Les défis de
l'Europe
Le G20 de Hangzhou
et L'effondrement de l'empire américain
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 9 septembre 2016
Les
grands évènements ne sont compris
qu'avec lenteur et pas à pas, parce que
l'esprit humain répugne à enregistrer
des bouleversements de l'échiquier de la
connaissance. Il en sera ainsi de la
réunion du G20 des 4 et 5 sept. 2016 en
Chine qui aura scellé l'éjection de
l'Europe de l'arène internationale.
Alors seulement, on comprendra en
profondeur les causes de la chute lente
et inexorable de l'empire américain à
son effondrement subit entrecoupe
seulement de quelques soubresauts. On
aura vu deux maîtres nouveaux du monde,
la Russie et la Chine, enterrer sans
fleurs ni couronnes un G8 dont les
Etats-Unis avaient pris le contrôle dès
sa création par M. Giscard d'Estaing et
dont ils s'étaient fait un nouvel
instrument de leur omnipotence. On aura
vu les nouveaux dirigeants de la planète
asseoir leur hégémonie bien méritée sur
un empressement universel des nations à
conquérir les atouts d'un jeu nouveau.
On
assistait à une passation spectaculaire
du pouvoir et, en quelque sorte, à une
intronisation en douceur du nouvel
équilibre des forces à l'échelle
planétaire.
Aucun
Etat européen n'a participé d'une
manière vivante et à l'échelle des
évènements, à la promulgation tacite des
nouvelles règles de l'alliance entre la
puissance des vrais Etats avec la vision
du monde nouvelle qui s'imposait à tous.
Mme Teresa May, nouveau Premier Ministre
britannique, avait demandé, avec une
avance de plusieurs semaines, un
rendez-vous avec M. Vladimir Poutine
qu'elle avait aussitôt obtenu. Puis elle
avait également demandé un rendez-vous
au premier dirigeant de la Chine et elle
a doublé sa mise. M. Poutine avait eu
des entretiens séparés avec dix
dirigeants de poids de notre astéroïde.
On aura vu un Président des Etats-Unis
quasiment hors jeu et auprès duquel tout
le monde avait cessé de s'empresser, car
la vassalité à son égard n'était plus
payante. En revanche, il était devenu
décisif de rencontrer M. Poutine ou M.
Linping sur un mode de relations qui
n'était plus celui de l'allégeance de
type américain.
Ne
sachant comment trouver une place
nouvelle à la cour, M. Hollande avait
tenté de sauver la face en arrivant sur
les lieux après tout le monde; mais cet
ultime subterfuge n'avait trompé
personne. Il était fatal que des
dirigeants européens dépourvus de toute
connaissance du destin des nations et du
sort réservé aux ignorants et aux
incompétents paieraient le prix de leur
méconnaissance des lois élémentaires de
la géopolitique. On ne se met pas à
l'échelle du destin à ignorer dans quel
sens court l'histoire et sur quel axe la
planète tourne sur elle-même. Tout
l'établissement ancien combattait M.
Trump, mais aucun ne réfutait ses
déclarations, ni ne se risquait à les
citer. Or, il avait formulé deux
évidences criantes; la première, que
l'Europe ne se constituerait jamais en
une nation unie et la seconde que ce
fantôme s'était doté d'une capitale
imaginaire et strictement
administrative.
Qu'y
avait-il de plus intéressant à observer,
l'effondrement de l'empire américain ou
celle de l'Europe des utopies. Si un
Nicolas Sarkozy qui avait réintroduit la
France dans l'OTAN en 2008 en était venu
en 2016 à dénoncer l'impérialisme
américain et son dictat sur les banques
du monde entier, son gaullisme tardif
n'avait pas été relevé par une presse et
des médias français verrouillés, de
sorte que toute l'attention des
anthropologues nouveaux se portait sur
l'agonie politique de l'Europe,
tellement la puissance ébranlée des
Etats-Unis ne savait comment faire face
aux contempteurs subits des serviteurs
de son hégémonie d'hier.
L'asservissement du Vieux Continent aux
lois américaines du commerce avait
échoué. Partout le patriotisme
retrouvait sa voix. On découvrait que
Washington obéissait à une politique
étrangère de type romain et que le
traité de Westphalie de 1648 que nous
devons au génie politique de Mazarin
avait explosé. Jules César ne se
demandait pas comment le droit des
Gaulois devait demeurer protégé sous le
glaive des légions. Washington non plus.
Et maintenant M. Vladimir Poutine
demandait rien moins au Pentagone que de
conserver le droit de défendre les
intérêts de son pays!
L'empire américain mourait de
l'anachronisme de la puissance de type
romain à laquelle les Etats-Unis avaient
cru pouvoir demeurer fidèles. Un Etat
prétendument démocratique et qui avait
fait de la sesterce le symbole du dollar
ne pouvait changer de culture politique
dans l'adversité: il lui fallait
agoniser dans l'alliance de l'éthique
calviniste du commerce avec le glaive
fatigué des Romains d'aujourd'hui.
Le ton
nouveau de la puissance a été fort bien
illustré par un dialogue de Vladimir
Poutine avec François Hollande. Après
avoir feint de croire que le destin de
la planète dépendait encore du dialogue
de la France avec tout l'univers, M.
Poutine a gentiment ajouté: "Et
maintenant que nous avons fait le tour
du monde, venons-en à l'examen plus
modeste des relations de la Russie avec
la France."
Car M.
Hollande avait eu la naïveté de convier
M. Poutine à "regarder les problèmes
en face". Mais cette fois-ci,
regarder le monde en face, c'était poser
la question des relations concrètes de
la Russie avec la France. Sans doute M.
Hollande a-t-il été surpris de trouver
en M. Poutine un interlocuteur
respectueux des intérêts propres à la
France. Mais quelle conquête d'une
dignité nouvelle et d'abord d'une
souveraineté nouvelle de la France que
de s'adresser à elle comme à une nation
en droit de défendre ses intérêts
propres et son indépendance.
En
vérité, dès le 4 septembre 2016, le G20
a clairement montré à tout le monde
comment la Russie substituerait aux
relations de vassalité de l'Amérique
avec ses prétendus "alliés", des
négociations à nouveau fondées sur le
traité de Westphalie de 1648 et combien
cette conquête nouvelle d'une diplomatie
civilisée entre des Etats souverains
n'était autre qu'une conquête majeure de
la civilisation mondiale.
La
Russie pouvait bien se révéler plus
puissante que l'empire américain ne
l'avait jamais été, mais du seul fait
que le style nouveau du pouvoir issu de
ce G20 détruisait la politique de
subordination que l'empire américain
avait entretenue avec ses alliés
vassalisés, le monde avait changé de
face, de sorte que dès le 4 septembre,
donc avant même l'achèvement de ce G20,
le style nouveau du pouvoir sur la scène
internationale avait métamorphosé la
diplomatie mondiale.
Mais
le grand vainqueur de ce G20 aura été
une Russie conviée à figurer au rang
d'invitée d'honneur à Hangzhou . On ne
défendait plus un prétenu "ordre
mondial" qui n'avait jamais existé et
qui n'exisera jamais, parce que ce
concept béatifiant n'était jamais que le
masque de la puissance hégémonique du
moment. Le réalisme politique se
révélait, en réalité, la véritable
source d'une politique humaniste et
respectueuse des Etats. La civilisation
mondiale avait changé de guide.
Le 9
septembre 2016
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