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Décodage anthropologique de l'histoire contemporaine

La cuisine de Jupiter

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Vendredi 17 février 2017

1 - Nos miroirs sacrés
2 - A l'origine était la cuisine

3 - Un mythe entre deux chaises
4 - L'avenir d'une science heuristique des mythes sacrés

A l'heure où une France sans Etat et sans gouvernement se révèle une oligarchie, une pieuvre gloutonne aux tentacules innombrables, l'histoire de la France et du monde devient plus que jamais une stomachologie. Le 9 février dernier, Catherine Lieutenant m'a gentiment suggéré de choisir le jour de mon modeste rendez-vous bi-mensuel avec l'estomac de l'histoire pour visiter à nouveau la cuisine de Jupiter. Pourquoi ce jour-là? N'est-ce pas le meilleur moment d'observer comment le genre humain nourrit ses dieux et comment, depuis les origines, nos dieux nous nourrissent en retour?

Sitôt que François Hollande a mis la France en congé de la politique, le pays s'est offert le luxe de s'absenter de l'arène mondiale de l'action. Certes, nous avons connu ce type de vide politique au cours de la Régence, mais pendant ces années-là, Louis XIV grandissait et se préparait dans l'ombre à donner un siècle de gloire à la France, tandis que nous savons aujourd'hui que personne n'est de taille à redonner sa colonne vertébrale à une civilisation promise à une longue agonie.

1 - Nos miroirs sacrés

Depuis vingt-cinq siècles, la philosophie occidentale tente de porter un regard de l'extérieur sur l'encéphale de l'humanité. De même qu'en 1543 Copernic a bouleversé notre connaissance du système solaire, la découverte en 1859 du transformisme a contraint l'Occident de la raison à se demander si nous pouvons conquérir un recul à l'égard du genre humain, qui nous permettrait de savoir quelle est l'animalité spécifique d'une espèce en évolution.

Mais comment nous ancrer à l'extérieur d'un animal si nous sommes nous-mêmes, et des pieds à la tête, la bête que nous tentons d'observer du dehors, car il s'agit de toute évidence d'une animalité cérébralisée, conceptualisée, logicisée, donc cachée ou masquée.

Un seul instrument de travail se présente à l'enquêteur: car nous n'expédions pas seulement des personnages fabuleux diriger l'univers, nous les construisons de surcroît à notre image et en miroir. Il nous suffit donc d'observer ces a uto-portraits qui nous peignent en pied pour disposer d'un microscope et d'un télescope. Nous sommes nous-mêmes des dieux privés de répondant, c'est nous qui n'avons aucun guide, aucun surveillant, aucun protecteur dans le dos.

Grâce aux miroirs sacrés dans lesquels nous nous réfléchissons par la médiation des effigies sacrées que nous enfantons, nous disposons de la meilleure école d'apprentissage de notre initiation à nos propres secrets: celle de l'histoire de nos offrandes sanglantes à nos maîtres imaginaires, donc de nos sacrifices de chair et de sang sur nos autels.

2 - A l'origine était la cuisine

A l'origine, était la cuisine. C'est pourquoi le langage politique de la République romaine, par exemple, reposait sur la gastronomie. Le comes n'était autre que le convive, le commensal, celui qui présidait à un rituel de l'ingestion du comestible. Le comissator désignait le complice d'une conjuration politique fomentée au cours d'une comisatio, c'est-à-dire d'une orgie, d'une ripaille, laquelle servait d'alibi à des conjurés qui pouvaient tranquillement préparer leurs complots au cours du repas.

Le comitium indiquait à la fois la partie orientale du forum dans laquelle le peuple se réunissait, mais il désignait également la bouche du comedus, le mangeur. Les comitia, les comices, étaient les assemblées au cours desquelles le peuple, réuni en collège électoral, élisait les magistrats. C'était dans l'enceinte du comitium que se tenaient les comices et que se déroulaient les sacrifices des grands et des petits bétails aux Immortels. C'est donc dans le comitium que se concoctait la cuisine de Jupiter.

On voit que dans le vocabulaire politique de la République romaine les mots de l'art du bien manger se calquaient étroitement sur la gastronomie céleste, celle de la nourriture offerte aux dieux. Le seul humaniste qui ait compris cela n'est autre que Rabelais, qui plaçait Messire Gaster au cœur de l'histoire du monde.

Le matérialisme eucharistique des chrétiens répond parfaitement à ce modèle: il prolonge au sein de la théologie catholique le discours culinaire de la foi. C'est pourquoi il est essentiel de remonter aux origines anthropologiques du culte eucharistique de la théologie romaine. On y retrouve la même logique interne que celle qu'illustrait, dans le polythéisme romain, le passage de la manducation des offrandes à son incrustation dans le discours des institutions politiques de Rome.

De même, la religion musulmane se branche sur des offrandes culinaires à une divinité: on y égorge chaque année des millions de moutons en hommage à un Allah aussi avide de viande que les divinités grecques, romaines, juives, chrétiennes et les nombreux dieux du polythéisme adorés en tous temps et en lieux sur notre astéroïde. Mais tout cela ne nous renvoie-t-il pas à Aristophane qui, dans Les Oiseaux, faisait rire les Athéniens de l'affolement de leur Olympe soudainement privé, par une grève des autels, de la viande indispensable à leur survie stomachale?

3 - Un mythe entre deux chaises

Il devient de plus en plus évident qu'en interdisant d'étudier, dans les écoles de la République, le contenu anthropologique et théologique des religions sacrificielles, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 a rendu inaccessible toute connaissance rationnelle, donc philosophique, de l'histoire de la civilisation occidentale.

Question à résoudre: comment se fait-il qu'en 2016, l'Eglise catholique ait pu s'associer solennellement et spectaculairement à la commémoration du cinq centième anniversaire des quatre-vingt-quinze propositions contre les indulgences que Luther avait affichées sur les portes de l'Eglise de Wittenberg, alors qu'elle s'est sentie empêchée de commémorer la révolution calviniste à Genève?

Proposition de réponse, mais qu'il nous faudra décrypter à son tour: en réaffirmant la présence matérielle de la chair et du sang de la victime du sacrifice du Golgotha sur l'autel des chrétiens - que les théologiens appellent le physicisme eucharistique - Luther a conservé l'exigence centrale de toutes les religions primitives, à laquelle le catholicisme est revenu par un chemin détourné, à savoir, qu'il y ait de la viande bien saignante sur l'autel afin que la foi puisse reposer sur la présence effective de victuailles à fournir à un monstre céleste aussi gourmand qu'impitoyable et rancunier.

Le polythéisme soulignait ce rapport vital par l'expression courante: victus et cultus - victuailles et rituel. A la suite de l'abolition par un Abraham mythique des sacrifices humains, le christianisme est pleinement revenu aux religions primitives, puisqu'un Christ ensanglanté se trouve immolé en échange de la rédemption de tout le genre humain, c'est-à-dire en échange du consentement enfin arraché au Créateur, de passer l'éponge sur une offense à son autorité, jusqu'alors jugée inexpiable, à savoir le péché originel.

Dans la Disputatiuncula de taedio et pavore Christi (Petite dispute sur le dégoût et la terreur du Christ) de 1499, Erasme ne contestait en rien le devoir du Christ de se faire assassiner sur l'autel au cours de chaque célébration de la messe, par la volonté expresse de son "père céleste" - il s'agissait seulement de laver le Nazaréen du reproche des théologiens du XVIe siècle d'avoir fait preuve de couardise. Car, l'omniscience dont bénéficiait la victime était censée lui faire connaître "d'avance et dans le détail" les tortures qu'il allait subir, ce qui exigeait de sa part un courage intelligent, qui l'empêchait de courir au supplice "avec les bondissements de joie d'un saint André" (Erasme).

C'est le maintien du mythe eucharistique qui, à l'origine, a permis au luthéranisme de prendre parti pour les princes, sitôt que les paysans égarés par la révolution luthérienne eurent découvert qu'en réalité, le luthéranisme les plaçait plus fermement que jamais sous l'autorité du pouvoir temporel de l'époque.

La révolution luthérienne permettait donc la perpétuation d'un sacerdoce des ploutocrates du ciel. Aussi, de nos jours, l'Eglise luthérienne allemande est-elle devenue richissime, parce qu'elle peut encore s'offrir le luxe d'imposer un "impôt religieux" aux fidèles, tandis que l'Eglise catholique française se trouve empêchée d'accumuler un trésor. Le tronc avare des églises n'y suffit plus.

On imagine l'ahurissement et l'ébahissement de la fraction consciente de la paysannerie allemande de l'époque de découvrir que la révolution luthérienne n'était qu'un leurre destiné à renforcer l'autorité d'une classe dirigeante minoritaire. Mais, depuis les origines, le monde est dirigé par des minorités agissantes.

Le même processus se mettra en place quatre siècles plus tard, en 1917, quand un prolétariat mondial catéchisé et messianisé par l'utopie marxiste d'une délivrance universelle, tombera dans le piège de supprimer purement et simplement la propriété privée des moyens de production, alors que la classe ouvrière s'est révélée aussi incapable que les paysans allemands du temps de Luther, de mettre sur pied une minorité compétente, énergique et responsable.

En revanche, le calvinisme supprimait tout appareil cultuel et toute liturgie litanique pour placer la foi entre les seules mains des prédestinés, donc des pré-sélectionnés du salut. Du coup comment la foi se serait-elle assurée de la constance des décisions d'un Dieu devenu tragiquement imprévisible? Ce type de cuisine du sacré met le croyant entre deux chaises: d'un côté, une foi livrée à la solitude, au silence, au désert et aux ténèbres, contraint le fidèle à se prendre en mains et à gérer son destin à l'écoute de l'adage latin "Cuisque suae fortunae faber" - "Chacun est l'artisan de son destin"; de l'autre, ce type de religion livre ses fidèles à la divinité la plus hallucinante qu'on puisse imaginer, celle dont la théologie enfante une classe sacerdotale anonyme.

Le signe de la prédestination de la nouvelle classe sacerdotale n'est autre que de transformer le capital en preuve tangible des grâces inexplicables du ciel. La prospérité financière de chacun deviendra la garante des bénédictions palpables de la divinité et la banqueroute sera l a preuve de la disgrâce du "prédestiné". C'est pourquoi Carl-Gustav, fils de pasteur, est demeuré toute sa vie hanté pour le sort du Job biblique. Un ciel cautionné par les caprices de la prédestination, ne dispose ni de l'impôt, ni du tronc des églises pour s'assurer de la validation matérielle et contrôlable de la grâce.

4 - L'avenir d'une science heuristique des mythes sacrés

Comment rendre intelligible que, durant tout le XVIe siècle, les protestants et les catholiques se soient entre-égorgés? Pour cela, il faut bien que la question de savoir si l'on consomme de la viande ou un corps symbolique et si l'on boit du sang réel ou du sang figuré soulève une difficulté psychobiologique: aux yeux des calvinistes, le Vatican s'est mis hors jeu du seul fait que des spermatozoïdes du Saint Esprit sont censés avoir déclenché un embryogenèse normale au sein d'une vierge afin qu'elle accouche d'un "fils de Dieu" en chair et en os.

Si la laïcité n'élaborait pas une spiritualité de la notion de "fécondation", comment enseignerions-nous aux enfants que l'humanité obéit à une pulsion ascensionnelle et élévatoire? Si les mots abstraits, ne charrient pas l'histoire physique du monde et si Abélard a eu raison de démythifier les vocables universels, il faudra bien que la France laïque initie sa jeunesse à une "vie de l'esprit". Sommes-nous seulement des anthropoïdes livrés à un culte d'anthropophages ou mettons-nous en scène des symboles parlants?

On voit désormais clairement ce que les quatre-vingt trois ans restants du XXIe siècle nous réservent. D'un côté, il est devenu évident que la science historique et la politologie occidentales ne disposent en rien de l'information philosophique, scientifique et théologale qui permettraient à l'Occident de la raison de comprendre la nature et les enjeux existentiels des révolutions politiques internes dont le monothéisme chrétien nous présente le spectacle depuis le XVIe siècle. De l'autre, la profondeur même du fossé creusé par notre sous-information anthropologique déclenchera un nouvel élan de la pensée rationnelle. Celui-ci contraindra, tout au contraire, la philosophie et l'esprit scientifique modernes à découvrir le contenu anthropologique des mythologies sacrées.

Le 17 février 2017

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
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