Décodage anthropologique de l'histoire
contemporaine
La vassalisation de la France
viole-t-elle la Constitution ?
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 14 novembre 2014
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Eclaircissements
1 - Les embarras philosophiques
de la Révolution française
2 - Le destin politique de la
Révolution française
3 - Une Académie banalisée
depuis 1832
4 - A la recherche d'un
gouvernail
5 - Une science de la
vassalisation des peuples
6 - Le paradigme grec
7 - La vassalisation des
académies pseudo scientifiques
8 - L'Europe de la trahison des
clercs
Post scriptum
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Eclaircissements
En 1889,
l'achèvement de la construction de la
tour Eiffel et l'inauguration de
l'exposition universelle donnaient son
sens symbolique à la commémoration du
centième anniversaire de la prise de la
Bastille. Mais deux interprétations
parallèles de la grande Révolution s'y
affichaient déjà à la face du monde :
d'un côté, l'universalité du triomphe
des sciences exactes, de l'autre,
l'ubiquité croissante de l'industrie et
du commerce. Mais un troisième
personnage sortait de l'ombre: le mythe
de la Liberté faisait monter une éthique
évangélisatrice et messianique sur les
planches de la politique internationale.
Certes, depuis près
de trois millénaires, tous les
gouvernements se légitimaient en
dernière instance, à l'école des progrès
moraux des civilisations connectées sur
le ciel de leur sotériologie. Puis la
démocratie romaine avait rattaché la
citoyenneté à une cité déjà
subrepticement rédemptrice, la
civitas. Celle-ci se fondait sur la
virtus, la vertu, donc sur la
civilitas, la civilisation. De leur
côté, les Grecs avaient rattaché le
citoyen, le politès, à la
politeia et la politèia à une
polis, la cité, que Périclès
appelait une pédagogie universelle.
Quant au demos, le peuple, il ne
renvoyait pas à la population d'un pays,
mais aux phalanges civilisatrices des
habitants des villes, tellement la
politique était une affaire urbaine. (Le
net ne prend pas l'alphabet grec)
Mais, au XVIIIe
siècle, le genre humain inventait l'axe
central de toute interprétation
eschatologique du temps des peuples et
des nations : cette espèce prétendait
avoir mis la main sur l'essieu d'une
éthique universelle du salut et de la
délivrance par la politique ; et les
démocraties serviraient de fer de lance
à ce finalisme parathéologique. C'est
pourquoi on a vu ici même (-
Séance extraordinaire de l'Académie
des sciences morales et politiques -
Intervention remarquée d'un revenant qui
aurait changé de tête , 17
octobre 2014) un acteur imaginaire
prononcer un discours imaginaire à
l'intention d'une Académie des sciences
morales et politiques imaginaire; et ce
discours a paru si dangereusement
objectif à une Académie des sciences
morales et politiques endormie que son
secrétaire général m'a demandé le plus
officiellement du monde de retirer un
texte trop "vrai" à ses yeux.
C'est dire qu'en
1795, c'était une audace de précurseurs
de la pensée politique mondiale de
fonder une Académie de philosophes et de
peseurs qui suivraient pas à pas
l'histoire d'une morale universelle,
d'un côté, et, de l'autre, celle de son
compagnon d'infortune, la politique
républicaine, c'était faire preuve,
dis-je, d'une vision de l'avenir de
l'humanité tout entière d'imaginer un
déchiffrage désormais anthropologique,
donc métazoologique, de l'histoire
conjointe de la démocratie et du rêve
qui la soutient.
Cet appel à la
conquête d'une extériorité nouvelle du
regard de l'historien "objectif" sur
toute la représentation donnait à
l'objectivité du narrateur une
distanciation intellectuelle dont
l'échec allait précisément illustrer la
profondeur de son récitatif: car, depuis
1789, la véritable histoire de la
Révolution s'est révélée onirique par
nature, et elle n'a pas trouvé
d'interprétation philosophique à ce
titre, tellement le silence perruqué de
l'Académie chargée d'articuler une
morale universelle avec l'histoire
réelle et contingente du monde se révèle
plus éloquent que de longs discours. Et
maintenant, le temporel somme son
narrateur transcendantalisé de répondre
à la question soulevée en 1795, celle
des relations semi-célestes que la
démocratie mondiale contemporaine
entretient avec la morale de son ciel
et, en retour, une politique
contemporaine auto-théologisée avec une
pensée rationnelle sans tête.
Mon lecteur a
compris qu'il faut changer entièrement
d'échiquier et de problématique, parce
qu'il est aussi vain d'observer
l'humanité avec les yeux de l'humanité
du moment qu'une théologie avec les yeux
de cette théologie. Au regard qu'Adam
portait sur une animalité censée cernée
d'avance et à laquelle l'évolutionnisme
s'exerce depuis un siècle et demi, il
faut tenter de substituer le regard
d'une métazoologie sans cesse en devenir
sur la zoologie cérébralisée dont
souffrent les détoisonnés en suspens
entre deux zoologies.
1
-
Les embarras
philosophiques de la Révolution
française
De même que
l'Académie française n'est pas une
exposition de blasonnés de la
littérature nationale, l'Académie des
sciences morales et politiques n'est pas
une exposition de spéléologues patentés
des relations que la morale entretient
avec la politique et la politique avec
la morale.
Et pourtant, non
seulement la plongée d'une nouvelle
anthropologie politique dans les
entrailles de l'histoire se situe
désormais au cœur des sciences humaines,
mais si, en 1795, date de la création de
l'Académie des sciences morales et
politiques, quelques esprits
visionnaires avaient pressenti avec deux
siècles d'avance que l'aporie la plus
insoluble était celle que l'exécution de
Louis XVI, le règne de la Terreur et
l'ascension de Bonaparte permettaient
d'apercevoir et si ces théoriciens
d'avant-garde savaient que la science de
la mémoire se trouvait condamnée à
flotter entre deux eaux, personne ne
pouvait se douter que la raison
tridimensionnelle deviendrait plus
infirme encore qu'autrefois. Comment lui
faire prendre de l'âge, comme l'étoffer,
comment l'armer d'une connaissance plus
abyssale de la bête onirique que celle
dont seule la théologie détenait le
monopole d'en fournir le matériau à
l'humanité?
L'examen de
l'itinéraire du cerveau simiohumain dans
une psychogénétique de l'évolution et
l'interprétation des aventures de cet
organe dans une méta-zoologie plus
éclairée que les précédentes allaient se
brancher sur les conséquences oniriques
et biologiques confondues d'une
Révolution qui, la première, avait jeté
à terre une monarchie censée de droit
divin et qui ne savait plus dans quel
royaume de la raison loger
l'ascensionnel. Qu'allait-il advenir
d'une espèce rendue orpheline de tous
ses Jupiter anciens, présents et futurs?
Qu'en était-il du fossé qui s'était
progressivement creusé - et qu'il était
devenu impossible de combler - entre un
pouvoir politique désemparé par son
désarrimage des nues et le veuvage, à
son tour, d'une éthique décapitée par le
décès de ses parrains dans le
surnaturel?
Un premier Consul
aux aguets avait compris où se cachait
le danger le plus mortel pour tous les
Césars que le monde allait enfanter - un
danger que l'Académie des sciences
morales et politiques originelle avait
précisément vocation de détecter. La
cécité intellectuelle du pragmatisme
anglais avait exorcisé ce péril - elle
élevait une raison dépossédée du
temporel au rang de pape de la religion
du pays. Impossible de plaquer un
subterfuge aussi saugrenu sur une
civilisation héritière d'Athènes et de
Rome.
Mais seule une
anthropologie politique postérieure à la
découverte de l'évolutionnisme et
greffée sur l'animalité spécifique des
fuyards tardifs de la zoologie pouvait
soulever la question la plus vitale aux
yeux mêmes des acteurs du séisme
politique de 1789: il s'agissait de rien
moins que de rebattre les cartes de la
condition humaine, il s'agissait de rien
moins que de découvrir les obstacles
philosophiques qui se dresseraient
fatalement sur le chemin du couronnement
d'un empereur qu'on brancherait derechef
- mais en vain - sur un ciel moribond.
Certes, la Révolution ne songeait pas
encore à fabriquer la balance à peser la
cervelle du simianthrope ; et pourtant,
deux siècles plus tard, tout le monde
sait que les auréoles verbales du siècle
des Lumières n'y valaient rien.
2 - Le destin
politique de la Révolution française
Ni Robespierre, ni
Saint-Just n'étaient des précurseurs
dignes de se brancher sur les neurones
du Voltaire prophétique de Candide
ou l'optimisme, qui avait
ridiculisé le "meilleur des mondes
possibles" de Leibniz. Mais il avait
fallu attendre l'incendie de Lisbonne en
1758 pour que Voltaire entrât dans la
voie du pessimisme radical de la raison
du XXIe siècle, celle dont seul Swift
(1667-1745) avait pré-compris les
mécanismes en anthropologue de génie. En
France, le futur auteur du Génie
du christianisme allait explorer
les sentiers d'une "théologie
poétique". Mais son génie
pré-romantique avait avorté: on ne
résout rien à baptiser la liberté de la
presse "d'électricité sociale" et
à jeter la pensée dogmatique par-dessus
bord sans en avoir découvert les
arcanes. Certes, l'Académie de 1795
pressentait le gigantesque échec
philosophique d'une Révolution française
construite, d'un côté sur les rêves d'un
intellectuel rieur et moqueur et, de
l'autre, sur les songeries d'un Rousseau
bucolique. Le premier cherchait
désespérément un héritier du Zeus de la
scolastique que les laboratoires de la
théologie du Moyen-Age avaient élaboré
depuis saint Anselme et le second, un
poète et un écologiste du cosmos inapte
à jouer les mécaniciens de l'univers
dans une Arcadie des philosophes.
En ce début du IIIe
millénaire, les moutons blancs de
Marie-Antoinette et les ébats de Paul et
Virginie chez les écologistes modernes
font face à la dislocation du système
solaire que Copernic et Newton avaient
construit sur la géométrie
tri-dimensionnelle d'Euclide. Cette
tension latente nous rappelle que nous
avons rendez-vous avec une nouvelle
anthropologie du sacré et que
l'expérience de la Révolution française
doit nous servir à passer le relais
d'une boîte osseuse à l'autre au sein de
notre espèce.
3 - Une Académie
banalisée depuis 1832
En 1803, la
dissolution de l'Académie des sciences
morales et politiques - un trait de
plume du premier Consul y avait suffi -
écartait non seulement la difficulté
pratique de se faire proclamer "empereur
des Français", mais éloignait en
outre provisoirement l'obstacle
métaphysique et religieux de se faire
couronner de la tiare d'un empereur
chrétien, donc de "droit divin".
Il s'agissait d'un exploit
politico-cultuel, celui de brancher la
famille corse d'un petit artilleur
diplômé de l'école militaire de Brienne
sur la lignée des rois Capétiens, il
s'agissait de légitimer un successeur
villageois de Clovis, il s'agissait de
prendre la suite des interlocuteurs
attitrés du Créateur de l'univers.
Enfantillages que
tout cela, dira-t-on. Mais la conquête
d'un regard de l'extérieur sur l'animal
aux neurones devenus schizoïdes au cours
d'une évolution cérébrale inachevée
exige une connaissance psychobiologique
des affûtiaux de la dichotomie qui
pilote cette bête. Rappelons que le sang
royal passait pour celui de Jésus-Christ
en personne et qu'on l'appelait le sang
bleu pour des raisons théologiques, donc
cosmologiques. La Révolution était jugée
satanique de faire couler le sang de la
plèbe jusque dans les artères des rois -
c'était armer le peuple du pouvoir de
faire changer d'hémoglobine et d'artères
à la politique mondiale. L'enjeu de la
décapitation mécanique d'une théologie
aristocratique à l'aide d'un grand
tranchoir était international par
nature.
Mais il ne fallait
pas attendre de la médiocrité politique
et intellectuelle de la Monarchie de
juillet la légitimation d'une hérésie
aussi périlleuse. La question abyssale
était celle de découvrir les fondements
à la fois religieux et sanglants du
basculement des évadés partiels de la
zoologie dans une histoire de la
généalogie de leur cervelle et de leur
sang. La question se situait désormais à
mille lieues aussi bien des amusements
rousseauistes de Bernardin de
Saint-Pierre que des rigidités de
pacotille des "rationaux" du
XVIIIe siècle.
Aussi l'Académie
n'a-t-elle reparu en 1832 que dûment
respectabilisée, donc banalisée,
rentabilisée et muselée par les rubans
qu'arborait la bourgeoisie de l'époque -
celle qui, depuis lors, et de génération
en génération - a pris la place des
penseurs visionnaires et des
pré-anthropologues de 1795.
4 - A la
recherche d'un gouvernail
Il faut savoir, en
outre, que l'horizon mental de
l'Académie des sciences morales et
politiques actuelle se trouve non
seulement calqué sur les dentelles et
les broderies de la médiocratie
philipparde, mais qu'elle est demeurée,
de surcroît, fidèle à sa seconde
naissance dans l'irresponsabilité
intellectuelle de la Monarchie de
Juillet.
C'est pourquoi,
depuis cent quatre vingt deux ans, cette
académie s'est voulue coite sur la
Restauration de 1815 à 1830, mais
également sur sa propre réduction au
silence politique perpétuelle. Elle
aurait pu jeter à son rétroviseur un
coup d'œil de moraliste. Mais elle
affichera successivement un mutisme
bâtard sur les vrais enjeux de la
Révolution de 1848, sur le sens
historique du coup d'Etat du 2 décembre
1852, sur la signification politique de
dix-huit ans du règne de Napoléon III,
sur la bancalité de la proclamation de
la République de 1871, sur l'occupation
allemande de 1940 à 1944, sur "l'Etat
français" et catholique de Vichy,
sur les excès de l'épuration de 1945 et
1946, sur la chute progressive de la
République post-gaulliste dans les
expédients et les démissions
parlementaires de la IVe et de la IIIe,
sur la chute de la démocratie des droits
de l'homme dans les tortures en Algérie,
sur les évènements de mai 1968, sur les
périls que court un Etat en loques et
enfin sur l'abaissement de l'Occident
dans la vassalité atlantiste, donc d'une
civilisation en voie d'engloutissement à
force de coller aux chausses d'un empire
étranger. Que dira-t-on demain d'une
Académie complice de Washington et qui
aide son maître à élever l'Ukraine au
rang d'un centre de gravité artificiel
de la politique mondiale?
5 - Une science
de la vassalisation des peuples
Bien pis: pour la
première fois depuis la Révolution
française, c'est la réflexion de fond
sur le régime démocratique en tant que
tel qui s'imposerait à une Académie
reconvertie à sa vocation intellectuelle
et morale originelle. Car elle voit
clairement la Russie dépossédée de ses
apanages d'Etat souverain et contrainte
de subir la présence d'un empire
étranger massivement campé à ses
frontières; elle constate que cet empire
n'aurait pu fomenter des troubles à Kiev
si l'Europe n'était jugulée par la
présence d'un César planétaire qui
enserre la planète de plus de mille
forteresses et garnisons, dont plus de
cinq cents quadrillent l'Europe de
Ramstein à Syracuse et de Mons au
Kosovo. Elle observe que les Etats
européens jugulés voient leurs chefs et
leur classe politique exécuter
docilement les consignes de l'étranger
sur leurs territoires respectifs et
fouler aux pieds les souverainetés
nationales et les décisions du suffrage
universel. Elle remarque que, pour la
première fois, un Etat étranger exerce,
en fait, le pouvoir exécutif sur le sol
de ses vassaux, elle s'étonne de ce que
ces Etats s'interdisent à eux-mêmes
l'exportation de leurs produits en
direction de la Russie, elle découvre,
ahurie, que les industriels et les
agriculteurs qui contestent les ordres
stupéfiants d'un maître venu d'ailleurs,
paient des amendes colossales dont leurs
pays vassalisés frappent leurs propres
citoyens s'ils tentent de se
débâillonner et de sciet les chaînes qui
enserrent leurs chevilles.
Une Académie dite
des sciences morales et politiques n'est
plus une instance ni morale, ni
politique si elle ne souligne pas
l'incompatibilité radicale de la
souveraineté des Etats avec leur chute
dans les mains d'un Etat étranger. Cette
Académie se trouve donc à la croisée des
chemins, car l'échiquier et la
problématique de M. Vladimir Poutine ne
sont pas encore à la hauteur d'une
science anthropologique seule en mesure
de rendre compte de la vassalisation de
l'Europe à l'échelle psychogénétique -
celle d'une discipline capable
d'interpréter l'évolution cérébrale du
chimpanzé. Or ce retard illustre à
merveille qu'il appartiendrait à
l'Académie des sciences morales et
politiques de produire une phalange
d'avant-garde de la réflexion politique
qui conquerrait l'autorité et le
prestige d'expliquer la fatalité - celle
qui commande le suicide de l'Occident.
6 - Le paradigme
grec
Et pourtant, la
vassalisation inexorable de l'Europe
obéit à un modèle encore bien connu et
souvent rappelé par les grands
historiens du XIXe siècle. Ceux-là se
souvenaient-ils que les cités grecques
conquises par l'empire romain étaient
tombées dans un ahurissement
jubilatoire? Rome disait qu'elle leur
apportait la Liberté, Rome proclamait
sans relâche qu'elle n'était pas venue
en conquérante et que ses légions
étaient celles de la délivrance, Rome
incarnait inlassablement le premier
Alexandre de la Justice et du Droit que
l'univers eût vu naître. Les cités
grecques n'en revenaient pas au
spectacle d'un si grand prodige -
l'allégresse des foules offrait le
spectacle d'un avènement de la grâce
sous les bannières en liesse de la paix
et de la justice.
Las, la moitié ou
les deux tiers de ces bienheureux se
sont jetés dans les bras de leurs
délivreurs, et les légions d'une
démocratie semi-céleste ne pouvaient
faire la fine bouche au spectacle de
l'empressement des moutons de Panurge de
l'époque. Savez-vous que les foules
reconnaissantes changent seulement de
sauveur et de maître, tellement, sitôt
victorieux, le glaive se change en
hostie d'un asservissement
reconnaissant? Trois quarts de siècle
après la Libération, ils sont toujours
là et ils ne lèveront le camp que si les
classes dirigeantes de la démocratie
triomphante retournent sur les bancs de
l'école et y apprennent à lire les
livres des évangélistes de l'histoire
avec des yeux d'anthropologues.
7 - La
vassalisation des académies pseudo
scientifiques
Cette situation
soulève une question institutionnelle,
celle du statut cérébral et politique
des académies apeurées et devenues
craintives, donc rendues ennemies de
leur propre vocation. Peuvent-elles
jouer les Ponce Pilate écussonnés dans
les eaux tièdes des Démocraties
décérébrées, alors que leur vocation
intellectuelle devrait leur interdire de
choir parmi les têtes grisonnantes?
En 1635, Richelieu
avait compris la nécessité politique
d'honorer la phalange des serviteurs les
plus talentueux de la langue française
et de les placer sous l'égide d'un Etat
"protecteur des Lettres et des arts".
De même, François 1er avait compris que
les corps constitués ont des réflexes
d'Eglises en miniature et qu'elles
rejettent d'instinct les individus qui
les offensent par leur refus de chanter
dans le chœur. Il fallait que l'Etat
accordât un rang sommital aux
"immortels" livrés à la persécution des
coupeurs de tête glorifiés par leur
médiocrité et il fallait que le génie
conquît une prééminence visible.
Mais si le Collège
de France est demeuré fidèle à sa
vocation originelle - il a donné la
parole à Valéry, à Bergson, à Foucault -
l'Académie des sciences morales et
politiques, en revanche, est la seule
institution prospective imaginée par la
Révolution française dont la vocation
était de prendre acte d'une mutation des
gènes de la géopolitique classique: on
ferait débarquer la psychobiologie dans
la science historique du seul fait qu'on
confierait à des majorités censées
instruites par la seule onction de leur
statut collectif la tâche de prendre le
relais de l'infaillibilité doctrinale
qu'exerçait le monopole des mythes
religieux.
Nous voici livrés à
la postérité de cette aporie
psycho-biologique. Comment introniser le
tribunal d'un suffrage universel réputé
se trouver téléguidé par la
bienveillance de la nature si les
verdicts de cette assemblée débranchée
des Olympe reposent sur une simple
convention de forme - celle d'un
chiffrage rituel des voix dont la
sagesse faisait dire à un Socrate amusé
que le hasard d'un décompte entre des
aveugles sans doute miraculés par
l'agora était devenu l'Empyrée immanent
au peuple athénien. Le formalisme
démocratique peut-il succéder sans autre
forme de procès au liturgique d'Homère à
nos jours?
Mais qui tire
maintenant les ficelles du peuple-roi si
le Zeus des chrétiens a été mis sur la
touche en 1789? L'Académie de 1795 se
posait la question de savoir si l'on
peut fournir une boussole fiable à un
animal largué dans le vide de
l'immensité et contraint de s'inventer
un gouvernail imaginaire parmi des
aveugles. Cette espèce feignait d'avoir
trouvé un Dieu tapi dans l'étendue.
Mais, d'un côté, la démocratie ne sait
plus comment concevoir un Jupiter auquel
elle interdit d'avance et froidement de
se mêler de tout, de l'autre, l'Amérique
se souvient de ce que, depuis les
origines, tous les dieux logés dans
l'espace sont nés pour bavarder et se
mêler de tout - sauf à demeurer muets
comme des carpes. Comment faire parler
Zeus et comment le faire taire si l'on
tâtonne soi-même dans le cosmos?
Décidément, ou bien
on renonce à faire babiller un Olympe et
l'on se collète tout seul avec les
responsabilités que cette montagne
magique nous aura mises sur les bras, ou
bien on se heurte à la difficulté
extrême que Platon a résumée à peu près
en ces termes: "De leur côté, les
Célestes n'exercent aucun pouvoir sur
nos affaires, de l'autre, nous ne
disposons d'aucun pouvoir sur les
dieux." Mais alors comment répartir les
responsabilités entre eux et nous?
8 - L'Europe de
la trahison des clercs
Pour la première
fois depuis la Révolution de 1789, une
crise mondiale de la pensée politique se
révèle parallèle à une crise non moins
planétaire des relations que la raison
et la déraison des Etats entretiennent
avec un sacré qu'ils pilotent en secret.
Mais, en 1789, les premiers pas de la
production mécanisée des biens de
consommation avait amenuisé le prestige
et le rang des valeurs
traditionnellement attachées au trône et
à l'autel. Qu'allait-il advenir à la
bourgeoisie qui montait subitement sur
le pont? Son expérience de la politique
était entièrement à forger. Trois
siècles plus tard, une bourgeoisie
augmentée des élites issues des masses
scolarisée dès l'enfance ont enrichi ses
rangs. Ont-elles acquis la tournure
d'esprit et les compétences de la classe
dirigeante née de la longue alliance des
guerriers avec la monarchie de droit
divin? Jamais un roi de France n'aurait
laissé un M. Barack Obama menacer
d'envoyer "une tonne de briques"
sur la tête du Président de la
République française s'il se risquait à
commercer avec l'Iran.
Mais un citoyen
romain qui revêtait la toge virile dans
sa quinzième année aurait immédiatement
compris qu'un continent occupé par cinq
cents garnisons et forteresses en
provenance d'un empire venu d'ailleurs
ne connaîtra jamais le souffle des
peuples souverains. Dans le même temps,
seule la connaissance des origines semi
animales de la vassalisation des peuples
se révèlera en mesure de doter les
cerveaux des instruments d'une
connaissance rationnelle des secrets de
la méta-zoologie simiohumaine, parce
qu'entre temps, la monarchie pieuse et
guerrière a fait place à un mythe
théopolitique conceptualisé, celui d'une
liberté messianisée et évangélisée sur
les fonts baptismaux d'une utopie
dévotieuse.
C'est dire que seul
un institut de la recherche méta
zoologique mondiale permettra
d'affronter d'un nouvel obscurantisme.
On combattait une dogmatique ennemie de
la science expérimentale, on combattra
une vaporisation des cerveaux construite
sur le même modèle schizoïde que celui
de la dichotomie cérébrale précédente.
La sémiologie moderne - ou la
séméiologie - se trouve en germe chez
Kantorowicz, qui n'observait pas encore
le fonctionnement du "double corps du
roi" au sein des démocraties.
Maintenant, nous voyons le corps
collectif et mythique des démocraties se
brancher sur le passé religieux du genre
humain, tandis que le corps temporel n'a
pas encore articulé sa cervelle avec la
philosophie de l'évolutionnisme, parce
que Max Weber a tiré de Kantorowicz une
distinction artificielle et pseudo
rationaliste, celle d'une morale de la
responsabilité et d'une morale de la
vérité. Ces concepts ne sont pas
scientifiques.
Une Académie de
notables imprégnés de la culture moyenne
d'un époque n'est pas à la hauteur de la
panne internationale qui frappe les
sciences humaines d'aujourd'hui et qui
condamne la raison de notre temps à
conquérir un regard du dehors sur
l'animalité spécifique des semi-évadés
de la zoologie. Seule une anthropologie
scientifique qui changera de
problématique et d'échiquier cérébral
deviendra la méta zoologie indispensable
à la séméiologie de demain.
La semaine
prochaine, j'approfondirai quelque peu
la notion de trahison applicable aux
clercs; puis j'esquisserai une méthode
d'apprentissage de la méta zoologie.
Post Scriptum
J'écrivais le 25
juillet: "A partir de cette date, et
compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la
langue française que si le Président de
la République et le Premier Ministre se
voient nommément mis en cause, je
relèverai quelques-unes de leurs
fautes."
M. Valls ignore qu'on
part pour..., et non à...
M Hollande ignore
qu'on ne circule pas en vélo,
mais à vélo.
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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