la
technique, mais elle n'y a pas perdu ses
visionnaires, comme M. Poutine a tenu à
le rappeler à l'occasion des jeux
d'hiver de Sotchi, qu'il a organisés à
la gloire de la patrie des visionnaires.
Car seule la Russie a bâti une
littérature universelle sur la dimension
visionnaire de la théologie chrétienne -
celle que symbolise le Saint Esprit -
alors que l'Europe de la théologie
ambidextre du Père bâtisseur et du fils
gestionnaire se laisse vassaliser par
une utopie politique privée de
philosophie de l'esprit - le mythe
administratif d'une fausse religion de
la Liberté.
Il n'y aura aucun
progrès de la connaissance abyssale du
cerveau des évadés de la zoologie si les
Etats modernes refusent de briser le
tabou politique et religieux qui les
rend quadriplégiques et qui n'a pas
changé depuis le Moyen-âge - le tabou
qui a relégué le spirituel dans le
rituel, le rituel dans le culte d'un
maître sanglant du cosmos et ce maître
dans l'univers des sacrifices
ancestraux, qui depuis le paléolithique,
se greffent sur le sang de l'histoire et
qui sont jugés politiquement payants à
ce titre.
8 - L'avenir des
nations
Quel creuset du
"connais-toi" que la rencontre prochaine
de l'Islam de l'esprit et de la Russie
des grands visionnaires, d'un côté,
avec, de l'autre, une Europe que le
génie transculturel et transsacrificiel
des grands écrivains russes aura
fécondée! L'avenir de la pensée mondiale
réside tellement dans le destin de
l'ascensionnel et du sommital qu'il faut
nous demander pourquoi nous lisons
davantage Dostoïevski que Cicéron et
Tolstoï que Bossuet. Mais quand l'Europe
et la Russie auront scellé une alliance
qui ira au fondement de la connaissance
du génie humain, il y faudra une
philosophie de l'esprit de création, il
y faudra une science de l'intelligence,
il y faudra des explorateurs de la bête
ascensionnelle que la zoologie a lancée
parmi les "autres animaux", comme
disaient les Romains.
Un philosophe
français me disait récemment que les
nations sont les "corps spirituels" que
les peuples se sont façonnés tout au
long de leur histoire. Mais ces corps-là
s'exercent à une autarcie dont le
rayonnement multiplie des milliers de
fois l'énergie nécessaire à leur mise en
service. Un morceau de glace manifeste
une puissance de dilatation sans
proportion avec la dépense d'énergie
électrique qu'a nécessité sa
congélation, la puissance d'expansion de
la vapeur dégagée par l'évaporation de
l'eau en ébullition dépasse des milliers
de fois l'énergie qui a porté le liquide
à la température requise. Il en est
ainsi du "corps spirituel" des peuples:
ils génèrent leur propre fécondation,
ils se nourrissent de leur propre feu,
ils sont à eux-mêmes le généreux
combustible des grands donateurs.
9 - Un petit
serviteur …
Le jour où cent
trente sept camps militaires américains
auront été expulsés d'Italie, le jour où
les deux cents forteresses surarmées qui
quadrillent l'Allemagne auront été
évacuées - comme elles l'ont été du
territoire français en 1966 - le jour où
nous aurons retrouvé Naples et Syracuse
au sud, Ramstein et Hambourg au nord, la
Belgique à l'ouest, Moscou désentravé à
l'est, le jour où le Japon, la Chine,
l'Inde et l'Amérique du Sud marcheront à
nos côtés, nous placerons sur orbite la
planète des visionnaires et des
bâtisseurs et nous vaincrons les légions
de l'étranger qui, depuis trois quarts
de siècle, ont construit leurs camps
retranchés sur les décombres de notre
mythe de la Liberté.
J'ai passé deux ans
dans le désert politique qu'on appelle
l'oisiveté. Vous savez que le poison du
désœuvrement est mortel aux hommes
d'action; mais vous savez également que
la ciguë de la Liberté enseigne à
observer les ressorts ultimes du genre
humain. L'Académie des sciences morales
et politiques est la gardienne de la
France de la pensée et de la science.
Quand nos anthropologues des cerveaux
solitaires se collèteront avec le
"connais-toi" qu'un Zeus érémitique nous
aura aidés à connaître, quand la
civilisation du vide et de l'immensité
se posera à nouveaux frais la question:
"Qui sommes-nous?", l'histoire se
souviendra peut-être de ce que vous avez
demandé à un petit serviteur de la
France importé de l'étranger, mais de
bonne volonté, de vous dire si l'islam
d'avant-garde enfantera l'alliance de
demain de l' Europe avec la Russie et si
cette alliance fera lever le grain de la
raison du monde.
Je vous remercie de
votre attention.
Post Scriptum
J'écrivais le 25
juillet:
"A partir de cette date, et
compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la
langue française que si le Président de
la République et le Premier Ministre se
voient nommément mis en cause, je
relèverai quelques-unes de leurs fautes."
- 1 - M. Valls
ignore que nominer n'est pas
français.
- 2 - M. Hollande
ignore qu'on dit après qu'ils furent
partis et non après qu'ils sont
partis ou après qu'ils soient
partis.
A propos
de mon texte:
"Séance
extraordinaire de l'Académie des
sciences morales et politiques
Intervention remarquée d'un
revenant qui aurait changé de
tête"
|
"Interroger les
grands philosophes,
c'est transformer les
questions qu'on leur
pose en instruments
d'approfondissement de
la connaissance du genre
humain."
Jaspers
*
1 - Rappel
2 - J'ai reçu la
lettre ci-dessous du
Secrétaire général de
l'Académie des sciences
morales et politiques,
M. Pierre Kerbrat.
3 - Voici ma réponse
*
1 -
Rappel
Que
faut-il retenir du
troisième discours
imaginaire d'un
revenant qui aurait
changé de tête?
Voir :
Séance extraordinaire
de l'Académie des
sciences morales et
politiques -
Intervention remarquée
d'un revenant qui aurait
changé de tête
, 17 octobre 2014
2 -
J'ai reçu la lettre
ci-dessous du Secrétaire
général de l'Académie
des sciences morales et
politiques, M. Pierre
Kerbrat.
Monsieur,
Le 17 octobre dernier,
vous avez publié sur
votre site internet
(http://www.dieguez-philosophe.com),
un article intitulé
"Séance extraordinaire
de l'Académie des
Sciences morales et
politiques -
Intervention remarquée
d'un revenant qui aurait
changé de tête".
Dans cet article, vous
vous mettez en scène
comme étant invité à
vous exprimer devant
l'Académie (?), ce qui
n'a jamais été, à ma
connaissance, le cas.
Vous êtes libre -
jusqu'à un certain point
- d'utiliser un tel
procédé littéraire, à la
condition toutefois
qu'il n'y ait aucune
ambiguïté concernant la
réalité - ce qui
rendrait votre texte
mensonger - et que vous
ne vous arrogiez pas le
droit d'engager
l'Académie dans le
soutien apporté à telle
ou telle prise de
position, quelle que
celle-ci puisse être.
Je vous demande donc
- soit de retirer ce
billet de la Toile,
- soit de le modifier et
de ne pas y mentionner
l'Académie des Sciences
morales et politiques,
- soit d'indiquer de la
manière la plus claire
possible (en gras et en
début d'article) qu'il
s'agit d'une fiction qui
n'engage en rien
l'Académie des Sciences
morales et politiques.
Si vous choisissez la 3e
solution, je vous
demande de bien vouloir
me soumettre au
préalable le texte de
l'Avertissement que vous
placerez en tête de
votre article.
Chacun de ces choix doit
entraîner des
modifications non
seulement sur votre
site, mais également sur
les sites qui reprennent
vos billets (voir la
liste en PJ des sites
ayant relayé à ce jour
votre texte)
En espérant une réaction
adéquate de votre part
pour un règlement
amiable de ce problème.
Pierre Kerbrat
Secrétaire général
Académie des Sciences
morales et politiques
3 -
Voici ma réponse
Monsieur le Secrétaire
général de l'Académie
des sciences morales et
politiques,
Je
croyais que l'Académie
des sciences morales et
politiques se trouvait
tellement proche de
l'Académie française
qu'elle aurait
connaissance du règne de
la fiction littéraire de
Rabelais ou Villon à nos
jours.
Je
me permets de vous
signaler que le lion
devenu vieux de La
Fontaine ne se cache pas
dans la brousse, que les
moutons de Panurge
pâturent dans toutes les
têtes, que les Yahous de
Swift sont plus réels
que nature précisément
de camper dans
l'imaginaire et que si
les âmes mortes de Gogol
trottaient dans les rues
de Paris, elles y
perdraient toute leur
réalité.
C'est pourquoi je fais
dire à un ancien
Président de la
République transporté
dans l'imaginaire que
les vrais personnages
sont mythologiques et
que seul un Abraham
imaginaire a voulu
retirer un Isaac en
chair et en os d'un ciel
sacrificateur.
Je
formule l'espoir qu'une
Académie des sciences
morales et politiques
élevée par la plume dans
le monde ascensionnel
qu'elle devrait habiter
et où je l'ai colloquée
un instant, s'initie au
double langage des
signes et des symboles.
De
toute façon le double
personnage que
l'Académie des sciences
morales et politiques
met en scène se révèle
un acteur divisé entre
son corps et son
effigie, comme tout le
monde. Cet Hamlet à la
fois naturel et
surnaturel est bien à
l'image du réel, celui
d'une République qui se
demande où se cache son
esprit.
En
espérant que ma réponse
représente une réaction
adéquate à votre missive
, je vous prie de bien
vouloir agréer, Monsieur
le Secrétaire général de
l'Académie des sciences
morales et politiques,
l'expression de ma
considération très
distinguée.
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