Théopolitique
Allah et l'avenir de l'Europe de la
pensée rationnelle (2), le XXIe siècle
et les religions
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Jeudi 13 février 2014
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1 -
La République de la raison
2 - Où les dieux se cachent-ils
?
3 - La dimension ascensionnelle
du genre simiohumain
4 - Le monde moderne et l'avenir
du "connais-toi"
5 - Les peseurs de l'encéphale
du genre simiohumain
6 - Les apôtres du sommital
7 - La démocratie mondiale et la
pensée
8 - Le pain du néant
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1 - La République
de la raison
Décidément, c'est
en anthropologues qu'il faut tenter de
comprendre pourquoi la laïcité
française, qui, depuis deux siècles, se
voulait le moteur mondial de
l'intelligence et de la pensée et qui,
depuis Voltaire, aiguisait la réflexion
de l'humanité sur la meule d'une
critique encore superficielles des
mythologies religieuses, pourquoi,
dis-je, la laïcité pensante d'autrefois
est devenue aussi inerte et acéphale que
la critique des hérésies dans l'enceinte
des conciles ou de la théologie
militaire de Scipion l'Africain, qui
laissait astucieusement planer dans
l'armée un doute glorieux sur son
origine divine - la mode de l'époque
était aux demi-dieux guerriers avec
Achille ou civilisateurs avec Hercule.
Quels sont les
fondements anthropologiques des
convictions demeurées prétendument
laïques et démocratiques, mais
résolument décérébrées de MM. Hollande,
Copé ou Ayrault si, jusque dans nos
grandes écoles, l'Etat né de l'audace
intellectuelle relative des promoteurs
de la Révolution française refuse de
fonder une anthropologie réellement
scientifique? Une discipline de ce genre
oserait se poser la question des sources
- nécessairement psychobiologiques - de
la croyance des évadés de la zoologie en
l'existence de dieux autrefois
localisés, puis du grand triphasé dont
l'habitat demeure indéchiffrable, mais
nécessairement spatialisé. Car enfin -
merci, Spinoza - ou bien Zeus se trouve
séparé du cosmos et son statut est celui
d'un personnage, ou bien il s'immerge
dans l'étendue au point de se confondre
avec l'univers de la matière et son
immanence au monde a englouti sa
transcendance. Encore une fois, les
dirigeants des Etats censés se trouver
orientés dans la direction d'un royaume
de la raison et placés sous la bannière
d'une démocratie universelle ne se
seraient-ils décidément pas rendus plus
interrogatifs depuis trois siècles qu'à
l'époque de la défaite des Romains à la
bataille du lac Trasimène, dont le
propulseur, disait-on, n'était autre que
la mécréance coupable du général
Flaminius?
2 - Où les dieux
se cachent-ils ?
Pas de doute: dès
lors que nous disposons de trois Zeus
arc-boutés à leurs théologies endormies,
ou bien la question religieuse est
devenue tellement existentielle que la
politique moderne enfantera
nécessairement un regard de l'extérieur
sur l'encéphale de la bête scindée par
les dieux qu'elle sécrète, ou bien la
civilisation de la pensée critique
périra dans un retour subreptice aux
mythes schizoïdes des ancêtres. Du coup,
il n'est pas de devoir intellectuel plus
impérieux, pour une laïcité digne de ce
nom, que de planter là les tabous
cérébraux hérités de la préhistoire et
de se demander non plus si la France
serait plus unie et plus forte à servir
ses autels à demi abandonnés, mais s'il
serait vital pour son avenir cervical de
s'interroger sur les totems et les
glaives en usage du temps des guerres
puniques. Mais, pour cela, il faudrait
se donner les moyens de s'interroger sur
le sens du terme de sommeil
appliqué par les mystiques à la vie de
l'esprit et se demander quel feu propre
à l'intelligence éclairait la
spiritualité des grands sommitaux. Car
enfin, il n'y a pas de regard plus
anthropologique avant la lettre que
celui d'Isaïe sur le bûcheron idolâtre
ou de saint Ambroise sur les oies du
Capitole.
Mais si l'évêque de
Milan se moquait des dieux censés se
cacher dans le gosier de quelques
volatiles, pourquoi des dizaines de
milliers de chrétiens ont-ils trépassé
sur les champs de bataille du XVIe
siècle pour défendre un dieu censé se
cacher, lui, dans un morceau de pain ou
dans un verre de vin? Si l'humanité ne
parvenait pas à porter sur ses dieux un
regard de l'extérieur, il n'y aurait
plus d'humanisme heuristique, ni de
philosophie motrice.
3 - La dimension
ascensionnelle du genre simiohumain
Il est évident que
le fonctionnement cérébral réduit de la
classe dirigeante de la France
contemporaine conduira la Ve République
à une dégénérescence philosophique et
morale d'un infantilisme sans remède,
parce que, dans le monde entier, une
humanité de plus en plus ambitieuse de
se rendre transanimale ne cessera
d'obéir au noble appel de la vocation
ascensionnelle de "l'esprit de raison"
qui l'inspire, ce qui imposera une
limite à l'élargissement de la fracture
entre l'étiage cérébral moyen des élites
politiques de bas niveau et celui des
sciences humaines sommitales du XXIe
siècle.
C'est pourquoi
notre temps en appelle désespérément à
des hauteurs méta totémiques d'un côté,
tandis que de l'autre, le vieillard
qu'on appelle la France ne rêve que de "vivre
le plus longtemps", disait le
Zarathoustra de Nietszche. Que
va-t-il advenir d'une civilisation
mondiale de la sénescence dont les Etats
se précipitent tête baissée dans le
vide? Il est évident que si les
superstitions les plus primitives
revenaient au pas de charge occuper un
sol laissé en jachère, la laïcité se
trouverait amputée d'une spiritualité
minimale. Qu'en serait-ils du carré rond
d'une république privée d'armature
philosophique? Tentons d'observer de
plus haut et de plus loin les
comportements cérébraux au rabais d'une
classe dirigeante française et mondiale
dangereusement décérébrée, alors que
l'heure devrait avoir sonné pour elle de
se montrer peu ou prou "socratique" et
de se placer aux aguets de la science
anthropologique ascensionnelle de
demain, celle que la postérité
géopolitique de Darwin placera en vigie
internationale du destin intellectuel de
la démocratie?
4 - Le monde
moderne et l'avenir du "connais-toi"
Mais , loin de
conduire à un approfondissement
vertigineux du "Connais-toi" épidermique
de la bête, il faut constater, hélas,
que, pour l'instant, les progrès
prodigieux de l'astronomie et de la
connaissance des secrets ultimes de la
matière engendrent une classe politique
et scientifique de plus en plus
superficielle et indifférente à toute
connaissance abyssale de l'animal dont
l'encéphale infirme expédie
inlassablement des effigies fabuleuses
et sanglantes de la bancalité de son
Dieu promener ses ossements et sa
poussière dans le cosmos. La
disqualification intellectuelle et
morale des neurones de trois théologies
isole progressivement la psychologie
expérimentale dans une tour d'ivoire où
le fait historique le plus
extraordinaire, à savoir, l'existence
des mythes sacrés dans la cervelle
humaine se trouve purement et simplement
passé par profits et pertes. Il est
inouï que le savoir rationnel
international se soit endormi dans une
semi autarcie où il ne se livre qu'à des
mesures et à des calculs aveugles.
Il y a vingt-cinq
siècles que Socrate l'incendiaire avait
prévu la possibilité de la chute de la
philosophie dans le gigantesque artifice
d'un chiffrage universel. Cette
discipline sévère avait le choix de
demeurer une sentinelle du feu de la
raison ou de perdre sa vocation
ascensionnelle. Dans ce cas, le naufrage
de sa médication la divise entre les
sots calculateurs d'un côté - tel
Anaxagore, qui ne savait ni ce qu'il en
était du véritable contenu du crâne de
ses congénères, ni du fonctionnement
énigmatique de sa propre boîte osseuse -
et, de l'autre, les derniers allumeurs
de leur propre lumière, qui se demandent
jour après jour ce qu'il adviendra de
l'animal cuirassé de ses songes si ses
dieux se révèlent des bêtes à leur tour
et s'il s'agit d'apprivoiser leur
férocité. Et voici qu'il s'agit de
civiliser une démocratie mondiale
enferrée dans ses idéalités ensauvagées
et conquérantes, et voici que la
jeunesse est appelée à combattre la
barbarie de type républicain, et voici
que des concepts auréolés de leurs
carnages se changent en bêtes féroces,
et voici que l'anthropologie
scientifique vivante de demain se
révèlera spirituelle à l'échelle
internationale ou ne sera pas.
Mais il se trouve
que l'indifférence intellectuelle et
morale de la classe instruite du monde
entier à l'égard des feux de l'onirisme
religieux auxquels se brûle et se
consume l'animal rationale
caractérise les civilisations
industrieuses, mécanisées et tardives,
qui accèdent, certes, à une hypertrophie
de leur science de la matière, mais qui
contribuent, ce faisant, au
dépérissement et au racornissement de
l'humanisme prospectif des siècles
socratiques. Cette fausse autonomie
s'est vérifiée à l'heure où
l'épanouissement technologique fabuleux
de la civilisation alexandrine, mais
parallèle à la carence philosophique
croissante de ses élites et à la mort
progressive du "Connais-toi", a
soudainement précipité le front dans la
poussière les masses incultes d'un
empire en voie de décérébralisation.
5 - Les peseurs
de l'encéphale du genre simiohumain
De nos jours, la
question de l'ensommeillement des
cultures se place au cœur d'une
géopolitique endormie dans le berceau de
ses idéalités mythifiées. La planète des
super calculatrices et des artifices
cérébraux de l'abstrait relèvera-t-elle
un défi bien connu des historiens du
déclin et de la mort des civilisations?
Certes, l'Europe de la raison d'Etat
s'applique désormais à distinguer
l'islamisme chu dans la superficialité
intellectuelle d'un côté de l'islamisme
guerrier, de l'autre, alors qu'elle ne
dispose en rien de l'anthropologie
médicale qu'exige désormais la conquête
d'une connaissance rationnelle des rêves
religieux des ancêtres. Mais, j'y
reviens, une civilisation qui ignore
l'origine, l'évolution et les causes du
dépérissement des trois dieux
actuellement en état de marche sous le
crâne de centaines de millions d'hommes
et de femmes tombés en léthargie ou
fanatisés demeure non moins en panne
d'un véritable humanisme que le Sénat
romain évoqué la semaine dernière.
Le XXIe siècle
attend d'une laïcité redevienne
philosophiquement féconde qu'elle
enfante une science de l'imagination
religieuse mieux instruite des étapes
qu'un mythe doit nécessairement franchir
entre son enfantement et ses
funérailles, mieux instruite de ce qui
la rend poussiéreuse ou florissante,
mieux instruite des difficultés que
rencontrent les évadés de la zoologie en
quête d'un Olympe, mieux instruite des
avantages et des désavantages de se
trouver coulés dans ce monde. Car sitôt
que ces fuyards eurent quitté le règne
animal, il a bien fallu que leur espèce
se demandât qui pilote la mer, le soleil
et la lune. Puis les acteurs qui
incarnaient telle ou telle partie de la
terre ont laissé la place à un
protagoniste logé en solitaire dans les
coulisses du cosmos - et ce chef
d'orchestre s'est vu chargé de diriger
la représentation à la baguette. Or, la
littérature obéit au souffle et à
l'esprit des Olympe. De Caton l'Ancien,
Cicéron écrit que ses discours "sentent
la poussière" - "antiquitatem
redolent" - tandis que ceux de
Démosthène expriment l'âme grecque - "ipsae
Athenae redolent". Quelle balance à
peser l'âme de l'humanité que ses dieux!
6 - Les apôtres
du sommital
Mais pourquoi n'y
a-t-il aucune chance que la classe
dirigeante actuelle sécrète jamais des
phalanges de peseurs de l'encéphale du
genre simiohumain ? Parce que, depuis le
XVIIIe siècle, l'approfondissement de la
connaissance de notre espèce ne
progresse qu'à l'école de ses
sacrilèges. Ce siècle sera iconoclaste
ou ne sera pas pensant.
Supposons pourtant
que la France de la raison tente de
faire germer quelques phalanges de
connaisseurs de l'encéphale des
détoisonnés. Ces alpinistes se
feront-ils entendre d'un animal dont
l'évolution de sa boîte osseuse est
tombée en panne des blasphèmes d'Isaïe ?
Ne faudra-t-il pas un siècle entier pour
seulement tenter de convaincre une
minorité de l'intelligentsia mondiale de
ce que l'ascension simiohumaine n'est
pas née des personnages fantastiques que
les ancêtres expédiaient représenter
leur épiderme dans le cosmos, mais de
l'âme d'une bête solitaire et vaillante,
au point qu'elle se cherche naïvement
des sommets intérieurs à gravir? Je
crains que les Etats laïcs les plus
lucides échoueront à forger un clergé
d'apôtres du sommital, je crains qu'ils
se trouvent pris de vitesse par les
artisans de la peur qui, de générations
en génération de marmots affolés,
requinqueront un acteur ridiculement
caché dans le néant et qui ne servira
jamais que de caution tremblante à la
faiblesse de la "vie spirituelle" des
nourrissons.
7 - La démocratie
mondiale et la pensée
Essayons pourtant
de porter un regard global et de
l'extérieur sur les évadés du règne
animal; et, pour cela, observons du
dehors l'oscillation de cette espèce
entre une immanence et une transcendance
de sa lucidité.
L'Etat américain a
persécuté jusqu'à sa mort le plus grand
génie des échecs de tous les temps,
Bobby Fischer, parce qu'il avait déchiré
son passeport. L'identité nationale des
Etats-Unis se trouve substantifiée dans
un papier estampillé. Si vous brûlez le
drapeau américain, c'est l'immanence des
peuples à leurs signes et à leurs
symboles que vous profanez. Mais les
Anciens appelaient statuae leur
corps représenté dans le bois, la pierre
ou l'airain, et signa ou
simulacra les représentations
matérialisées de leurs dieux.
C'est donc que la
distanciation entre le réel et le signe
se situe au cœur de la condition
post-zoologique. Qu'en est-il d'un
primate tragiquement scindé entre des
substances et des symboles? Si elle
rejette son immanence, elle se largue
dans le vide - et son destin n'est plus
celui qui se grave dans sa politique et
dans son histoire; mais si ce mammifère
s'immerge dans le cosmos, il n'est plus
un "signe" - lanterne, potence, ciguë ou
drapeau. La spiritualité laïque
portera-t-elle un regard sur la bête
schizoïde qui s'enferre sur des fétiches
ou des totems ou se jette dans le vide ?
La raison républicaine parviendra-t-elle
à regarder le genre humain du dehors
afin que la démocratie mondiale devienne
un humanisme d'incendiaires de
l'intelligence?
8 - Le pain du
néant
Il est constant
que, dans les maladies qui frappent
l'alliance d'une raison en chemin avec
l'espérance religieuse, les poutres de
soutènement de la "vie spirituelle"
tombent dans le grotesque. Le
polythéisme est mort sous les rires et
les moqueries des philosophes de leur
fétichisme, mais également sous les
banderilles des grands metteurs en scène
de la folie du monde. Il y a fallu la
plume des dramaturges de la lucidité
grecque. Mais le tueur assis à l'établi
de la Genèse attend encore
son Euripide et son Molière, son
Cervantès et son Shakespeare, son
Aristophane et son Socrate. Et pourtant
les cruautés les plus généreuses de la
pensée se cachent déjà sous le comique,
le sacrilège créateur sous le rire
tellurique, le glaive de l'intelligence
blasphématoire sous le heaume et les
mascarades de la politique mondiale.
A l'heure où
l'espèce évolutive se trouve contrainte
de se prêter à une mutation conjointe de
sa pensée rationnelle et de son courage
cérébral, la profanation isaïaque,
socratique et bouddhique se place au
carrefour du tragique de la bête
totémisée. Comment ne pas tenter de
décrypter la "vie spirituelle" que les
saints appelaient la "théologie
négative"? Si aucun Dieu astral n'a
jamais servi d'amulette à l'immensité,
la question se pose de savoir quels
sommets intérieurs attendent l'humanité
de demain. L'île déserte de Pascal a
débarqué avec quatre siècles seulement
de retard. Par bonheur, un canon pointé
sur la tempe de l'animal au cerveau
bipolaire l'avertit que le Dieu localisé
des ancêtres n'était que le prototype de
leur embryon de conscience politique et
d'intelligence de leur propre histoire.
Aussi le sauvage campé dans le vide du
ciel se montrait-il ardent à noyer ses
créatures sous les eaux et à poursuivre
éternellement sous la terre un génocide
aussi atroce qu'inutile; mais déjà les
Socrate et les Isaïe soumettent en
catimini ce barbare à l'enseignement
d'un dieu privé de domicile.
Et pourtant, il
n'est pas encore démontré que, même sous
la menace d'une bombe nucléaire
provisoirement exorcisée par une
stratégie tout animale de la dissuasion
par l'effroi, il n'est pas démontré,
dis-je, que, sous le sceptre des
matamores de leur propre trépas, la
première religion du silence et du vide,
le bouddhisme, conquerra des chances
nouvelles de se rendre convaincante - on
sait que l'Eveillé a fondé le premier
athéisme du vertige, mais que son
message est tombé aussitôt dans une
mythologie de l'habitat en Inde et qu'au
Tibet, une imagerie des moulins à prière
a eu raison d'une spiritualité dont le
pain montait dans le four du néant. Du
moins, une distribution nouvelle des
cartes de la lucidité et de la peur
a-t-elle commencé d'éclairer la question
d'une pesée transzoologique de la boîte
osseuse d'un évadé des forêts.
le 13 février 2014
Reçu de l'auteur pour publication
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